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Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres Section de langues slaves, Option linguistique année 2007-2008, Prof. Patrick SERIOT / Alexander SCHWARZ Séminaire de Master / Bachelor-3 |
(printemps 2008, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)
Linguistique nazie / linguistique stalinienne
18 mars2008 Didactique de la langue à l'école
compte-rendu de Janry Clavel
Selon Weisgerber (1942), il existe deux sortes de langues : la langue «maternelle» (Muttersprache) et celle appris dans les cours de langues. L’enfant grandit dans une certaine culture, dans une certaine région, celles qui entourent sa langue maternelle, et est influencé par elles.
L’écriture est à l’origine de toute expression, mais le temps et les lieux limitent la communication. Dans le cadre de cours de langues, l’écriture, vecteur de la communication par l’expression, est elle-même objet du cours (apprentissage puis maîtrise de l’orthographe).
Le texte de Cretius, Lebensvolle Sprachlehre (1933), est une introduction (voir Textdossier zur Nazi-Linguistik, page 106), celle d’un manuel scolaire pour enfants de 6-7 ans, qui explique le contenu dudit manuel.
Ce matériel de cours propose l’enseignement de phrases simples, à savoir utiliser des mots qui se prononcent comme ils s’écrivent. Dans le cas de l’emploi de la majuscule pour les noms, ceux-ci doivent être, pour l’enfant, facilement accessibles à la vision ou à la mémoire ; ainsi l’auteur donne une règle : tout ce que vous voyez s’écrit avec une majuscule. A ce propos, la remarque suivante sera faite dans le séminaire : comment écrit-on un nom qui décrit les sentiments ?
Le titre du texte à la page 107 du dossier est éloquent : Sprachgemeinschaft und Volksgemeinschaft. Il s’agit d’un écrit de Cretius : Der deutsche Sprachunterricht im Dienste der Volkskunde (1935). L’auteur y parle de l’âme de la langue ; si la communauté est ainsi, alors la langue l’est aussi, ainsi. Cette dernière dérive de la première ; Cretius pense la langue à l’image de la communauté dans laquelle elle est parlée. Cretius fait des distinctions entre les langues européennes, la langue viendrait de l’instinct naturel des races. Le rôle du professeur est d’abord de s’intéresser à la profondeur de la langue, par conséquent à l’âme du peuple.
La langue allemande doit par conséquent être abordée par le pédagogue comme étant celle du peuple allemand ; il doit parler des dirigeants allemands, de la nature allemande.
On trouve dans ce manuel des exercices de grammaire (ici le comparatif : plus grand que, plus petit que, etc.) avec image de jeunes des jeunesses hitlériennes ; chacun est caractérisé d’après le but de l’exercice : grand, petit, gros, maigre, au garde à vous, etc. On y trouve encore des exercices de diction, où dans l’un d’entre eux la phrase « Sei dem Führer treu ! » est à apprendre par cœur.
Plus loin, dans le même texte, Cretius dit d’étudier le vocabulaire pour comprendre le peuple. Il y a des anciens mots, issus du peuple « germain-aryen », peuple de paysans, puis, après la séparation entre germains et aryens, viennent d’autres mots, les « Lehnwörter », issus d’autres peuples. Il y a donc communication avec ces autres peuples, mais les germains ne se sont pas laissés submerger par ces mots : ils les ont germanisé. Quant aux « Fremdwörter », qui viennent de l’étranger, il ne faut pas les germaniser, ne pas les utiliser ; ils n’ont pas la « völkischer Geist ». Pour ne pas salir la pureté de la langue allemande, le professeur ne doit pas autoriser l’utilisation de ces mots par ses élèves. Ainsi il n’y a pas de « Fremdwörter » dans le livre, pas de verbe dont la terminaison est en –ieren.
Il est mentionné dans le séminaire un exercice de mathématiques qui ébranlera l’objectivité des intervenants : la donnée indique ce que coûte un handicapé physique, le problème étant de calculer le nombre d’handicapés à éliminer pour payer un mariage.
Cretius, dans le chapitre Deutsche Sprache und deutsche Kultur (dossier, pages 108 à 111) aborde les expressions du quotidien, qui viennent du vocabulaire du travail. Au fil des années, ces expressions se transmettent et sont adoptées peu à peu dans le langage ; chaque corps de métier a ses propres expressions ; il y a une « Volksverbundenheit », une cohérence dans les groupes.
Exemple d’expression : « der Faden verlieren », perdre le fil. Le but de Cretius est de pouvoir affirmer que les mots propres à un corps de métier se répandent… C’est là la fierté du linguiste qui démontre que l’identité de groupe s’élargit à l’échelle de la nation et peut dire : « on est différents ». Cependant, dans cette logique, il ne faut pas prendre en compte les autres pays, car ces mots se retrouvent dans d’autres langues, notamment en français et en russe. Le discours de la singularité construit une illusion identitaire qui aboutit à l’affirmation symbolique de la différence entre soi et les autres.
Dès la fin du XIXè siècle, il y a une bipartition entre « Körper » et « Geist ». Le troisième mot, ou concept sera : « die Seele ». Dans le dernier paragraphe du texte à la page 105 du dossier, Cretius parle de « Wortseele », l’âme du mot.
Il y a une différence entre « Sprachgemeinschaft » et « Volksgemeinschaft » ; la langue est vue comme le miroir de l’esprit et l’âme d’un peuple, ainsi les gens qui appartiennent à cette langue entrent dans la « Volksgemeinschaft ». Il y a interdépendance entre la langue et les gens, liaison entre deux polarités ; la langue influe sur le peuple et celui-ci influe sur la langue. Alors, par les textes scolaires, on peut formater les élèves pour leur faire réciter des slogans nationalistes.
Enfin, quant au problème des dialectes, si nombreux au sein du peuple allemand, il est résolu par l’enseignement de l’écriture ; en effet, on entre dans la communauté par l’écrit. Il est le garant de la cohésion du peuple : l’enseignement de l’allemand a un sens dans la mesure où il contribue à construire le bon allemand (ainsi on sort du dialecte pour accéder au parler national).
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