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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- Michel BREAL, professeur de grammaire comparee au Collège de France : Introduction à François Bopp : Grammaire comparée des langues indo-européennes comprenant le sanscrit, le zen, l'armenien, le grec, le latin, le. lithuanien, l'ancien slave, le gothique et l'allemand, traduite sur la seconde édition, deuxième édition, tome premier, Paris : Imprimerie nationale, 1875, p. i-lvii.

[i]        INTRODUCTION*

         I.

        En présentant au lecteur français une traduction de la Grammaire comparée de M. Bopp, il ne sera pas inutile de donner quelques explications sur la vie et sur les œuvres de l'auteur, sur la part qui lui revient dans le développement de la science du langage et sur les principes qui servent de fondement à ses observations. Mais, avant tout, nous demandons la permission de dire les motifs qui nous ont décidé à entreprendre cette traduction.
        Quand la Grammaire comparée de M. Bopp parut en Allemagne, elle fut bientôt suivie d'un grand nombre de travaux, qui, prenant les choses au point où l'auteur les avait laissées, continuèrent ses recherches et complétèrent ses découvertes. Un ouvrage dont le plan est à la fois si étendu et si détaillé invitait à l'étude et fournissait pour une quantité de problèmes des points de repère commodes et sûrs : une fois l'impulsion donnée, cette activité ne s'est plus ralentie. Nous osons espérer que le même livre, singulièrement élargi dans sa seconde édition, produira des effets analogues en France, et que nous verrons se former
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également parmi nous une famille de linguistes qui poursuivra l'œuvre du maître et s'avancera dans les routes qu'il a frayées. Par le nombre d'idiomes qu'elle embrasse, la Grammaire comparée ouvre la carrière à des recherches fort diverses, et se trouve comme située à l'entrée des principales voies de la philologie indo-européenne : quelle que soit, parmi les langues de la famille, celle dont on entreprenne l'étude, on est sûr de trouver dans M. Bopp un guide savant et ingénieux qui vous en montre les affinités et vous en découvre les origines. Non seulement il replace tous les idiomes dans le milieu où ils ont pris naissance et il les fait mieux comprendre en les commentant l'un par l'autre, mais il soumet chacun d'entre eux à une analyse exacte et fine qui commence précisément au point où finissent les grammaires spéciales. Que nos philologues se proposent des recherches comparatives ou qu'ils veuillent approfondir la structure d'un seul idiome, le livre de M. Bopp les conduira jusqu'à la limite des connaissances actuelles et les mettra sur la route des découvertes.
        Mais la traduction de cet ouvrage nous a encore paru désirable pour une autre raison. A vrai dire, les travaux de linguistique ne manquent pas en France, et notre goût pour ce genre d'investigation ne doit pas être médiocre, s'il est permis de mesurer la faveur dont jouit une science au nombre des livres qu'elle suscite. Parmi ces travaux, nous en pourrions citer qui sont excellents et qui valent à tous égards les plus savants et les meilleurs de l'étranger. Mais, pour parler ici avec une pleine franchise, la plupart nous semblent loin de révéler cette série continue d'efforts
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et cette unité de direction qui sont la condition nécessaire du progrès d’une science. On serait tenté de croire que la linguistique n'a pas de règles fixes, lorsque, en parcourant le plus grand nombre de ces ouvrages, on voit chaque auteur poser des principes qui lui sont propres et expliquer la méthode qu'il a inventée. Très différents par le but qu'ils ont en vue et par l'esprit qui les anime, les livres dont nous parlons offrent entre eux un seul point de ressemblance : c'est qu'ils s'ignorent les uns les autres, je veux dire qu'ils ne se continuent ni ne se répondent; chaque écrivain, prenant la science à son origine, s'en constitue le fondateur et en établit les premières assises. Par une conséquence naturelle, la science, qui change continuellement de terrain, de plan et d'architecte, reste toujours à ses fondations. Ce n'est pas de tel ou tel idiome, encore moins d'un point spécial de philologie que traitent ces ouvrages à vaste portée : leur objet habituel est de rapprocher des familles de langues dont rien jusque-là ne faisait pressentir l'affinité, ou bien de se prononcer sur l'unité ou la pluralité des races du globe, ou de remonter jusqu'à la langue primitive et de décrire les origines de la parole humaine, ou enfin de tracer un de ces projets de langue unique et universelle dont chaque année voit augmenter le nombre. A la vue de tant d'efforts incohérents, le lecteur est tenté de supposer que la linguistique est encore dans son enfance, et il est pris du même scepticisme qu'exprimait saint Augustin, il y a près de quinze siècles, quand il disait, à propos d'ouvrages analogues, que l'explication des mots dépend de la fantaisie de chacun, comme l'interprétation des songes.
