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"Représente l'invisible, et non le visible"
(Saint Benoît)
La concurrence entre l’emploi du réfléchi et celui du non réfléchi dans les structures dépendantes est un fait bien connu en russe. Mais, curieusement, il est traité surtout dans les travaux de stylistique. Nous l'envisagerons ici du point de vue de la structure de la proposition et de l'enchâssement syntaxique, et, plus largement, d'un point de vue énonciatif.
I/ Stylistique ou syntaxe?
— Rappelons pour commencer que l'opposition d'emploi du réfléchi et du non réfléchi ne souffre aucune exception, n'entraîne aucune ambiguïté dans les propositions indépendantes finies («prostye predloženija» dans les grammaires russes). La forme pronominale réfléchie (ou l'adjectif possessif réfléchi) est une anaphore du sujet de la phrase dans laquelle il se trouve, à la différence du non-réfléchi, au fonctionnement inverse[1]. On opposera ainsi les séries où l'élément pronominal (réfléchi) renvoie anaphoriquement au sujet (coréférence):
(1-a). ru. : On vošeI v svoju komnatu / k sebe
tch.: Vešel do svého pokoje / k sobě
pol.: Wszedł do swojego pokoju / do siebie
s-cr.: On je ušao u svoju sobu / kod sebe u kuću
et celles où l'élément pronominal renvoie à un autre référent que le sujet (non-coréférence):
(1-b). ru. : On vošeI v ego komnatu / k nemu
tch.: Vešel do jeho pokoje / k němu
pol.: Wszedł do jego pokoju / do niego
s-cr.: On je ušao u njegovu sobu / kod njega
— Les choses se compliquent singulièrement dès lors qu'une proposition devient dépendante d'une autre, d'autant qu'on peut établir une hiérarchie dans les degrés de dépendance.
En russe la subordonnée n'est pas autre chose qu'une proposition finie enchâssée (phénomène d'hypotaxe) : du point de vue des relations de coréférence, elle fonctionne rigoureusement comme une proposition finie indépendante. Le réfléchi est une anaphore du sujet de la proposition où il se trouve, le non-réfléchi renvoie à un autre élément, qui peut être sujet de la principale ou une tierce personne : dans les langues slaves le sujet de la principale n’a aucun privilège sur les autresréférents possibles. Ex:
(2-a) ru. : On poprosil ee, čtoby ona vošla v svoju komnatu [coréférence avec le sujet de la subordonnée] [≠ v ego komnatu: non-coréférence]
pol.: Poprosił ją, żeby weszła do swego pokoju [≠do jego pokoju]
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s.-cr.: On je zamolio da ona udje u svoju sobu [≠ u niegovu sobu]
(2-b) On poprosil, čtoby ona vošla k sebe [coréf.] [≠ k nemu: non-coréférence]
pol.: Poprosił ją, żeby weszła do siebie [≠ do niego]
s-cr.: On je zamolio da ona udje kod sebe [≠ kod niega...]
Il n'y a aucune raison logique ou universelle, ou naturelle pour qu'il en soit ainsi. Ainsi en latin, il n'existe qu'une solution dans les deux cas:
(3) Orat eumi paterj ut ad sei/j veniat [Son père le prie de venir auprès de lui] [i et j sont des indices référentiels]
Ici il y a ambiguïté: se renvoie au sujet de la principale ou à celui de la subordonnée, eum renverrait forcément à une tierce personne.
On peut en conclure que le degré d'indépendance syntaxique, ou degré d'enchâssement, en russe diffère du latin: la proposition enchâssée subit des modifications dans les anaphoriques en latin, pas en russe et dans les langues slaves.
— L'infinitif enchâssé.
La proposition subordonnée est un cadre strict, aux frontières infranchissables. Les vrais problèmes commencent avec les phrases non finies en surface. Ainsi en russe, dans un infinitif dépendant, il y a perte des embrayeurs que sont la personne et le temps (il n'en va pas de même en français, qui distingue des temps à l'infinitif, ou en portugais, qui y distingue des personnes). Cette perte d'embrayeurs me semble à l'origine d'une situation instable pour l'infinitif du point de vue des relations de coréférence. Les traités de stylistique actuels s'accordent en général pour dire que l'infinitif fonctionne, ou doit fonctionner comme la subordonnée:
(4-a) On poprosil ee vojti v ego komnatu [= čtoby ona vošla v ego komnatu: coréférence avec le sujet de la principale] [≠ v svoju....: coréférence avec le sujet de la subordonnée]
(4-b) On poprosil ee vojti k nemu [=čtoby ona vošla k nemu: id.] [≠ k sebe : id.]
Néanmoins les contre-exemples sont nombreux à cette règle stylistiquedu russe:
(4-a') Zamengof predložil jazykovomu komitetu votirovat' svoj proekt v celom [coréférence avec le sujet de la principale]
(4-b') Ona poprosila velikogo pisatelja vyskazat' ego mnenie po étoj probleme [coréférenceavec le sujetde la suoordonnée]' -
(En polonais on préférera une nominalisation:
Poprosi?a wielkiego pisarza o wyrażenie swojej opinii w tej sprawie.)
La situation est ainsi plus embrouillée que ne le laissaient prévoir les traités de stylistique (cf. Rozental').
