Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы
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-- Patrick SÉRIOT : «Rome, Byzance et la politique de la langue en URSS», Cahiers du Monde russe et soviétique, XXIX (3-4), juillet-décembre 1988. pp. 567-574.
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«Le Passé, c'est une reconstitution des sociétés et des êtres humains d'autrefois par des hommes et pour des hommes engagés dans le réseau des réalités humaines d'aujourd'hui.» (L. Febvre, cité par M. de Certeau, L'écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975. p. 18).
Réinterprétation, réécriture, récupération sont les termes les plus souvent employés pour caractériser en Occident l'historiographie soviétique lorsqu'il s'agit du lointain passé russe. Les formes de cette réécriture ont fluctué au cours du temps.
Ainsi, l'attitude adoptée envers la Religion, non pas religion en tant que telle, dans son opposition à l'athéisme, mais religion orthodoxe, dans son opposition à la religion catholique romaine, a connu de grandes variations.
J'aborderai ici le domaine d'une des sciences humaines en URSS où le problème de l'interprétation de la religion orthodoxe a été jusqu'à présent peu étudié : celui de la linguistique. Il s'agit de la référence au rapport qu'entretient l'orthodoxie à la question de la langue, telle qu'elle est utilisée dans la socio-linguistique soviétique pour justifier et fonder historiquement la politique linguistique en URSS et, paradoxalement, sa continuité avec la Russie. C'est donc le thème de la preemstvennost' (continuité) qui va nous occuper ici.
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Mon propos n'est pas celui d'un historien. Il ne consiste pas à comparer un discours à des faits historiques. II est d'étudier une argumentation, d'étudier l'image de la spécificité de la politique linguistique en terre orthodoxe telle qu'elle est présentée dans la sociolinguistique soviétique actuelle. Je voudrais ainsi, à la fois, étudier à quel courant épistémologique se rattache ce modèle, comment y est pensée la langue, ce qui se passe quand un modèle est déplacé d'un contexte historique à un autre, et enfin pourquoi c'est explicitement l'orthodoxie, les principes propres de l'Eglise byzantine, qui sont mis en avant actuellement dans la sociolinguistique soviétique. Précisons que la sociolinguistique, ou plus précisément linguistique sociale (social'naja lingvistika), est un courant fort répandu dans la linguistique soviétique actuelle, qui étudie la langue non pas comme système autonome, mais dans sa dépendance des faits de société. Ce courant, représenté à l'Académie des sciences par le « secteur de linguistique sociale », animé par Ju. D. Dešeriev, affirme constituer une spécificité de la linguistique soviétique dans son ensemble.
Rappelons les termes d'une antique polémique. Une des différences importantes entre l'Eglise byzantine et l'Eglise romaine est le rapport à la langue. Non pas la langue du prêche, puisque le prêche dans les deux traditions se fait dans la langue vemaculaire, mais la langue du culte.
On sait que jusqu'au Concile Vatican II la seule langue liturgique admise dans l'Eglise catholique romaine était le latin, alors que dans les Églises orthodoxes on observe un nombre élevé de langues du culte. Ces langues du culte, néanmoins, ne sont pas en nombre aussi grand que les langues du prêche. Les langues slaves actuelles, par exemple, le russe en particulier, se sont largement différenciées du slavon d'église, au point que le matériau linguistique même de la liturgie peut faire, dans une certaine mesure, obstacle à la compréhension pour les fidèles (il en va de même pour le grec byzantin d'église et le grec dit démotique dans la Grèce actuelle). Néanmoins, il n'existe aucun obstacle de nature théologique, doctrinale, qui s'opposerait à la réécriture de la liturgie en une langue nouvelle. Ainsi l'épiscopat russe, consulté en 1906 par une « commission préconciliaire » sur un programme de réformes, avait préconisé l'usage généralisé du russe, c'est-à-dire y compris dans la liturgie, mais les événements que l'on sait ont empêché cette adaptation (1).
Cette différence de pratique linguistique entre les deux Églises fournit la matière d'un chapitre extrêmement intéressant consacré au problème des rapports entre langue et idéologie religieuse dans un livre publié en 1984 par le secteur de linguistique sociale de l'Institut de linguistique de Moscou, intitulé Sovremennaja idéologičeskaja bor'ba i problemy jazyka (La lutte idéologique actuelle et les problèmes de langue).
