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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2013-2014

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(automne 2013, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Le romantisme : littérature et linguistique

 

Compte-rendu de la séance du 18 février 2014 : Introduction, par Boris Bertoli

Le romantisme est un mouvement artistique et culturel dont la dimension littéraire et linguistique émerge entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle du classicisme dont elle prend le contrepied des principales valeurs (recherche de la perfection, rationalisme). Le romantisme y oppose en effet l’expression de la subjectivité, l’exaltation des sentiments et des états d’âme, le goût de la nature dans ses manifestations les plus spectaculaires (tempêtes, haute montagne) ainsi que les thèmes du voyage et de la solitude. Ces caractéristiques se trouvent présentes de façon synthétique dans le tableau L’homme contemplant une mer de brume du peintre allemand Caspar David Friedrich (1818).

Le courant romantique s’attire de nombreux détracteurs parmi lesquels les hégéliens figurent en bonne place. La pensée de Hegel s’accommode mal de la prévalence accordée par les romantiques au sentiment sur la raison. Ses épigones reprochent à ces derniers :

1. Des aspirations abstraites et un penchant pour la spéculation irrationnelle

2. Une fuite dans un univers chimérique

3. Une esthétique vague, obscure et désordonnée

En France, Le Parnasse s’élève contre le lyrisme des œuvres de Musset, Lamartine, Hugo ou de Nerval. En Russie (notamment, à l’époque soviétique), le romantisme est associé à l’aristocratie et à sa décadence en particulier, raison pour laquelle la critique du mouvement romantique y est vive. Dans la seconde moitié du XIXe siècle naît l’idée que la littérature doit non seulement représenter la nature mais aussi la transformer et se rendre utile d’un point de vue social. Ne souscrivant nullement à cette exigence, le romantisme est de plus en plus perçu comme un phénomène aristocratique, notamment, en France, par Eugène-Melchior de Vogüé dans Le Roman russe,  qui en appelle à une « parole plus virile ».

On considère généralement la constitution du cercle d’Iéna en 1798 (constitué d’intellectuels tels que Friedrich et August Schlegel, Novalis, Tieck, Schleiermacher, Schelling ou Fichte), lequel possède sa propre revue, et la séquence historique de la révolution française (1789-1794), comme les bases du romantisme allemand.

Dès le XVIIIe siècle et jusqu’à la fin du siècle suivant le romantisme demeure soumis au monde éditorial et a son expansion. Schlegel dit du reste de son époque qu’elle est « l’âge des livres ». Balzac présente pour sa part la lecture comme une drogue en comparant le rôle qu’elle joue pour l’occidental à celui joué pour les Turcs par l’opium. Le lectorat devient plus important et plus hétérogène. Novalis écrit quant à lui un dialogue où il fait débattre deux protagonistes des avantages et des inconvénients de cette nouvelle « épidémie de livres ».

Le romantisme s’accompagne d’une révolution épistémique qui conduit, notamment sous l’influence du naturaliste allemand Gotthilf Heinrich von Schubert (auteur en 1808 d’Aperçus depuis la face nocturne de la science de la nature), à une revalorisation de la nuit et de l’obscurité. Novalis écrit du reste un Hymne à la nuit. Il se produit un passage de la dimension temporelle du « Zeit » à celle du « Seite » (« côté ») qui traduit un changement de paradigme : on se place désormais du côté de la nuit, du côté des forces irrationnelles présentes dans la nature et dans l’âme humaine. Ce parti pris s’oppose à l’idée classique qui suggère que « le sommeil de la raison engendre des monstres » [1].

Du point de vue linguistique, il est important de comprendre que le romantisme ce construit relativement au rationalisme, incarné en France par la Grammaire de Port-Royal (Arnauld et Lancelot, 1662), et dans lequel on s’attache moins à la langue qu’aux principes logiques qui la gouvernent. Ce rationalisme janséniste et universaliste s’intéresse aux traits communs des langues en partant du postulat que Dieu a fait tous les hommes semblables (et qu’ils possède tous, par conséquent, une prédisposition au langage comparable à ce que Noam Chomsky appelle « organe du langage »). Pour l’école de Port-Royal la pensée est à la fois universelle, atemporelle et antérieure à la langue. L’ordre naturel des langues est celui des langues romanes : sujet-verbe-complément. Les contre-exemples sont des tropes qui relèvent des passions. Dans cette même optique Descartes et Leibniz lancent l’idée des langues artificielles. Pour les romantiques au contraire la langue est intéressante dans ses singularités. La langue et la pensée sont « indissolublement liées ».

Au XVIIIe siècle l’on s’intéresse de plus en plus aux fossiles et à l’idée de classification en général. Georges Cuvier (1769-1832) rédige les Leçons d'anatomie comparée. De la même façon, après les découvertes de Sir William Jones énoncée dans son célèbre discours de Calcutta de 1788 (lequel postule l’existence d’une même origine indo-européenne du sanskrit et des idiomes germaniques ou italiques), on répertorie les langues pour les classer en familles. Les grammairiens romantiques affichent une nette préférence pour les « langues organiques » dont la structure rappelle celle des végétaux croissant naturellement (la déclinaison lexicale anglaise sing, sang, sung, song étant un parfait exemple de « bourgeonnement » organique). À l’inverse les langues dites mécaniques (agglutinantes ou isolantes) possèdent une structure d’apparence plus artificielle, et rappellent en cela une mécanique horlogère. La conclusion qui découle logiquement de cette interprétation est que les locuteurs des « langues mécaniques » et ceux des « langues organiques » parlent et pensent différemment les uns des autres.



[1] Voir à ce sujet la thèse de doctorat de Victoire Feuillebois  « Nuits d’encre : les cycles de fictions nocturnes à l’époque romantique (Allemagne, Russie, France »

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