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        La plupart des sciences expérimentales ont traversé une période d'anarchie, et c'est ordinairement au défaut de suite, à l'amour exclusif des questions générales, à l'absence de progrès qu'on reconnaît qu'elles ne sont pas constituées. La grammaire comparée en serait-elle encore là? faut-il croire qu'elle attend son législateur? Pour nous convaincre du contraire, il suffit de jeter les yeux sur ce qui se passe à l'étranger. Tandis que nous multiplions les projets ambitieux que l'instant d'après change en ruines, ailleurs l'édifice se construit peu à peu. Cette terre inconnue, ce continent nouveau dont tant de navigateurs nous parlent en termes vagues, comme s'ils venaient tous d'y débarquer les premiers, d'exacts et patients voyageurs l'explorent en divers sens depuis cinquante ans. Les ouvrages de grammaire comparée se succèdent en Allemagne, en se contrôlant et en se complétant les uns les autres, ainsi que font chez nous les livres de physiologie ou de botanique; les questions générales sont mises à l'écart ou discrètement touchées, comme étant les dernières et non les premières que doive résoudre une science ; les observations de détail s'accumulent, conduisant à des lois qui servent à leur tour à des découvertes nouvelles. Comme dans un atelier bien ordonné, chacun a sa place et sa tâche, et l'œuvre, commencée sur vingt points à la fois, s'avance d'autant plus rapidement que la même méthode, employée par tous, devient chaque jour plus pénétrante et plus sûre.
        De tous les livres de linguistique, l'ouvrage de M. Bopp est celui où la méthode comparative peut être apprise avec le plus de facilité. Non seulement l'auteur l'applique avec
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beaucoup de précision et de délicatesse, mais il en met à nu les procédés et il permet au lecteur de suivre le progrès de ses observations et d'assister à ses découvertes. Avec une bonne foi scientifique plus rare qu'on ne pense, il dit par quelle conjecture il est arrivé à remarquer telle identité, par quel rapprochement il a constaté telle loi; si la suite de ses recherches n'a pas confirmé une de ses hypothèses, il ne fait point difficulté de le dire et de se corriger. L'école des linguistes allemands s'est principalement formée à la lecture des ouvrages de M. Bopp : elle a grandi dans cette salle d'expériences qui lui était sans cesse ouverte et où les pesées et les analyses se faisaient devant ses yeux. Ceux mêmes qui contestent quelques-unes des théories de l'illustre grammairien se regardent comme ses disciples, et sont d'accord pour voir en lui, non seulement le créateur de la philologie comparative, mais le maître qui l'a enseignée à ses continuateurs et à ses émules.