Le tableau qui y est dressé de l'affrontement des deux Églises, des deux mondes culturels rivaux dans l'Europe du Moyen Age et de la Renaissance, frappe parce que, d'une part, il est présenté en termes de coupure politique Est-Ouest et que, d'autre part, la spécificité du rapport de l'Eglise orthodoxe à la langue y est évoquée explicitement en termes servant à illustrer la politique linguistique soviétique actuelle.
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Le texte commence par insister sur la continuité du système éducatif entre Byzance et la Russie kiévienne. C'est là qu'apparaît un premier contraste entre Occident romain et Orient byzantin: dans les écoles des monastères et des Cours princières on enseignait à lire et à écrire dans une langue — le slave ecclésiastique — «proche et compréhensible pour tous les Slaves orientaux» (2). La «supériorité» de l'enseignement en langue maternelle se marquait par le fait que l'instruction était plus répandue dans la Russie kiévienne que dans l'Europe occidentale de cette époque. Cette tendance ne s'inverse qu'avec l'invasion tatare.
Le deuxième point sur lequel insiste ce texte est la violence et la force utilisées par le clergé catholique dans son évangélisation des autres peuples. Cette violence n'est en fait que l'aspect extérieur d'une conquête plus terrestre : la christianisation entreprise par les catholiques n'est que le paravent idéologique d'une politique de germanisation, de Drang nach Osten (3) en direction des peuples du bassin de la Baltique. La germanisation prime sur l'évangélisation, puisqu'en sont victimes aussi bien les Polonais catholiques que les Russes et Biélorusses orthodoxes.
Deux mondes s'opposent ainsi comme par essence, dans l'univers manichéen d'un texte qui confond souvent les époques historiques. Ainsi, d'un côté, se trouve l'Église romaine, qui, à la différence de l'Islam et de l'Église byzantine, disposait de forces armées propres (les Chevaliers teutoniques aussi bien que les Croisés), «tuant pour faire triompher l'idéologie chrétienne au nom du précepte 'tu ne tueras point'» (4). L'auteur ajoute que ce sont les chrétiens orientaux (la Bulgarie et Byzance) qui ont eu le plus à pâtir des croisades, et non les « infidèles » : les musulmans. Tout autre est le tableau qui est brossé de Byzance. L'Empire byzantin conserve les traditions de la culture et de l'éducation antiques, les villes ne cessent de croître, le commerce et l'instruction s'épanouissent. Byzance mène une politique extérieure qui est ici décrite en des termes qui rappellent fortement les justifications habituelles de la politique soviétique : bien que soumise à autant d'invasions que Rome, elle réussit à se maintenir un millénaire de plus grâce à la souplesse de la politique de ses empereurs, qui ont su « inclure de façon non militaire les peuples voisins dans l'orbite du commerce, de la politique et de la culture byzantines» (5). La christianisation des autres peuples par Byzance n'était qu'une façon de refréner les instincts guerriers des peuples voisins, et non d'y instaurer un système féodal et d'y imposer une langue étrangère, comme en Occident.
Puis est abordée de façon plus précise la pratique linguistique des deux Églises. Byzance, à la différence de Rome, contribue à la création d'écritures pour les peuples nouvellement convertis, encourage les traductions de livres liturgiques et l'usage des langues locales dans l'exercice du culte : après le copte au IIIe siècle, le gotique reçoit une écriture (bible de Vulfila, IVe siècle), l'arménien, le géorgien et enfin le slave avec Cyrille et Méthode au IXe siècle. Cette différence de traitement des langues dans les deux Églises repose, d'après l'auteur de notre texte, sur des positions doctrinales, puisque les «patriarches orientaux» nommaient «hérésie des trois langues» (eres' trijazyčija) l'utilisation des seules «langues sacrées» qu'étaient le grec, le latin et l'hébreu, langues de l'inscription qui surmontait la croix du Christ Après avoir rappelé comment avait été détruit l'enseignement de Cyrille et Méthode en Moravie et en Panonie,
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le texte souligne que «la lutte religieuse entre l'ÉgIise de Rome et l'Église de Constantinople était avant tout une lutte pour ou contre l'égalité des langues, pour ou contre le latin comme unique langue dans laquelle 'on pouvait parler à Dieu', pour ou contre le développement d'une culture spirituelle dans la langue maternelle» (6).
