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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


N. Marr (1864-1934)

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2010-2011,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(printemps 2011, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Histoire des idées linguistiques. Langue et pensée : les discussions des années 30-40 en URSS

12 avril 2011 - Compte-rendu par Fanny Meyer

La linguistique post-marriste et le rapport langue/pensée

Le signe à une face et l’énigme des ressemblances

L’anneau de Moebius : c’est un objet impossible, qui a une seule face, un seul côté. En URSS dans les années 1930-40, on considère la forme et le contenu comme une seule et même chose, comme l’anneau qui n’a qu’une face.

Nikolaj Marr (1864-1934) : Géorgien, philosophe du langage. Puise son inspiration dans les théories de la philosophie du langage des 17e et 18e siècles. Spécialiste des langues du Caucase. Notion de caractère de classes des langues. Dans les années 30-40, c’est un des linguistes majeurs en URSS.

Marr a soulevé un engouement exceptionnel, mais il a une mauvaise réputation, car en 1950, Staline intervient et refuse toutes les théories de Marr :

(1)  Pour Staline, la langue n’appartient pas à la superstructure, il n’y a pas de langue de classe, mais qu’une seule langue, celle du peuple.

(2)  Marr sépare langue et pensée, ce que Staline réfute.

Le Caucase

Le Caucase, surnommé « la montagne des langues » est l’endroit où Noé débarque après le déluge, sur le Mont Ararat. Les trois fils de Noé se séparent et symbolisent chacun une famille de langues : 1) Cham - langues chamitiques.  2) Sem - langues sémitiques  3) Japhet - langues japhétiques

Dans le Caucase, la situation est complexe au niveau des langues (voir powerpoint).

Pour Marr, il n’existe pas de langue nationale, mais des langues de classe, c’est-à-dire que des personnes de la même classe se comprennent, alors qu’au sein d’une même nation, les différentes classes sociales ne se comprennent pas. « Il n’existe pas de langue nationale, ou pan-nationale, mais une langue de classe. Les langues d’une même classe de pays différents,  représentant une structure sociale identique, présentent plus d’affinités typologiques entre elles  que des langues de classes différentes dans un même pays, une même nation. » (cf. powerpoint).

Il y a une déchirure identitaire : nous pouvons donc penser la langue soit horizontalement, c’est-à-dire comme une langue de classe (Marr), ou verticalement, comme une langue de nation. Staline revient à cette définition verticale.

Pourquoi les choses qui se ressemblent se ressemblent-elles ?

L’arbre généalogique des langues est une importation de modèle : de celui de la famille à celui de la famille des langues. Dans cet arbre, les langues se ressemblent lorsqu’elles ont un ancêtre commun. Il y a ressemblance parce qu’il y a ancêtre commun, car cela ne peut pas résulter d’un hasard (Jones, « discours de Calcutta »).

Marr renverse cette causalité : selon lui, les langues peuvent se ressembler, même si elles n’ont pas d’ancêtre commun. Il y a donc d’autres causes à la ressemblance :

Il peut y avoir ressemblance parce qu’il y a une convergence téléologique, parce qu’il y a harmonie et transcendance ou parce que la forme est égale au contenu. Il y a donc des ressemblances qui n’ont pas de sens dans l’ancêtre commun, comme par exemple les sosies, qui sont un hasard. Meillet, en 1921, considère que des langues peuvent se ressembler, même si elles n’ont pas d’ancêtre commun (comme l’arménien avec le géorgien). Mais selon lui, il ne faut pas s’en occuper, c’est pas grave.

Il y a donc un contre-modèle : s’il y a analogie de forme, alors il y a analogie de contenu (cf. powerpoint, exemple des fleurs). Nous nous trouvons devant deux attitudes scientifiques :

(1)  S’il y a une ressemblance, ça ne peut pas être un hasard, car la forme = contenu. Il faut donc chercher le pourquoi de cette ressemblance

(2)  Il y a une ressemblance, mais c’est un hasard, donc on ne s’en occupe pas.

Ces discussions étaient très importantes en Russie dans les années ’30-40. Importance de l’ordre et de l’harmonie, tout le système est ordonné, et donc la structure de la langue est ordonnée (triangle vocalique symétrique de Troubetskoj).

Darwin est une pomme de discorde en URSS. Et c’est le hasard et la lutte intraspécifique de Darwin qui a été réfutée [Darwin : ceux qui ont une mutation utile deviennent plus forts et survivent. C’est donc la lutte intraspécifique et la caractère aléatoire des spécificités qui est intolérable pour l’évolution déterminée et pour ceux qui considèrent qu’il y a un ordre.]. A cette période en URSS, on réfute le hasard.

P. Krpotkin : selon lui, c’est l’aide mutuelle dans les espèces qui les a fait évoluer (sympathie VS lutte chez Darwin). à le langage humain n’est pas expliquer par la sélection naturelle, il a donc été programmé. Marr veut donc chercher les voies de l’évolution et la cause cachée.

La situation en 1861 : l’arbre généalogique

C’est en 1861 que Schleicher fait la métaphore de l’arbre généalogique en linguistique. Selon lui, une fois que les branches sont séparées, elles ne peuvent plus se rassembler. Cette métaphore de l’arbre généalogique est possible, car le modèle implicite est les sciences naturelles. Les espèces biologiques sont définies par l’interfécondité, ainsi, les langues sont définies par l’intercompréhension. Mais certains faits ne rentrent pas dans ce modèle biologique appliqué à la linguistique. L’arménien et le géorgien se ressemblent, mais n’ont pas d’ancêtre commun. Il y a donc eu un contact physique de ces langues. Par ailleurs, ce sont deux pays chrétiens, évangélisés à la même époque (4e siècle), et qui ne sont entourés que de musulmans. Il existe donc un contact culturel qui a peut-être rapproché ces deux langues.

Schuchardt réfute le modèle de l’arbre généalogique, car selon lui, toutes les langues sont hybridisées et mélangées.

Le modèle typologique stadial

Marr applique alors un modèle typologique stadial : toutes les langues passent par les mêmes stades typologiques : arbre typologique VS arbre généalogique (voir powerpoint). L’idéal de Marr est de revenir à la langue archaïque, la première, la langue linéaire qui en fait n’était pas vraiment une langue, mais langage avec les gestes : tout le monde se comprenait.

Liev Berg (1920) : spécialiste des poissons. Il explique les similitudes par le contact : il y a convergence.



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