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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


В.Н. Волошинов (1895-1936)

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2009-2010,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(automne 2009, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Московско-тартуская семиотическая школа

Prof. Patrick Sériot, avec la participation de Ekaterina Velmezova et Tatjana Zarubina

 

17-е ноября 2009 г.

Конспект лекции Fabien Schneider

La réception de l'école de Tartu/Moscou en France
Exposé d'Emmanuel Landolt

 Dans cet exposé, on s’est intéressé à la comparaison entre la sémiologie française et celle de Tartu-Moscou.

 Julia Kristeva est arrivée à Paris en 1966 et a fait la rencontre de Philippe Sollers, ce qui lui a permis de participer aux séminaires de Lacan, qui était le dispositif intellectuel dominant de cette époque. Roland Barthes lui permet d’avoir un auditoire parisien. Ils fondent la revue Tel Quel. Ce groupe pose des jalons théoriques importants, qui seront au centre de beaucoup d’avancées. Ils ont tenté de faire exploser la structure du paradigme historique.

Kristeva est importante pour ses traductions des écrits de Tartu-Moscou. Elle s’y est rendue plusieurs fois. Elle croyait y trouver un allié alors qu’il s’agissait en réalité de son plus grand adversaire. Il n’y a pas eu d’effet Lotman à Paris, il est resté plutôt discret. Selon Waldstein, l’hégémonie de la théorie sémiotique française aux USA a également empêché la réception de celle de Tartu-Moscou. Les séminaires d’été de Kääriku ont permis des contacts entre les théoriciens français et ceux de Tartu-Moscou. Mais il y avait asymétrie d’intérêts des deux camps. L’URSS bénéficiait de nombreuses traductions des écrits français, mais la France ne recevait que très peu de traductions du russe. Il n’y avait pas le même bouillonnement intellectuel dans les deux pays. La pensée française subit une hyper-politisation, c’est-à-dire que l’aspect politique est important dans l’analyse. Tandis que la pensée soviétique fait abstraction de la politique. Il n’y a par exemple pas la moindre notion de Marx chez Lotman. La tenue du séminaire d’été dépendait justement de ce caractère apolitique. Chez Lotman, la dépolitisation est justement une stratégie politique.

Après un séjour en Chine du groupe Tel Quel, J.P.Faye devient dissident et fonde une revue concurrente, Change, qui rejoint le mouvement maoïste militant. Elle se démarque par son opposition à la définition de la littérature décomposée mais de la transformation. Change a publié de nombreuses traductions de Lotman, alors que Tel Quel n’y a consacré qu’un seul numéro, mais avec un commentaire de Kristeva. Selon elle, Tartu-Moscou est le noyau de pensée progressiste anti-bourgeoise, et il s’agirait donc d’une politisation du discours scientifique. Mais Tartu-Moscou n’avait de loin pas autant de liberté politique que Paris.

Dans ses écrits, Lotman est un dissident conscient de la puissance du langage, et le mot « culture » n’y existe pas. Et « les déconstructions ont pris la place de la description ».

Kristeva formalise pour déconstruire, alors que Lotman formalise pour reconstruire l’origine des sens. En France, tout est bon à prendre, et cela fonctionne par monde. A Tartu-Moscou, ils suivent certains critères, et rejettent par exemple Freud pour son rationalisme. Ils ne comprennent alors pas Kristeva qui intégrait les théories de ce dernier dans son analyse. Elle cherche également à transcender la langue, alors que Tartu-Moscou s’en tient à la nature du signe.

Kristeva et l’école de Tartu-Moscou font partie du même mouvement, cherchent à analyser pour restructurer verticalement le texte, mais ne parlent pas la même langue, ne se comprennent pas. Pour Lotman, l’art représente la réalité, grâce non pas aux signes mais aux icônes. Alors que pour Kristeva, c’est tout l’inverse.

Chez elle, derrière chaque texte, il y a sujet, puisque celui-ci choisit parmi le « pantexte » l’extrait qu’il fixe. Il y a donc un rapport entre le texte et l’humain, et donc avec l’inconscient. Chez Lotman, il n’y a pas besoin de l’homme pour que le texte existe, il s’agit d’un objet concret. Mais il y a malgré tout de l’implicite, de commun à toutes les langues, mais néanmoins pas inconscient.


Compte-rendu de l'exposé par Emmanuel Landolt :

La réception de l'école de Tartu/Moscou en France
Exposé d'Emanuel Landolt

 

Dans cet exposé, on s’est intéressé à la comparaison entre la sémiologie française de la fin des années 60, représentée par Julia Kristeva et celle de Tartu-Moscou, en particulier Youri Lotman.

Julie Kristeva est arrivée à Paris et a fait la rencontre de Philippe Sollers, ce qui lui permit de participer aux séminaires de Lacan, qui était le dispositif intellectuel dominant de cette époque. Roland Bart lui permet d’avoir un audit parisien. Ils fondent la revue Tel Quel. Ce groupe d’avant-garde pose des jalons théoriques importants, qui seront au centre de beaucoup d’avancées dans le domaine des sciences humaines. A travers ses recherches en sémiotique (création de la sémanalyse qui est une contraction de psychanalyse et de sémiologie), Julia Kristeva a tenté de faire éclater la structure en la rendant à l’histoire, et cela à l’encontre de ce que proposait le structuralisme traditionnel.

