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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- Patrick Sériot : «Nations et nationalités en U.R.S.S./C.E.I.», in François Saint-Ouen (éd.) : Dictionnare international du fédéralisme, Bruxelles : Bruylant, 1994, p. 413-416.

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        On ne peut comprendre réellement les données du fédéralisme en U.R.S.S.* puis dans la C.E.I.* sans s’interroger au préalable sur la définition et la dénomination officielle des différents groupes humains peuplant le pays. Rappelons d’abord qu’il existe deux conceptions fort différentes de la nation. Une conception jacobine, issue des philosophies du contrat social (Rousseau), dans laquelle la nation est un projet politique, indissociable d’un Etat, reposant sur des bases volontaristes (c’est «un plébiscite de tous les jours» selon Renan), et où la langue n’est qu’un moyen d’unification politique. Et une conception romantique (Herder), pour laquelle la nation est une donnée de départ, reposant sur une communauté de langue et de culture, celles-ci représentant l’essence et l’âme de la nation. La nation en ce cas précède l’Etat et peut subsister sans lui. Dans la conception romantique la nation est un peuple un par essence, c’est une communauté, dans la conception jacobine la nation est une construction, une société (cf. l’opposition entre Gemeinschaft et Gesellschaft). L’opposition entre deux types de législation en Europe (Droit du sol/Droit du sang), fondée sur ces deux conceptions antithétiques, conditionne notamment les modes d’acquisition de la nationalité (France/Allemagne). Les mouvements révolutionnaires marxistes au début du XXe siècle en Europe se divisaient en marxistes «occidentaux», pour qui seule l’appartenance de classe déterminait les conduites et pensées de l’individu, et «orientaux» (Autrichiens et Russes), qui prenaient explicitement le paradigme national. Mais là encore un problème de définition opposait les pratiques politiques, les «austro-marxistes» (O. Bauer) ayant une conception non-territoriale de la nation, alors que les bolcheviks (du moins Staline), affirmaient que «la nation est une communauté humaine stable, historiquement constituée, née sur la base d’une communauté de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans une communauté de culture» (Staline, 1913). Dans cette définition célèbre chaque mot compte, en particulier la notion de stabilité (s’opposant au caractère transitoire de la nation pour Lénine) et de communauté de culture, inscrivant la conception de Staline dans la lignée des théories romantiques. Plus tard Staline insiste encore sur la nécessité de ne pas lier la nation et l’Etat (1929). On voit que les définitions ont des conséquences pratiques fort concrètes : pour les austro-marxistes les Juifs formaient une nation, même sans territoire propre, alors que pour Staline les Juifs ne pouvaient former une nation. Us n’obtinrent le statut de nation que lorsque leur fut attribué un territoire en Sibérie : le Birobidjan en 1937.
        La définition soviétique de la nation, fondée sur une conception évolutionniste de l’histoire, établissait une hiérarchie entre les «nationalités» (nacional’nosti) groupements humains sur la voie de la constitution en nation, et les «nations» proprement dites (nacii), déjà parvenues à un stade conforme aux quatre critères de Staline. De plus on opposait strictement en
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U.R.S.S. la citoyenneté (soviétique) et la nationalité (au sens d’appartenance nationale cette fois-ci) : russe, ukrainienne, ouzbéque, juive, tatare, polonaise, etc.). Les papiers d’identité de chaque citoyen mentionnaient obligatoirement cette «nationalité» (c’est le «cinquième point» des documents d’identité et des enquêtes administratives). La Fédération de Russie* a, jusqu’à ce jour, conservé entièrement ce double statut d’appartenance.

