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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы



- HISTOIRE EPISTEMOLOGIE LANGAGE, t. XVII, fasc. 2, 1995, p. 7-15.
Une familière étrangeté : la linguistique russe et soviétique
ISBN 2 910381 27 7



AVANT-PROPOS

Patrick SÉRIOT et Natalja BOCADOROVA


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Qu'est-ce qu'une «tradition nationale en linguistique»? comment en tracer les frontières? ces dernières sont-elles hermétiques ou poreuses? Et s'il existe une «tradition occidentale», une «pensée occidentale», comme semble le dire, par exemple, l'Encyclopédie philosophique universelle (PUF, 1989), alors se pose une question qui est rarement soulevée en ces termes ici, en Occident : la «pensée russe» en fait-elle partie, comme le pensent les Occidentalistes russes? ou bien représente-t-elle un «monde à part» dans le mouvement des sciences en Europe, comme l'affirment les Slavophiles?
Mais qu'est-ce alors que cette notion: une «tradition nationale en linguistique», qui ne ressemble ni à un paradigme de Kuhn, ni à une épistémè de Foucault? Serait-ce une «formation discursive nationale»? Si la «linguistique occidentale» et la «linguistique russe» [1] sont des variantes d'une même science, ont-elles le même objet? Parlent-elles de la même chose? Quels sont alors les moyens permettant la comparaison, la confrontation? Il nous semble qu'il faut s'en tenir à la notion de commensurabilité des «traditions», en dehors de laquelle aucun travail scientifique n'est possible.
C'est cette commensurabilité, ou commune mesure, que le présent recueil entend rechercher, non pour proposer un nivellement des approches et des terminologies, mais pour engager — enfin — un dialogue entre les deux extrémités de l'Europe, au moment où les murs — mais aussi les illusions d'unanimité — tombent.
Tous les articles de ce recueil assument, chacun à leur manière, l'enjeu qui leur était proposé : rendre lisible pour un lecteur francophone cette familière étrangeté, cette impression qu'on a de lire quelque chose qui aurait pu
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être dit par soi-même tout en étant différent, comme lorsqu'on revoit un parent éloigné qui réapparaît après une longue absence.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. La linguistique russe et / ou soviétique n'est pas une altérité absolue. On y retrouve des débats, des polémiques, des courants dont l'expression fait sens à nos yeux. Et en même temps il y a comme un décalage. Les dates, les contemporanéités ne correspondent pas toujours. Si l'on y regarde de près, on trouve des échos, des reprises, des malentendus, des retournements, des distorsions par rapport à l'histoire de la linguistique en «Occident». Le matériau étudié est souvent totalement inconnu des linguistes occidentaux : Baudouin de Courtenay et Kruszewski connaissaient le tatare comme on respire, Trubeckoj (Troubetzkoy) et Marr maîtrisaient un nombre impressionnant de langues caucasiennes, l'abkhaze tout particulièrement. Les questions prioritaires en Russie ne sont pas toujours les mêmes qu'en Europe occidentale (le rapport langue / pensée, les lois de l'évolution des langues, la notion d'intervention consciente dans la langue, l'activité normalisatrice, etc.).
S'agit-il alors d'une pensée aux marges de l'Europe, ou bien d'une autre Europe? Y a-t-il eu «sécession orientale de la civilisation européenne» [2], ou bien deux civilisations différentes? En fait, c'est peut-être au cinquième siècle de notre ère qu'il faudrait remonter, à ces premiers frémissements de ce qui deviendra après 1054 l'opposition irréductible de deux lectures de la chrétienté, «occidentale» et «orientale», deux variantes d'une même culture, deux «rédactions» d'une même tradition : byzantine et latine. Deux «mondes» dont on peut, au gré de ses désirs ou de la thèse qu'on va défendre, mettre en avant les ressemblances profondes ou bien au contraire souligner les insurmontables divergences. Deux mondes religieux, mais aussi philosophiques, artistiques, scientifiques, unis par une relation d'attirance et de répulsion.
Cette difficulté d'appréhension de l'univers scientifique de la linguistique russe et cette passionnante découverte de cette autre face de la culture européenne ont été le terreau d'où sont nés ces textes, qui viennent d'horizons fort divers : leurs auteurs sont français et russes, mais nulle délimitation tranchée ne saurait rendre compte des situations de marge, des appartenances mixtes, des itinéraires doubles : à quelle «culture» appartient un Russe de New-York, un Slovaque vivant en Suède, ou même un Français de Suisse? Au nom de quelle conception de la «tradition» parle un Ukrainien écrivant sur la «tradition slave» de la philosophie du langage? En fait, si le dialogue est
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possible, c'est parce que les «cultures» ne sont pas des ensembles clos, que les idées circulent par delà les frontières des Etats et les barrières des langues, et que l'isolationnisme épistémologique national [3] est un des aspects de la régression intellectuelle qui menace notre continent en cette fin de siècle.
Entre l'amalgame pur et simple, qui n'est qu'une forme d'ignorance, et le ressassement de l'idée de singularité absolue, qui n'est qu'une incantation, il y a place pour un travail, long et méthodique, de lectures des sources premières, de mise en perspective historique, bref, de comparaison.
Il faudrait d'abord planter le décor culturel, montrer l'importance du mythe de «Moscou troisième Rome» et du messianisme russe, il faudrait relire la relecture russe de l'idéalisme allemand, de Fichte à Hegel, en accordant une place toute particulière à Schelling (mais comment ne pas parler alors de Napoléon?). Il faudrait explorer les pages consacrées au lien entre la langue et le peuple dans le Journal d'un écrivain de Dostoevskij, dans La Russie et l'Europe de N. Danilevskij (1871), tout comme chez un écrivain soviétique comme Maksim Gor’kij ou un linguiste professionnel comme V. Vinogradov.