En latin il existe une seule possibilité pour les propositions infinitives avec sujet à l'accusatif: la forme réfléchie, ce qui entraîne une ambiguïté référentielle:
(5-a) Vir dicit cives se laudare [L'homme dit que ses concitoyens le/se louent]
(5-b) Pater dicit amicos amare liberos suos [Le père dit que ses amis aiment leurs/ses enfants]. (ejus et eorum renverraient à une tierce personne).
— La nominalisation n’est presque jamais étudiée en tant que telle dans les manuels de stylistique qui traitent de l’emploi du réfléchi. Elle présente pourtant le même type de problèmes que l'infinitif.
La nominalisation peut fonctionner comme une subordonnée[2], et dans ce cas le schéma final est celui d'une "phrase complexe":
(6-a) ru. : On prisutstvoval na vstreče byvšix škol'nikov so svoimi učiteljami
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pol.: By? obecny na spotkaniu dawnych uczniów ze swoimi nauczycielami
s.-cr.: On je prisustvovao susretu bivših djaka sa svojim učiteljima.
Mais la nominalisation peut fonctionner aussi comme un simple SN, et le schéma final est alors celui d'une "phrase simple":
(6-b) ru. : On stremilsja uznat' prošloe svoego naroda, čtoby po okončanii universiteta sposobstvovat' razvitiju interesa gruzin k ix jazyku... (Mixankova: N.Ja.Marr).
Les grammaires soviétiques "classiques" (grammaires de l'Académie, grammaires scolaires et traités de stylistique) ont un traitement référentiel (où la notion syntaxique de sujet grammatical: "podlezaščee" voisine avec la notion sémantique de sujet logique : "sub'tekt") et une conception assez floue d'un renvoi au sujet ou à un complément de la "proposition" (predloženie).
Šanskij (1988, p. 351) propose un traitement référentiel étayé par des considérations stylistiques:
«Les pronoms réfléchis servent à remplacer un mot en fonction de sujet ou de complément si la même personne doit être désignée une seconde fois dans la même phrase.»
Il s'agirait donc d'un simple problème, disons, esthétique, d'évitement de la répétition, rôle typique des anaphoriques. Mais le fait que l'anaphorique puisse renvoyer au sujet ou à un complément ne semble pas troubler l'auteur outre mesure. Voici les exemples qu'il donne:
(7) My vzvjali na sebja meški i posˇli.
(8) Nam predložili vzjat' vešči s soboj.
La Grammaire de l'Académie de 1960 (t.1, p.27) privilégie un traitement sémantique par rapport à un traitement syntaxique: "le pronom possessif réfléchi svoj indique l'appartenance à la personne qui fait l'action; le nom de cette personne peut jouer dans l'énoncé le rôle de sujet ou de complément". Ex:
(9) Ja berus svoju knigu
(10) Vas prosjat vzjat' svoju knigu.
Néanmoins, ici non plus, aucun critère, n'est donné en cas de conflit entre l'attribution de l'appartenance au sujet ou au complément.
L'incertitude est encore plus grande dans la Grammaire de l'Académie de 1980 (t.1, p. 536) : "le sens réel [= la référence] du pronom réfléchi sebja correspond généralement à celui du sujet:
ja kupil sebe knigu
mais peut aussi ne pas y correspondre:
(11) ja znal ljudej vsegda dovol'nyx soboj
(12) Podumaj o ljudjax, ne zˇalejusˇcˇix sebja dlja drugix.
Ainsi les Grammaires de l'Académies se réfugient dans l'aléatoire: leur perspective strictement descriptiviste vise à l'exhaustivité, mais ne peut rien expliquer.
Les traités de stylistique, quant à eux, déplorent l'ambiguïté de telles constructions et proposent de les éviter, en employant des "substituts syntaxiques". Rozental' (p. 220) traite l'exemple suivant:
(13) Direktor predložil sekretarju otnesti polučennuju korrespondenciju k sebe [Le directeur a proposé au secrétaire de (porter) le courrier chez lui[3]].
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Rozental' propose un traitement normatif : le pronom réfléchi doit renvoyer à l'AGENT de l'action concernée: l'action du directeur est "proposer", celle du secrétaire est "emporter". Or la suite k sebe est syntaxiquement dépendante du dernier verbe (otnesti), le pronom réfléchi doit donc renvoyer au nom sekretar' . Il. s'agit d'un raisonnement fondé à la fois sur la notion de référence et celle de parties du discours: on repère un "verbe", qui doit (raisonnement logico-normatif) représenter une "action", puis on cherche l'auteur de cette "action".
Pour éviter l'ambiguité, Rozental' recommande d'employer des "substituts syntaxiques":
(13-a) Direktor predložil, čtoby sekretar' otnes polučennuju korrespondenciju k nemu (= k direktoru)
(13-b) Direktor predložil, čtoby sekretar' otnes polučennuju korrespondenciju k sebe (= k sekretarju)
On fait ainsi remonter une relation prédicative enchâssée en position de proposition subordonnée, où le système est entièrement verbal, ce qui fait lever l'ambiguïté, Mais c'est penser le problème comme résolu au départ : on sait ce qu'il y a "au départ", on se place en perspective de génération, ce qui n'est d'aucune aide pour résoudre les problèmes d'interprétation. Notons en outre que les deux constructions sont loin d'être synonymes: la tournure à l'infinitif implique que le directeur s'adresse directementau secrétaire, alors que la tournure avec la subordonnée peut admettre un intermédiaire, c'est à dire une interprétation factitive : « le directeur a fait apporter... par le secrétaire»).
