Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres Section de langues slaves, Option linguistique année 2007-2008, Prof. Patrick SERIOT / Alexander SCHWARZ Séminaire de Master / Bachelor-3 |
(printemps 2008, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)
Linguistique nazie / linguistique stalinienne
4 mars 2008 Sprachinhaltforschung
Compte-rendu, par Silvan Wirz
Comme on l’a vu la dernière session, il faut parler de la linguistique dans le contexte. En ce qui concerne W. v. Humboldt, il faut prendre en considération le débat autour des lumières et des anti-lumières.
La thèse principale d’Ivo est qu’il n’y a pas de lien aussi fort entre la pensée de L. Weisgerber et celle de Humboldt, comme on l’a longtemps pensé. C’est cette thèse qu’il essaie de prouver. Nous parlons d’abord de la partie du texte qui expose la pensée de Humboldt (pp. 224-270) avant de parler de Weisgerber (pp. 196-224).
Une idée principale de la pensée de H. est que la langue est l’organe formateur de la pensée. D’après H. il y a un rapport fort entre la langue et la pensée. En général, H. conçoit la langue de deux façons: premièrement (1) en tant que processus et deuxièmement (2) en tant que produit.
En ce qui concerne le processus (1), il affirme que la pensée a besoin de la langue pour former une pensée. Une activité intellectuelle est en contact avec le son et elle a besoin du corps. Il se pose, à ce niveau, la question de quelle part domine sur l’autre: Est-ce que ma pensée subit le pouvoir de la langue ou est-ce que je peut former la langue par ma pensée et mon articulation? L’activité intellectuelle fonctionne de manière suivante (p. 235, milieu): On décompose un territoire (Gebiet) en parties (Elemente) et les recompose de sorte qu’elles forment de nouveau un tout (ein Ganzes), de telle manière que cet assemblage même soit susceptible de former un nouveau tout. L’individu parlant peut donc former quelque chose de nouveau à partir d’éléments préexistants.
Le rapport entre la pensée et la langue est très difficile à saisir. En gros, c’est la forme interne (Innere Sprachform; la forme externe serait la matérialité phonique) qui forme la pensée. De quelle manière cela se fait n’est pas clair. En tout cas, il y a un esprit fondateur de la langue (cf. Sprachbau en tant que structure/construction interne) qui nous contraint par sa structure logique interne (génie interne). On est donc pris dans un cadre qui nous détermine à parler d’une certaine façon, voire même à penser d’une certaine façon (déterminisme). Néanmoins, H. insiste en même temps sur le pouvoir créateur de l’acte de langue (la parole) individuel.
Selon H. il existe un rôle individualisant du son: La nature du son contient la véritable individualité de chaque langue. La véritable individualité de chaque langue se trouve donc dans la qualité déterminée de son matériel. Chaque nation qui a sa propre langue a un propre système des sons, qui exclut certains sons et en préfère d’autres. Elle emploie son système de sons dans une façon spécifique.
L’homme doit avoir un tu pour la pensée du je. (p. 243) H. s’intéresse alors aussi à la forme externe (sons) de la langue. La pensée se définit en dialogue avec un tu. La capacité de penser a besoin de quelque chose qui lui est semblable et différente en même temps. Ce qui est pareil la stimule et ce qui est différent sert de „pierre de touche“ (Prüfstein) pour la reproduction intérieure (pensées). H. ne fait alors rien d’empirique, mais ce qui est admirable c’est qu’il ose penser la langue et essayer de saisir sa complexité. Cette complexité ne va plus se retrouver chez Weisgerber.
En ce qui concerne l’altérité/la dialogicité de la langue, H. vise ici les cartésiens comme adversaires qui prônent un traitement de la langue purement mécanique. C’est aussi le „Je pense, donc je suis“ qui est mis en cause par H., car: peut-on penser dans sa tête sans la langue? H. dit que non et s’oppose ainsi aux philosophes du XVIIe siècle et surtout au mécanisme cartésien.
Il faut surtout retenir de la pensée de H. qu’il distingue plusieurs sphères et que ceux-ci se détermine mutuellement. Il y a une 1) Allgemeine Sprachkraft (comme une sorte de grammaire universelle), 2) des dialectes et 3) la langue individuelle, etc.
H. conçoit la langue aussi comme produit (252), dans le sens où il peut exister, en tant que norme, indépendamment de ses locuteurs. Il faut pourtant se demander à quel point cette norme contraint le locuteur et si celui-ci peut former lui-même quelque chose de nouveau. H. parle dans ce cas de la plasticité de la langue et de la possibilité d’un rééquilibrage entre norme et auteur (Norm und Autor, p. 257). Il existe en même temps une solidité (Festigkeit) et une plasticité qui permet au locuteur de modifier la langue. L’individu n’est donc pas simplement soumis aux contraintes imposées par la norme. Un autre mot-clé important est la sociabilité. On ne peut s’entretenir avec des gens qu’à condition qu’il y ait une langue commune/norme partagée. La solidité ainsi que la flexibilité (pour dire des choses nouvelles) forment ainsi la base de la compréhension mutuelle. Chomsky, par exemple, nomme aussi Humboldt pour cet aspect de la créativité de la langue.