Il serait nécessaire aussi de comparer non plus seulement le discours sur la langue en Europe occidentale et en Russie, mais aussi les historiographies de la linguistique. Il y a eu en URSS une histoire de la linguistique vue comme un progrès linéaire, comme une accumulation du savoir, comme si la discipline linguistique était apparue toute constituée dès les premières traductions du grec byzantin en slave de l'est. On pourrait alors se demander pourquoi c'est le modèle continuiste, accumulationniste qui a été le plus prégnant dans l'URSS de la «stagnation». Mais il y a eu également des oppositions farouches et irrémédiables dans ce pays qui fut sans doute le seul pays au monde qui a fusillé ses linguistes, à la fin des années trente, à cause de leur définition de la langue.
Même si ce qui précède n'est que l'ébauche d'un programme de recherche, on peut dès à présent donner quelques jalons permettant de baliser le territoire à explorer, du moins en ce qui concerne les rapports de continuité et discontinuité entre la linguistique russe et «occidentale».
Avant le XVIIIème siècle et les réformes de Pierre le Grand la «tradition» russe dans le domaine des sciences du langage faisait partie intégrante de la tradition grecque chrétienne orientale, qui rejetait la réflexion rationaliste. A partir du XVIIIème siècle au contraire on assiste à une occidentalisation de la
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pensée linguistique en Russie, à l'apparition d'un «espace mental» continu entre l'Europe occidentale et la Russie. C'est à ce moment qu'apparaissent en Russie les premières grammaires générales.
La période romantique est contemporaine de l'intérêt grandissant pour l'«esprit national» dans la langue. Elle donne naissance au mouvement slavophile, synthèse délicate d'un «complexe germanique» et de l'affirmation de la singularité absolue de tout ce qui est russe, y compris les formes de la langue.
A la fin du siècle F. Fortunatov absolutise la notion de forme, dans sa relation à la «mentalité linguistique» formée chez les locuteurs du russe par une langue synthétique à morphologie fortement développée. Pourtant une ligne plus «occidentale» s'ébauche … à l'Est du pays, chez les Polonais de Kazan (Baudouin de Courtenay et Kruszewski), qui formaient bien une même communauté scientifique avec leurs collègues occidentaux (Saussure).
Les relations deviennent paradoxales avec les linguistes émigrés des années 20 et 30 (Jakobson, Trubeckoj) qui, persuadés eux aussi de la singularité absolue de la science russe, ont très vite trouvé leur place dans la linguistique «occidentale», au point d'y exercer une influence prépondérante. La linguistique structurale porte ce double sceau, marquée par l'apport du formalisme et du «systémisme» des Russes de Prague. Mais c'est aussi grâce à l'émigration que l'extraordinaire essor de la pensée linguistique et philologique de l'avant-garde en Russie, qui avait commencé quelques années avant la première guerre mondiale, a pu se poursuivre et ne pas tomber complètement dans l'impitoyable répression de toute pensée indépendante dans l'URSS stalinienne. Pourtant, même dans ces conditions effroyables au point de vue politique, une vie scientifique se maintenait, dans des formes mal connues en Occident. On connaît certes en Occident l'école de M. Baxtin (Bakhtine). Mais il y en a bien d'autres. De façon assez indépendante du discours politique dominant se développait dans les années 20 et 30 une épistémologie originale, annonciatrice de la pensée globaliste chère à la future écologie (cf. les recherches sur l'influence des facteurs géo- et cosmo-biologiques sur la pensée scientifique, la notion de «noosphère» chez V. Vernadskij). Le continuum conceptuel avec l'Occident était certes fort distendu. Pourtant à aucun moment le fil n'a été irrémédiablement rompu. Même dans l'URSS stalinienne on lisait et on traduisait les auteurs occidentaux (des linguistes «bourgeois» comme Meillet ou Vendryès était traduits à la fin des années trente).
C'est après la deuxième guerre mondiale que les relations entre linguistes soviétiques et occidentaux sont les plus difficiles, alors que, nouveau paradoxe, l'intervention de Staline en linguistique de juin 1950 avait rendu à nouveau
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possibles des recherches en grammaire historique et comparée, jusque là interdites. C'est alors le triomphe de la «théorie des langues normées» (literaturnye jazyki), que Vinogradov avait réussi à présenter comme une authentique application du marxisme en linguistique, par opposition au marrisme.
A partir de 1958 (Congrès international des Slavistes à Moscou, auquel participait Jakobson) le continuum scientifique avec l'Occident tend à se reconstituer. Des écoles originales apparaissent, comme l'école sémiologique de Moscou-Tartu, qui, animée par des spécialistes d'analyse littéraire, a exercé une influence considérable sur de nombreux linguistes soviétiques.
Le réseau diversifié de recherches linguistiques qui existait dans les universités et les instituts de recherche créés dans les années 50 et 60, le très haut prestige de la recherche scientifique (y compris en linguistique, bien que cette dernière n'ait pas joué le même rôle de «science pilote» qu'elle jouait alors en Occident), le niveau satisfaisant du financement de la recherche (même si celle-ci devait composer avec les attentes idéologiques du régime) ont, dernier paradoxe, fortement stimulé le développement de la recherche en linguistique. Pourtant après 1968 (intervention soviétique en Tchécoslovaquie) l'isolement de la science soviétique se durcit à nouveau, les linguistes ont peu de possibilité de participer à la vie scientifique occidentale. Il faut faire avec les moyens du bord, élaborer des théories qui s'appuient essentiellement sur un matériau local, sur la documentation disponible dans les bibliothèques. A l'ombre de cet isolement ont cohabité des échafaudages théoriques extravagants avec des idées extrêmement originales et fécondes.
C'est cette histoire mouvementée, faite d'ouverture et de fermeture, ce va-et-vient paradoxal qu'il importe, plus que jamais, de faire connaître au public francophone.

