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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2009-2010,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(printemps 2010, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Le naturalisme dans les sciences humaines en Russie

Prof. Patrick Sériot, avec la participation de Ekaterina Velmezova et Tatjana Zarubina

 

 -- 13 avril 2010 : N. Troubetzkoy et la répartition géographique des langues

Présentation par Martina Castelletti

Le Cercle linguistique de Prague

- groupe de linguistiques influent du XXe siècle

- fondé en 1926 par Vilelm Mathesius (linguiste tchèque)

- composé d’émigrés russes (R. Jakobson, N. Trubetskoj, S. Karcevskj) et de célèbres érudits tchèques (R. Wellek, J. Mukarovsky)

- Le concept de fonction dans le langage est la notion clef des travaux du Cercle, et ce terme a deux sens différents :

a) le langage a une fonction, c’est-à-dire qu’il sert à quelque chose

b) chaque langue est composée d’éléments qui ont ou non une fonction : les phonèmes servent à distinguer des paires minimales (phonologie), alors que les phones sont des élément non discriminants (phonétique)

- « La langue est un système fonctionnel .» (Trubetzkoj, Jakobson, Karcevskj)

- Principes de phonologie (1939) : Trubetskoj définit le phonème comme la plus petite unité fonctionnelle

 

Le mythe de la Tour de Babel

Selon les traditions judéo-chrétiennes, Nemrod, le "roi-chasseur" régnant sur les descendants de Noé, eut l'idée de construire à Babel (Babylone) une tour assez haute pour que son sommet atteigne le ciel (le trône de Dieu). Mais Dieu fit échec à cette entreprise en introduisant la "confusion" (c’est à dire la diversité) des langues. Dieu punit donc les hommes en les confondant à travers leur moyen d’expression.

L’article de Trubetskoj

Trubetzkoj commence son article en disant que l’instauration de la multiplicité des langues et des cultures est présentée dans l’écriture comme un châtiment analogue à la malédiction infligée à l’humanité en la personne d’Adam, vue que dans toute les deux il y à une loi naturelle contre laquelle l’homme est impuissant.

Après cela, il commence à exprimer ses idées à travers une comparaison. Il dit que la nature physiologique de l’homme et du monde dans lequel il vit implique que la quête de sa nourriture est liée à un dépense de travail physique, et même si l’homme continue à inventer des machines pour supprimer le travail physique, il ne sera jamais possible de le supprimer complètement. De la même façon,  il dit que les lois d’évolution des peuples impliquent nécessairement l’apparition et la conservation des différences nationales dans le domaine de la langue et de la culture, et que même si les hommes essayent de s’opposer à la multiplicité des différences nationales, ces différences existeront toujours. En plus, comme l’absence de travaille physique est nocive pour l’organisme humaine, de la même façon toute tentative d’anéantir la diversité des nations aurait pour conséquence la stérilisation et la mort de la culture. En tout cas, il y a une différence entre les deux parties de cette comparaison. En effet, le labeur provoqué par le travaille est toujours souffrance, et la nécessite du travail reste une malédiction éternelle. En revanche,  même si la loi de l’inévitable multiplicité des cultures nationales peut être la cause des guerres, de l’hostilité entre les groupes ethniques et de l’oppression de certains peuples par d’autres, il faut aussi admettre que en soi, en tant que telle, elle n’est pas liée à la souffrance. Et en conclusion, Trubetzkoj explique que la loi de l’obligation du travail physique est simplement un châtiment imposé à l’humanité, tandis que la loi de la division des langues est plutôt une réponse de Dieu à la construction de la Tour de Babel pour prévenir à l’avance tout tentative analogue à celui-ci. En effet, dans une culture universelle et privée de toute caractéristique individuelle il y a une arrogance et une fierté exorbitante, comme démontre, par exemple, le projet impudent de la construction de la Tour, qui était une merveille technologique mais qui avait un but antireligieux. Dieu confondit donc les langues pour imposer une limite à l’autocélébration blasphématoire de l’humanité, et tout cela démontre que seulement des cultures nationalement limitées peuvent être exemptes de l’esprit de vaine superbe et mener donc les hommes selon des vois agréables à Dieu.

