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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Tatjana ZARUBINA : projet de thèse


Lectures russes de Deleuze et Guattari : analyse du discours et épistémologie comparée

 

Le but de cette recherche est d’identifier la nature des difficultés de lecture des philosophes français par leur public russe dans le cadre du transfert culturel, c’est-à-dire de la transposition d’une textualité philosophique d’une culture à une autre.

La notion de transfert pour nous est un synonyme plus large de la notion de traduction (transferre en latin signifie traduire). Mais quand on transfère-traduit d’une langue à une autre, d’une culture à une autre, est-ce qu’on passe d’une entité close à une autre ?  Ici il faut élucider ce qu’on comprend par « culture » et ce que la culture représente dans ce cadre du transfert-traduction-interprétation des textes philosophiques. On rencontre l’opinion que les difficultés de traduction et de compréhension interculturelle sont dues à des différences irréductibles entre les Nations. Des philosophes comme Spengler, Toynbee ou Danilevskij ont postulé l’existence de types culturels isolés, qui ne peuvent pas coexister et échanger des idées, pour eux toutes les cultures sont closes et toute intercompréhension impossible.

Nous estimons au contraire que les cultures ne sont pas des univers fermés et autonomes, qui pourraient avoir des contacts multiples sans être vraiment comprises. A notre avis, il existe un champ intellectuel et philosophique mondialisé, où circulent toutes les idées issues de l’esprit humain, tandis que les manifestations, les réalisations et les incarnations de ces idées sont différentes selon les cultures et les traditions. Mais l’universalité des concepts ne peut être réalisée que dans la singularité linguistique. Et cette différence ne les isole pas, mais elle les enrichit, en montrant toute l’ampleur et la plurivocité des nuances de la pensée humaine. Babel est une chance à condition de comprendre que la pluralité des langues est loin de se réduire à une pluralité des désignations d’une chose ; elles sont différentes perspectives de cette même chose et quand la chose n’est pas l’objet des sens externes, on a affaire souvent à autant de choses autrement façonnées par chacun. Nous proposons donc une position en « tension » entre universalisme et relativisme linguistique.

Nous pensons les cultures comme espaces ouverts et dynamiques qui peuvent être représentés avec l’image du rhizome (cette notion-clé de Deleuze et Guattari, issue de la biologie où elle désigne le système-radicelle  des champignons et de certaines mauvaises herbes, représente un nouveau système fondamentalement ouvert, décentré et en mouvement). Nous inscrivons notre vision de la culture comme système ouvert dans la théorie de la complexité dans le cadre de laquelle un système clos, comme une pierre, une table, est en état d’équilibre, c’est-à-dire que les échanges avec extérieur sont nuls. Nous rejoignons G.Bachelard qui disait que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Dans notre cas, l’obstacle épistémologique est une pensée platonicienne, unifiante et essentialiste, pensée fondée sur des systèmes isolés, sur des entités parcellaires. Le renfermement dans des systèmes isolés n’aboutit qu’à une impasse. Pour surmonter cet obstacle de fermeture, il faut mettre la culture scientifique en état de mobilisation permanente, remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique, dialectiser toutes les variables expérimentales, donner enfin à la raison des raisons d’évoluer. Il s’agit donc d’opérer un renversement  épistémologique à partir de la notion de système ouvert.

L’idée du système ouvert nous permet d’affirmer la possibilité même de transferts culturels et de compréhension. Mais que se passe-t-il si on transfère un texte philosophique dans un autre contexte philosophique et, plus largement, culturel et intellectuel?  

En d’autres termes, on va essayer d’aborder et d’éclaircir le problème de l’intercompréhension culturelle en s’appuyant sur le domaine des échanges philosophiques. Définissant ainsi l'objectif, on peut dire que notre recherche est dans un certain sens herméneutique car nous visons les textes à déchiffrer, les discours à « traduire », les paroles à interpréter, les cultures à comprendre.

 


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