EXTRAITS du mémoire
soutenu en mars 1996
REGARDS SUR L'ETHNOGRAPHIE SOVIETIQUE
(Signé: S. Junod)
1. Introduction:
"Sous tendus par un ensemble de présupposés et
d'implicites, les propos de l'ethnographe soulèvent une
question d'intérêt épistémologique:
comment ce qui est réel pour l'ethnographe russe
(soviétique) peut-il ne pas l'être par exemple pour un
anthropologue français? Comment un corps de connaissance ne
vient-il à être socilament établi en tant que
"réalité"? Ou pour être explicite, comment et
pourquoi la notion même d'ethnos finit-elle par être
considérée comme un pré-donné dans une
société, à l'intérieur d'une science et
pas dans une autre, si l'on sait que la catégorie d'ethnos
s'est attribué, dès la fin des années soixante
et jusqu'aux années quatre-ving-dix, le monopole de
l'ethnographie soviétique à travers ce qu'il fut
convenu d'appeler une théorie de l'ethnos (teorija
ètnosa)(1)? C'est une telle interrogation qui a nourri le
présent travail dans sa volonté d'explorer une
théorie ethnographiqe, la théorie de l'ethnos, et
à travers elle les multiples enjeux et questions qu'elle
soulève." (pp.1-2) "Une confrontation à valeur
heuristique avec un certain "discours occidental" sur
l'ethnicité viendra explique cette démarche.
L'idée d'"ethnicité" a en effet nourri une dense
littérature anthropologique en France, en Sngleterre et aux
Etats-Unis dès la fin des années soixante: le discours
sur l'ethnicité et le discours sur l'ethnos se
rencontreraient-ils? Les éventuelles différences
sont-elles le fruit de véritables divergences ou
désaccords, ou expriment-elles danvantage différentes
approches du problème? A travers le choix de travaux qui sont
apparus, au fil de nos lectures, fondamentaux et emblématiques
d'un certain "discours sur l'ethnicité" à l'Ouest, nous
tenterons d'apporter une réponse à ces questions" (p.3)
2. Résumé de la démarche:
"III. La théorie de l'ethnos: une tradition russe?"
"IV. Pour une approche épistémologique du discours
sur l'ethnos"
3. Sources:
"Notre lecture de la théorie de l'ethnos se construira sur la
base de sources qui privilégient les publications de Bromlej
dans la revue principale de l'ethnographie soviétique,
Sovetskaja ètnografija, organe officiel de l'Institut
d'ethnographie (1966-1986). [...]
D'autre part la source majeure pour notre compréhension de la
théorie de l'ethnos est la première monographie de
Bromlej, Ethnos et ethnographie, dans laquelle nous trouvons une
explicitation et un développement des idées
exprimées dans ses articles. [...D]ès les années
soixante-dix des publications de Bromlej ont vu le jour en anglais
(certaines en français); celles-ci ont également
constitué une source importante pour notre travail" (p.5)
4. Aperçu historique:
Dans les années qui suivent immédiatement la
Révolution de 1917, l'ethnographie connait un essor important,
à la mesure des enjeux pratiques et politiques qu'elle
recouvre peu à peu." (p.7)
"Le nouveau rôle qu'est amenée à jouer
l'ethnographie trouve son pendant dans l'ouverture en 1919, à
Petrograd, dans la première faculté d'ethnographie au
sein de l'Institut de géographie grâce à l'appui
de deux figures célèbres, L. Sternberg (1861-1927) et
VI. Bogoraz (1865-1936)(2), pionniers de l'ethnographie en Russie.
[...] Sur l'initiative des deux ethnographes, on fonde en 1924 le
"Comité d'assistance aux populations du Grand-Nord",
chargé d'aider les minorités ethniques dans leur marche
difficile vers les changements socioculturels consécutifs aux
changements politiques (CHICHLO-84).[...]
En 1925, la Faculté des Sciences humaines d'État de
Moscou est transformée en Faculté d'ethnologie. On
fonde un an après la revue Etnografija qui depuis 1931 porte
le nom de Sovetskaja ètnografija.
