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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

année 2007-2008,

Prof. Patrick SERIOT / Alexander SCHWARZ

Séminaire de Master / Bachelor-3

(printemps 2008, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Linguistique nazie / linguistique stalinienne

13 mai 2008 La langue de bois : traduire du faux en vrai

 compte-rendu de Lucie Pellouchoud

 

Traduire du faux en vrai                                                                                    

Mardi 13 mai

  

LTI, Notizbuch eines Philologen

Viktor Klemperer est un universitaire allemand d’origine juive (professeur de philologie romane à l'Université de Dresden), qui échappa à la déportation pendant la seconde guerre mondiale grâce à sa femme, Eva, qui était arienne.

Il y a un discours propre à toute idéologie, mais d’après Klemperer, ce qui rend un discours spécifique à une théorie n’est pas seulement le contenu des textes ou paroles, mais également leur forme ; c’est, du moins, le cas de la LTI (Lingua Tertii Imperii, Langue du IIIème Reich.), constate-t-il.

La forme de la LTI est influencée à tous les niveaux par l’idéologie nationale-socialiste, de la ponctuation aux expressions, en passant par les mots et les abréviations de mots. Et, toujours d’après Klemperer, c’est par la langue que l’idéologie nazie a pu se répandre inconsciemment : « La langue nazie […] change la valeur des mots et leur fréquence […] et, ce faisant, elle imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus publie et le plus secret. » LTI, p. 41

 

LTI = Novlangue

La LTI et la novlangue dont parle Georges Orwell dans 1984 ont des similitudes, dont :

-       La pauvreté. La LTI est pauvre, et d’après Klemperer, c’est justement sa pauvreté qui la rend toute-puissante. Réduire le vocabulaire usité, c’est :

-    se donner une garantie de toucher tout le monde, même les plus illettrés

-    réduire les moyens d’exprimer certaines pensées. Pour Klemperer, asservir la langue, c’est asservir la pensée elle-même, et cela permet une meilleure manipulation des masses.

-       Les abréviations, innombrables au sein de la LTI (Gsetapo, Kripo, KL, SS, SA…) Les sigles permettent de voiler un peu la réalité. Le mot « Konzentrationslager » est connoté beaucoup plus négativement, et donne un bien meilleure idée de ce que peut être la chose que le sigle « KL ».

 

Liens entre l’idéologie nazie et la LTI

L’évolution de la langue allemande sous le régime national-socialiste n’est pas totalement arbitraire.

-       La prolifération des mots « aveuglément », « fanatisme », et des mots du champ sémantique de la machine n’est-elle pas en lien avec l’organisation nazie de la société, et à l’obéissance aveugle aux ordres du Führer qu’elle prônait ?

-       La création de verbes tels que « entjuden », « arisieren », « aufnorden » a clairement un lien avec l’antisémitisme du national-socialisme.

-       La prolifération de mots tels que Sturm, Sturmabteilungen, Volkssturm, Landsturm… atteste du caractère non pacifiste de l’idéologie en question.

 

Ainsi, sans même connaître l’idéologie qui se cache derrière un discours, l’étude de ce discours nous en apprend beaucoup. Pour Klemperer donc, il semblerait qu’il y ait un lien intrinsèque entre idéologie et discours. Mais ce lien ne peut-il s’expliquer simplement par le fait que de nouveaux besoins entraînent forcément de nouvelles expressions, même sans volonté de propagande ?

 

 

Fünf Schwierigkeiten beim Schreiben der Wahrheit (1938)

Dans ce texte, Brecht affirme que le lien entre signifiant et signifié peut être faux, peut être une erreur. Il prône donc une « lessive » du vocabulaire, afin de redonner aux mots leur sens réel. Il part donc du principe que le lien entre signifiant et signifié est nécessaire, qu’il y avait un lien premier qui est le sens réel du mot, sans quoi, laver les mots ne servirait à rien qu’à leur ôter toute signification.

Berthold Brecht relève cinq difficultés, cinq pièges qui pourraient empêcher quelqu’un d’écrire la vérité :

-       le courage : il faut oser penser, et ensuite écrire ce qui est vrai.

-       il faut que l’intelligence soit en mesure de reconnaître cette vérité.

-       il faut que cette vérité provoque une réaction. Il ne faut donner que les vérités qui peuvent être utilisées comme une arme. Ce lien entre un mot et l’action qu’il doit provoquer semble être important pour Brecht.

-       il faut choisir le destinataire de cette vérité, choisir les personnes entre les mains desquelles cette vérité peut être efficace.

-       il faut être suffisamment rusé pour ensuite parvenir à répandre cette vérité parmie le grand nombre. Brecht donne des exemples, comme placer des remarques d’ordre politique dans un roman policier. Brecht lui-même fait ce qu’il propose : il écrit un texte sur comment écrire un texte. Son texte est l’exemple qui illustre ce que ce texte même dit. A travers cette question linguistique (comment écrire la vérité), Brecht aborde, au fond, une question politique.

 

L’idée principale de Brecht est donc qu’il faut laver les mots, rendre le vocabulaire le plus correct possible, et, pour cela, le simplifier le plus possible.

Il y a des mots qui s’adressent aux émotions, et d’autres qui s’adressent à la raison. S’adresser aux émotions, ce n’est pas présenter la vérité, qui est objective, rationnelle, du moins telle que Brecht la définit. Le mot « Volk », par exemple, au contraire de « Bevölkerung », s’adresse davantage aux émotions. Ainsi, si utiliser le mot « Volk » n’est pas à proprement parler mentir, dire « Bevölkerung », c’est retirer son soutien au mensonge.

La vérité enfin, doit conduire à l’action. Le mot lui-même doit devenir action. Déjà, le fait d’utiliser un mot plutôt qu’un autre est déjà une action. Il faut parler pour agir, et agir en parlant.

La vérité est simple, nue, claire, et elle s’impose ; ou ce n’est pas la vérité.

 

Brecht et Francis Ponge ont des discours qui vont un peu dans le même sens. Chez l’un comme chez l’autre, on retrouve ce constat de l’impossibilité de dire l’individuel avec un langage collectif (Ponge l’exprime ainsi dans ce poème : « Où es-tu pur oiseau ?/ Je ne suis plus moi. / Comme c’est mal. / Je ne puis m’arrêter de parler, de descendre. / Espaces du silence, que je remonte ! / Mais non ! Vous parlez tous. / Qui parle ? C’est nous ! / O confusion ! / Je les vois tous. / Je me vois tous. // Ainsi parla l’aigle commun. ») . Il faut donc se réapproprier le langage ; Brecht dirait : le laver.

 

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