Il me semble que F. Papp (1970, p. 320-322 ) se rapproche de la solution du problème avec la notion de « quasi-proposition ». Il propose d'abord un découplement explicite des notions de sujet grammatical et sujet logique, en un traitement où fonctionnent la notion formelle de proximité et la notion sémantique de "sujet pour le sens" (smyslovoj sub"ekt):
"svoj renvoie au sujet sémantique le plus proche tandis que ego, ee, ix renvoient au sujet sémantique le plus éloigné". Ex:
(14) Pojavlenie ètoj kritiki pomoglo pisateljam lušče ponjat' svoi zadači, svoju otvetstvennost' pered narodom, kotoryj učilsja na ix proizvedenijax.
(notons un fonctionnement inverse en polonais:
Pojawienie sie˛ tej krytiki pomog?o pisarzom lepiej zrozumiec´ ich zadania, ich odpowiedzialność wobec narodu, który uczył się z ich dzieł.)
Papp note que le sujet grammatical est pojavlenie, mais que le sujet sémantique le plus proche est pisateli.
De même, dans
(15) Po vospominanijam ego učitelel, Gagarin byl priležnym učenikom
[D'après les souvenirs de ses professeurs, Gagarine était un élève appliqué]
le sujet grammatical est Gagarin, mais le sujet sémantique le plus proche est učitelja. Papp est très proche de la notion de relation prédicative enchâssée lorsqu'il écrit que vospominanija učitelej est "comme" une proposition complète, mais transformée en une tournure substantivale; dans cette proposition vospominanija est le prédicat, učitelja est le sujet, et le pronom possessif, qui fait partie de la structure de cette "quasi-proposition" [počti-predloženie], ne renvoie pas à son sujet.
Ce début de raisonnement par structures profondes permet de penser l'enchâssement syntaxique.
III/ Relations prédicatives enchâssées: nom ou verbe?
Le linguiste léningradois V.V. Bogdanov s'attache depuis de nombreuses années à définir les particularités de ce qu'il nomme la "prédicativité secondaire" (vtoričnaja
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predikativnost'), prédicats dépendants, enchâssés dans un autre prédicat, de rang supérieur (prédicativité primaire). Il étudie le décalage qui existe entre ces deux types de relations prédicatives, en analysant notamment les phénomènes liés aux situations intermédiaires entre le verbe et le nom (Bogdanov-74, p. 22).
Ainsi dans ces zones intermédiaires on peut trouver les prédicats enchâssés suivants: infinitif sans article (ISA), inf. à article (lA)[4], gérondif angl. (Ga), nom d'action (NA):
V ------------------------------>N
ISA lA Ga NA
Selon Bogdanov le schéma montre que dans toutes les langues les infinitifs sont plus proches des verbes que les noms d'action et le gérondif, qui sont plus plus proches du nom.
Pour intéressant et novateur qu'il soit, il me semble que ce jugement mérite d'être nuancé. Une étude comparée des langues romanes (plus le latin) et des langues slaves le montre aisément.
Remarquons avant d'aller plus loin que selon son degré d'enchâssement une relation prédicative va subir plus ou moins de modifications, dont la plus importante est sans doute la possibilité de non expression du sujet, ce qui dans les langues indoeuropéennes n'est pas sans conséquences pour la définition même de la notion de relation prédicative. Le travail d'interprétation, c'est à dire de reconstitution de ce sujet est loin d'être reconnu par toutes les écoles comme une tâche appartenant à la linguistique.
Un exemple devrait néanmoins attirer l'attention sur l'urgence de cette tâche:
(16) Les psychiatres chinois n'accordent que peu d'intérêt à la psychanalyse, dont ils avouent souvent la méconnaissance (Le Monde 22/07/87 p. 15)
On est obligé ici de reconstituer un sujet de "méconnaître", coréférent à celui du verbe introducteur. En revanche, si on avait la suite:
.... dont ils reconnaissent néanmoins l'intérêt
le schéma serait totalement différent: on n'a pas à faire intervenir un sujet de relation prédicative (à moins de s'engager dans le débat classique consistant à se demander si le SN (N1 de N2) "l'intérêt de X" recouvre une RP de type: « X a de l'intérêt »).
Il me semble que l'emploi du réfléchi dans les structures dépendantes est un moyen d'accès à ce qui dans les langues slaves estle plus caché, le plus invisible: le "sujet" de la nominalisation et le "sujet" de l'infinitif[5].
Parler de "sujet" d'un infinitif est une position très controversée. Pour V.V. Vinogradov (1972, p. 511), par exemple, l'infinitif a justement ceci de particulier qu'il se trouve "à la périphérie du verbe".
Vinogradov définit la verbalité par la présence du sujet et fait un parallélisme strict entre verbalité et prédicativité. En revanche, exactement à la même époque (1945-1947), I.I. Meščaninov propose de séparer très nettement la prédicativité de la verbalité (Meščaninov, 1982, p. 7-44).