Mais le traitement politique des langues ne constituait pas la seule distinction entre les deux Églises. La tradition linguistico-grammaticale entre également en jeu. Tradition cyrillo-méthodienne d'abord : le serbe, par exemple (7), par tradition cyrillo-méthodienne, admet facilement les emprunts, alors que le croate, de tradition catholique, est beaucoup plus «puriste» (8). Tradition grecque ensuite : le «principe phonologique» inventé par les Grecs impliquait d'accepter des différences de graphismes pouvant aller jusqu'à la création d'alphabets entièrement nouveaux. Quant à l'opposition entre l'écriture latine et récriture cyrillique, elle «reproduisait fidèlement la division de l'Europe en deux zones d'influence, remontant historiquement à l'opposition entre les deux Églises» (9).
Il me semble extrêmement intéressant que toute une géopolitique de l'Europe actuelle reçoive ainsi un fondement religieux en URSS, ou du moins s'appuie sur une continuité avec une répartition des juridictions ecclésiastiques. C'est ainsi qu'on insiste dans ce texte sur le fait que, en dehors des Russes et des Ukrainiens, les Moldaves avaient aussi « originellement » une écriture cyrillique. Le « passage » du dialecte moldave au cyrillique après la Deuxième Guerre mondiale n'est ainsi qu'un retour à une tradition, mais, notons-le, à une tradition à l'intérieur d'une domination religieuse plus que séculière : l'URSS serait l'héritière, au plan de la politique linguistique, plus encore du domaine du patriarcat de Constantinople que de celui de l'Empire byzantin en tant que tel.
Se pose alors le problème de la graphie des langues slaves dans leur ensemble, qui a des conséquences directes sur la définition d'une éventuelle langue slave commune. Le texte rapporte que l'empereur Ferdinand II de Habsbourg, pour lutter contre l'afflux de livres écris en cyrillique, favorisa le développement de l'imprimerie en glagolitique en offrant au pape Urbain VIII des caractères d'imprimerie glagolitiques. Les presses du Vatican éditèrent des livres liturgiques dans cette écriture, mais les corrections étaient faites à partir de la version russe (Chasoslov rimskij slovinskim jazykom / Missel romain en langue slave, 1631). C'est également à la demande du pape qu'en 1741 M. Karaman réécrit plusieurs livres dans un esprit fidèle à la version russe, et compose un traité «O toždestve knižnogo slavjanskogo jazyka» (Sur l'identité de la langue littéraire slave) sur la nécessité d'utiliser le slave dans les livres sacrés, traité dans lequel il donne des arguments en faveur de l'adoption du russe de cette époque comme langue littéraire par les Croates. La conclusion qu'en tire le rédacteur du texte est que la papauté, si elle reconnaissait l'unicité de la langue littéraire pour tous les Slaves, s'opposait en tous points à l'adoption généralisée de l'écriture de la majorité orthodoxe.
C'est également à des arguments portant sur les limites des zones d'influence des deux Eglises qu'a recours le texte pour discuter le délicat problème du tracé de la frontière soviéto-polonaise. L'Union de Brest de 1596 est présentée comme une conquête indue, comme une transgression de limite d'influence. Ainsi la langue administrative du grand-duché de Lithuanie était autrefois le slavon dans sa variante biélorusse. Mais aux XVIIe et XVIIIe siècles, le latin et le polonais
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prennent la place du biélorusse, et la Litovskaja metrika, recueil d'actes de l'état civil concernant aussi bien les Russes et Biélorusses que les Lithuaniens, rédigée en 1777 en russe (russkoju movoju) est par la suite réécrite en lettres latines. Le rédacteur, il est vrai, ne se pose pas la question de savoir pourquoi ce texte n'était pas écrit en lithuanien, ni pourquoi cette réécriture s'est produite après le partage de la Pologne de 1722, après lequel la Lithuanie avait été rattachée à la Russie. Ce partage de la Pologne, d'après notre texte, n'avait pas empêché l'intensification de l'offensive de l'Église catholique en direction de l'est, provoquant une réaction de défense de la part de la Russie. Ainsi après le soulèvement polonais de 1830 le gouvernement tsariste prit conscience que tous les habitants de la région du sud-ouest n'étaient pas des Polonais, et, «pour tenter d'enrayer le processus de polonisation», interdit d'imprimer les livres lithuaniens avec une orthographe polonaise et fit adopter une transcription appropriée du lithuanien en caractères cyrilliques (russkaja graždanka). Les protestations vinrent du clergé catholique et de la bourgeoisie lithuanienne, qui oubliaient que le texte fondamental de l'État lithuanien, le Litovskij statut de 1588, avait été lui-même écrit en cyrillique (10).
