L’exposé tente de poursuivre deux lièvres à la fois :
– comment peut-on connaître en profondeur la vie intellectuelle de l’Union soviétique dans les années 1920-1930 ?
– qu’est-ce que la virulente critique anti-saussurienne en Russie à cette époque peut nous apprendre sur la spécificité de la théorie de Saussure ?
On proposera ici un angle d’attaque apparemment très étroit : il s’agit du thème récurrent de cette critique, à savoir que le CLG présente une «théorie des hiéroglyphes» (ou des symboles), donc un type de théorie bourgeoise que Lénine pourfendait dans son livre de 1909 Matérialisme et empiriocriticisme à propos de Helmholz et qui fut défendue un temps par Plekhanov.
Mais la réflexion sur les hiéroglyphes s’appuie sur des controverses bien plus anciennes remontant au XVIIIe siècle à propos du déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens. Le problème posé est de nature sémiotique : c’est l’opposition scalaire entre transparence et opacité du signe qui est ici posée. Est-ce que le signe cache ou révèle?
Le discours soviétique sur la langue et le langage dans les années 1920-1930 semble tout entier reposer sur une interrogation sur le rapport signe/référent, langue/pensée, forme/contenu.
Un pan de l’histoire de la sémiotique se découvre ainsi à partir de la critique de la «théorie des hiéroglyphes», épisode mal connu d’un débat sur l’interprétation du saussurisme.