L'étude de la mécanique quantique en URSS est intéressante en raison de ses connotations idéologiques.
La mécanique quantique, théorie physique qui apparut au début du XXème siècle grâce aux travaux de Planck, révolutionna la vision jusqu'alors en cours dans les sciences de la nature. Les bases de cette théorie, proches de celles du néo-positivisme de Mach, prônent l'abandon des piliers théoriques de la physique dite classique. L'Ecole de Copenhague, qui regroupe les plus grands physiciens rassemblés autour de Niels Bohr, pose les principes de la nouvelle physique : abandon du principe de causalité, du déterminisme, de la matière comme seul «support» de la physique, apparition de la discontinuité....
Parallèlement à cela, en URSS, le matérialisme dialectique devient l'unique doctrine officielle applicable dans les sciences. Le matérialisme dialectique, basé sur les travaux de Hegel, Engels et Lénine, s'oppose à première vue aux bases philosophiques de la mécanique quantique. Toute théorie abandonnant les principes du matérialisme est considérée comme idéaliste et est à proscrire. Les «pseudo-philosophes» (dénommés de cette façon par la majorité des historiens de la physique en URSS, en particulier Vizgin et Gorelik), «apôtres» soviétiques du matérialisme dialectique, qualifieront cette Révolution quantique de métaphysique idéaliste et essayeront, mais en vain, de faire interdire cette nouvelle théorie, comme ils le firent pour la génétique.
Cependant, une très forte école soviétique en mécanique quantique apparaîtra dès les années 20. Les noms de V.A.Fock, L.Landau et de I.E.Tamm seront aussi présents dans les manuels et revues de physique que les noms de Schrödinger, Planck ou Bohr, pères fondateurs de la mécanique quantique. Une branche russe de l'Ecole de Copenhague apparaîtra dès 1930 avec les travaux de Fock, Tamm, Frenkel', et Landau. Tous les prix Nobel de physique remportés par l’URSS de 1938 à 1978 récompenseront les travaux effectués dans le domaine quantique.
Une forte cohésion entre les physiciens experts en mécanique quantique permettra de contrer les critiques des pseudo-philosophes, à la tête desquels se trouvait Maksimov. Une ligne de front Fock-Tamm-Vavilov-Ioffe essaiera de tenir tête aux attaques anti-bourgeoises de la ligne Maksimov-Timirjazev-Deborin-Kol'man. De son côté, Fock s'efforcera de prouver que la mécanique quantique peut s'insérer dans les conceptions idéologiques du matérialisme dialectique.
Cependant, face aux urgents besoins militaires et nucléaires de l'URSS et aux applications directes de la mécanique quantique dans les recherches atomiques, le pouvoir se trouve devant un dilemme idéologico-stratégique. Béria chef du projet nucléaire soviétique et à fortiori très proche des physiciens, prêchera auprès de Staline la cause des recherches dans le domaine nucléaire et par conséquent en mécanique quantique et relativiste. Les Etats-unis devenant de plus en plus puissants (1ère bombe atomique américaine en 1945), Staline décide d'accélérer les recherches en physique nucléaire. Il débarrassera les physiciens des attaques les plus virulentes des pseudo-philosophes qui freinent considérablement les recherches des physiciens («Disgrâce» de Maksimov dès 1952). En 1948 explose la première bombe atomique soviétique. En 1953 est créée la première bombe H soviétique, la bombe «Tsar», qui restera la plus puissante sur Terre, grâce aux travaux de Tamm et à ceux d'un physicien de génie: Sakharov (qui deviendra membre de l'Académie des sciences à l'age de 35 ans!).
Cependant, même si la mécanique quantique a réussi à se développer en URSS, surtout grâce à ses apports dans la réalisation d’armes nucléaires (les raisons géopolitiques ayant toujours le dernier mot !), les discussions sur le caractère idéaliste de la mécanique quantique alimenta un débat très riche commençant dans les années 20 pour s’achever dans les années 80. Le but de cet exposé est de retracer ce débat, afin de se pencher sur les caractères matérialistes et/ou idéalistes de la mécanique quantique face au matérialisme dialectique.