En dépit de la conception officielle de l'historiographie linguistique soviétique [4], la tradition des sciences du langage en Russie est le résultat de la pénétration en Russie de la pensée scientifique occidentale, car «la grammaire, pas plus que la science en général, ne pouvait se faire une place en Russie moscovite» (L. Durovič). C'est précisément à l'émergence de la pensée grammaticale en Russie ancienne et à la formation de la grammaire du russe normé qu'est consacré l'article de L. Durovič. Il montre que «la grammaire russe, c'est à dire l'analyse grammaticale de la langue russe normée (à l'époque le slavon?) vit le jour dans la principauté de Grande Lituanie, alors intégrée à
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l'Etat polonais unifié». Ce problème, toujours passé sous silence dans l'historiographie soviétique de la linguistique russe [5] a été abordé récemment par B. Uspenskij [6] et N. Bocadorova [7]. L. Durovič signale en particulier «deux étapes décisives, à la jointure des XVIème et XVIIème siècles, puis au début du XVIIIème siècle, où la rencontre de la Russie orthodoxe et des courants de pensée de l'Europe occidentale fournit l'occasion d'une impulsion à l'innovation».
Le XVIIIème siècle dans la tradition linguistique russe est marqué par l'occidentalisation de la pensée scientifique en général, et dans la réflexion sur le langage en particulier. Mais le «substrat» moscovite de la tradition linguistique russe donne toujours des «réflexes» différents dans la pensée russe de l'époque de Lomonosov jusqu'à nos jours …
C'est le problème des limites des «traditions nationales» en philosophie du langage qu'abordent D. Rudenko et V. Prokopenko à propos du philosophe ukrainien du XVIIIème siècle G. Skovoroda. Y a-t-il en effet une «tradition slave», et quelle est-elle? Et si la réponse à la première question est positive, en surgit une autre : y a-t-il une tradition ukrainienne, qui soit différente de la tradition russe? C'est la notion de «pluralisme conceptuel» que les auteurs mettent finalement en avant.
La tradition des Grammaires générales en Russie est présentée ici par l'article de S. Archaimbault et J.-M. Fournier : «Temps et aspect dans les grammaires russes». Les auteurs s'attachent aux convergences entre les grammaires générales russes et les grammaires générales françaises issues de Port-Royal. Pour cela ils s'appuient plus particulièrement sur le traitement du système des temps, en considérant la période 1806-1812, qui constitue, à la différence de la France, «l'apogée de la grammaire générale en Russie».
La «révolution romantique» dans la culture littéraire apparaît en Russie au début du XIXème siècle, avec la naissance de la méthode comparatiste et de la linguistique comme science autonome. L'intérêt pour le «génie national» et la lutte contre le «logicisme» dans l'analyse linguistique étaient des idées-pilotes dans la linguistique russe, aussi bien que dans la linguistique occidentale dans les années 1820-1870. Cette période est présentée par l'article de J. Fontaine sur A. Potebnja. Celui-ci y est caractérisé comme «un aristocrate de l'esprit»,
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en contact livresque avec les penseurs de l'Europe». Potebnja, comme tous les grands créateurs de l'époque, s'attache à «retrouver les sources populaires» Mais «la réflexion de Potebnja porte sur un ensemble de problèmes tous liés au langage, reconnu comme une activité fondamentale de la vie humaine; c'est ce qui donne une unité à sa réflexion et permet de la compter au nombre des esprits philosophiques de son époque».
En étudiant la notion de «contenu linguistique» (jazykovoe soderžanie) l'article d'A. Bondarko occupe une position médiane entre celui de J. Fontaine et celui de B. Gasparov, puisqu'il compare les approches de K. Aksakov et A. Potebnja. Ces deux auteurs se retrouvent dans la condamnation du logicisme et l'extrême attention qu'ils portent aux particularités propres de chaque langue dans son rapport aux formes de pensée du peuple qui la parle.