Trubetzkoj passe ensuite à parler plus en détail de la culture. Pour commencer, il dit que la culture est un produit en perpétuel changement de la création collective des générations passées et présentes d’un milieu social (un ensemble de personnes d’une certaine homogénéité) donné. Donc, chaque culture est caractérisée par le type psychique moyen (c’est-à-dire un modèle ayant des caractéristiques de base liée à cette culture), commun aux membres d’un milieu social donné. Par conséquence, plus grande sont les différences individuelles entre les membres d’une totalité socio-culturelle (et donc d’une nation), et plus indéterminé et impersonnel est le type moyen incarné dans cette culture. Si on prend par exemple en considération une culture dont le créateur et le porteur serait l’humanité entière, il st évident que l’impersonnalité serait extrême, et dans cette culture pourraient s’incarner seulement les traits psychiques communs à tous les hommes. En effet, les goûts, les idées et les convictions sont différents chez chaque personne, mais la logique et les besoins matériels (nourriture, économie de travaille,…) sont plus au moins les mêmes pour tout le monde. Par conséquence de cela, il est évident que dans une culture universelle et homogène la logique, la science rationaliste et la technique matérielle prédomineront toujours sur la religion, sur l’éthique et sur l’esthétique, et cette situation portera sûrement à une décadence morale. La logique et la technique matérielle ne font que renforcer en l’homme la superbe, et il est donc inévitable qu’une culture universelle devienne athée et finisse par construire une Tour de Babel. En revanche, dans une culture nationalement limitée on accorde une place plus important à tout ce qui concerne la vie morale du peuple, et c’est juste pour cela que ce n’est que dans une telle culture que peuvent apparaître des valeurs morales positives qui élèvent l’homme spirituellement.

En tout cas, c’est assez important de rejeter non seulement une culture universelle, mais aussi une division en nations qui excéderait une certaine limite organique, puisque il faut admettre que la loi de la multiplicité des cultures limite l’homme. En effet, la pensée humaine est limitée par sa nature spécifique et par son incapacité à transcendre le temps et l’espace, mais aussi par le fait que nous ne pouvons assimiler parfaitement que les produits de la culture que nous appartient, ou, à la limite, ceux des cultures proches de la notre. En autres mots, c’est possible de dire que la loi de la multiplicité des cultures nationales rend difficile et parfois aussi impossible la communication entre des peuples différents. Donc, la multiplicité des cultures nationales a un côté négatif et un côté positif. D’une parte, si la division en nations excède une certaine limite organique, il peut y avoir des gros problèmes de communication, mais d’autre parte, si on respect cette condition, ce n’est que grâce à cette division que les différents peuples parviennent à produire des valeurs culturelles moralement positives et capables d’engendrer une élévation  spirituelle.

Comme dit Trubetzkoj dans cet article, le péché principal de la civilisation européenne contemporaine c’est qu’elle tend à niveler et à supprimer toutes les différences nationales individuelles et à introduire partout des formes de vie, des organisations socio-politique et des conceptions identiques. En autre mots, elle détruit les fondements spirituels propres à la vie et à la culture de chaque peuple, et après cela elle ne les remplace pas par d’autres fondements spirituels mais elle impose des formes extérieures de vie quotidienne, qui ne repose que sur des bases matérielles utilitaristes et rationalistes. La conséquence de tout cela c’est que la civilisation européenne cause une énorme dévastation de l’âme des peuples, elle les rend stériles du point de vie spirituel et indifférents du point de vue moral. Cette civilisation matérielle, avide et arrogante avance donc inexorablement vers une nouvelle Tour de Babel. En autre, il est faux de croire que le nivellement des cultures abolisse les barrières et facilite la communication entre les hommes, car nulle fraternité n’est réalisable si on se base sur des intérêts matériels égoïstes. Au contraire, la suppression de la dimension spirituelle de la culture ne fait que renforcer et approfondir l’hostilité entre différents groups sociaux.

Ensuite Trubetzkoj commence à introduire dans son discours le domaine de la langue, puisque la conséquence de la loi de la division n’est pas seulement la variété des cultures mais aussi des langues nationales. Les langues sont réunies en familles, à l’intérieur desquelles on peut distinguer des branches et des sous-branches. En plus, chaque langue se divise en dialectes, les dialectes en parlers vernaculaires et ceux-ci en sous-parlers. Chaque parler possède des traits qui n’appartiennent qu’a lui seul, il possède aussi des traits communs é tous les parlers du même dialecte et il partage aussi des traits avec un parler voisin, et d’autres avec un autre parler voisin. Mais à partir du moment où les personnes de différents parlers cessent de se comprendre, les parlers reçoivent le nom de langues, leur regroupement devient des branches et l’ensemble des branches une famille.

Toutes ces relations sont des relations génétiques, mais en plus de ce mode de groupement, il arrive souvent que des langues géographiquement voisines se regroupent  indépendamment de leur origine. En effet, plusieurs langues d’un même domaine géographique et historico-culturel peuvent avoir des traits de similitude, mais ces traits ne proviennent pas d’une origine commune, mais d’un voisinage prolongé et d’un développement parallèle. Trubetzkoj propose d’appeler les groupements de langues formés sur une base non génétique « union de langues », et il précise aussi que les « unions de langues » ne concernent pas seulement les langues mais aussi les familles. En effet, plusieurs familles de langue non liées génétiquement entre elles mais répandues sur une zone géographique et historico-culturelle commune ont beaucoup de traits en commun et elles forment donc une « union de familles de langues ».

Exemple : les familles finno-ougro-samoyède, turke, mongole et mandchoue ont en commun un certain nombre de traits qui les rassemblent en une seule et même « union de familles de langues ouralo-altaïques » même si les linguistes modernes dénient toute parenté génétique entre eux.