        Tels sont les motifs qui nous ont décidé à traduire l'ouvrage de M. Bopp: nous avons voulu rendre plus accessible un livre qui est à la fois un trésor de connaissances nouvelles et un cours pratique de méthode grammaticale. Il est à peine nécessaire d'ajouter que nous ne songions pas aux seuls linguistes de profession, en entreprenant une traduction qui sans doute ne leur eût pas été nécessaire. Il y a parmi nous un grand nombre d'hommes voués par état et par goût à l'enseignement et à la culture des langues anciennes: ils ne veulent ni ne doivent rester étrangers à des recherches qui touchent de si près à leurs travaux. C'est à eux surtout que, dans notre pensée, nous
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destinons le présent ouvrage, pour qu'ils apprécient la valeur de cette science nouvelle et pour qu'ils s'en approprient les parties les plus utiles. Si les études historiques ne sont plus aujourd'hui en France ce qu'elles étaient il y a cinquante ans, si les leçons de littérature données dans nos écoles ne ressemblent pas aux leçons littéraires qu'ont reçues nos pères et nos aïeux, pourquoi la grammaire seule resterait-elle au même point qu'au commencement du siècle? De grandes découvertes ont été faites : les idiomes que l'on considérait autrefois isolément, comme s'ils étaient nés tout à coup sous la plume des écrivains classiques de chaque pays, ont été replacés à leur rang dans l'histoire, entourés des dialectes et des langues congénères qui les expliquent, et étudiés dans leur développement et leurs transformations. La grammaire, ainsi comprise, est devenue à la fois plus rationnelle et plus intéressante : il est juste que notre enseignement profite 
de ces connaissances nouvelles qui, loin de le compliquer 
et de l'obscurcir, y apporteront l'ordre, la lumière et la
 vie.
        Ce serait, du reste, une erreur de croire que toutes les recherches grammaticales doivent nécessairement embrasser à l'avenir l'immense champ d'étude parcouru par M. Bopp. Il y a plus d'une manière de contribuer aux progrès de la philologie comparative. La méthode qui a servi pour l'ensemble de la famille indo-européenne sera appliquée avec non moins de succès aux diverses subdivisons de chaque groupe. Quelques travaux remarquables peuvent servir de modèle en ce genre. Un des plus solides esprits de l'Allemagne, M. Corssen, en rapprochant le la-
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tin de ses frères, l'ombrien et l'osque, et en comparant le latin à lui-même, c'est-à-dire en suivant ses transforma tions d'âge en âge, a renouvelé en partie l'étude d'une langue sur laquelle il semblait qu'après tant de siècles d'enseignement il ne restât plus rien à dire. La science du langage peut encore être abordée par d'autres côtés. Les recherches d'épigraphie, de critique verbale, de métrique, les études sur le vocabulaire d'un auteur ou d'une période littéraire, sont autant de sources d'information qui doivent fournir à la philologie comparée leur contingent de faits et de renseignements. Aujourd'hui que les grandes lignes de la science ont été marquées, ces travaux de détail vien dront à propos pour déterminer et, au besoin, pour recti fier ce qui ne pouvait, dès le début, être tracé d'une façon définitive.
        Ce ne sont ni les sujets, ni les moyens de travail qui feront défaut à nos philologues. Mais en cherchant à provoquer leur concours, nous ne songeons pas seulement à l'intérêt et à l'honneur des études françaises. Il faut souhaiter pour la philologie comparée elle-même qu'elle soit bientôt adoptée et cultivée parmi nous. On a dit que la France donnait aux idées le tour qui les achève et l'empreinte qui les fait partout accueillir. Pour que la grammaire comparative prenne la place qui lui est due dans toute éducation libérale, pour qu'elle trouve accès auprès des intelligences éclairées de tous pays, il faut que l'esprit français y applique ces rares et précieuses qualités qui, depuis Henri Estienne jusqu'à Eugène Burnouf, ont été l'accompagnement obligé et la marque distinctive de l'érudition dans notre contrée. La France, en prenant part à
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ces études, les répandra dans le monde entier. En même temps, avec ce coup d'œil pratique et avec cet art de 
classer et de disposer les matières que l'étranger ne nous
 conteste pas, nous ferons sortir de la grammaire comparée et nous mettrons en pleine lumière les enseignements multiples qu'elle tient en réserve. Une fois que la science du langage aura pris racine parmi nous, aux fruits qu'elle donnera, on reconnaîtra le sol généreux où elle a été transplantée.

         II.

