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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Leo Weisgerber (1899-1985)

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2010-2011,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(printemps 2011, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Histoire des idées linguistiques. Langue et pensée : les discussions des années 30-40 en URSS

29 mars 2011 - Compte-rendu par Jenny Mesot

Langue et pensée chez Leo Weisgerber

Contexte historique

La défaite de 1918 pèse lourdement sur l’Allemagne et cette dernière tente de compenser sa perte d’influence au niveau politique par un développement sur le plan culturel et académique. L’idée du moment est que le peuple allemand est en fait une diaspora qui aurait survécu grâce à la fidélité de ce peuple à sa langue d’origine. Les locuteurs germanophones ne se sont réunis dans une nation centralisée qu’en 1871.
        Au début du XXème siècle, les linguistes se divisent en deux mouvements : les néo-grammairiens qui étudient de manière diachronique les changements phonétiques des langues et les néo-humboldtiens. Ces derniers s’appuient sur la conception de la langue de Humboldt, selon laquelle la langue serait une force agissante qui créerait un propre monde de notions linguistiques. Les philosophes Herder et Fichte, du même mouvement, défendent l’importance de l’«esprit national», ou «esprit du peuple» (Volksgeist). En effet, comme les Allemands n’ont jamais été l’objet de conquête, la langue allemande serait restée d’une grande pureté et, selon eux, mériterait le rôle de lingua franca. Ce mouvement néo-humboldtien a une perspective synchronique et s’intéresse à la «langue vivante» plus qu'à son histoire.

Muttersprache und Geistesbildung (1929)

L’appréhension langagière est ce qui différencie l’Homme de l’animal.

(voir le power point)

Comment définir une langue ?

·       La langue est un schéma de phrases et un système de mots que partagent les locuteurs d’une même communauté.

·       Elle prend en comte les sociolectes, régiolectes, le temps et les langues apparentées

·       Développement centenaire: elle est le résultat de destins historiques, de la situation géographique et des réflexions d’un peuple.

C’est donc la matérialisation de la conception du monde d’un peuple et un bien culturel partagé.

On en vient donc à se demander comment se traduit linguistiquement la “conception du monde”?

·      Par comparaison de différentes langues on peut observer la spécificité du schéma des phrases et du système des mots de chaque langue.

·      Par la socialisation dans et par la langue

o   Incorporation du monde mental de la langue (Sprachweltbild)

o   Le monde intermédiaire (Zwischenwelt) du locuteur

·      La langue détermine :

o   Le traitement des expériences

o   La pensée et le comportement

Qu’est ce que la langue d’un peuple ?

·      Le peuple est une communauté linguistique. Y-a-t-il donc autant de peuples que de langues ?

·      La langue d’un peuple = dénominateur commun = bien culturel

·      La Muttersprache doit être maintenue et développée

·      L’uniformité de l’appréhension langagière permet l’intercompréhension des membres d’un peuple.

La particularité du peuple qui se reflète dans sa langue et la particularité de la langue que façonne son peuple.

Muttersprache : formes d’apparition d’une langue

Conclusion

A partir des années 30 et jusqu’aux années 50-60, Weisgerber développa sa théorie de «Inhaltsbezogene Grammatik» (grammaire orientée vers le contenu) ou «Sprachinhaltsforschung» (étude du contenu d'une langue. Cette étude du contenu linguistique tente d’analyser le monde intermédiaire des locuteurs pour y voir l’image du monde, la «Weltbild» des différentes langues.  La notion de «Begriff» (concept) impose au locuteur une vision des choses créée par sa Muttersprache et donc différente des autres. Cette théorie de la Sprachinhaltsforschung propose quatre axes d’analyse :

1.     L’analyse statique de la grammaire formelle, c’est-à-dire des aspects phonétiques et formels d’une langue.

2.     L’analyse des champs sémantiques (Wortfelder) d’une langue.

3.     Mise en avant des performances d’une langue, la langue étant conçue comme un processus d’appropriation intellectuelle du monde.

4.     L’analyse des effets produits par l’accès langagier d’une communauté donnée sur le mode de vie de celle-ci.

La vision vitaliste qu’a Weisgerber de la langue admet donc que le comportement de chaque locuteur est déterminé par la vision du monde que lui impose sa langue.
        Sa théorie linguistique se prêtait parfaitement à l’exploitation politique de l’époque : aux locuteurs allemands, une nation allemande. Selon Weisgerber, le peuple juif a abandonné sa langue maternelle et s’est approprié la langue du pays d’accueil, il s’est donc infiltré dans une communauté linguistique étrangère au détriment de ses propres origines. Un autre point délicat de la théorie de Weisgerber est celui du plurilinguisme. En effet, ce dernier est contourné dans son ouvrage mais pose tout de même la question de savoir ce qu’il en est des individus dans différents Weltbilder.

Questions et interventions du public

Langue réelle et langue effective
        La langue réelle n’est pas niable, les autres individus la remarquent. Alors que la langue effective, ou plutôt « effectuant » n’est pas réelle pour le public tant qu’on ne parle pas. C’est le potentiel langagier qu’a un individu qui précède l’acte de parole.

Peut-on avoir un exemple concret de cette théorie ?
        La comparaison entre le français et l’allemand pour le verbe «être». Alors qu’en allemand on fera la différence entre être «plutôt horizontal» et être «plutôt vertical» par les verbes liegen et stehen, le français ne possède qu’un seul verbe «être» et doit donc faire appel à d’autres éléments pour exprimer le fait d’être plutôt horizontal ou plutôt vertical. Mais est-ce que cette différence linguistique implique qu’on se représente le monde différemment ? Est-ce que les russophones sont plus avancés car ils possèdent deux «bleus» dans leur langue ? Est-on réellement au niveau de la pensée lorsqu’on parle de ces différences linguistiques ?
        Il ne suffit pas de parler la même langue pour se comprendre, deux francophones dont les idées politiques sont complètement opposées n’ont pas la même vision du monde !

Le néo-humboldtiannisme

L’hypothèse de Sapir-Whorf 

Nous voyons le monde à travers notre langue.

Selon Edward Sapir (1884-1939), il n’était pas possible d’imposer la langue anglaise aux Indiens d’Amérique du Nord car elle ne collait pas avec leur réalité. Cette réalité, chaque langue la filtre à sa façon. C’est de là qu’il créa avec Worf (1897-1941) la théorie de la relativité linguistique. Par la sémantique lexicale, on ne nomme pas uniquement les choses, on les analyse.
        Alors qu’en allemand on découpe la journée cinq moment (Morgen, Vormittag, Nachmittag, Abend, Nacht), le français détient plus d’éléments pour ce découpage. Mais on parle de mots et non de pensées. Lorsqu’un francophone dit «une heure du matin», il n’y a pas d’ambigüité, il sait que c’est concrètement la nuit, il n’a pas une réalité différente d’un locuteur dont la langue dire «une heure de la nuit». Le savoir intellectuel est donc indépendant des mots.
        Selon Weisgerber, on ne peut connaître un peuple que grâce à sa langue. Qu’en est-il alors du monténégrin dont la seule différence avec le serbe est qu’il possède une lettre en plus dans l’alphabet ? Le Monténégro n’a-t-il pas les critères requis pour être une nation ?



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