Accueil | Cours| Recherche | Textes | Liens


Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2013-2014

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(automne 2013, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Le romantisme : littérature et linguistique

 

Compte rendu du 25.03.14 – L'invention de la nation tchèque, par Guillaume Chappuis


Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler que l'identité collective est une construction discursive. Cela ne veut pas forcément dire qu'elle est fausse, mais elle est dans tous les cas construite. Il en va de même avec l'invention de la langue tchèque: elle n'a pas d'essence, mais est une construction collective, une invention.

Rappel historique:
Entre l'est et l'ouest de l'Europe se situe une zone où les frontières étatiques ont souvent changé. Les problèmes géopolitiques qui concernent cette zone sont aujourd'hui encore récurrents. La question de l'identité collective ainsi qu'étatique se vit donc redéfinie à chaque changement de frontière.
Au traité de Versailles en 1919, un redécoupage de l'Europe à partir de considérations linguistiques fut proposé. L'idée était de donner le « droit aux peuples à disposer d'eux-mêmes ». Il fallut donc définir ce qu'était un peuple. Le découpage des frontières se fit sur l'idée suivante : pour qu'il y ait un peuple, il faut qu'il y ait une langue. Le résultat de ce redécoupage fut catastrophique car il donna naissance à des minorités, et prépara dans une certaine mesure le terrain qui mena à la seconde guerre mondiale.
Autriche et Hongrie souffrirent également du Traité de Versailles. Le traité de Trianon en 1920 rétrécit drastiquement le territoire hongrois. La Russie, quant à elle, fut repoussée vers l'est.
L'histoire de la Tchécoslovaquie commença en 1919 : elle se composait de Tchèques, de Slovaques ainsi que de Ruthènes (Ukrainiens de l'ancien Empire austro-hongrois). Ce fut le seul état démocratique de l'entre-deux guerres en Europe centrale.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, l'URSS avança vers l'ouest : sa frontière touchait la Hongrie, la Roumanie et la Tchécoslovaquie. De nouveaux états apparurent.
A la fin de l'empire soviétique, les frontières de la Pologne, de l'Autriche, de la Bulgarie et de la Roumanie restèrent stables. Cependant, d'autres pays furent créés : Slovaquie, Croatie, Macédoine, Kosovo, Monténégro, Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Moldavie ... La Tchécoslovaquie n'existait plus. La Russie recula à nouveau vers l'est.

La nation tchèque :
Un siècle après la réforme protestante, une guerre entre protestants et catholiques faisait rage au sein du Saint Empire Germanique. En 1620, la grande bataille de la Montagne Blanche resta dans les mémoires. Les protestants perdirent cette guerre.
Comme conséquence, l'élite intellectuelle et aristocratique tchèque fut aussitôt éliminée. A partir de là, on se posa la question : qui parlait encore le tchèque ?
Les romantiques pensaient que c'était le peuple, et donc, les paysans. La langue était donc réduite au parler des paysans. Les mots de bases tels que parler, boire, dormir pouvaient exister, mais pas d'autres termes tel que démocratie parlementaire.
L'élite intellectuelle tchèque était fondamentalement germanophone. La plupart connaissaient le tchèque, mais l'utilisaient uniquement pour parler aux domestiques et aux animaux.
La langue normale était bien entendu l'allemand.

La période romantique avait ses revendications identitaires : les Tchèques ne voulaient pas être comparés à des Autrichiens. Ils voulaient affirmer et construire leur dignité de par la construction d'une culture et d'une langue propre.

L'histoire des peuples :
Comme Thiesse le démontre, les nations européennes se copiaient les unes les autres dans cette course à l'affirmation de sa culture. Mcpherson avec Ossian en 1760 est un bon exemple. L' invention et la falsification d'un parchemin d'un poème épique du 12e siècle furent si bien réalisés que durant des années beaucoup y crurent. Même si en fin de compte il s'avéra que c'était faux, on argumenta que ce texte fut quand même un catalyseur parfait pour d'autres créations littéraires dans l'esprit du peuple, ce qui était le plus important.

On essaie de montrer durant ces années que malgré l'absence de documents écrits, chaque peuple avait droit à son histoire, et que le fondement de la culture ne se trouvait pas forcément chez les Grecs et les Romains, mais aussi ailleurs, tel qu'au Nord.

On prônait un retour à la campagne, pour y retrouver l'âme du peuple, organique et réelle : le peuple qui chante, danse et fait des fêtes. Vers 1830/40, on inventa la notion du folklore. Avant, les paysans étaient considérés comme des sauvages, puis les Romantiques inventèrent les fêtes paysannes en tant que spectacle folklorique touristique.

La même idée se retrouve en France, avec « nos ancêtres les Gaulois », vaillants guerriers ayant résisté aux invasions romaines...

En Bohême, la fabrication de la langue du peuple :
Dans le cercle des intellectuels tchèques germanophones, Vaclav Hanka inventa en 1818 un manuscrit. Il prétendait l'avoir trouvé dans une vieille église. Ce parchemin, manuscrit 13e siècle, décrit des batailles contre les Tatars au 13e siècle. Ce faux manuscrit eut un succès extraordinaire durant un long moment. Hanka voulait certainement montrer que si les Tchèques eurent une telle histoire, il n'y avait plus de honte à avoir face aux Autrichiens, car eux aussi avaient une antiquité et une histoire. Le succès correspondait au goût de l'époque pour les château en ruines, des héros assassiné par des traitres, etc. C'était la sensibilité romantique du début du 19e.

Alphonse Mucha fut lui-même aussi très actif entre 1911 et 1919, au moment de la création de l'la république tchécoslovaque. Il peignit des fresques et les nomma l'épopée slave.
Mucha s'était en fait beaucoup inspiré de la culture russe pour ses propres créations artistiques.

En tchèque, les mots étranger étaient à changer. De renesance on passait à národní obrození. Ces inventions furent créées par les buditele, les éveilleurs, poètes, intellectuels, qui pensaient qu'ils avaient devant eux une nation endormie. (la nation romantique préexiste donc au réveil!)
Joseph Dobrovský, Josef Jungmann essayaient de jouer ce rôle d'éveilleurs. Ils traduisaient beaucoup de l'allemand vers le tchèque.

Pour apprendre cette langue qu'est le tchèque, il fallait aller au Théâtre national : národní divadlo. C'était l'endroit par excellence où le peuple pouvait apprendre à parler correctement. On pouvait y apprendre ce à quoi il fallait faire attention : intonation, rythme, prononciation.

Retour à la présentation des cours