La ligne «cosmopolite» dans la tradition linguistique russe (à opposer à la «linguistique slavophile») est présentée dans l'article de P. Caussat : «L'école linguistique de Kazan». Mais c'est la notion même d'«école en linguistique» qui fait l'essentiel de la réflexion de P. Caussat. Le fondateur de l'«école», I. Baudouin de Courtenay, en a toujours parlé de manière critique. Pour lui il s'agissait plutôt d'un cercle de réflexion critique sur la linguistique et ses méthodes, en rapport avec la structure de la langue. C'est pour les disciples de Baudouin de Courtenay qu'«il y a école, avec des principes et même une doctrine». La situation est tout à fait homogène à celle de l'école de Genève autour de F. de Saussure, mais, comme le montre P. Caussat, dans le cas de Baudouin, la reconnaissance posthume a été plus longue, plus étirée dans le temps, plus cantonnée dans son aire propre.
C'est un autre aspect du lien entre la culture et les théories scientifiques qu'aborde B. Gasparov dans un article où il présente l'enjeu d'une réflexion sur la langue dans une théorie de la singularité nationale qu'on croit en général centrée exclusivement sur des questions de littérature ou de philosophie de l'histoire. Il montre en particulier le lien qui existe entre la linguistique slavophile et l'épistémologie romantique.
Cinq travaux concernent directement la période soviétique.
P. Sériot pose le problème du «grand tournant» qui a marqué la frontière entre deux paradigmes. Ces deux époques sont en rapport avec l'opposition entre les années 20 et les années 30. Pourtant la rupture n'est pas franche. Non seulement elle varie selon les domaines scientifiques, mais encore elle admet la cohabitations de paradigmes inconciliables, des chevauchements et des retours en arrière.
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C'est la figure d'un phonologue quasiment inconnu en Occident qui apparaît dans l'article de F. Ašnin et V. Alpatov sur N. Jakovlev. Cet article nous amène à une réflexion de type contrefactuel, si fréquente à propos de l'URSS : qu'aurait pu être la phonologie si Jakovlev avait pu être connu en Occident?
C'est encore un épisode important de l'histoire de la phonologie qui prend tout son relief avec l'article de M. Comtet, qui, avec l'opposition irréductible entre l'Ecole phonologique de Moscou et celle de Leningrad, montre combien les discussions soviétiques sur la nature du phonème font écho à des discussions philosophiques beaucoup plus anciennes, où s'affrontent physicalisme et théorie des modèles.
S. Kuznecov a mis au jour un des projets les plus élaborés et les plus étonnants de linguistique anarchiste. Rêve d'inventeur, de bricoleur de langue aux dimensions bio-cosmiques, la langue AO représente l'idéologie des années 20 en URSS : la table rase, la fascination scientiste, la recherche du caractère de classe de la langue, mais aussi l'expérimentation littéraire d'avant-garde, proche de la poésie futuriste malgré des déclarations proletkultistes.
Dans l'isolement de la linguistique soviétique par rapport aux mouvements occidentaux sont nés non seulement des courants de pensée fortement idéologisés (le «marrisme», par exemple), mais aussi des recherches originales, qui se trouvent dans une relation complexe de ressemblances et de différences avec la linguistique occidentale de l'époque. Il s'agit notamment de la théorie des langues normées («literaturnye jazyki»), qui semble n'exister de façon aussi prégnante que dans la tradition russe, la linguistique de la période soviétique et dans l'école de Prague. Dans l'article de N. Bocadorova cette théorie est analysée du point de vue épistémologique, en comparaison avec les recherches occidentales sur l'histoire de la normalisation des langues et sur l'histoire des sciences du langage en général. Selon Vinogradov la langue normée est une réalité historique et culturelle ayant des lois immanentes, et l'objet de la théorie des langues normées est différent de celui d'une théorie générale de la langue ou d'histoire de la langue «naturelle».