        Dates principales
        Pour former une fédération à partir d’un État, la Russie tsariste, qui n’était ni fédéral ni vraiment unitaire, il a fallu dans bien des cas, créer les entités qui devinrent ensuite les sujets de la fédération.
        En novembre 1917 est adoptée par le Conseil des commissaires du peuple la «Déclaration des droits des peuples de Russie» qui affirme, entre autres, «1) l’égalité et la souveraineté des peuples de Russie. 2) le droit des peuples de Russie à une libre autodétermination, allant jusqu’à la sécession et la formation d’un État indépendant». En fait se posait dès cet instant le problème crucial de la délimitation des groupes ethniques : comment faire la différence entre un peuple et une partie d’un peuple, en d’autres termes, comme délimiter les sujets de la fédération ?
        Le 10 juillet 1918 le Congrès des Soviets adoptait la première Constitution de la RSFSR (République soviétique fédérative socialiste de Russie, ou Fédération de Russie), la «nation» russe constituant 83 % de la population totale. La RSFSR comportait des entités de rang hiérarchique inférieur (qui n’avaient pas, elles, le droit de sécession) : 16 républiques autonomes, 10 régions nationales et 5 districts autonomes. De 1918 à 1921 furent créées, au même niveau que la RSFSR, les Républiques fédérées d’Ukraine, de Biélorussie, d’Azerbaïdjan, d’Arménie et de Géorgie, qui le 30 décembre 1922 furent réunies en un même État : l’U.R.S.S.. Cet État était une «Union» d’entités dont la hiérarchie administrative, allant du plus au moins d’autonomie, s’établissait comme suit : République fédérée / République autonome / Province autonome / Région autonome / Arrondissement autonome / Soviet de village autonome. Ce système d’entités gigognes, mis au point par Staline, introduisait des inégalités importantes de traitement entre les groupes ethniques selon le niveau de la hiérarchie où ils se trouvaient, indépendamment de leur taille (ainsi, les Kirghizes sont moins nombreux que les Tatars, mais ils ont le droit à un enseignement universitaire complet dans leur langue parce que que leur territoire est une république fédérée, alors que les Tatars n’ont pas ce privilège, puisqu’ils ne constituent qu’une république autonome). De même, la taille et le statut hiérarchique des entités de l’Union sont soumis à variation : ainsi la République autonome des Tatars de Crimée, une fois que les Tatars eurent été déportés en 1944 et, en tant que nation, privés de tous leurs droits, a vu son territoire «rétrogradé» au rang de simple province (oblast) qui, en 1957, a cessé de faire partie de la RSFSR pour être incluse dans l’Ukraine.
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        En 1945 la situation est la suivante : l’U.R.S.S. est formée de 53 entités administratives à base ethnique : 15 républiques fédérées, 20 républiques autonomes, 10 arrondissements autonomes, 8 provinces autonomes. C’est un «Etat multinational fédéral uni», creuset de la formation d’une nouvelle communauté historique, «le peuple soviétique».
        Les années de la perestrojka marquent une prise de conscience de la part des autorités pour les problèmes concernant la représentation de l’autonomie des «nations» de l’Union. Le Plénum du Comité central de septembre 1989 adopte une résolution sur la politique des nationalités, reconnaissant la nécessité d’élargir les garanties juridiques accordées aux entités de l’Union, et en particulier le statut de «membres souverains» de l’Union aux 15 républiques fédérées. L’année 1990 voit alors la promulgation de «lois sur la langue» dans les républiques, imposant comme langue officielle la langue de l’ethnie* dont la république porte le nom, ce qui cause de grandes inquiétudes pour les Russes (parfois presque majoritaires comme au Kazakhstan) qui y vivent. Mais la revendication d’entités territoriales à devenir des «sujets» va aboutir à un émiettement extrême : des régions peuplées de Russes hors de la RSFSR déclarent leur «indépendance» (la République de Transnistrie en Moldavie), parfois même des villes avec leur banlieue.
        Après le putsch d’août 1991, le pouvoir russe tenta, avant même la dissolution officielle de l’U.R.S.S., de faire renaître cet État, non plus comme une «Union», mais comme une «Communauté» d’«États indépendants». Le 8 décembre 1991, près de Minsk, un accord passé entre les Présidents des trois Républiques slaves (Russie, Ukraine, Biélorussie) fondait la «C.E.I.» qui, le 21 décembre lors de l’accord d’Alma-Ata, était augmentée des autres républiques à l’exception de la Géorgie et des Pays baltes.
        Mais bien vite les entités internes aux républiques allaient à leur tour revendiquer leur accession au rang de «sujets». Le 22 mars 1992 les Tatars de la République autonome qui venait de se baptiser «Tatarstan» approuvèrent à une très large majorité un référendum proposant que «le Tatarstan soit un État souverain, sujet de droit international, et qu’il développe ses relations avec la Russie ainsi qu’avec les autres États sur la base de traités réciproques».        
        La définition ethno-territoriale de la nation par Staline continuait de déployer ses conséquences, faisant passer les revendications des «Droits des peuples» avant celles des «Droits de l’homme» et avant une réflexion sur un projet démocratique.

         Bibliographie
Béhar Pierre, Une géopolitique pour l’Europe (Vers une nouvelle Eurasie ?), Paris, Ed. Desjonquères, 1992.
Carrère d’Encausse Hélène, La gloire des nations, ou la fin de l’Empire soviétique, Paris, Fayard, 1990.
Carrère d’Encausse Hélène, Le grand défi : Bolcheviks et nations, 1917-1930, Paris, Flammarion, 1987.
Kis Théophile I., Le fédéralisme soviétique, ses particularités typologiques, Ed. de l’Univ. d’Ottawa, 1973.
Lomme Roland, «Le fédéralisme soviétique et les ambiguïtés de l’«autonomie territoriale»», L’U.R.S.S. de Lénine à Gorbatchev, Bruxelles, GRIP, 1989.
Maurel Marie-Claude, «La fin de l’État territorial ou la jarre de Pandore», in Roux Michel, (éd.), Nations, État et territoire en Europe de l’Est et en U.R.S.S., Paris, L’Harmattan, 1992.
Staline J., Le marxisme et la question nationale, 1913.
Staline J., La question nationale et le léninisme, 1929.

         Corrélats
Ethnie ; Communauté des États Indépendants (C.E.I.), Russie (Fédération de), U.R.S.S..