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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(automne 2007, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Языковое строительство в СССР, 1917-1933. Теории и действительность. / L’édification linguistique en URSS : l’imaginaire et le choc du réel

Prof. Patrick Sériot, avec la participation d’Elena Simonato, Ekaterina Velmezova, et Tatjana Zarubina

 16 octobre 2007. Кавказ как лаборатория советского языкознания



Compte-rendu, par Emanuel Landolt

Jusqu’ici oubliées, les langues du Caucase septentrional deviennent un objet d’étude pour les linguistes soviétiques. La première personne à s’intéresser et à étudier ces langues sera Piotr von Uslar (1816-1875) qui est un général de l’armée russe. Il fut nommé membre du département caucasien de la Société Géographique et chargé de rédiger l’histoire de cette région. Cette nomination l’a incité à s’intéresser aux langues du Caucase septentrional. Comme résultats de ses recherches, il a publié 4 livres. Dans la linguistique d’aujourd’hui on le qualifie souvent de pré-phonologue.

L’édification linguistique en  Union soviétique proprement dite prend place de 1920 à 1937, elle vise, comme rappelé dans l’article précédent, à favoriser l’intercompréhension des peuples de la jeune URSS. Ce programme comprend trois plans très importants :

-Elaboration des alphabets pour les langues non écrites (dans un premier temps le choix se portera sur l’alphabet latin.
-La création des standards écrits.
-La reforme de l’orthographe.

La première période importante de ce vaste programme politico-scientifique se déroule de 1920 à 1926, et comprend deux traits caractéristiques qui vaudront pour la suite du programme :

-Un défi politique majeur d’uniformisation
-Une défi scientifique majeur dans l’étude et la compréhension des langues caucasiennes réputées très complexes.

En 1922, avec l’ouverture de l’Institut des études orientales commencent les travaux sur les langues caucasiennes. L’organisation de l’institut demanderait à elle seule plusieurs sujets de thèse au vu de sa complexité, mais l’ensemble des recherches sont compilées par un organe central (VCKNPA). Les recherches vont dans deux directions :

-les scientifiques de Moscou organisent des expéditions au Caucase du Nord
-les locuteurs natifs de cette région sont invités à Moscou.

Dans ce vaste programme d’étude scientifique des langues du Caucase septentrional prendront part une génération de linguistes appelés « лингвистический фронт» qui comprend N.N.Marr (1864-1934), N.F.Jakovlev (1892-1974), L.I. Zirkov (1885-1963) et A.N.Genko (1896-1941). A l’exception de Marr, il s’agit d’une génération des jeunes linguistes qui reçurent leur formation juste avant la Révolution.

Il est évident qu’un programme aussi ambitieux que celui entrepris par l’Union Soviétique ne peut que charrier avec lui un certain nombre de difficultés propres à sa démesure. Tout d’abord, la multiplicité des langues (à ce sujet on a tendance à  attribuer à  la région du Caucase en arabe le nom de «гора языков ») concentrée sur le territoire (plus de 300 langues). Comment les répertorier et les différencier ?

Un des problèmes principaux est qu’en plus des langues qu’on peut ranger dans les familles des langues (classification génétique) : les langues altaïques, les langues indo-européennes, on trouve dans cette région aussi les langues caucasiennes. Celles-ci représentent une famille de langues, groupées géographiquement (adyguée, tcherkesse et kabarde) .

Mais aussi la dispersion des peuples dans différentes formation autonomes, des peuples sans territoires nationaux qui forment des minorités ethniques dispersée sur différentes parties du Caucase.

L’exemple pertinent à ce sujet est celui des Kabardes qui sont dispersés sur trois parties de territoire :

1) République de Kabardino-Balkarie
2) La région de Krasnodan
3) La région de Stavropol

Le kabarde appartient à la famille de langues caucasiennes qui comprend entre autres l’abkhaz, le kabarde, le géorgien. Ce n’est pas vraiment une famille, c’est un groupe non génétique de langue, une appellation géographique. Ces langues sont parlées par les peuples du Nord Caucase. La kabarde est parlé plus précisément au nord-est du Caucase, il appartient au groupe des langues caucasiennes.