Vu qu’il y a deux modes de groupement des langues, c’est-à-dire génétique (en famille) et non génétique (en unions), c’est possible de conclure que toutes les langues parlées sur la Terre forment un réseau continu dont les maillons se fondent l’un dans l’autre. Donc, pour reprendre le discours de la division des cultures, comme dit Trubetzkoj dans le domaine de la langue la loi de la division n’a pas pour effet une fragmentation anarchique, mais un système équilibré et harmonieux, dans lequel chaque composante conserve son individualité unique, et l’unité du tout est obtenue non par la dépersonnalisation des composantes, mais par la continuité du réseau.

À ce point, c’est intéressant de considérer que la répartition et l’interrelation des cultures ne coïncide pas avec les groupes de langues. En effet, des locuteurs de langues d’une même famille ou d’une même branche peuvent appartenir à différents types de culture.

Exemple : les parents les plus proches de la langue hongroise sont le vogoule et l’ostiak (parlés en Sibérie du Nord-Ouest), mais la culture hongroise n’a strictement rien en commun avec la culture vogoule-ostiak.

Donc, pour conclure son discours sur les langues et les cultures nationales Trubetzkoj affirme que, malgré leur apparente caractère anarchique, elles conservent leur originalité individuelle et constituent l’unité harmonieuse et continue d’un tout, et vue que la coexistence de ces unités historico-culturelles individuelles garanti l’unité de la totalité, on ne peut pas supprimer leur originalité individuelle. Toute tentative de l’homme de détruire l’unité organique naturelle des cultures fortement individualisées pour la remplacer avec l’unité mécanique d’une culture universelle impersonnelle serait antinaturelle et blasphématoire.

Ensuite, dans les dernières pages de son article Trubetzkoj introduit dans le discours la religion et, plus précisément, le christianisme. Il dit que, pour ceux qui ne voient dans le christianisme qu’une des nombreuses religions pratiquée sur la Terre, aucune valeur universelle ne peut être assignée au christianisme, puisqu’ils le mettent sur le même plan que les autres produits culturels et en font un élément du schéma général des manifestations culturelles de l’humanité. Au contraire, pour ceux qui voient en Christ l’incarnation du Fils de Dieu et dans le christianisme la seule vraie religion, les paroles du Christ « Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du saint Esprit » semblent être un refus de la thèse que l’unification culturelle de l’humanité est une cause hostile à Dieu (comme on à vu tout au début dans le mythe de la Tour de Babel). En tout cas, Trubetzkoj dit que le christianisme est au-dessus des races et des cultures, et même si l’adoption du christianisme entraîne l’abandon de beaucoup d’éléments nationales et une transformation, les formes concrètes de cette transformation peuvent être extrêmement variées, à dépendance du terrain historico-culturel qui accueille le christianisme. Trubetzkoj dit aussi que l’uniformité en ce domaine non seulement elle n’est pas obligatoire, mais elle est même impossible. Et grâce a cela on peut dire que, le réseau des cultures nationales individuelles dont j’ai parlé il y a quelque minute, conserverait sa forme même au cas où tous les peuples du monde adopteraient le christianisme, puisque l’unité de l’Eglise s’exprime dans l’universalité de l’Ecriture Sainte et de l’histoire biblique et non pas dans les formes de la vie quotidienne et dans la culture de chaque peuple. En effet, Trubetzkoj dit que pour un chrétien le christianisme n’est pas l’élément d’une culture, mais un ferment ajouté aux différentes culture, ce que signifie que le christianisme n’est lié à aucune culture particulière.

Exemple : la culture de l’Europe médiévale et celle de l’Abyssinie sont totalement différentes, même si les deux étaient chrétiennes.

À la fin de l’article on trouve une sorte de critique des missionnaires qui sont décrits comme  des agents de la politique coloniale ou des représentants des intérêts d’une grande puissance, et non pas comme des messagers envoyés par Dieu pour prêcher des vérités révélées. À cause de cela, l’appel du Christ à enseigner toutes les nations en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit reste inappliqué, parce que l’œuvre missionnaire s’est transformée en instrument d’européisation pour essayer d’établir une culture universelle homogène hostile à Dieu.

 

 

Conclusions

 

Trubetskoj avait commencé son article en disant que l’instauration de la multiplicité des langues et des cultures est présentée dans l’écriture comme un châtiment, mais ensuite, dans le développement de son article il a démontré comme, et dans le domaine de la culture, et dans celui de la langue, cette multiplicité est, non pas un châtiment mais une chose très positive pour l’humanité entière.

Dans l’article il y a donc une opposition frontale entre « national » et « universel », où le « national » est meilleur que l’ « universel », parce que il est une unité organique, c’est-à-dire une unité basé sur l’individualité et la sensibilité de chaque individue, tandis que l’ « universel » est une unité mécanique, c’est-à-dire une unité basé sur la technologie, le rationalisme et tout ce qui est matériel.

 

 

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