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Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres Section de langues slaves, Option linguistique Année 2010-2011, Prof. Patrick SERIOT Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master |
(printemps 2011, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)
Histoire des idées linguistiques. Langue et pensée : les discussions des années 30-40 en URSS
1er mars 2011 Compte-rendu par Anita Dedic
Fin du XVIIIème siècle : le débat se met en place (universalisme vs particularisme)
Pendant ce cours nous avons étudié le XVIIIème siècle et plus précisément le débat qui se mit en place à l’époque : l’universalisme contre le particularisme.
Durant ce siècle , deux courants se sont développés : le premier celui du Cartésianisme, qui reposait sur la notion d'«idées innées» (qui implique que langue et pensée sont indépendantes l'une de l'autre) et le second, le pré-romantsme, qui refusait cette idée. Ce sujet était à la base d'un grand conflit entre le XVIIème et le XVIIIème siècles.
Mais avant d’analyser les deux modèles, il faut se poser quelques questions et donner certaines informations sur la période historique qui nous intéresse et sur celle qui la précède.
D’abord, comment les langues étaient-elles étudiées à l’époque de la Renaissance ? Pourquoi la Grammaire de Port-Royal a-t-elle été créée en France et en quoi elle se distinguait?
A l’époque de la Renaissance l’apprentissage d’une langue étrangère se faisait à partir des exemples de la langue-même ( « une langue se montre elle-même par un jeu d’exemples »).
C’est seulement avec Lancelot, co-auteur de la Grammaire de Port-Royal (publiée en 1662) avec Antoine Arnauld (1612-1694), que la méthode de l’apprentissage des langues étrangères changea : il divisa la langue en celle de l’enseignement et celle à apprendre.
Tous deux, mais en particulier Antoine Arnauld, essayèrent d’appliquer la philosophie de Descartes à la langue. De cette façon cette grammaire voulait calquer la structure de la langue sur celle de la pensée.
Un autre aspect à retenir est que la Grammaire de Port-Royal est née à l’époque de Louis XIII, c’est-à-dire au moment de la consolidation de la monarchie sous Richelieu et de la création de l’Académie de la langue française qui voulait normaliser cette dernière.
Entre outre, le XVIIème siècle est aussi celui de la raison, définie comme la faculté spirituelle qui nous permet de réfléchir sans s'adonner aux passions, c’est-à-dire la faculté qui nous différencie des animaux.
En ce qui concerne la raison, l’idée chrétienne était que Dieu l’avait mise dans la tête des hommes, mais cette idée a subi un bouleversement à la base duquel nous trouvons la question suivante : si Dieu a mis la raison dans la tête des humains, que pouvons-nous dire des sauvages ?
La conscience de cette altérité porte les savants à développer deux idées : la première, la solution évolutionniste, où les sauvages vivent dans un état « enfantin » de la raison ( c’est la loi de la récapitulation : l'ontogénèse récapitule la phylogénèse) ; la seconde, la solution relativiste, celle de Port-Royal, où toute culture est unique avec ses particularités, son évolution et ses origines.
Ainsi, la découverte anthropologique des autres est également la découverte de langues inconnues et par conséquence elle amène les savants contemporains à étudier ces nouvelles langues soit par le gommage des différences (universalisme) ou comme à Port-Royal , avec la mise en évidence de ces mêmes différences (relativisme).
Donc, Lancelot et Arnauld, voulaient expliquer d’une manière claire ce qui est commun à toutes les langues (universalisme déclaré, mais leur ethnocentrisme les fait considérer que la langue française est la plus propche de la raison, grâce à un ordre des mots «naturel»). Le présupposé de base était que toutes les langues avaient les mêmes lois, car elles reflétaient la raison.
La Grammaire de Port-Royal était appelée aussi « grammaire générale et raisonnée » : elle est raisonnée parce que toutes les langues sont régies par des principes généraux, qui découlent de l’analyse issue de la raison unique.
D’un coté, donc, la grammaire voulait découvrir les principes auxquels obéissaient toutes les langues, mais de l’autre, elle voulait définir le langage.[1]
Selon la grammaire de Port-Royal, toutes les langues reflétaient la raison, ce qui signifie qu’au départ, il y a la pensée et ensuite la parole qui représente cette pensée (idée de Descartes). Le fait que la pensée était universelle, atemporelle, antérieure à la langue était insupportable pour les romantiques, qui prônaient la suprématie des sentiments.