        L'auteur de la Grammaire comparée, M. François Bopp, est né à Mayence, le 14 septembre 1791. Il fit ses classes à Aschaffenbourg, où sa famille, à la suite des événements militaires de cette époque, avait suivi l'Electeur. On remarqua de bonne heure la sagacité de son esprit, ses goûts sérieux et réfléchis, ainsi que sa prédilection pour l'étude des langues : non pas qu'il eût une aptitude particulière à les parler ou à les écrire ; mais son intention, en les apprenant, était de pénétrer par cette voie dans une connaissance plus intime de la nature et des lois de l'esprit humain. Après Leibniz, qui eut sur ce sujet tant de vues profondes et justes[1], Herder avait appris à l'Allemagne à considérer les langues autrement que comme
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de simples instruments destinés à l'échange des idées; il avait montré qu'elles renferment aussi, pour qui sait les interroger, les témoignages les plus anciens et les plus authentiques sur la façon de penser et de sentir des peuples. Au lycée d'Aschaffenbourg, qui avait, en partie, recueilli les professeurs de l'Université de Mayence, M. Bopp eut pour maître un admirateur de Herder, Charles Windischmann, à la fois médecin, historien et philosophe, dont les nombreux écrits sont presque oubliés aujourd'hui, mais qui joignait à des connaissances étendues un grand enthousiasme pour la science. Les religions et les langues de l'Orient étaient pour Windischmann un objet de vive curiosité : comme les deux Schlegel, comme Creuzer et Goerres, avec lesquels il était en communauté d'idées, il attendait d'une connaissance plus complète de la Perse et de l'Inde des révélations sur les commencements du genre humain. C'est un trait remarquable de la vie de M. Bopp, que celui dont les observations grammaticales devaient porter un si rude coup à l'une des théories fondamentales du symbolisme ait eu pour premiers maîtres et pour premiers patrons les principaux représentants de l'école symbolique. La simplicité un peu nue, l'abstraction un peu sèche de nos encyclopédistes du XVIIIe siècle avaient suscité par contre-coup les Creuzer et les Windischmann ; mais si M. Bopp a ressenti la généreuse ardeur de cette école, et si la parole de ses maîtres l'a poussé à scruter les mêmes problèmes qui les occupaient, il sut garder, en dépit des premières impressions de sa jeunesse, sur le terrain spécial qu'il choisit, toute la liberté d'esprit de l'observateur. Les doctrines de Heidelberg ne trou-
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blèrent point la clarté de son coup d'œil, et, sans l'avoir cherché, il contribua plus que personne à dissiper le mystère dont ces intelligences élevées, mais amies du demi-jour, se plaisaient à envelopper les premières productions de la pensée humaine.
        Après avoir appris les langues classiques et les principaux idiomes modernes de l'Europe, M. Bopp se tourna vers l'étude des langues orientales. Ce qu'on entendait par ce dernier mot, au commencement du siècle, c'étaient les langues sémitiques, le turc et le persan. On savait toutefois, grâce aux publications de la Société asiatique de Calcutta et aux livres de quelques missionnaires ou voyageurs, qu'il s'était conservé dans l'Inde un idiome sacré dont l'antiquité dépassait, disait-on, l'âge de toutes les langues connues jusqu'alors. On ajoutait que la perfection de cet idiome était égale, sinon supérieure, à celle des langues classiques de l'Europe. Quant à la littérature de l'Inde, elle se composait de chefs-d'œuvre de poésie tels que Sacountalâ, récemment traduite par William Jones, d'immenses épopées remplies de légendes vieilles comme le monde, et de trésors de sagesse comme la philosophie du Védanta. Le jeune étudiant prêtait l'oreille à ces renseignements dont le caractère vague était un aiguillon de plus. Il résolut d'aller à Paris pour y étudier les idiomes de l'Orient et particulièrement le sanscrit.
        Un ouvrage resté célèbre, qui se perd, après les premiers chapitres, dans un épais brouillard d'hypothèses, mais dont le commencement devait offrir le plus vif intérêt à l'esprit d'un linguiste, ne fut sans doute pas étranger à cette décision. Nous voulons parler du livre de Frédéric
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Schlegel «Sur la langue et la sagesse des Indous»[2]. Malgré de nombreuses erreurs, on peut dire que ce travail ouvrait dignement, par l'élévation et la noblesse des sentiments, l'ère des études sanscrites en Europe. Il eut surtout un grand mérite, celui de pressentir l'importance de ces recherches et d'y appeler sans retard l'effort de la critique.     