 

La comparaison entre les deux dispositif théoriques est pertinente puisque Kristeva a traduit et introduit certains écrits des membres de Tartu-Moscou. Elle s’est même rendue à leur séminaire en 1969. Elle croyait trouver en Lotman un allié pour appuyer ses recherches théoriques alors qu’en tout et pour tout il s’agissait de son plus grand adversaire. Il n’y a pas eu d’effet Lotman à Paris, il est resté plutôt discret. Selon Emmanuel Waldstein (sociologue américain qui a travaillé sur Tartou-Moscou), l’hégémonie de la théorie sémiotique française aux USA a également empêché la réception de celle de Tartu-Moscou.

Les séminaires d’été de Käariku ont permis des contacts entre les théoriciens français et ceux de Tartu-Moscou. Mais il y avait asymétrie d’intérêts entre les deux camps. Les membres de l’école de T-M traduisaient certains écrits français, voire citaient (Lévi-Strauss, Christian Metz, Kristeva, Barthes, etc.), mais la France, elle, ne recevait que très peu de traductions du russe (seulement trois traductions de Lotman au cours des années 70). La pensée française traverse une phase d’hyper-politisation consécutive aux événements de mai 68, et la catégorie du politique occupe une importance significative dans l’analyse. Tandis que la pensée soviétique fait abstraction de la politique. Il n’y a par exemple pas la moindre notion de Marx chez Lotman. La tenue du séminaire d’été dépendait justement de ce caractère apolitique. Chez Lotman, la dépolitisation est justement une stratégie politique.

 

Le contexte intellectuel français n’est pas homogène, il y a des concurrences et des oppositions : après un séjour en Chine du groupe Tel Quel qui annonce leur conversion au maoïste militant, J.P.Faye devient dissident et fonde une revue concurrente, Change. Elle se démarque par son opposition au totalitarisme et sa publication de quelques extraits des textes de Lotman, sans commentaire, alors que Tel Quel n’a consacré qu’un seul numéro à l’école de T-M, mais avec un commentaire de Kristeva qui regorge de malentendus et d’interprétations fantaisistes. Selon elle, Tartu-Moscou est le noyau de pensée progressiste anti-bourgeoise, et incarnerait une politisation du discours scientifique. Alors que Tartu-Moscou rejetait le marxisme et l’idée de pensée bourgeoise propre à la doxa de l’époque, préférant l’étude scientifique et systématique des textes artistiques. Ajoutons à cela qu’en URSS, il n’y avait de loin pas autant de liberté politique que Paris (ni syndicat, ni groupes politiques dissidents, etc.).

 

Dans les écrits de Kristeva, contrairement à ceux plus tardifs de Lotman le mot « culture » n’y existe pas. Le contexte intellectuel dans lequel travaillait Lotman on favorisait l’élaboration d’un langage formel hermétique afin d’échapper aux pressions idéologiques en place mais surtout de mieux décrire les multiples réalités artistiques et leurs structures concomitantes, alors que dans le contexte français selon les mots de Vincent Descombes, « les déconstructions avaient pris la place des descriptions ».  En effet, Kristeva formalise pour mieux déconstruire, alors que Lotmann formalise pour mieux reconstruire les modalités d’êtres des textes artistiques, leur transmission du sens, etc..

En France, tout est bon à prendre, et cela fonctionne par effet de mode. A Tartu-Moscou, ils suivent certains critères, et critiquent par exemple le freudisme pour son rationalisme caché. Ils ne peuvent alors pas comprendre Kristeva qui intégrait les théories freudiennes revues par Lacan dans son analyse. Elle cherche également à dépasser les modèles linguistiques (en particulier le modèle saussurien dont elle ne retient que les anagrammes, tout comme Lotman dans ses premiers travaux cherchera à dépasser le modèle binaire saussurien en proposant l’idée que les signes artistiques sont iconiques dont les propriétés marquent l’absence de caractère conventionnel, et le lien entre forme et contenu.

Kristeva et l’école de Tartu-Moscou font partie du même mouvement, cherchent à analyser pour restructurer verticalement le texte, mais ne parlent pas la même langue, ne se comprennent pas. Pour Lotman, l’art est un modèle du monde, grâce aux signes iconiques. Alors que pour Kristeva, c’est tout l’inverse, l’art ne représente pas et la sémiotique doit au contraire des travaux de Lotman excéder l’idée d’une simple transmission d’informations ou de l’élaboration hiérarchique de codes différents, et ainsi viser une forme de transcodage, pointer non pas vers un code figé ou toute forme d’invariant, mais reconnaître la pluralité des codes, afin de mieux comprendre le travail du sens à l’œuvre dans le texte artistique (ce qu’elle appelle la signifiance).

Chez la linguiste bulgare, il y a derrière chaque texte un sujet, puisque celui-ci choisit, sélectionne parmi l’omniprésence des textes produits consciemment et inconsciemment un extrait qu’il vient fixer dans cet infini de production de signes (ce qu’on appelle avec Lacan la chaîne signifiante). Il y a donc un rapport entre le texte et le sujet, et donc avec l’inconscient, ce qui veut dire que le sol sémantique du texte n’est jamais fixe, ni statique, puisqu’il dépend à chaque fois de ce travail du sens qui intéresse le sémioticien. Chez Lotman, il n’y a pas de sujet qui pose le texte, le texte est juste un objet concret à étudier hors des déterminations d’un appareil psychique. Mais il y a malgré tout de l’implicite, commun à tous les langages artistiques (Lotman appelle cela un tout structurel), mais qui n’est pas lu à travers des catégories psychanalytiques comme chez Kristeva.

Résumons donc les points importants de ce que dit Kristeva : il n’y a pas de sens prédéfini du texte, il y a de la subjectivité dans la matière de la langue, le texte est engendré par le réel il n’en est pas extrait comme il le serait dans une représentation mimétique, il est aussi (le texte) une pratique qui manifeste les transformations du réel historique et social.

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