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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


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Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

année 2007-2008,

Prof. Patrick SERIOT / Alexander SCHWARZ

Séminaire de Master / Bachelor-3

(printemps 2008, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Linguistique nazie / linguistique stalinienne

29 avril 2008 Georg Schmidt-Rohr, Muttersprache, Vom Amt der Sprache bei der Volkwerdung, Jena, 1933

 compte-rendu de Camille Luscher

Qu’est-ce qu’un peuple ?

Entre-deux-guerres les peuples sont à la recherche de leur identité, de leurs origines afin de s’affirmer et de définir les buts vers lesquels ils tendent ; c’est l’émergence du nationalisme contemporain.

Les dirigeants détournent la culture, condensent les coutumes au profit d’une idéologie nationale. Tous ces éléments motivent un questionnement sur la raison d’être d’un peuple et les conditions de la naissance d’un peuple. Il s’agit de découvrir l’essence même d’un peuple, ses particularités par rapport aux autres dans le but de créer une unité, une identité collective (Gruppenpersönlichkeit).

« Nous sommes nous, nous nous distinguons des autres. Nous avons en tant que peuple, une identité collective avec ses aspirations à la vie et ses droits. Le visage de notre  âme est unique. C’est la raison pour laquelle nous devons nous imposer sur cette terre, contre toute résistance. »

Existe-t-il un caractère profond inhérent au peuple ou si les caractéristiques sont imposées au peuple par les dirigeants dans le but de l’unifier ?

Et ces caractéristiques qu’elles seraient-elles ? D’où viendraient-elles ?

Georg Schmidt-Rohr énumère les différents facteurs des caractéristiques profondes d’un peuple :

-       climat
-       race
-       état, histoire des institutions
-       unité religieuse
-       ou encore : la langue

Au cours de son argumentaire G. Schmidt-Rohr défend la langue comme caractéristique fondamentale d’un peuple en l’opposant successivement aux autres « raisons et causes » possibles afin de démontrer sa prédominance sur chacune d’entre-elles.

La langue constitue l’âme d’un groupe. Elle est omniprésente (semblable à l’air que l’on respire sans y penser) mais difficile à étudier car il nous est impossible de prendre du recul par rapport à elle, étant dans l’impossibilité de sortir de la langue.

Si la langue constitue l’âme d’un peuple, l’étude de la langue pourrait déterminer son action sur le développement de l’être, du peuple.

L’individu n’est pas considéré comme tel, ce sont les caractéristiques d’un groupe qui sont étudiées. Tous les individus appartenant à un même groupe sont donc semblables ?!

Langue vs race

La race ne peut pas être constitutive d’un peuple car il y a trop de mélanges de races. Les coutumes communes à un peuple ne peuvent pas non plus être considérées comme preuve d’une identité collective car elles sont des adaptations, des intégrations d’autres coutumes. (Exemple de la fête de Noël : fusion de cultures païenne et chrétienne.)

Plusieurs éléments influencent le développement de l’individu, tant sur le plan physique que psychique : les caractéristiques involontaires transmises par les gènes (influence prénatale), l’alimentation, la maladie, les conditions géophysiques ou encore l’éducation ou l’environnement intellectuel (influences postnatales).

La langue, un élément postnatal, influence elle aussi tant le développement physique que psychique. Physiquement Schmidt-Rohr dit déceler une influence de la langue sur la stature corporelle, les traits du visage, l’expression. Il donne comme exemple les enfants brésiliens ayant été éduqués avec les enfants de colons, dont la morphologie aurait changé une fois la langue allemande maîtrisée. La langue influencerait également le psychisme en structurant le contenu de la pensée et en imposant une conception des valeurs ainsi qu’à travers la reconnaissance sociale suscitée par la langue parlée

G.Schmidt-Rohr semble mélanger au propos de la reconnaissance sociale l’ethno-liguistique (qui sous-entend une homogénéité à l’intérieur d’un même groupe parlant une même langue) et la socio-lingustique (qui prend en considération et a comme objet d’étude, plusieurs langues sociales à l’intérieur d’une même langue) On observe également une tendance à confondre langue et langage.