«Puissent seulement les études indiennes, écrivait Schlegel à la fin de sa préface, trouver quelques-uns de ces disciples et de ces protecteurs, comme l'Italie et l'Allemagne en virent, au xve et au xvie siècle, se lever subitement un si grand nombre pour les études grecques et faire en peu de temps de si grandes choses! La renaissance de la connaissance de l'antiquité transforma et rajeunit promptement toutes les sciences : on peut ajouter qu'elle rajeunit et transforma le monde. Les effets des études indiennes, nous osons l'affirmer, ne seraient pas aujourd'hui moins grands ni d'une portée moins générale, si elles étaient entreprises avec la même énergie et introduites dans le cercle des connaissances européennes? Et pourquoi ne le seraient-elles pas? Ces temps des Médicis, si glorieux pour la science, étaient aussi des temps de troubles et de guerres, et précisément pour l'Italie ce fut l'époque d'une dissolution partielle. Néanmoins il fut donné au zèle d'un petit nombre d'hommes de produire tous ces résultats extraordinaires, car leur zèle était grand, et il trouva, dans la grandeur proportionnée d'établissements publics et dans la noble ambition de
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quelques princes, l'appui et la faveur dont une pareille étude, avait besoin à ses commencements.»

        Paris était alors, de l'aveu de tous, le centre des études orientales, grâce à sa magnifique Bibliothèque et à la présence de savants comme Silvestre de Sacy, Chézy, Etienne Quatremère, Abel Rémusat. En ce qui concerne la littérature sanscrite, il s'était formé à Paris, depuis 1803, un petit groupe d'hommes distingués qui recueillait avec une curiosité intelligente les renseignements venant de l'Inde sur une matière si peu connue. Un membre de la Société de Calcutta, Alexandre Hamilton, fut le maître de cette colonie savante : retenu prisonnier de guerre après la rupture de la paix d'Amiens, il employa ses loisirs à passer en revue et à cataloguer la belle et riche collection de manuscrits sanscrits formée pour la Bibliothèque du roi, dans la première moitié du XVIIIe siècle, par le Père Pons : en même temps, par ses conversations, il introduisait dans la connaissance du monde indien Langlès, le libéral conservateur des manuscrits orientaux, Frédéric Schlegel, Chézy, qui devait plus tard monter dans la première chaire de sanscrit fondée en Europe, et Fauriel, dont la curiosité universelle ne se contentait pas des littératures de l'Occident. Quelques années après le célèbre critique Auguste-Guillaume Schlegel venait à son tour à Paris préparer ses éditions de l'Hitôpadêça et de la Bhagavad-Gîtâ. Le trait distinctif du plus grand nombre de ces savants était une aptitude à s'assimiler les idées nouvelles qui est rare en tout temps, mais qui l'était surtout à l'épque dont nous parlons.
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        Toutefois, ce groupe d'hommes, en qui se résumaient alors les études sanscrites de l'Europe, avait ses côtés faibles, ses préférences et ses préventions. N'ayant aucun moyen de contrôler les assertions de l'école de Calcutta, qui écrivait elle-même sous la dictée des brahmanes, il était obligé à une confiance docile ou réduit à des suppositions sans preuve : ainsi que le dit quelque part Chézy, on ressemblait à des voyageurs en pays étranger, contraints de s'en reposer sur la bonne foi des truchemans[3]. Frédéric Schlegel, comme les autres, puisait sa science dans les Mémoires de la Société de Calcutta : il adaptait les faits qu'il y apprenait à une chronologie de son invention et à une philosophie de l'histoire arrangée d'avance. Tout ce qui touchait aux doctrines religieuses, aux œuvres littéraires, à la législation de l'Inde, sollicitait vivement l'attention de ces écrivains et de ces penseurs; mais les travaux purement grammaticaux jouissaient auprès d'eux d'une estime médiocre. On regardait l'étude du sanscrit qui, il faut le dire, était alors rebutante et hérissée de difficultés, comme une initiation pénible, quoique nécessaire, à des spéculations plus relevées. Par la rigueur et la sagesse de son intelligence, plus portée à l'observation qu'aux systèmes, par son indépendance d'esprit, qui ne s'en rapportait à personne et ne se prononçait que sur les faits constatés, par la préférence qui l'entraînait aux recherches grammaticales, le jeune et modeste philologue qui, en 1812, arrivait à Paris, formait un contraste frappant avec ces savants qui représentent, dans l'histoire
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des études sanscrites, l'âge de foi et d'enthousiasme. Le futur auteur de la Grammaire comparée devait inaugurer une période nouvelle : il apportait avec lui l'esprit d'analyse scientifique.