Il faut revenir à la thèse de départ d’Ivo qui affirme qu’il n’y a pas vraiment de lien fort entre Weisgerber et Humboldt. En effet, W. se voit lui-même dans la continuité de Humboldt (néo-humboldtianisme). Il essaie simplement d’exposer ce qu’il y aurait de trop caché dans la pensée de H. C’est la raison pour laquelle il y a sans doute beaucoup de réductions de la complexité de la pensée de Humboldt. On peut certainement discuter les quatre concepts proposés par W.:
1) La capacité de parler (Sprachfähigkeit) 2) La langue maternelle (Muttersprache) 3) L’appropriation de la langue(Spracherlernung) 4) L’emploi / l’usage de la langue.
Selon H., la capacité de parler est LA caractéristique distinctive de l’humain. Alors que H. s’intéresse avant tout à l’être humain, W., au contraire, ne semble s’intéresser qu’au rôle de la langue maternelle dans la détermination de la pensée. Il ne s’intéresse pas non plus à la communication (altérité du moi et tu).
Chez W. on se trouve notamment confronté à un problème insoluble: selon W., la langue maternelle est supposée être la même pour tous. Mais peut-il véritablement y avoir un unaminisme d’une communauté de langue? Comme c’est une langue apprise, ce n’est plus une langue maternelle, car il existe des différences gigantesques entre les dialectes. W. saute par-dessus cette différence. Il ne fait rien de la différence entre les dialectes (diversité au sein de la nation)! W. part donc d’un présupposé d’unaminisme qui s’avère dangereux en ce qu’il ne permet pas de travailler sur la langue comme elle est.
Muttersprache: La langue est déjà présente pour son peuple sur le même niveau de la culture, etc. W. considère le peuple en tant que gens parlant la même langue. Cette langue comporte une norme qui maîtrise l’individu. Le rôle de la langue chez lui c’est de perpétuer la tradition; il exclut apparamment la possibilité de pensées personelles.
Chez W. l’appropriation de la langue équivaut plus ou moins à l’acceptation par l’individu de la vision du monde transmise par la langue. Chaque individu est enraciné dans sa communauté et la langue maternelle nous donne une perception du monde que l’individu accepte inconsciamment.
Tandis que H. voit le „Sprechen“ en rapport avec la communication, le terme de „Sprachverwendung“ chez W. dit simplement qu’à chaque fois qu’on parle, on actualise la vision du monde de notre langue, qui nous est imposée. Cette vision influe aussi sur la pensée scientifique.
W. semble reprendre H. avant tout comme source d’inspiration, comme une sorte de donneur de mots-clé (Stichwortgeber). Les citations sont là pour légitimer son texte. Mais les mots-clés ne suffisent pas pour maintenir la continuité. W. crée des nouveaux sens qui contredisent l’esprit de Humboldt. Il décortique les 4 concepts de H. à son usage.
La capacité de parler est vu comme simple émission de sons
- capacité de parler comme émission de sons (W.), limitation trop forte.
Schwarz: 202, en haut: „nouvelle linguistique“ qu’il oppose à la traditionelle Sprachbetrachtung (néo-grammariens).
En ce qui regarde l’appropriation de la langue, elle n’est pas un processus conscient chez W.. L’essentiel chez lui reste la soumission à la langue. Selon lui, l’individu accepte la pensée de la communauté au moment qu’il laisse se contrôler par cette langue. H. et W. voient le couple de l’ergon et de l’energeia de manière différente. H. met l’accent sur l’aspect dynamique de la langue et sur la créativité. La langue se constitue dans la dialogicité, dans un va-et-vient entre le stable et le flexible. W., en revanche, se passe de la dynamique. La langue est amorphe, elle est simplement là et il faut la transmettre telle quelle à ses enfants.
En ce qui concerne l’usage de la langue, il faut parler du contenu (Inhalt). C’est quoi le contenu d’une langue? Où pourrait être le sémantisme interne de la langue? Dans les années 30 (Sprachinhaltsforschung = recherche du contenu de la langue) on se pose la question de la place de la sémantique: Est-ce que nous sommes vraiment un petit grain dans l’immensité de la pensée de la Volksgemeinschaft? Voilà l’aspect problématique chez W.
À cette époque de la Sprachinhaltsforschung, il y pas mal de discussions autour de la traductibilité des mots comme par exemple: Est-ce que le „Volk“ veut dire le „peuple“? Le consensus des linguistes de ce courant c’est qu’il est tout à fait impossible de traduire ce mot, car les connotations des mots sont différentes, ce qui rend la traduction littérale quasiment impossible.
Différence entre H. et W.: H. s’intéresse pour tout alors que W. ne s’intéresse qu’à une sphère. C’est pour cela que les dialectes ne sont pas traités par lui. Les néo-humboldtiens en ont déduit le principe de la relativité: vis-à-vis des mêmes objets de la langue, les différentes langues n’arrivent pas à la même vision du monde (Weltansicht), car la langue est comme un voile intermédiaire qui distord la perception du monde. Le sociologie de W. est unaministe et non différentiel. W. se distingue des linguistes qui ne s’intéressent qu’à la forme. Il propose donc la „Sprachinhaltsforschung“ en disant qu’il se base sur Humboldt.
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