Si le marxisme-léninisme s'impose comme doctrine officielle,
un "vent d'air frais" souffle cependant sur
l'épistémê des années vingt, "terrain
fertile" pour de nouvelles recherches (SLEZKIN-93: 114)
Contrairement à ce qui se passait dans plusieurs autres domaines, il y avait des ethnographes marxistes, mais pas de tentative sérieuse de construire une ethnographie marxiste. (SLEZKIN-1991: 478)
Ethnologie (ètnologija) et ethnographie
(ètnografija) cohabitent sur le même terrain. Les deux
noms s'emploient indifféremment. Une certaine tendance
à restreindre l'ethnologie aux recherche effectuées
à l'"Ouest" voit cependant le jour.
Représentants de la "vieille école", Sternberg et
Bogoraz poursuivent la tradition ethnographique
prérévolutionnaire, sans professer d'attachement
particulier au matérialisme historique. Boas (1858-1942)(3)
est lu avec grand intérêt, et ethnologie allemande -
grande source d'inspiration de l'ethnographie russe au milieu du XIXe
siècle par le biais de la Volkskunde - völkerkunde
(Bastian, Ratzel, Froebenius) et l'école du Kulturkreis
(Schmidt, Graebner). La question de l'étendue et de la
diffusion (courant du diffusionnisme(4) ) de la culture
intéresse au plus près Bogoraz, qui formule une
"ethnogéographie", c'est-à-dire une approche de la
culture en fonction des facteurs géographiques,
anthropologiques et économiques.[...]
Une tension entre des séries discursives
hétéroclites persiste: tension implicite entre
l'universalisme-évolutionnisme d'une ethnographie marxiste et
une approche relativiste-culturaliste, teintée parfois de
biologisme" (pp.8-9)
"En avril 1929 a lieu la première conférence des
ethnographes soviétiques qui entend définir les
tâches de l'ethnographie dans l'édification du
régime soviétique.[...]
Après de longues discussions, on se met d'accord pour
reconnaître que l'ethnologie est une tentative "bourgeoise" de
construire une science à part dont l'objet est la
culture.[...]
On ferme en 1930 la Faculté d'ethnologie de Moscou; deux ans
plus tard c'est au tour de la chaire de l'Université de
Leningrad de fermer ses portes. Le "Comité d'assistance aux
populations du Grand-Nord" est supprimé." (p.10)
"Si l'ethnologie (ètnologija) est définitivement
condamnée, une place demeure cependant pour l'ethnographie
(èthnografija): celle-ci cesse d'être une discipline
indépendante et trouve désormais sa place parmi les
sciences historiques, auxquelles elle se trouve
subordonnée.[...]
Une fois le "problème" de l'ethnographie réglé,
Leningrad et Moscou recouvrent en 1937 et 1939 leur chaire
d'ethnographie respective. En 1937 est fondé l'Institut
d'ethnographie de l'Académie des Sciences de l'URSS,
baptisé en 1947 Institut N.N. Mikhlukho-Maklay(5). La
période des années trente aux années cinquante
est la période la plus sombre et la plus stérile pour
l'ethnographie [...].
Comme porte-parole, l'ethnographie n'a que la très officielle
revue Sovetskaja Etnografija qui, dés 1957, devient l'organe
officiel de l'Institut d'ethnographie de l'Académie des
Sciences.[...]
La mort de Staline et la période khroutchévienne
n'apportent pas les modifications escomptées [...]. Les
directives sont claires: l'ethnographie doit "contribuer à
l'édification du communisme(6)" et pour ce faire
"étudier les problèmes que pose la consolidation
nationale", "les problèmes de développement des nations
socialistes lors du passage au communisme, leur coopération et
leur rapprochement, achevant l'étape de la révolution
culturelle, la formation du mode de vie (byt) communiste(7)"
(pp.11-13)
5. Julian Vladimir Bromlej:
"Le lent mouvement de déstalinisation amorcé à
l'intérieur de l'ethnographie s'accélère
dès la fin des années soixante. La
réhabilitation progressive de l'ethnographie comme science
à part entière est précipitée par la
nomination en 1966 de Julian Vladimir Bromlej (1921-1990) au
poste de directeur de l'Institut Mikhulkho-Maklaj d'ethnographie de
l'Académie des Sciences. Historien de formation(8) Bromlej
assumera la direction de l'Institut pendant près de 23 ans,
jusqu'en 1989, lorsqu'il donne sa démission(9). [...]