        M. Bopp passa cinq années à Paris, de 1812 à 1817, s'adonnant, en même temps qu'à l'étude du sanscrit, à celle du persan, de l'arabe et de l'hébreu. Nous trouvons dans son premier ouvrage l'expression de sa reconnaissance envers Silvestre de Sacy, dont il suivit les cours, et envers Langlès qui, outre les collections du Cabinet des manuscrits, mit à sa disposition sa bibliothèque particulière, l'une des plus riches et des mieux composées qu'on pût trouver alors. Plus heureux que ses prédécesseurs, réduits à apprendre les éléments de la langue sanscrite dans des travaux informes, il eut entre les mains les grammaires de Carey[4], de Wilkins[5] et de Forster[6] : le Râmâyana et l'Hitôpadêça de Sérampour, publiés par Carey, furent les premiers textes imprimés qu'il eut à sa disposition. En même temps, il tirait des manuscrits de la Bibliothèque des matériaux pour ses éditions futures. La guerre qui mettait alors aux prises l'Allemagne et la France ne put le distraire de son long et paisible travail : comme un sage de l'Inde transporté à Paris, il était tout entier à ses recherches, et, au milieu de la confusion des événements, il gardait son attention pour les chefs-d'œuvre de la poésie sanscrite et pour la série des faits
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si curieux et si nouveaux qui se découvraient à son esprit.
        Le premier résultat de son séjour à Paris fut cette publication dont l'Allemagne se prépare à célébrer comme un jour de fête le cinquantième anniversaire. Le livre a pour titre : «Du système de conjugaison de la langue sanscrite, comparé avec celui des langues grecque, latine, persane et germanique»[7]. Cet ouvrage, intéressant à plus d'un titre, mérite bien, en effet, d'être regardé comme faisant époque dans l'histoire de la linguistique. Nous nous y arrêterons quelques moments, pour examiner les nouveautés qu'il renferme.

         III.

        Ce qui fait l'originalité du premier livre de M. Bopp, ce n'est pas d'avoir présenté le sanscrit comme une langue de même famille que le grec, le latin, le persan et le gothique, ni même d'avoir exactement défini la nature et le degré de parenté qui unit l'idiome asiatique aux langues de l'Europe. C'était là une découverte faite depuis longtemps. L'affinité du sanscrit et de nos langues de l'Occident est si évidente, elle s'étend à un si grand nombre de mots et à tant de formes grammaticales, qu'elle avait frappé les yeux des premiers hommes instruits qui avaient entre-
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pris l'étude de la littérature indienne. L'idée d'une parenté reliant les idiomes de l'Europe à celui de l'Inde ne pouvait guère manquer de se présenter à l'esprit d'un observateur érudit et attentif[8]. On attribue d'ordinaire à William Jones l'honneur d'avoir, le premier, mis en lumière ce fait qui est devenu l'axiome fondamental de la philologie indo-européenne. Mais vingt ans avant Jones et avant l'Institut de Calcutta, le même fait avait déjà été publiquement exposé à Paris. Il y aura bientôt un siècle que l'Académie des inscriptions et belles-lettres a été saisie de la question.