Cette série d'articles en appelle d'autres, faits de dialogues et de confrontations, car on a besoin du regard des autres pour se mieux connaître soi-même, surtout quand cet autre est à la fois si proche et si lointain. Maintenant que l'Europe se réunit et se déchire, gageons que cet appel sera entendu.






Note sur la transcription. Nous avons adopté la règle suivante : tous les noms russes sont donnés dans la translittération dite internationale (qui utilise les signes diacritiques du tchèque). Pour les noms déjà connus du public francophone dans une orthographe francisée, on indique entre parenthèses cette dernière orthographe la première fois que le nom est mentionné. Ex : M. Baxtin (Bakhtine), N. Trubeckoj (Troubetzkoy).

NOTES

[1] Mais doit-on regrouper dans un même ensemble la «linguistique russe» et la «linguistique soviétique»? Au nom de quelle pérénnité, au nom de quelles ruptures?
[2] R. Breton : Géographie des civilisations, Paris : P.U.F. (Que Sais-je?), 1991, p. 107.
[3] celui qu'«il faut être Russe pour comprendre la Russie», tout comme celui qui, européocentriste, ignore purement et simplement qu'il existe une science linguistique en Russie...
[4] Cf. F.M. Berezin : Istorija russkogo jazykoznanija, Moskva : Vysšaja škola, 1979 [Histoire de la linguistique russe]
[5] Cf. F.M. Berezin : op. cit.; N.B. Mečkovskaja : Rannie vostočnoslavjanskie grammatiki, Minsk, 1984 [les premières grammaires slaves orientales]
[6] Cf. B. Uspenskij : «Otnošenie k grammatike i ritorike v drevnej Rusi, XVI-XVII vv.», in B. Uspenskij : Izbrannye trudy, t. 2, Moskva : Gnozis, 1994, p. 7-25 [L'attitude envers la grammaire et la rhétorique dans la Russie ancienne].
[7] Cf. N. Bocadorova : «Comparaison de la tradition linguistique russe et de la tradition des sciences du langage en Occident : X-XVIIè siècles», Bulletin de la SHESL, n° 31, 1993, p. 59-60.



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