Avec Bromlej, l'ethnographie revendiquera le statut de science
à part, sa place au sein des sciences sera clairement
définie, son champ d'investigation et son objet
délimité. [...] Un regard attentif sur les travaux et
les titres de publication qui ont précédé la
nomination de Bromlej [...] révèle [...] combien son
oeuvre poursuit un mouvement amorcé quelques années
auparavant par d'autres ethnographes: mise en place discrète,
mais certaine d'une réflexion nouvelle sur la question des
communautés ethniques(10), explicitée et
systématisée par Bromlej à travers
l'élaboration d'une véritable théorie de
l'ethnos" (p.14-15)
6. L'ethnos défini par Bromlej:
"De façon très générale, et comme point
de départ, Bromlej fonde la catégorie de l'ethnos dans
l'opposition entre "nous" et "eux":
L'antithèse "nous-eux" est absolument inhérente à l'ethnos. C'est pourquoi l'ethnos ne constitue cette communauté culturelle de gens qu'en tant qu'elle se perçoit elle même comme telle, différente des autres communautés semblables. (BROMLEJ-73: 31)" (p.18)
"Loin de se constituer sur des critères raciaux,
l'identité ethnique repose donc sur un fondement
essentiellement culturel, puisque la culture constitue le "fondement
objectif de l'ethnos" (BROMLEJ-73:43)" (p.19)
"A l'intérieur de la culture, Bromlej relève le
rôle fondamental de la langue comme l'une des
particularités objectives essentielles de l'ethnos et comme
une condition même de la formation de l'ethnos [...]
A travers le "caractère national" d'un ethnos, c'est le lien
tout particulier entre la psychologie d'un ethnos et sa culture qui
se trouve exprimé: lien qui confère à l'ethnos
une spécificité psychologique, une configuration propre
et une capacité à perdurer à travers le temps
(bien qu'il naisse et évolue dans le temps)". (p.20)
"L'endogamie joue un rôle essentiel de "stabilisateur de
l'ethnos" en lui assurant une continuité à travers le
temps (BROMLEJ-69b: 88). Mais plus profondément, l'endogamie
constitue "une barrière générique de l'ethnos",
lui conférant ainsi l'apparence d'une "unité
biologique" (ibid.).
Force est de constater que Bromlej ne peut (et ne veut)
séparer sa conception de l'ethnos d'une base biologique, quand
bien même il ne cessera à travers ses écrits de
fustiger toute tentative de penser l'ethnos en termes
génétiques ou biologiques " (p.21) (11).
"En concentrant son attention sur la culture, Bromlej opère
ainsi un double renversement; affirmation du rôle fondamental
de la culture contre la structure de classe et révision d'une
conception universaliste de la culture en faveur d'un relativisme
culturel. La culture est rebattue sur sa dimension unificatrice;
l'attention se déplace vers ce qui distingue les cultures les
unes des autres(12).
Ce glissement n'est pas sans évoquer la définition
élaborée par le XIXe siècle romantique(13),
où la culture est une configuration de croyances, de traits
matériels, de religion, etc., qui fait de chaque peuple une
entité irréductible aux autres" (p.24-25) "Ainsi,
à travers la catégorie de l'ethnos, Bromlej se donne
les moyens de repenser la définition stalinienne de la
nation(14) de façon à inclure non seulement les nations
modernes (capitaliste et socialiste) mais de façon plus
générale les structures ethniques, d'un point de vue
à la fois historique et analytique." (p.29)
"Le point véritablement central de notre propos est la
volonté affirmée de Bromlej d'ancrer son discours dans
une tradition ethnographique russe, qui précède
l'introduction officielle du marxisme en ethnographie.[...]