        L'abbé Barthélémy s'était adressé, en 1763, à un jésuite français, le P. Cœurdoux, depuis longtemps établi à Pondichéry, pour lui demander une grammaire et un dictionnaire de la langue sanscrite. Il le priait en même temps de lui donner divers renseignements sur l'histoire et la littérature de l'Inde. En répondant en 1767 au savant helléniste, le P. Cœurdoux joignit à sa lettre une sorte de mémoire intitulé : « Question proposée à M. l'abbé Barthélémy et aux autres membres de l'Académie des belles-lettres et inscriptions». Cette question est conçue ainsi : «D'où vient que dans la langue samscroutane il se trouve un grand nombre de mots qui lui sont communs avec le latin et le grec, et surtout avec le latin[9]? A
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l'appui de son assertion, le P. Cœurdoux donnait quatre listes de mots et de formes grammaticales[10]. Il remarque que l'augment syllabique, le duel, l'a privatif se trouvent en sanscrit comme en grec. Pour justifier quelques-uns de ses rapprochements, il donne des indications sur la prononciation des lettres indiennes : ainsi aham ne ressemble pas, à première vue, à ego; mais il faut observer que le h sanscrit est une lettre gutturale ayant un son analogue à celui du g. Le ć de ćatur répond au q de quatuor. Résolvant enfin lui-même la question qu'il posait à l'Académie, il réfute par d'excellentes raisons toutes les explications qu'on pourrait avancer en se fondant sur des relations de commerce ou sur des communications scientifiques, et il conclut à la parenté originaire des Indous, des Grecs et des Latins[11]. Dans une lettre subséquente, il ajoute qu'il a trouvé d'autres identités entre le sanscrit, l'allemand et l'esclavon. Nul doute que si l'Académie, en 1768, eût possédé un philologue éminent comme Fréret[12], cette communication ne fût pas restée stérile. Malheureusement, l'abbé Bar-
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thélemy s'en remit sur Anquetil-Duperron du soin de répondre au missionnaire. Le traducteur du Zend-Avesta poussait jusqu'à la passion le goût des recherches historiques; mais il n'avait aucun penchant pour les spéculations purement grammaticales, et les rapprochements d'idiome à idiome, comme ceux que proposait le P. Cœurdoux, lui inspiraient une invincible défiance. Persuadé que les analogies signalées étaient chimériques ou provenaient du contact des Grecs, il laissa tomber ce sujet de discussion pour entretenir son correspondant des questions qui lui tenaient à cœur. Le peu d'empressement qu'il mit à publier les lettres du missionnaire les empêcha d'avoir sur d'autres l'effet qu’elles n'avaient pas produit sur lui-même. Lues devant l'Académie en 1768, elles ne furent imprimées qu'en 1808, après la mort d'Anquetil-Duperron, à la suite d'un de ses mémoires. Dans l'intervalle, les études sanscrites avaient été constituées et la question soumise par le P. Cœurdoux à l'Académie des Inscriptions posée par d'autres devant le public.

« La langue sanscrite, disait William Jones en 1786 dans un de ses discours à la Société de Calcutta[13], quelle que ce soit son antiquité, est d'une structure merveilleuse; plus parfaite que la langue grecque, plus abondante que la langue latine, d'une culture plus raffinée que l'une et l'autre, elle a néanmoins avec toutes les deux une parenté
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si étroile, tant pour les racines verbales que pour les formes grammaticales, que cette parenté ne saurait être attribuée au hasard. Aucun philologue, après avoir examiné ces trois idiomes, ne pourra s'empêcher de reconnaître qu'ils sont dérivés de quelque source commune, qui peut-être n'existe plus. Il y a une raison du même ce genre, quoique peut-être moins évidente, pour supposer que le gothique et le celtique, bien que mélangés avec un idiome entièrement différent, ont eu la même origine que le sanscrit; et l'ancien persan pourrait être ajouté à cette famille, si c'était ici le lieu d'élever une discussion sur les antiquités de la Perse.»