Le fonctionnement du réfléchi dans les langues slaves permet de construire une argumentation pour défendre l'idée de l'existence possible d'un sujet dans une relation prédicative dépendante. Il permet également de discuter l'hypothèse que fait Bogdanev sur le passage progressif du verbe au nom, dans lequel l'infinitif devrait être plus près du verbe et la nominalisation plus près du nom.
Depuis l'époque d'Aristote il est convenu d'opposer le verbe au nom comme deux catégories discrètes, clairement distinctes, dont seule l'une d'elles, le verbe, se distingue
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par sa capacité à prédiquer.
Or ce n'est pas si simple. Que faire des formes intermédiaires (nominalisations, infinitifs, participes ... )? Peut-on les ranger de façon discrète dans l'une ou l'autre des catégories N/V? ou bien doit-on établir un passage continu N<-->V? Comment alors déterminer leur degré de proximité de N ou de V , leur place sur cette échelle de la polarité verbe-nominale?
Je ferai l'hypothèse qu'on peut définir la tendance d'une relation prédicative secondaire à fonctionner comme un verbe ou comme un nom selon le comportement des anaphoriques et des relations de coréférence.
J'utiliserai une représentation en termes de grammaire de dépendance (et non de constituants immédiats), représentation assez grossière, mais pour l'instant suffisante pour rendre compte des niveaux d'enchâssement. La base en est la représentation d'une relation prédicative, de type aRb (et non de type S/P), telle que le modèle de Tesnière, par exemple.
Ex.
(17) On čitaet svoju knigu
Je propose de distinguer un « système de type verbal », où la relation prédicative enchâssée fonctionne comme une subordonnée, c'est à dire avec des relations anaphoriques de proposition indépendante, et un « système de type nominal », où les relations anaphoriques fonctionnent comme s'il n'y avait pas enchâssement d'une relation prédicative dans une autre. Mais le terme d'enchâssement n'est pas très heureux. Il sous-entend qu'il y ait eu une action d'enchâsser préexistant à la réalisation de l'énoncé terminal. Le terme de dédoublement me paraît plus approprié, par son analogie avec la division cellulaire en biologie. A un certain moment, par séparations successives d'éléments constituants il y a apparition d'une cellule entièrement nouvelle, indépendante de la première. Mais entre zéro et 1 on observe toute une série de situations intermédiaires, avec par exemple déjà deux noyaux mais encore une seule membrane. Cette analogie a le mérite de rappeler l'importance de l'ordre des opérations: on ne prend pas deux cellules indépendantes pour les mettre ensuite l’une dans l'autre, il y a au contraire séparation progressive. De même ici faut-il abandonner la vision logiciste d'une composition d'unités indépendante qui s'enchâsseraient (subordination) ou se combineraient (coordination), et partir de la phrase réelle et déterminer le degré de formation d'une nouvelle relation prédicative.
(18) Ona znaet, čto on čitaet svoju / ee knigu
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Ici la relation prédicative secondaire a un fonctionnement entièrement verbal, comme relation prédicative primaire du point de vue des relations de coréférence.
En revanche, dans:
(19) On vidit soseda s ego / so svoej sobakoj
bien que la situation ne soit pas très nette, la plupart des informateurs s'accordent pour dire que le SN sosed s (ego/svoej) sobakoj fonctionne comme un simple SN qui ne recouvrirait pas une relation prédicative, c'est à dire que son « sujet » n'a aucune indépendance, indépendance qui serait marquée par les relations anaphoriques d'une relation prédicative autonome:
Ce type de fonctionnement rappelle celui du latin, c'est celui qu'on trouve dans un infinitif tel que:
(20) Zamengof predložil jazykovomu komitetu votirovat' svoj proekt v celom.
La situation semble inverse en serbo-croate: d'après nos informateurs:
(19-a) On vidi suseda sa njegovim psom=renvoie à celui qui voit;
/ ... sa svojim psom=renvoie au voisin
J.C.Milner (1982, p. 236 sqq) a montré que l'emploi du réfléchi latin dans les subordonnées s'expliquait par le fait que ces dernières devaient être considérées comme toutes énoncées du même point, reconnu comme sujet de la principale. S'appuyant sur les travaux d'A. Banfield (1973) il propose de dire que « toute arborescence de phrases est rapportable à un point d'énonciation unique, déterminant la référence des pronoms de dialogue, des adverbes de lieu, des temps verbaux, etc, » (Milner, 1982, p. 236).
Les données des langues slaves viennent, semble-t-il, compliquer et enrichir cette approche énonciative. En particulier, si le réfléchi est une « anaphore du sujet » (ib., p. 227), le réfléchi des langues slaves nous amène à poser la question : « le sujet de quoi?, de quel niveau de relation prédicative? »
On peut ainsi remettre en cause la vue fixiste, la hiérarchie stricte qu'établit V.V.Bogdanov dans le passage des catégories verbales aux catégories nominales.
En particulier il conviendra de parler d'un double type de fonctionnement.
Ainsi, s'il y a coréférence avec le sujet de la relation prédicative secondaire, on dira que
(21) Katja prosit Mašu vojti v svoju komnatu
a un fonctionnement de type verbal, alors que
(22) Katja prosit Mašu vojti v ee komnatu
a un fonctlonnement de type nominal.