Il n'est pas sans intérêt en effet de relever que
l'ethnographie est née en Russie au tournant des années
cinquante du siècle dernier - sur les bases similaires
à la science allemande de la Volkskunde(15) - autour d'une
réflexion tout particulière sur le peuple et la
spécificité ethnique: le peuple russe (russkij narod),
cette "entité ethnique irréductible à
l'observation positiviste et qu'on ne peut découvrir que dans
les mystère intérieurs de l'âme du peuple"
(BERELOWITCH-90: 272)(16)
7. Le discours occidental sur l'ethnicité:
"L'idée nouvelle introduite par Barth est qu'il convient
d'étudier les groupes ethniques comme des formes
d'organisation sociale plutôt que comme des entités
culturelles stables et substantielles. L'ethnicité devient
ainsi l'"organisation sociale de la différence culturelle".
Cette idée constituera un acquis pour le développement
des études ultérieures qui focaliseront leur attention
sur le concept d'ethnicité.
[..L]' ethnicité est chez Barth cette catégorie
d'ascription qui "classe une personne dans les termes de
continuité la plus fondamentale et la plus
générale qu'on peut présumer être
déterminée par son origine et son environnement"
(BARTH-69: 13) [...]
Or cette définition omet pour certains un fait important:
l'ethnicité est avant tout "situationnelle" (COHEN, R.-78).
Une même personne peut être catégorisée
selon différents critères de pertinence dans diverses
situations (profession, éducation, ethnicité); elle
peut adopter différentes identité. L'ethnicité
n'existe pas en dehors d'un jeu de relation et elle varie en fonction
même de ces relations. C'est dès lors la mise au jour de
ces relations qui contribue à rendre pertinente une analyse
jugée inopérante tant qu'elle se contente de dire que
des catégories ethniques existent (COHEN, A.-74) [...]
Sharp (SHARP-80) propose de considérer les enjeux politiques
de l'ethnicité dans le sens où les formations de
groupes ethniques sont toujours des processus dialectiques de
réaction à des situations spécifiques. [...]
Loin d'être innée, substantielle, l'identité
ethnique émerge davantage comme une "réponse", une
réaction à des conditions particulières et
l'invocation d'une culture commune n'est dès lors que la
justification "objective" à la revendication de
l'identité. Privilégiant une "analyse
stratégique" de l'ethnicité, on avance même que
la culture n'est qu'une construction "après-coup", un moyen de
mobilisation, une réponse autour d'un ensemble de valeurs et
d'habitudes créées et communément
partagées à des fins déterminées
(COHEN,A.-74). La polarisation autour d'un "nous" opposé
à un "eux" n'est alors que l'écho d'une situation
déterminée, à laquelle les agents sociaux
réagissent: "la privation matérielle est l'une des
conditions les plus fertiles pour la croissance de
l'ethnicité(17)" Dès lors que le groupe ethnique s'est
constitué comme tel, l'ethnicité "peut être
utilisée pour toutes sortes d'intentions, tantôt comme
un instrument de politique déclaré, tantôt comme
une simple stratégie défensive face à
l'adversité(18)" A la limite, l'ethnicité ne
constituera rien d'autre que le processus et la stratégie par
lesquels des symboles culturels sont utilisés à des
fins politiques (BENNETT-75: 7)." (pp.62-64)
"A l'Est" (à travers le discours sur l'ethnos), le point de
départ est moins la question de l'ethnicité et de ses
causes extra-ethniques que celle de l'entité ethnique - l'
ethnos - considérée comme substance réelle faite
de positivité et source de première
détermination. Loin d'être le reflet d'une
réalité qui lui préexiste, l'ethnicité
n'est l'expression que d'elle-même et constitue en tant que
telle un principe ontologique de causalité.
Bien que celle-ci ne soit ni réellement éternelle ni
purement génétique(19), elle traduit une
représentation naturaliste des entités ethniques comme
autant de totalités incommensurables qui s'autoreproduisent et
se transmettent de génération en
génération. Tout nous sépare dès lors du
discours occidental. Loin d'être cette identité
présumée d'un groupe dans le cadre de processus
politiques, économiques ou idéologique,
l'ethnicité est identifiable objectivement dans des groupes
spécifiquement dotés de caractéristiques
ethniques." (p.65)
8. Conclusion
"Faut-il conclure à l'irréductibilité de
l'ètnografija et de l'ethnologie (anthropologie) occidentale?
