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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Florenskij & Bulgakov, 1917

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2012-2013,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(printemps 2013, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Le signe dans la culture russe

Séance du 26 mars 2013 : La glorification du Nom de Dieu, par Aigul Savioz



La glorification du nom de Dieu est l'un des mouvements les plus anciens, mystique et caractéristique de l'Orient orthodoxe, qui consiste en une vénération particulière du nom de Dieu.

Dans les années 1910, les moines russes du Mont Athos s'engagèrent dans une ardente controverse sur la glorification du nom de Dieu. Le monarchisme athonite s'est trouvé bientôt divisé en deux camps ennemis, opposant les "onomatodoxes" (adorateurs du nom de Dieu) aux "onomatomaques", ayant pris position contre la glorification du nom de Dieu. Le mouvement des moines était considéré par le gouvernement russe comme une révolte, et la notion d'Imijaslavie a été considéré comme une hérésie. Ses partisans étaient séparés de l'Eglise, et renvoyés en Russie.

La question de savoir, si le nom est considéré comme le transporteur de l’énergie n'a pas reçu sa réponse dans le domaine de la doctrine religieuse, mais elle a été largement étudiée par les grands philosophes russes, comme Florensky, Losev et Boulgakov.

A. Losev (1893-1988)
S. Bulgakov (1871-1944)- Sur le festin des dieux (1915)
P. Florenskij (1882-1937)

Ces philosophes et théologiens ont écrit plusieurs livres qui les ont rendus extrêmement célèbres en Russie. Ces auteurs ont notamment rédigé des ouvrages sur la philosophie du nom ainsi que sur la glorification du nom de Dieu. Tous ces livres ont été écrits pendant une période précise. En effet, l'époque où ces auteurs ont publié leurs ouvrages est liée à la controverse du mont Athos, après la publication du livre Dans les monts du Caucase. Cet ouvrage traite justement de la problématique du nom de Dieu, et il n'avait pas trouvé une grande popularité en Russie, mais avait suscité une certaines controverse dans les milieux philosophiques et théologiques. Il a en outre éveillé de vives critiques de la part des moines du Mont Athos. C'est précisément après cet épisode que le Mont Athos s'est trouvé divisé deux, avec les onomatodoxes et les onomotadmaques.

Les travaux de Bulgakov, de Losev et de Florenskij représentent en quelque sorte, une réaction contre les arguments onomatomaques. Cependant, le débat onomatodoxe dépasse le cadre de la controverse athonite, et cette recherche prend racine dans la préhistoire.

La problématique du mot est liée avec la compréhension des icônes, qui sont des images. Chaque icône représente une image et possède ses caractéristiques, sa couleur, (rouge- la vie etc.), son sens. Ainsi, nous pouvons affirmer que chaque icône se distingue des autres par ses caractéristiques, notamment par ses formes, ce qui donne la possibilité de pouvoir se lier avec le monde de Dieu, ce qui est alors considéré comme une porte d'entrée pour le monde de Dieu.

Uspenskij, avec son livre « Iconoclasme », qui concerne la sémiotique de l'icône, peut nous servir de base pour étudier ce domaine.

Bulgakov quant à lui, utilise les termes « langue interne », « mot sens » etc. Assez souvent, il utilise la dénomination logos, au lieu de mot ou de langage. Boulgakov avait nommé son livre au sujet de la philosophie du nom comme le plus philosophique. Selon lui, le mot est cosmique par sa nature propre. Il appartient non seulement à la conscience, mais aussi à la vie quotidienne, où l'homme est représenté comme un acteur principal. C'est donc dans l'homme et par l'homme que le monde peut se percevoir. Il note encore que la langue est unique, mais la façon de la parler est différente. Enfin, un trait caractéristique de Bulgakov réside dans son intérêt pour l'espace, la Sophia.

Ainsi comme les visions de Florenskij et Losev, pour Bulgakov il est évident que la nature symbolique du mot, donc les pensées infinies, sont intimement liées par les mots, où le sens se rencontre avec le non-sens, c'est-à-dire avec les sons, qui ne sont pas les signes, mais l'essence, son énergie est liée par les signes, ce qu'on appelle le symbole. C'est en fait, surtout le sens cosmique du mot qui fait le symbole, c'est la rencontre du mot et de la conscience.

Selon Bulgakov encore, c'est la nature grammaticale de la phrase, c'est-à-dire, les noms, les verbes, les pronoms, les adverbes, etc. qui donnent la possibilité de construire une liaison entre l'espace et le mot. Cette relation se fixe surtout lors de l'acte de nomination. Selon lui, le nom appartient à l'objet, mais pas à celui qui le prononce. Cependant, l'homme ne peut pas se nommer tout seul, pour cela il a besoin des autres, il a besoin d'autrui. C'est alors l'homme qui a les noms de toutes choses. Il confirme aussi, qu'en nommant, l'homme peut toucher le monde divin.