Il s'agit là d'exemples inventés, mais en voici d'authentiques, dans lesquels le contexte ou la vraisemblance donnent des indications sur l'interprétation à donner aux relations de coréférence:
a) fonctionnement d'une relation prédicative secondaire en système verbal:
(23) sueverija mešajut ljudjam projavit’ svoi tvorčeskie sily
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(fonctionnement inverse en polonais:
Przesa˛dy przeszkadzaja˛ ludziom ukazac´ ikh tworcze siły).
b) fonctionnement d'une relation prédicative secondaire en système nominal :
(24) On razrešil ispol'zovat' svoju perepisku s N.Ja.Marrom (Mixankova: N.Ja.Marr)
(identique en polonais:
Pozwoli? wykorzystac´ swoja˛ korespondencje z N. Marrem
(25) Ne nastol'ko že Rèba glup, čtoby nadejat’sja zastavit' Budaxa rabotat’ na sebja? (Strugatskie A. i B. : Trudno byt' bogom).
Ce groupe de verbes, de type razrešit', zastavit’, a été noté par J. Fontaine (1983, p. 247) comme ayant un fonctionnement de type modal quand ils sont suivis d'un infinitif, et donc comme n'entraînant pas l'indépendance d'une relation prédicative secondaire. Mais il y a bien d'autres verbes qui fonctionnent de la sorte:
(26) On byl tak izmučen, čto daže ne mog pomoč' ej razdet' sebja (A. & B. Strugackie : Trudno byt' bogom) (dans le roman le contexte ne fait pas de doute: c'est elle qui le déshabille).
(fonctionnement, semble-t-il, impossible en serbo-croate et en polonais:
On je bio tako malaksao da nije mogao da joj pomogne da ga svuce
Byl tak zme˛czony, z˙e nie mog? jej pomóc rozebrac´ go).
(27) Vy pozvolite mne poseščat' sebja (Dostoevskij, Uniž. i oskorbl.)
— La nominalisation.
II est remarquable que les grammaires citées plus haut n'envisagent de problèmes Iiés au réfléchi que dans le cas des infinitifs. Pourtant les nominalisations présentent des difficultés tout à fait similaires quant à l’emploi des réfléchis. Ici encore un point d'achoppement est la reconnaissance du cadre à l'intérieur duquel se déploie la relation prédicative. Autrement dit : qu'est-ce qu'une phrase? Ainsi pour Šanskij (1988, p. 351), « le plus souvent svoj indique I'appartenance à une personne ou à un objet désigné par le sujet de la même phrase; plus rarement désigné par le complément ». Et il donne un exemple de nominalisation (sans que le terme même soit employé):
(28) ja prisutstvoval na vstreče byvšix škol’nikov so svoimi učiteljami.
Or ici encore le problème n'est pas que svoj renvoie à un « complément » de la proposition, mais bien plutôt au « sujet » de la relation prédicative secondaire, qui se
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présente dans ce cas sous la forme d'une nominalisation.
Ici comme pour le cas de l'infinitif on distinguera des relations prédicatives secondaires qui fonctionnent, du point de vue du réfléchi, comme des noms ou comme des verbes. Dans le premier cas la relation prédicative est en état de gestation, dans le second elle est véritablement détachée, elle a acquis son autonomie : la « division cellulaire » est presque parvenueà son terme.
a) plus proche de V:
Ex:
(29) Gosudarstva-učastniki budut blagoželatel’no rassmatrivat’ pros’by o poezdkax s cel'ju razrešenija licam v"ezda na ix territoriju ili vyezda s nee na vremennoj i, esli ètogo poželajut, reguljarnoj osnove dlja vstreč s členami svoix semej (Accords d'Helsinki)
(cas inverse en serbo-croate puisqu'on a une subordonnée:
Države učesnice c´e blagonaklono razmatrati molbe za put u cilju da se dozvoli osobama da prdju na svoju teritoriju ...;
mais fonctionnement identique en polonais avec un participe :
Pan´stwa cz?onkowskie be˛da˛ przychylnie rozpatrywac´ wnioski wizowe i paszportowe, zezwalaja˛c osobom pragna˛cym odwiedzic´ cz?onków swoich rodzin na pobyt na ich terytorium oraz na wyjazdy csasowe, a jeśli się oto zwrocą, także na wyjazdy wielokrotne.
Le fonctionnement du réfléchi permet ainsi de faire apparaître différents « sujets » de relations prédicatives secondaires. Dans:
(30) STAŽ: Srok, v tečenie kotorogo vnov' postupivšie rabotajut dlja priobretenija opyta v svoej special'nosti, dlja ocenki ix sposobnostej. (dict. d'Ožegov),
on voit clairementque dans la première nominalisation il y a coréférence entre le possesseur de special’nost’ et le "sujet" de priobretenie, alorsque dans la deuxième il n'y a pas coréférence entre entre le possesseur de sposobnosti et le "sujet" de ocenka: il y a apparition d'un autre sujet. Que celui-ci soit rigoureusement indéterminé, innommable, est un autre problème: il a néanmoins laissé une trace de sa présence, repérable par le non-réfléchi ix.
