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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Que fait le vent lorsqu'il ne souffle pas?

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2010-2011,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(printemps 2011, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Histoire des idées linguistiques. Langue et pensée : les discussions des années 30-40 en URSS

5 avril 2011 - Compte-rendu par Carlotta Jaquinta

Langue et Pensée : les constructions impersonnelles

Qui est « il » dans il pleut ? Que fait le vent quand il ne souffle pas ? Voilà le genre de questions posées par la philosophie du langage qui prétend dégager une structure de la pensée à partir la structure syntaxique.

1) Langue et logique

Le théorème de Platon 

Platon affirme que « des noms tout seuls énoncés bout à bout ne font donc jamais un discours, pas plus que des verbes énoncés sans l'accompagnement d'aucun nom » (Le Sophiste, 262a).

Pourtant, puisque cette affirmation n’est pas démontrable, on ne peut pas parler de théorème (par ex : Pythagore). On ne peut pas non plus la définir un postulat car elle ne se base pas sur une hypothèse initiale (par ex : Euclide). On a donc à faire à une affirmation dogmatique.  

Platon propose la théorie du jugement complet qui suppose que pour qu’un discours soit vrai il faut deux parties, à savoir un prédicat et un sujet qui s’associe à ce dernier.

Le sujet serait alors la substance de la proposition, tandis que le prédicat serait l’accident, c'est-à-dire ce qui nous permet d’acquérir de la connaissance sur la substance. (La proposition « le cheval court » est alors un jugement complet puisqu’elle est composé d’un concept et d’un jugement sur ce concept).

Phrases impersonnelles ou phrases sans sujet ?

Comment peut-on appliquer le théorème de Platon aux phrases impersonnelles ? Dans la proposition « Me panenitet erroribus meis (je me repends de mes erreurs) » le sujet grammatical est absent puisque « Me » est à l’accusatif et serait donc plutôt le complément d’objet. On peut faire la même observation dans la phrase « Мне жаль » : comment le sujet, ici au datif, peut-il être à un cas oblique ?

2) La typologie stadiale en URSS dans les années 1930-1940

Pendant l’époque Stalinienne beaucoup de linguistes comme par exemple Katsnelzon et Meshaninov s’intéressent à la question des structures de pensée : comment peut-on, en partant des structures syntaxiques, arriver à des structures de pensée ?

Katsnelson découvre qu’en allemand il y a des structures semblables à celles de certains langages « primitifs » et explique cela par l’existence d’une structure de pensée de base qui se reflète dans la structure syntaxique.

L’évolutionnisme classique

L’évolutionnisme se base sur l’idée que l’humanité passe par des étapes successives. Il en découle que toute altérité est une antériorité puisqu’elle se trouve à un stade d’évolution antérieur. Cela se reflète dans les différentes langues qui prouvent des différentes façons de penser.

Lewis Henry Morgan, anthropologue idéaliste spécialisée dans l’étude des iroquois, fait une partition de la société en trois étapes : sauvagerie, barbarie, civilisation. 

Friedrich Engels reprend la théorie de Morgan pour l’appliquer au marxisme. Il propose alors une partition en six étapes : sauvagerie, barbarie, féodalisme, capitalisme, socialisme, communisme en transformant ainsi l’évolutionnisme morganien en matérialisme historique.

En Russie : Potebnja et Vesselovskij

Depuis la fin du 19e siècle en Russie on applique le principe historiciste : on commence à mettre en doute le caractère atemporel des catégories grammaticales et, en particulier, celui de la proposition : vu qu’elle évolue dans le temps, elle ne peut pas être atemporelle.  

En s’opposant clairement à Aristote, Vesselovskij considère que les genres littéraires évoluent historiquement. Potebnja propose une approche génétique des parties du discours et de la structure de la proposition.

La dichotomie existant en russe entre le niveau logique (sujet et prédicat) et le niveau grammatical (suppositum et appositum / подлежашее сказуемое) permet une analyse ultérieure de la structure syntaxique.

Le problème des phrases impersonnelles est l’apparente absence d’agent. 

Les phrases impersonnelles : progrès où régression de la pensée ?

Cette question suppose un lien direct entre langue et pensée. En 1928 Peshkovskij propose une lecture de la phrase impersonnelle en tant que phrase à sujet éliminée. Celle-ci serait symptomatique d’un progrès de l’homme : la phrase impersonnelle prouverait que l’homme a pris conscience de la véritable cause de l’évènement qui est inconnue.

En 1958 Koneczna, en se basant sur un exemple en polonais où on a deux possibilités de dire la même chose (par une tournure impersonnelle ou par une phrase traditionnelle), introduit l’opposition entre langue perceptive (utilisation des tournures impersonnelles) et langue conceptuelle. D’après elle les phrases impersonnelles (donc la langue perceptive) sont une survivance d'un type archaïque de pensée qui expriment la conviction que derrière chaque évènement se cache une puissance invisible.

Tout en proposant une interprétation opposée, Peshkovskij et Koneczna ont donc en commun l'idée que l’évolution historique de la langue va de paire avec l’évolution de la pensée.

Nikolaj Marr (1864-1934)

Il considère que l’évolution du couple langue-pensée passe par trois étapes obligatoires : le stade cosmique pendant lequel tout ce qui arrive, arrive à cause de puissances supérieure ; le stade totémique et le stade technologique. Cette tripartition s’inspire de la loi des trois états proposée par Auguste Comte. Comte considère que pendant l’état théologique tout évènement a une cause cachée, mystique. Suivent l’état métaphysique et l’état positif. Le paradoxe de cette reprise est que Marr s’oppose radicalement au positivisme.

Le problème de la détermination du sujet /  objet :

Si on analyse des phrases comme « la peur des ennemies » ou « l’amour de Dieu » on s’aperçoit que, prises hors contexte, ces phrases sont ambivalentes : doit-on comprendre, par exemple, la peur des ennemis par quelqu’un ou la peur éprouvée par les ennemis ?

3) Grammaires de dépendance

Tesnière propose une grammaire qui élimine la dichotomie sujet-prédicat, envisageant le sujet comme un complément parmi les autres.

En 1870, pour se débarrasser de la dichotomie sujet-prédicat, Dimitrievskij (grammairien) et Frege (logicien) proposent un nouveau système qui envisage le rapport sujet-prédicat comme une fonction.

Pourquoi faire du prédicat le centre de la proposition ? Le débat entre les verbalistes et les nominativistes

Humboldt, qui considère que le verbe est énergie, considère le prédicat comme le nœud de la proposition. Dimitrievskij aussi se prône comme anti-nominativiste en avançant l’idée que le prédicat peut-être complété de dix façons différentes en reléguant ainsi le sujet parmi les autres compléments et en faisant ainsi du prédicat le centre qui, seul, exprime toute la pensée. Les phrases impersonnelles, d’après lui, seraient la preuve de l’importance relative du sujet.  

Klassovskij, au contraire, explique que l’absence de sujet dans les phrases impersonnelles est seulement apparente : le sujet sémantique peut, toujours, être reconstitué. Il réduit, alors, le sujet à sa fonction logique, tandis que l’argumentation de Dimitriecskij, qui se base sur la rection des verbes, est purement syntaxique.


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