La philologie de Bulgakov est liée aussi avec la sophiologie. Dans l'énigme de la nomination, qui est aussi l'énigme de la langue, il existe une notion avec laquelle toutes les pensées se composent : le sujet et l'objet, ce qui signifie du point de vue ontologique : idée mot sens. Les mots existent parce qu'il y a le mot. Selon lui, il y a Sophia, l'âme de l'univers, la sagesse de l'univers, comme un contenu complet. Les mots et les sujets sont selon lui comme les lumières du monde de la sagesse, qui nous viennent de l'espace.

Losev s'oppose quant à lui à la théorie de Saussure, qui affirme que les mots sont arbitraires et que chaque objet peut se nommer différemment. Avec son oeuvre «Philosophie des noms », rédigé en 1927, il essaie de traiter la question de la philosophie de la langue. Dans son livre, il travaille avec la notion que « le nom d'une chose est la chose elle-même, mais la chose n'est pas le nom », qui existe aussi chez les partisans de la glorification du nom de Dieu, comme « le nom de Dieu est Dieu, mais Dieu n'est pas un nom ».

Une des notions principales dans la philosophie de Losev, c'est le symbole, qui est déterminé par une tradition antique, comme « un contenu inséparable de général et de particulier, d'idéal et réel, d'infini et fini ».
Comme Bulgakov, Losev affirme aussi que dans l'acte de désignation, le contraste entre le sujet et l'objet est retiré. La nomination est d'après lui, une manifestation de la divinité, la plus haute forme de découverte de soi. Alors on ne peut pas détruire le nom, l’offenser ni l'affaiblir.

Dans la parole ordinaire de l'homme, selon Losev, il existe une communication de l'énergie de Dieu avec l'énergie du sujet, de l'humain. L'essence de nom est ouverte pour nous par son énergie, on ne peut donc pas penser, parler en dehors de l'énergie.

Pour Florenskij, la glorification du nom de Dieu, est avant tout une condition préalable de la philosophie, une base pour la perspective universelle. Il affirme que le devoir de la glorification du nom de Dieu est de traduire la sensation primordiale de l'humanité, et par conséquent, de découvrir des conditions préalables de l'ontologie, de l'épistémologie et de la psychophysiologie de cette sensation universelle.

C'est le « sens primordial de l'humanité » qui est, selon Florenskij, un sens de la réalité de la vie sur terre, un sentiment de l'existence réelle du monde, la présence de Dieu dans ce monde, qui est révélé par la parole et le nom. La base de la doctrine de Florenskij est l'étude de l'énergie, en particulier la notion de synergie des symboles. Selon Florenskij, les objets et les choses sont liés entre eux par leurs énergies, et ces énergies peuvent créer quelque chose de nouveau. C'est-à-dire que cette relation est considérée comme quelque chose de réel, et elle ne se décolle pas de son centre, mais elle reste à côté. C'est donc la synergie, les rencontres des énergies. Quand une des énergies se trouve plus haut que l'autre, dans une hiérarchie interne, le résultat de la synergie reçoit sa valeur et son sens par la présence de l'autre énergie, ainsi une telle synergie, selon Florenskij est symbolique.

Ce symbole est le mot. Le mot aide à surmonter une certaine opposition entre le sujet et l'objet, qui existe déjà dans la notion de nommage. C'est le nom qui porte selon Florenskij un caractère symbolique et synergique. Et chaque personne perçoit cette notion dans une forme individuelle. Florenskij voit clairement la faute des onomatomaques, qui essaye d'éliminer le signifiant de signifié, qui dit qu'il n’y a aucune liaison entre ces deux.

La formule cruciale d'IMJASLAVIE doit être celle-ci : « le nom de Dieu est Dieu, mais Dieu n'est pas un nom ».

Cependant, l'opinion de Florenskij, même s'il contient des visions religieuses, philologiques et philosophiques, porte un caractère systématique. Il a marqué seulement des caractéristiques générales de la philologique du nom.

Tous les représentants de la philosophie du nom affirment qu'il existe une essence entre Dieu et l'Homme, qui s'appelle le NOM.

Florenskij, Losev et Bulgakov résolvent donc le problème en regardant le nom comme un organisme, pas le sophisme, ce qui n'est pas présent chez Wittgenstein, Heidegger, qui ont fait une approche structuraliste de la langue.