N.F.Jakovlev est un spécialiste des langues du Caucase nord, il fut un élève du linguiste d’origine polonaise Baudouin de Courtenay, et collaborateur du VCKNPA. Il a effectué plusieurs missions scientifiques d’étude des langues caucasiennes, toutes dans des conditions rendues difficiles par les moyens de transport précaire existant (à dos de mulet). Une première expédition en Kabardie en 1922 pour l’institut des langues orientales de Moscou, suivront une en Ingouchie et en Tchétchénie. N.F.Jakovlev a élaboré une table de la phonétique kabarde, ce qui ne fut pas une promenade de tout repos parce que la langue est complexe (et possède une sonorité peu harmonieuse à l’écoute selon ses dires.). La langue contient 52 phonèmes (dont les 37 fricatives), et elle apporte avec elle 4 tentatives manquées d’élaboration d’un alphabet. Mais ce qui est plus important encore dans ces recherches, c’est leur importance et leur influence dans l’essor de la phonologie. Le manuscrit des « Tables de la phonétique du Kabarde » fut publié à 300 exemplaires par l’Institut des études orientales, et fit l’objet d’un compte rendu élogieux de Troubetzkoï, le célèbre linguiste russe. Tout d’abord, il faut situer les recherches entreprises par Jakovlev. On peut dire qu’elle s’oppose à la psychophonétique proposée par certains linguistes, qui est considérée comme peu sûre : Jakovlev estime que la conscience individuelle du locuteur peut difficilement servir du fondement solide aux recherches phonétiques. Sa méthode pour établir le système des phonèmes est de ne prendre en considération que les traits phonétiques d’un son qui différencient le sens.

Il pense également que les opposition phonématiques dans certaines langues ne sont pas pertinentes dans une autre.

Sa définition de phonème = Фонема = социално выделяемый в языке звук.

Ce son doit être reconnu par toute la communauté des locuteurs et pour cela cette méthode est proche d'une socio-linguistique.

Comment fabriquer un alphabet ?

Princie : 1 lettre = 1 phonème

La méthode consiste à saisir la différence entre les phonèmes et non entre les sons.

Dans la fin des années 1920 les deux caractéristiques du phonème données par Trubetzkoy sont : le phonème comme équivalent psychique du son (et non comme réalisation sonore), et comme unité intersystémique.

Au contraire, à cette époque-là, Jakovlev pense que le phonème est une unité intrasystémique  (qu’il n’a sa place qu’à l’intérieur de cette langue système et qu’il ne peut pas être comparé avec des phonèmes d’autres langues). Cette position sera après aussi adoptée par Trubetzkoy dans l’œuvre capitale de la phonologie : Grundzüge der Phonologie. Cela montre l’importance de Jakovlev et son influence sur Trubetzkoy.

L’alphabet de Jakovlev achevé comprendra 43 phonèmes en 1924, un nombres sensiblement réduit par rapport aux autres tentatives qui butèrent sur une surabondance de son.

Les perspectives de ce travail permirent la latinisation en Asie Centrale et en Transcaucasie. Le premier congrès de turkologie en 1926 élaborera des alphabets à base latine, et adoptera le principe phonologique de Jakovlev. Durant les années 30, le travail linguistique dans le Caucase consistera en des enquêtes de terrain, la création de dictionnaires, l’écriture de grammaires.

Pour terminer on peut ajouter en guise d’épilogue que la linguistique caucasienne a permis des recherches d’avant-garde pointues jamais réalisées à une pareille échelle, des débats théoriques (comme la querelle sur l’alphabet abkhaze de Marr et de Jakovlev), et une expérimentation audacieuse. Tous ces éléments forment une clé nouvelle pour une lecture de l’histoire soviétique.

 

 

 


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