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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2012-2013,

Prof. Patrick SERIOT / Anastasia FORQUENOT DE LA FORTELLE

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

Compte-rendu, par Pauline Bruttin :

Compte-rendu de la séance du 9 octobre 2012

Pour bien comprendre le formalisme il est important de se pencher sur la « préhistoire » de celui-ci, le terrain sur lequel il est apparu, sur lequel il formule ses premiers postulats.

Виктор Борисович Шкловский est à l’origine des formalistes, il utilise la sémantique de la vie et de la mort dans le domaine de la langue dans son texte « La résurrection du mot ». Il prétend qu’actuellement les mots sont morts et que la langue ressemble à un cimetière, ce que doit faire l’artiste c’est ressusciter le mot et la langue poétique.

Dans le contexte religieux, on trouve la résurrection de Lazare qui a eu lieu une semaine avant celle du Christ, et il est intéressant de remarquer qu’en russe on n’utilise pas le même mot pour ces deux résurrections :

- La résurrection de Lazare : воскрешение (verbe transitif, ressuscité par le Christ)

- La résurrection du Christ : воскресение (verbe intransitif, celui qui se ressuscite lui-même)

Шкловский utilise donc le verbe transitif : la langue ne se ressuscite pas elle-même, c’est par la volonté propre de l’artiste que la langue va se ressusciter. L’artiste est assimilé à un nouveau dieu créateur qui régénère le monde.

Dans son texte, on trouve un lien très fort avec Потебня, en effet celui-ci a une forte influence sur la préhistoire du formalisme russe, son texte « Langue et Pensée » est important pour les formalistes et Шкловский. Потебня distingue la forme extérieure (les sons), le contenu et la forme interne du mot (moyen par lequel est exprimé le contenu). On ne peut perdre ni les sons ni le contenu, mais par contre la forme intérieure peut, elle, disparaître. L’exemple de медведь le démontre bien : sa forme interne signifie celui qui connaît le miel, mais le mot est tellement répété dans la langue qu’on ne pense plus au sens premier, la langue s’automatise. Chaque mot possède une image, mais avec le temps cette image se perd.

Шкловский est donc influencé par cette théorie. Son idée principale est qu’avec le temps, la langue vieillit et meurt du point de vue de la forme intérieure. L’image se perd et s’efface. On peut la retrouver de temps en temps avec le processus de « défamiliarisation ». Cela consiste à faire redécouvrir un mot familier. Шкловский dit que cet effacement de la forme intérieure peut attaquer des mots et des expressions, comme par exemple l’expression « белые руки » (les mains blanches) qui est utilisée dans les contes comme synonyme de pureté, devient un cliché, on finit par ne plus comprendre cette image, on ne sait plus à quoi renvoie l’image. Elle est même employée dans des récits serbes pour décrire les mains d’un homme de couleur. Tout ce processus est la mort de la langue.

Mais il dit aussi que c’est normal, quand on se sert de la langue comme communication, par contre le but de la langue poétique (à comprendre comme langue de l’art en général) c’est faire ressusciter les mots.

Pour Шкловский cet idéal est en train de se réaliser à travers l’œuvre des futuristes. Les futuristes s’appelaient aussi les « будетляне » pour se différencier des Italiens, mais ce mot n’est pas très utilisé.

Le pathos du futurisme russe peut se résumer ainsi : ce qui compte c’est le futur, on oublie complètement le passé, le domaine de la tradition doit être rejeté. L’art futuriste commence à partir du début absolu, d’une feuille blanche, comme dans les premiers jours de création. Il y a un certain rapport entre le futurisme et la révolution, mais il ne faut pas pour autant mélanger «poétique » et « politique ». Les futuristes acceptent en grande majorité la révolution, car elle dit qu’il faut oublier le passé au niveau historique – il s’agit donc d quelques idées semblables. Il y avait une certaine communauté d’état d’esprit, mais les futuristes n’étaient pas tous engagés politiquement. Pour la plupart d’eux, la révolution est une force élémentaire, elle détruit et prépare le terrain pour quelque chose de nouveau.

Les futuristes croient qu’ils assistent à la création du monde. L’artiste se met à la place du Dieu créateur et propose sa propre version du monde. Beaucoup d’expérimentations dans la littérature et la peinture. Les peintures veulent trouver une unité minimale du langage artistique (une touche, un rayon, une ligne). Leur particularité est de représenter l’abstrait, ce n’est plus une représentation figurative. Ils font apparaître la forme.

Le mot « сдвиг » qui vient de « сдвинуть » signifie le déplacement. Si l’on prend le tableau de Малевич où il assemble un violon et une vache, on voit bien cette juxtaposition étrange de deux éléments qui ne vont pas ensemble dans notre quotidien. Le but de « сдвиг » est une rupture de la logique, le déplacement d’un objet dans un contexte « alogique », la réunion des objets qui ne peuvent pas se retrouver dans la vie de tous les jours.

Cette technique de création interpelle d’une manière volontaire le lecteur ou le spectateur. Elle doit choquer le récepteur mais dans un but précis. On constate cette attitude dans le comportement même des artistes ; leurs habits insolites par exemple. Ils faisaient même des manifestations futuristes, c’est de l’art, mais aussi la vie de tous les jours. C’était une provocation qui visait un but : sentir, réagir autrement à l’art,  et non simplement choquer pour choquer. La langue traditionnelle est morte et il faut provoquer le lecteur pour qu’il « se défamiliarise ».

Les futuristes russes publient un recueil sous un titre intriguant, « садок судей » (« Le vivier des Juges »). Ce titre n’a pas beaucoup de sens, mais si l’on regarde du côté sonore, il y a une certaine allitération, parenté sonore, en effet les futuristes étaient intéressés par les sons. On peut interpréter et dire que les artistes sont prisonniers de cette cage et bientôt ils deviendront les juges du nouveau goût poétique.

Un des premiers manifestes des futuristes s’intitule « La gifle au goût public » et il a eu un effet de bombe. Les futuristes disent qu’il y a trop de choses dans le passé, il est trop peuplé, il faut le rejeter. On se débarrasse du 19ème siècle et aussi des symbolistes. En effet, pour les futuristes, les symbolistes représentent l’ennemi numéro. Dans ce manifeste, ils définissent leurs ennemis, qui seront aussi les ennemis des formalistes mais cependant ils leur voueront une haine plus modérée.

Les futuristes veulent réanimer la langue à travers les néologismes. Ils touchent aux nouvelles voies du mot et explicitent ce qui doit mourir : l’art symboliste. Les futuristes reprochent aux symbolistes de vouloir aussi réformer la langue, mais de le faire de la mauvaise manière, car ils proposaient un mode d’emploi « non radical » pour permettre à la langue de s’améliorer, se réanimer, la rendre plus expressive. Les futuristes disent que les symbolistes ne sont pas allés assez loin, eux vont aller jusqu’au bout.

Les différences principales entre ces deux mouvements sont :

- Les symbolistes : réforment la langue en restant dans la langue qu’on connaît, ils ne détruisent pas le système.

- Les futuristes : ils détruisent la langue qu’on connaît et la reconstruisent.

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