(id. en polonais avec un infinitif:
Staz˙: okres, w którym nowoprzyje˛ci wykonuja˛ prace dia nabycia praktycznego dos´wiadczenia w swojej specjalności, dIa oceny ich umiejętności).
Les exemples suivants confirment la présence d'un "sujet" invisible dans la relation prédicative secondaire, dont on ne peut repérér qu'une trace: la présence du non-réfléchi:
(31) V predloženijax takogo roda [...] govorjaščij kak by predpolagaet nekotoruju vozmožnuju zatrudnitel'nost' v vypolnenii ego pros'by (nouveau sujet de vypolnenie);
(32) Každyj obvinjaemyj imeet pravo [...] na vyzov i dopros ego svidetelej (DécI. univ. des droits de l'homme) (le sujet de vyzov et dopros est différent du sujet du verbe fini imeet).
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Une façon de rendre en français cet effacement d'un sujet est la tournure passive:
"Tout accusé a droit à ce que ses témoins soient convoqués et interrogés",
mais dans ce cas il ne subsiste, à la différence du russe, aucune trace de ce sujet.
(33) každomu, kto lišen svobody vsledstvie aresta, prinadležit pravo na razbiratel'stvo ego dela v sude.
b) plus proche de N :
En revanche il existe des cas où la nominalisation fonctionne comme un nom, et où la présence d'un non-réfléchi ne peut pas être considérée comme la trace d'un nouveau sujet :
(34) On stremilsja uznat' prošloe svoego naroda, čtoby po okončanii universiteta sposobstvovat' razvitiju interesa gruzin k ix jazyku... (Mixankova: N.Ja.Marr).
(35) Žurnalisty ne mogut podvergat'sja vydvoreniju ili inym obrazom nakazyvat'sja v rezul'tate zakonnogo osuščestvlenija ix professional'noj dejatel'nosti (Accords d'Helsinki)
(fonctionnement inverse en polonais et en serbe-croate:
Dziennikarzy nie wolno poddawac´ ekstradycji ani karac´ w z˙aden inny sposób za wykonywanie zgodnie zprawem swoich obowiąsków zawodowych;
Novinari se ne smeju podvrgavati merama izgona, niti na bilo koji drugi nacˇin kaznjavati u vezi s rezultatom zakonskog upraznjavanja svoeje profesionalne delatnosti.
(36) Ukazyvaja na protivopostavlennost' ego sobstvennogo strukturalizma Kopengagenskomu, G. Gijom pisal: ...
(37) On často upominal E.D.Polivanova i otmečal ego vlijanie na sebja.
(38) Gosudarstva-učastniki imejut v vidu uveličivat' vozmožnosti ličnogo obščenija žurnalistov s istočnikami ix informacii (accords d'Helsinki)
(de même en serbo-croate:
Države učesnice imaju u vidu da poboljašavaju moguc´nosti ličnog opštenja novinara sa izvorima njihovih informacija;
et en polonais:
Pan´stwa cz?onkowskie do?oz˙a˛ staran´, aby zwie˛kszyc´ indywidualne moz˙liwos´ci doste˛pu dzlennikarzy do (ich) żródeł informacji).
Néanmoins le dédoublement de «sujets» d'énoncés enchâssés l'un dans l'autre ne suffit pas à expliquer certains fonctionnements du réfléchi en russe. Ainsi dans :
(39) Otnošenie političeskoj partii k ee ošibkam est' odin iz […] kriteriev ser'eznosti partii i ispolnenija eju na dele ee objazannostej k svoemu klassu […] (Lénine)
il faut introduire un dédoublement des «sujets» en sujet de l'énoncé et sujet de l'énonciation, ce dernier prenant en charge, d'un point de vue extérieur à l'énoncé, la relation de co-référence entre partija et ošibki.
(Ce dédoublement, en revanche, semble ne pas se produire en serbo-croate:
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Odnos političke partije prema svojim greškama je jedan od kriterijuma njene ozbiljnosti i njenog stvarnog ispunjavanja svojih obaveza prema svojoj klasi
ni en polonais:
Stosunek partii politycznej do swoich błędów jest jednym z kryteriów powagi partii oraz (oceny) faktycznego wykonywania przez nią obowiązków wobec swojej klasy).
De même dans:
[...] Lektor CK po meždunarodnym voprosam, ona tščatel’no gotovilas' k vystuplenijam, perevodila, po ee slovam, kazennuju galimat'ju na čelovecˇeskij jazyk (Rybakov, 25-yj i drugie gody).
po ee slovam est "détaché", ne dépend pas du sujet de la relation prédicative primaire. Si l'on admet la notion de "point de vue", il faudra dire que ce groupe de mots est une incise, envisagé du point de vue du sujet de l'énonciation et non de celui du sujet de l'énoncé.
(il en va de même en polonais:
... starannie przygotowywa?a sie˛ do wysta˛pien, tlumaczy?a, wedlug jej slów, oficjalno gmatwaninę na ludzki język).
Enfin en russe, dans le cas de la nominalisation, une hiérarchie est établie entre le sujet grammatical (podlezaščee) et le sujet logique (sub'jekt): ce dernier prime sur le premier pour la détermination des relations de coréférence
(40) dlja nego [...] dorogi [...] interesy svoego naroda
(à l'inverse, en polonais:
drogie mu sa˛ sprawy jego narodu).