L’intégration d’un étranger dans le peuple allemand ne sera toute fois pas totale malgré une maîtrise parfaite de la langue allemande. [C’est ici l’éternelle question de la part d’inné et d’acquis dans le comportement humain.] De plus l’intégration ne peut pas se faire de manière passive, l’individu peut accepter ou rejeter ces choix.

La notion de race pure est dépassée, celle-ci n’existe pas et évolue encore sans cesse dans le temps et dans l’espace.

 

Langue vs Religion

L’église est la première institution à but éducatif qui tente d’inculquer une (des) vision(s) du monde et de donner un sentiment d’appartenance à un groupe. Tout comme la langue elle exerce une influence postnatale. Les deux ont une visée éducative, mais celle de la langue, au contraire de celle de l’église, est inconsciente. La langue maternelle en effet inculque des valeurs inconscientes, qui s’acquièrent aussi instinctivement qu’une respiration.

La religion ne peut pas former de peuple, car il est improbable qu’un Catholique allemand se sente plus proche d’un Catholique italien que d’un Protestant allemand. De plus l’utilisation des icônes n’est pas la même dans les différents peuples ayant différentes cultures. (La vierge Marie est utilisée à d’autres fins en Amérique latine que chez les Catholiques de France ou d’Allemagne.) L’interprétation de la bible diffère elle aussi d’une langue à l’autre.

Langue vs classe

La langue prime également sur la classe sociale. Il est en effet inimaginable qu’un ouvrier allemand se sente plus proche d’un ouvrier anglais que de son supérieur bourgeois parlant la même langue que lui. De plus, même si l’un apprend la langue de l’autre, des difficultés de communication surgiront immanquablement.

La langue est unique au sein d’un peuple. Elle est donc la caractéristique de ce peuple.

Pour appuyer sa thèse, Georg Rohr Schmidt développe six points :

  1. De nombreux scientifiques (comme les Grimm) sont arrivés à cette conclusion auparavant.
  2. La langue est omniprésente.
  3. La pensée est extériorisée par la langue.
  4. La langue offre un espace d’expression égalitaire.
  5. Le raisonnement nous différencie de l’animal, la langue exprime le raisonnement, donc la langue nous différencie de l’animal.
  6. Une véritable intégration des étrangers doit passer par l’apprentissage rapide de la langue du pays d’accueil.
  7.  

Schmidt-Rohr précise encore que la nation n’est pas l’équivalence du peuple. La nation forme une unité à travers la volonté d’appartenance (c’est-à-dire à l’aide de compétition, différenciation, etc.) alors que le peuple forme une unité à travers la nature de l’être. C’est donc irréfléchi, on pourrait dire instinctif. La volonté ne suffit pas à créer l’unité d’un peuple (un parti politique n’est pas un peuple!) mais la nation peut naître d’un peuple.

On arrive donc à cette conclusion « Volk ist Sprachvolk », « Le peuple est le peuple linguistique ».

Il convient donc de bien définir le terme d’allemand en veillant à ce qu’il englobe véritablement la totalité des germanophones.

La Suisse alémanique pose un problème dans un raisonnement naturaliste et déterministe tel que celui-ci.

Le peuple en tant que collectivité langagière est bien évidemment influencé aussi, mais au possible dans un deuxième temps seulement, par son histoire, par l’église ou encore par l’héritage génétique.

Le problème de ces théories est avant tout l’obsession de la recherche d’un monocritère. Pourquoi ne pas accepter de mélanger les critères puisque tous individuellement ne suffisent pas à répondre à des questions telles que « qu’est-ce qu’un peuple ?»

Elles usent et abusent par ailleurs des affirmations illustrées d’exemples, répétant constamment les mêmes choses, tandis que la véritable réflexion piétine empêtrée dans les contradictions.

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