L'actuel territoire polonais lui-même ne va pas sans poser problème. Ainsi la région de Przemysl se trouvait autrefois dans la sphère d'influence de l'Église orthodoxe (du XIe au XIVe siècle). Puis, à la suite de l'invasion tatare, ce territoire passa sous administration polonaise. Le texte en veut pour preuve le fait qu'encore aux XV-XVIe siècles y dominaient les prénoms du calendrier orthodoxe, portés par les Polonais eux-mêmes (Stepan, Iwan). Les prénoms polonais Grzegorz, Jakub, Macej étaient beaucoup plus rares que leurs équivalents russes Grigorij, Jakov, Matvej. Mais dès la fin du XVIe siècle s'amorce une polonisation intense des Slaves orientaux qui vivent dans la région et les prénoms non polonais disparaissent. Notons que la « confession » se superpose ici à la « nation » pour définir l'appartenance originaire d'un territoire à un peuple. C'est donc en termes d'affrontement d'Églises plus que d'ethnies que s'écrit l'histoire de l'Europe centrale et orientale dans ce livre : « Aux XVe et XVIe siècles l'Église catholique s'accrochait fermement à la Pologne, avant tout en tant qu'avant-poste pour envahir des territoires qui appartenaient historiquement à l'Église orthodoxe, les terres de l'ancienne Russie de Kiev (Smolensk, Polotsk, Pinsk).» (11)
La lutte des classes participe de cette remise en valeur des conflits religieux. Ainsi dans la Russie du sud-ouest, les grands féodaux quittaient l'orthodoxie pour se faire uniates ou catholiques. Pour les seigneurs, changer de religion signifiait changer de langue, porter des habits polonais et adopter les coutumes polonaises. Mais la masse paysanne, les marchands et les artisans « restaient attachés à l'orthodoxie, car ils y voyaient une façon de rester fidèles à l'esprit du peuple» (narodnost'). De même le mouvement ukrainien de B. Hmel'nickij (1654 : Union de l'Ukraine et de la Russie) contre les jésuites et les uniates « revêtait les formes d'une lutte contre les féodaux avec une religion étrangère, une langue et des murs étrangères, une lutte pour sa langue, sa religion et son peuple » (12).
Enfin le rédacteur prend ardemment parti pour la Réforme protestante contre le catholicisme pour les mêmes raisons : la Réforme parlait la langue du peuple. « Si la Réforme stimulait l'essor des langues nationales, leur permettant de
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parvenir au niveau de langues littéraires, la contre-réforme signifiait la victoire du latin, la dégradation des autres langues.» (13)
Le texte conclut par un vibrant hommage à l'Église orthodoxe, qui «a opposé au catholicisme son caractère populaire (narodnost') la simplicité de sa foi et la langue maternelle» (14).
Je voudrais, en ce qui me concerne, plaider pour une histoire non positiviste, insister sur le fait que le discours sur les faits est aussi important que les faits eux-mêmes, que la légende n'est pas une vérité dégradée, mais qu'elle a autant de conséquences, sinon plus, dans le temps. La remise en valeur de la tradition orthodoxe (15), le sentiment de continuité entre la « terre orthodoxe » et le territoire soviétique actuel, entre la pratique linguistique des patriarcats orientaux et celle de l'État multinational soviétique apportent, en fin de compte, un éclairage fort utile sur la notion d'« identité russe » telle qu'elle est débattue dans ce Colloque. Ce n'est qu'après avoir souligné ce point qu'on pourra montrer les aspects les plus étonnants de ce texte, à savoir un total anti-historicisme sur fond de revendication de la vérité historique, qui jongle avec les époques et avec les mots. Ainsi, hypostasier l'opposition entre Byzance et Rome, en faire le parangon des malheurs de la Russie sans voir que le débat doctrinal sur langue du prêche et langue du culte remonte en fait aux premiers temps du christianisme. On relira alors l'épître de saint Paul aux chrétiens de Rome dans laquelle il rappelle que tous les hommes sont égaux devant la Grâce : cette polémique s'adresse en fait aux juifs christianisés de Rome, qui réclament une sorte de primauté dans la délivrance de la Parole en leur langue et n'admettent pas le caractère cosmopolite de l'apostolat chrétien dans la tradition hellénistique (16). Ce point de doctrine est repris plusieurs siècles plus tard dans la grande polémique linguistique qui a suivi la mission évangélisatrice de Cyrille et Méthode. Mais il faut rappeler alors trois points importants. D'une part, dans le monde occidental le latin n'a aucun mal à s'imposer car il n'y a pas de langue de prestige qui pourrait s'y opposer. Dans le monde oriental en revanche le grec entre en concurrence avec d'autres langues de tradition culturelle comme le syriaque ou l'hébreu. D'autre part le « principe des trois langues » n'a jamais été une théorie revendiquée par Rome, mais plutôt une pratique qui venait des administrations locales aux marches de l'Empire. Enfin l'Église de Constantinople, si elle a soutenu l'activité des missionnaires en langue slave pour étendre aux autres contrées slaves son influence, s'est souvent fortement opposée aux velléités d'indépendance et d'autocéphalie des Églises locales (Bulgarie en particulier) (17). Si conflit sur la langue il y a eu dans la chrétienté, il a porté, aussi bien pour Rome que pour Byzance, sur l'extension à donner à la langue des nouveaux convertis : soit la confiner dans un rôle pratique de transmission, pour aider «gens durae cervicis... et idiota et ignora viarum Dei» à entrer dans l'univers idéologique chrétien, soit aller jusqu'à la création de nouvelles entités ethnico-religieuses (18).