Il en va de même en latin dans les constructions impersonnelles:
(41) Eum paenitet erroribus suis (il se repent de son erreur)
Enfin il faut noter que même un sujet logique inanimé (ici: èpicentry) peut avoir la préséance sur un sujet grammatical (ici bor'ba) :
(42) postojanno proisxodit bor'ba èpicentrov za rasširenie svoego vlijanija.
A partir de là on peut observer le fonctionnement de certaines constructions prédicatives secondaires et déterminer leur degré d'autonomie, qui diffère grandement selon les langues slaves.
— Le passif
Tous les cas de mise à l'écart du sujet logique en russe semblent s'accompagner de la possibilité d'en retrouver des traces. Notons qu'il peut en aller de même en français dans certains cas-limite: .
(43) Le concierge du comte a été arrêté peu après son maître et rompu à coups de barre de fer dans l'espoir d'en obtenir des aveux (M. Yourcenar, L'œuvre au noir).
Ici aucun complément d'agent n'est exprimé, mais on doit néanmoins postuler sa présence, sans laquelle "dans l'espoir" n'est pas expliquable.
De même dans:
(44) Sait-on également que pour écouler un certain vin du Sud Ouest les viticulteurs de l'Algérie française furent contraints — par une loi française — d'arracher 10% de leurs vignes [...]? (Nouvel Observateur, N°1182. 3-9/07/87, p. 34)
on doit postuler une coréférence entre le sujet de l'infinitif écouler et l'agent (inexprimé) du passif...
En russe lorsqu'il y a disparition du sujet logique, tout continue à fonctionner comme s'il y avait conservation, par exemple au passif, ce qui implique l'emploi de svoj au nominatif:
[152]
(45) Svoe mnenie po ètomu voprosu nami izloženo v stat'e...;
alors qu'en polonais cette construction est impossible:
Nasz pogląd na tę kvestię został wylożony przez nas w artykule...
Les conflits d'emploi du réfléchi et du non-réfléchi révèlent des différences dans la façon d'envisager le point de vue à partir duquel seront construits les repères de coréférence. Ainsi en russe l'infinitif passif peut être envisagé à partir du repérage (ou de la "distinction", dans les termes de J.C. Milner) de l’agent du passif:
(46) Každyj obvinjaemyj imeet pravo byt' sudimym v ego prisutstvii (Décl. univ. des droits de l'homme),
alors que dans d'autres langues slaves c'est au contraire le sujet grammatical du verbe introducteur de l'infinitif passif qui sera distingué:
s.-cr.: Svaki optuženik ima pravo da bude sudjen u svom prisutstvu
tch.: Každý obviněný ma právo být souzen ve své přítomnosti
pol.: Kaz˙dy oskarzony ma prawo byc´ sa˛dzony w swojej obecności.
En russe le fonctionnement inverse est possible:
(47) Každyj rebenok dolžen byt' zaregistrirovan nemedlenno posle svoego roždenija (DécI. Univ.)
(ici ce n'est pas l’agent de zaregistrirovat' qui est distingué, mais le sujet grammatical du prédicatif introducteur dolžen).
C'est également une question de point de vue sur la distinction du terme de référence qui permettra d'opposer un fonctionnement verbal, dans lequel c'est l'agent du passif qui est distingué (même si on n'en a aucune trace formelle):
(48) rabstvo i rabotorgovlja zapreščajutsja vo vsex ix vidax (DécI. univ. des droits de l'homme)
et un fonctionnement nominal, où c'est le sujet grammatical du prédicat introducteur qui est distingué:
(49) ni odno lico ne dolžno bez svoego soglasija podvergat'sja medicinskim ili naučnym opytam (Décl. univ.)
III/La polarité verbo-nominale: continuisme ou catastrophe?
Le passage des étapes sur l'axe de la polarité verbo-nominale semble marqué par des comportements anomaux. En particulier les diverses unités qu'il est convenu d'appeler les "formes nominales du verbe" peuvent avoir, du point de vue des relations anaphoriques, un comportement qui les rapproche soit du verbe soit du nom.
On peut y voir une évolution diachronique de la langue russe. C'est ce que fait notamment J. Fontaine (1983, p. 247). qui oppose l'usage de la "langue classique" et de la "langue moderne", cette dernière se démarquant de la première par des "syntagmes en voie d'isolement propositionnel" (p. 248). Néanmoins les exemples données plus haut incitent à la prudence: l'explication diachronique ne rend pas compte de tous les cas de figure.
Seule une étude statistique fournie permettrait de trancher.
Il me semble préférable de poser le problème global des relations prédicatives secondaires comme une zone de turbulence, non stabilisée, sur l'axe de la polarité verbo-nominale.
Le schéma qui me semble le mieux rendre compte de cette "turbulence" est celui de la théorie des catastrophes de R. Thom: ni continuité ni rupture, le passage de V à N est un passage chaotique, par à-coups, où le moment de bascule d'un côté à l'autre est marqué par des va-et-vient, des soubresauts, situation particulièrement instable de transit entre les deux catégories opposées que sont le verbe et le nom.