Sont-elles vouées à suivre des voies divergentes, qui
sont le reflet d'une histoire et d'une tradition singulière?
L'ethnicité à l'Est est-elle destinée à
s'inscrire dans le prolongement d'une pensée romantique,
à articuler sa réflexion autour d'un paradigme ethnique
du peuple?
Un regard sur l'ethnographie russe des années quatre-vingt-dix
devrait permettre de nuancer et d'affiner des conclusions par trop
enclines à des synthèses continuistes". Car dire que
les traditions idéologiques conditionnent ne revient pas
à en faire un instrument de déterminisme social.
Preuve en sont les discussions qui ont vu le jour à
l'intérieur de l'ètnografija dès le début
des années quatre-vingt avec la publication dans la
très officielle revue Sovetskaja ètnografija d'un
article critique sans précédent, intitulé
"L'ethnographie soviétique a besoin d'une
perestroïka(20)", dans lequel l'auteur invite ses
collègues à une remise en question de la discipline.
Cette critique s'étend des années suivantes à la
dénonciation de l'activité idéologique de
l'ethnographie, cette "science mensongère" (TISKOV-89b: 5) de
la question nationale (ethnique), que le nouveau directeur de
l'Institut d'ethnographie, Tiskov, jugera "comparable au lyssenkisme
en biologie" (ibid.). Dans ce climat de dénonciation, de
remise en question et de "désir de transparence" (TISKOV-89a),
Bromlej annonce, lors d'un colloque à Londres en mars-avril
1989, qu'il se retire de l'Institut, après en avoir
assuré la direction pendant près de 23 ans. Il est
remplacé par Tiskov(21) qui, lors de cette même
conférence, fait une communication dans laquelle il
énonce ce que doivent être les nouveaux principes de
l'ethnographie. Prônant la "transparence", il formule un "code
éthique" de la profession d'ethnographie, qui vise ces
intellectuels qui se muent en "conseillers politiques"(22).
Néanmoins c'est moins son réquisitoire contre la
subordination de l'ethnographie que politique qui doit retenir ici
notre attention que la révision qu'il propose de la
catégorie d'ethnicité. Sa réflexion est
intéressante d'un double point de vue. D'une part, parce
qu'elle semble constituer l'amorce d'une rupture avec la tradition
russe de l'ethnos qui mènera l'ethnographie jusqu'aux portes
de l'ethnologie (ètnologija)(23) D'autre part, parce qu'elle
révèle de façon éclairante combien la
valeur de l'opposition paradigmatique précédemment
soulignée et sciemment accentuée entre le sens ethnique
du peuple et son pendant politique excède une fonction
exclusivement heuristique. (pp.75-76)
"Que la critique du paradigme de l'ethnos ait eu pour seule ambition de révéler le passé de l'ethnographie comme idéologie ou qu'elle ait davantage participé d'un changement dans les représentation du peuple comme entité ethnique au sens romantique du terme, c'est là la question qui mériterait d'être explorée dans de nouvelles perspectives de travail, à travers un regard sur la "nouvelle" ètnologija russe. (p.79)
NOTES: (1) L'importance dans le travail conceptuel du terme
d'ethnos est telle que nous avons préférer garder le
terme tel quel (au singulier comme au pluriel), sans le traduire par
"ethnie", "groupe ethnique" ou "ethnicité" qui ne l'aurait
rendu qu'imparfaitement. Il en va de même du terme
d'ethnographie (ètnografija) que les Soviétiques ont
gardé depuis le XIXe siècle en excluant celui
d'ethnologie (èthnologija) et celui d'anhropologie
(antropologija) qui fut réservé à
l'anthropologie physique. Reflet de l'histoire spécifique
d'une discipline, cette appellation (ètnografija) recouvre
trop d'enjeux méthodologiques, voire politiques pour
être transposée dans la terminologie occidentale. Nous
nous contenterons par conséquent d'une traduction
littérale du terme.
(2) Ces derniers se voient confier la tâche de recencer les
populations indigènes. Les résultat de ces
investigations serviront de base à la réorganisation de
la politique gouvernementale, qui se traduira, par exemple, par la
création des régions autonomes des Tchouktchi et des
Koryaks, par la mise en place de centre culturels et
d'écoles.