On retiendra de ce texte soviétique non point l'écriture d'une « nouvelle histoire», mais un étonnant paradoxe : le retour à une tradition qui est, elle, religieuse, de non-coupure entre le passé et le présent, en somme, tout le contraire d'un regard sociologique. L'historiographie ici présentée ne divise pas le passé et le présent mais les lie. Il y a ici, certes, un discours de réappropriation d'une histoire nationale un moment gommée, grâce à un terme autrefois banni, la religion, mais également un nouveau type d'écriture: on polémique avec un
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Autre innommé par delà un autre (les catholiques romains) clairement désigné. Semblable redistribution des figures nous met au cur de cette difficile typologie de l'identité russe : qui est ce « nous », qui est cet « autre » ? le passé ? les catholiques du Moyen Age, Rome, les Occidentaux du XXe siècle, ou bien une image que les Russes ont d'eux-mêmes ?
NOTES
1. O. Clément, L'Église orthodoxe, Paris, PUF. 1985, pp. 20, 88.
2. Sovremennaja ideologičeskaja bor'ba i problemy jazyka (La lutte idéologique actuelle et les problèmes de langue). Moscou, 1984, chap. 3 « Sovetskij opyt jazykovogo stroitel'stva i kritika nemarksistskix koncepcij » (razdel « Iz istorii otnošenij meždu jazykom i religioznoj ideologiej) »), p. 198.
3. Ibid., p. 202.
4. Ibid., p. 204.
5. Ibid.
6. Ibid., p. 206.
7. Nous dirions plutôt « le sous-ensemble serbe de la langue serbo-croate ».
8. Sovremennaja..., op. cit., p. 208.
9. Ibid., p. 209.
10. Ibid., p. 212.
11. Ibid., p. 222 (souligné par nous).
12. Ibid., p. 228.
13. Ibid., p. 225.
14. Ibid., p. 230.
15. La religion, il n'y a pas si longtemps, était encore cet «opium du peuple» dont parlait Lenine, y compris la religion des Russes. Il n'est que de citer ce manuel scolaire d'histoire de 1956 :
« Le fils de Svialoslav, Vladimir, devint chrétien et fit du christianisme la religion de l'État en 988. Le peuple, s'opposa à la nouvelle foi... Mais le christianisme s'imposa par la force. A Novgorod l'Église fit brûler la moitié de la cité. Pendant longtemps on répéta que Putiata avait christianisé par le glaive et Dobryna par le feu... » (S.P. Alekseev, V.G. Karcov, Istorija SSSR (Histoire de l'URSS) (4e classe), cité par M. Ferro, Comment on raconte l'Histoire aux enfants, Paris, Payot, 1983, p. 162.
16. R. Picchio, La questione della lingua presso gli Slavi, Rome, 1973, pp. 27-28.
17. Le siège œcuménique de Constantinople sous le pouvoir ottoman est encore capable, après 1887, de mettre maints obstacles à l'enseignement en langue nationale que la Porte venait d'autoriser en Albanie (A. Ducellier, Les Byzantins. Histoire et culture, Paris. Seuil, 1988).
18. R. Picchio, op. cit., p. 53.
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