La fin du XVIIème siècle amène donc au bouleversement du XVIIIème siècle : la passion remet en cause l’idéologie.
J. Herder : Le langage est le moyen principal de l’éducation de l’homme (1784)
Le texte d’Herder est le début du refus de l’idée du cartésianisme.
Herder est un homme du XVIIIème siècle, un homme des Lumières, et son texte est intéressant parce que parfois il parle de langue et parfois du langage.
Voyons les points les plus intéressants :
• L’ennemi est Descartes : dès les premières lignes, Herder s’oppose à la thèse de ce dernier, qui prétend que dès la naissance nous avons des idées innées.
• Lignes 3-8 : dans ce paragraphe Herder dit que l’homme est un animal social. Herder refuse l’idée que tous les hommes ont une capacité de penser dès le début.
En effet, il soutient que nous ne pouvons pas acquérir la raison tout seul, mais à partir d’un milieu ou de personnes qui parlent la même langue.
• Lignes 9-19 : on a l’exemple des enfants. Cette exemple nous montre que nous ne sommes pas les maîtres uniques de notre pensée et de nos sentiments, que nous ne pouvons que les acquérir dans un certain environnement.
• Après nous entrons dans une contradiction: Herder pense être relativiste, et il dit que les sauvages sont des enfants, mais dans la page d’après il dit que les sauvages sont des philosophes comme les autres.
Ensuite nous pouvons lire que la parole conduit à la pensée. Mais le fait que la parole est liée à la pensée est un miracle de Dieu : c’est-à-dire qu’il n’y a pas de liens naturels entre la forme et le contenu, tout repose sur un miracle de Dieu.
• Enfin, Herder répète que c’est impossible de justifier le lien entre les mots et la parole qui permettent de transmettre ce qui est dans la tête de l’autre (nous sommes proche de l’idée de la grammaire de Port-Royal). En effet il parle de « souffle divin ».
• Dernière point intéressant : l’acquisition du langage est sociale, mais : « une nation n’a point les idées pour lesquelles sa langue n’a pas de mots ». Ici on a un bouleversement du texte ; cette phrase nous porte donc à réfléchir sur tout ce qui vient d’être dit auparavant et sur l’apparition de la notion de « nation ».
Donc, selon le cartésianisme il faut créer un langage philosophique parfait. Ce qui conte le plus est la raison universelle.
Selon Herder, au contraire, tout est justifié à partir de la volonté de Dieu.
Le rapport entre le nom et la chose est contingent, mais cette contingence est positive (voir au fond de la page 2).
[1] Avant 1916, c’est-à-dire avant le Cours de Saussure, langue et langage étaient la même chose.
Quelles est la différence selon Saussure? Le langage est tout ce qui concerne le parler. La langue est le système de relations d’opposition d’entités négatives. Enfin, la parole est la réalisation concrète de la langue.
BIBLIOGRAPHIE
- ARNAULD Antoine & LANCELOT Claude : Grammaire générale et raisonnée, 1662 (reprod. Genève : Slatkine, 1994)
- CHEVALIER Jean-Claude : Histoire de la syntaxe : la naissance de la notion de complément, Genève : Droz, 1968.
- DUBOIS Claude-Gilbert : Mythe et langage au 16e siècle, Bordeaux : Ducros, 1970.
- HUMBOLDT Wilhelm von : Sur le caractère national des langues et autres écrits sur le langage, présenté, trad. et commenté par Denis Thouard, Paris : Ed. du Seuil, 2000.
- KRISTEVA Julia : Le langage, cet inconnu. Une initiation à la linguistique, Paris : Seuil, 1981, p. 156-168.
- MARCELLESI Jean-Baptiste & GARDIN Jean-Claude : Introduction à la sociolinguistique, Paris : Larousse, 1974, p. 20-24.
- MILLER R.L. : The Linguistic relativity Principle and Humboldtian Linguistics, Paris-La Haye : Mouton, 1968.
- SCHAFF Adam : Langage et connaissance, Paris : Anthropos, 1969.
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