(3) En défendant la thèse que les cultures ont une
spécificité intrinsèque,. si bien que tout
élément culturel ne peut être envisagé que
replacé dans son contexte d'ensemble, Boas fut à
l'origine de la formulation d'un relativisme culturel. Sous son
influence s'est développée une école dite
culturaliste américaine (cf chapitre II).
(4) Le courant du diffusionnisme, opposé à
l'évolutionnisme, est apparu au début du XXe
siècle. Il s'est consacré à l'étude de la
distribution géographique des trats culturels en postulant une
succession d'emprunts d'un groupe à l'autre à partir de
quelques foyers d'inventions originaires. Ce courant fut
représenté par l'école allemande de la
Völkerkunde et du Kulturkreis.
(5) Du nom du célèbre ethnographe russe: Nikolaj
Mikhukho-Maklaj (1846-1888)
(6) Art.[article consacré à la revue Sovetskaja
Etnografija par la revue Kommunist en 1963] cit.,
p.127.
(7) Art.cit.,p.124
(8) Bromlej était slaviste et spécialiste d'histoire
sociale, comme l'indique le titre de sa thèse de doctorat
soutenue en 1956: "Le soulèvement paysan de 1573 en Croatie.
Histoire des relations agraires et de la lutte des classes en Croatie
au XVIe siècle". Il se convertit tardivement à
l'ethnographie avec une première publication en 1965 dans la
revue officielle Sovetskaja ètnografija. Les
circonstances exactes de sa nomination nous sont inconnues. On peut
s'étonner qu'un historien soit précipitamment
nommé à la tête de l'Institut d'ethnographie;
pourtant si l'on sait le rôle souverain qui fut toujours
imparti à l'histoire, ce fait ne devrait surprende qu'à
moitié: la grande majorité des ethnographes de la
génération de Bromlej étaient
généralement des historiens de formation.
(9) Nous relèverons que le mandat de Bromlej a
coïncidé très largement avec la période
bréjnévienne dite de la "stagnation" (zastoj). La
question des conditions politiques et historiques du discours sur
l'ethnos sera abordée ultérieurement.
(10) KUSNER, P.I., 1951"Etniceskie territorii i ètniceskie
granicy" [Territoires ethniques et frontières ethniques],
Trudu Instituta ètnografii, 15; TOKAREV, S.A., 1964:
"Problema tipov ètniceskix obscnostej: k
metodologiceskimproblemam ètnografii" [Le problème des
types de communautés ethniques: sur les problèmes
méthodologiques de l'ethnographie], Voprosy Filosofii,
11; KOZLOV, V.I., 1967: "Oponjatii ètniceskoj obscenosti" [Sur
le concept de communauté ethnique], Sovetskaja
Etnografija, no2; CEBOKSAROV-67 (cf. bibliographie); GUMILEV-67
(cf bibliographie).
(11) Il n'est pas sans intérêt de relever que c'est
autour d'une réflexion sur l'endogamie ("Ethnos et endogamie",
article paru en 1969 dans la revue Sovetskaja
ètnografija) que Bromlej a pour la première fois
depuis sa nomination à l'Institut exposé sa
théorie de l'ethnos. Un an plus tard, la revue ouvrit ses
colonnes à une discussion (Sovetskaja
ètnografija, 1970, no.6). On lui reprocha une conception
biologique et raciale de l'ethnos. Il précisa lors de cette
discussion que l'endogamie n'était que le signe (priznak)
complémentaire et non essentiel de l'ethnos" (BROMLEJ-70: 88).
L'ensemble de la rédaction se rallia finalement à ses
vues, reconnaissant que son travail annonçait de "nouvelles
perspectives de recherches", un "nouveau principe", un "pas en avant"
(ibid.).
(12) Bromlej n'est pas le premier à relever le rôle
fondamental de la culture comme trait distinctif de l'ethnos. Avant
lui, en ethnographe avait déjà relevé que "si un
peuple perd sa spécificité culturelle, il cesse
d'exister comme un ethnos séparé et indépendant"
(CEBOKSAROV-67: 99). Le même auteur avait déjà
défini l'ethnographie comme la "science des ethnos".