[153]
La théorie des catastrophes utilise les métaphores du pli et de la fronce: une discontinuité a lieu, le système passe brusquement d'un état à un autre (cf. Petitot, 1982 et 1989). Mais ce n'est pas le simple franchissement d'une frontière: la tension s'accroit à mesure qu'on approche de la frontière, il y a un risque d'ambiguïté, de double fonctionnement, un vacillement, un déséquilibre. La situation ne redevient vraiment stable qu'aux extrémités de l'opposition.
Ce qui est curieux est qu'apparemment il n'y ait pas de différence entre l'infinitif et la nominalisation, alors qu'il semble y en avoir une entre le pronom sebja et l'adjectif svoj. De son côté, chaque langue slave a son propre système de tolérance, son propre type de fronce, sa forme de pli, l'amplitude de sa courbure.
Tant qu'on ne dispose pas de données statistiques importantes (en particulier en matière de diachronie), on ne peut faire plus que constater la turbulence, dire qu'elle est peu prédictible. Il serait intéressant en particulier de vérifier s'il y a une tendance diachronique à l'autonomisation de relations prédicatives nouvelles à l'intérieur d'autres, de rang supérieur, et quelles sont les raisons de cette autonomisation. On pourrait en tirer des conclusions intéressantes sur les différentes possibilités de dédoublement de sujets (grammatical/logique d'une part, sujet de l'énoncé / sujet de l'énonciation d'autre part). J'ai voulu ici avant tout présenter un cadre de représentation qui puisse permettre de rendre compte du phénomène du passage N <-> V, mis en évidence à partir des problèmes d'accord et de co-référence.
Conclusion
A partir de là un certain nombre de questions se posent. L'abondance de relations prédicatives secondaires est-elle propre à un style, un type d'écriture, un texte, ou bien est-elle un fait de la langue elle-même? La première hypothèse est soutenue par Bogdanov (1981, p. 10), la seconde par J. Fontaine (1983, p. 248).
Mais la concurrence d'emploi du réfléchi / non-réflechi nous a également permis de mettre en évidence le fait que l'enchâssement syntaxique entretenait un rapport étroit avec l'hybridité énonciative, ce découplement du sujet de l'énonciation d'avec le sujet de l'énoncé, mise à distance de la parole d'autrui dans un texte.
Enfin, d'un point de vue syntaxique, il faut remarquer que toutes les relations prédicatives secondaires où est possible la concurrence entre le réfléchi et le non-réfléchi ont ceci en commun qu'elle permettent I’effacement du sujet grammatical. Mais, à la place
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d'effacement, il serait sans doute plus correct de dire que la relation prédicative enchâssée ne provient pas d'une relation prédicative finie, lisible directement en surface, mais de quelque chose de plus abstrait, où il n'y a pas de sujet grammatical, mais une notion telle que AGENT. Ce niveau plus abstrait serait l'origine de dérivation commune aux relations prédicatives aussi bien primaires que secondaires, dont rend parfaitement compte un type de représentation comme la lexis d'A. Culioli.
La grammaire cachée est plus importante, plus réelle, que l'immédiateté visible de la surface.
Bibliographie
- BANFIELD A. (1973): "Le style narratif et la grammaire des discours direct et indirect", Change, n°16-17, p. 188-226.
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- BOGDANOV V.V. (1981): "Rol' vtoričnoj predikativnosti y postroenii svjaznogo teksta", dans Semantika i pragmatika sintaksičeskix edinstv, Kalinin, p. 5-13.
- BOGDANOV V.V. (1977) : Semantlko-sintaksičeskaja organizacija predloženija, Leningrad, LGU, p. 98-104.
- MEŠČANINOV I.I. (1982): Glagol, Moscou (Ière édition: 1945).
- MILNER J.C.: Ordres et raisons de langue, Paris, Seuil, 1982.
- PAPP F. et al. (1970): Kurs sovremennogo russkogo jazyka, Budapest.
- PETITOT J. (1982): "Sur la signification linguistique de la théorie des catastrophes", Mathématiques et sciences humaines, n° 79.
- PETITOT J. (1989): Logos et théorie des catastrophes (A propos de l'œuvre de R. Thom), Paris, Patino.
- ROZENTAL' D.E., TELENKOVA M.A. (sans date): Praktičeskaja stilistika russkogo jazyka, M.
- ŠANSKIJ N.M. (éd.) (1988): Sovremennyj russkij literaturnyj jazyk, Léningrad.
- VINOGRADOV V.V. (1972): Russkij jazyk, M. (1ère édition 1947).
[1] Du moins en va-t-il ainsi à la 3e personne. Aux 1ère et 2e personne il y a, certes, concurrence d'emploi du réfléchi et du non-réfléchi, mais sans aucune possibilité d'ambiguïté: cf. Ja vxožu v svoju / moju komnatu.
[2] c'est à dire où le réfléchi renvoie au sujet de la subordonnée et le non-réfléchi renvoie au sujet de la principale ou à une tierce personne.
[3] En français l'ambiguïté doit être levée par l'opposition entre emporter et apporter.
[4] V.V. Bogdanov travaille essentiellement sur l'anglais.
[5] Là encore, il s'agit bien d'un problème propre aux langues slaves: la situation est tout à fait différente en latin ou en portugais.