(13) Le XIXe sicèle romantique a élaboré une
définition de la culture qui s'oppose à une
définition de type universaliste héritée du
siècle des Lumières, en concevant chaque culture comme
un univers autonaume qu'on peut envisager en termes d'"esprit" ou
d'"essence". On trouve l'origine d^'une telle conception chez Herder
(cf chapitre IV), pour qui chaque peuple est porteur de son propre
Volksgeist ou chez Humboldt, par exemple, dans la relation qu'il
établit entre langage et vision du monde.
(14) Cette volonté de "reformulation" est d'ailleurs explicite
dans les propos de Bromlej (BROMLEJ-89a), qui montre combien les
premières discussions sur les communautés ethniques
sont nées dans le prolongement d'un long débat au
début des années soixante (voir le journal Voprosy
istorii 1966: 1, 4, 6, 7, 9, 12; 1967: 1, 4, 7,; 1968: 2, 3, 5,
7, 9, 10; 1969: 8) autour de la définition stalinienne de la
nation,. On suggéra qu'il fallait inclure d'autres
caractéristiques plus spécifiques et étendre la
réflexion à l'ensemble des communauté ethniques.
un point semblait cependant acquis: la communauté ethnique est
une entité discrète et substantielle (dans le
prolongement de la définition stalinienne); la tâche
sera dès lors de déterminer quels sont les traits
objectifs qui la caractérisent.
(15) Pour l'héritage allemand, voir chapitre IV.
(16) A ce titre, Bromlej évoque (BROMLEJ-73: 189) ce qu'il
considère comme le discours fondateur de la tradition
ethnographique russe: il s'agit d'un discours prononcé en 1846
par n.i. Nadezdin qui deviendra plus tard président de la
section d'ethnographie (fondée un an auparavant à
Saint-Petersbourg à l'intérieur de la
Société russe de géographie) et intitulé
"Pour une ethnographie du peuple russe". En articulant son discours
autour de la catégorie du narod, Nadezdin met
résolument l'accent sur la connaissance de la narodnost' russe
(du mot narod, équivalent sémantique de l'allemand
Volkstum):"J'entends par là l'ensemble des traits
disctinctifs, des facettes et des nuances qui conditionnent un mode
d'humanité particulier, original" (NADEZDIN, N.I., 1849: "Ob
ètnograficeskom izucenii narodnosti russkoj", Zapiski RGO,
1-2, 1849, cité dans BERELOWITCH-90:268). Ce n'est pas une
coïncidence si Bromlej se réfère à cette
conception essentieliste du peuple comme à une conception
fondatrice de la traditon etnographique russe.
(17) Dictionary of race and ethnic relations, 1984, article:
ethnicity, p.106.
(18) Art.cit., p.106
(19) Chez Bromlej du moins, C'est bien moins évident dans le
discours de Sirokogorov et de Gumiliev
(20) Cf. KRJUKOV-88
(21) Né en 1941 à Moscou, Tiskov a suivi ses
études à l'Université d'Etat de Moscou et les a
poursuivies à L'institut pédagogique de Moscou.
Après avoir travaillé plusieurs années à
l'Institut d'histoire générale de l'URSS et de
l'Académie des Sciences, il est devenu en 1976
secrétaire général de la division d'histoire de
l'Académie. Vivement intéressé à
l'histoire et à la culture nord-américaine, il a
été chef et député aux études
ethniques américaines avant d'être nommé à
la direction de l'Institut d'ethnographie de l'Académie des
Sciences en 1989.
(22) Il se garde par contre de souligner sa double fonction comme
directeur de l'Institut et comme Ministre aux Affaires
nationales.
(23) En effet dès 1991, sur le voeur de Tiskov et de ses
collaborateurs, l'ètnografija est rebaptisée en
ètnologija et l'Institut d'ethnographie devient l'"Institut
d'ethnologie et l'anthropologie".
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Auteur de la page : Anne.Savary
DERNIERE MISE A JOUR DU DOCUMENT : Janvier 1998