        Sauf la supposition d'un mélange qui aurait eu lieu pour le gothique et pour le celtique, le principe de la parenté des langues indo-européennes est très-bien exprimé dans les paroles de William Jones. Il est intéressant, en outre, de remarquer que, dès le début des études indiennes, le sanscrit est présenté comme la langue sœur et non comme la langue mère des idiomes de l'Europe, Presque en même temps que W. Jones, un missionnaire, Allemand d'origine, qui avait longtemps séjourné dans l’lnde, le Père Paulin de Saint-Barthélemy, publiait à Rome des traités où il démontrait, par des exemples nombreux et généralement bien choisis, l'affinité du sanscrit, du zend, du latin et de l'allemand. La même idée se retrouve enfin dans le livre de Frédéric Schlegel dont nous avons déjà parlé, où elle sert de support à une vaste construction historique.
        Mais si l'on avait déjà fait des rapprochements entre
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les divers idiomes indo-européens, personne ne s'était encore avisé que ces comparaisons pouvaient fournir les matériaux d'une histoire des langues ainsi mises en parallèle. On donnait bien les preuves de la parenté du sanscrit et des idiomes de l'Europe; mais ce point une fois démontré, on semblait croire que le grammairien était au bout de sa tâche et qu'il devait céder la parole à l'historien et à l'ethnologiste. La pensée du livre de M. Bopp est tout autre : il ne se propose pas de prouver la communauté d'origine du sanscrit et des langues européennes; c'est là le fait qui sert de point de départ et non de conclusion à son travail. Mais il observe les modifications éprouvées par ces langues identiques à leur origine, et il montre l'action des lois qui ont fait prendre à des idiomes sortis du même berceau des formes aussi diverses que le sanscrit, le grec, le latin, le gothique et le persan. A la différence de ses devanciers, M. Bopp ne quitte pas le terrain de la grammaire; mais il nous apprend qu'à côté de l'histoire proprement dite il y a une histoire des langues qui peut être étudiée pour elle-même et qui porte avec elle ses enseignements et sa philosophie. C'est pour avoir eu cette idée féconde, qu'on chercherait vainement dans les livres de ses prédécesseurs, que la philologie comparative a reconnu dans M. Bopp, et non dans William Jones[14] ou dans Frédéric Schlegel, son premier maître et son fondateur. Par une conséquence naturelle, l'analyse de M. Bopp est bien autrement pénétrante que celle de ses devanciers.
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        Il y a entre le sanscrit et les langues de l'Europe des ressemblances qui se découvrent à première vue et qui frappent tous les yeux; il en est d'autres plus cachées, quoique non moins certaines, qui ont besoin, pour être reconnues, d'une étude plus délicate et d'observations multipliées. Ceux qui voyaient dans l'unité de la famille indo-européenne un fait qu'il appartenait au linguiste de démontrer, mais dont les conséquences devaient se développer ailleurs qu'en grammaire, pouvaient se contenter des analogies évidentes. Mais M. Bopp, pour qui chaque modification faite au type de la langue primitive était comme un événement à part dans l'histoire qu'il composait, devait approfondir lès recherches, mettre au jour les analogies secrètes et raviver les traits de ressemblance effacés par le temps. Si ses rapprochements surpassent en clairvoyance et en justesse tout ce qui avait été essayé jusqu’alors, il ne faut donc pas seulement en faire honneur à la pénétration et à la rectitude de son esprit. La supériorité de l'exécution vient chez lui de la supériorité du dessein : la même vue de génie qui lui a montré un but qu'avant lui on ne soupçonnait pas, lui a fait trouver des instruments plus parfaits pour y atteindre. Le livre de M. Bopp renfermait une autre nouveauté, non moins importante : pour la première fois un ouvrage de grammaire se proposait l'explication des flexions. Ces lettres et ces syllabes qui servent à distinguer les cas et les nombres dans les noms, à marquer les nombres, les personnes, les temps, les voix et les modes dans les verbes, avaient toujours été considérées comme la partie la plus énigmatique des langues. Tous les grammairiens
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les avaient énumérées : aucun n'avait osé se prononcer sur leur origine.[15]
        Fort récemment, Frédéric Schlegel, dans son livre « Sur la langue et la sagesse des Indous», avait émis à ce sujet une théorie singulière, que M. Bopp a expressément contestée plusieurs fois[16], et que contredisent les observations de toute sa vie. Il ne sera donc pas inutile d'en dire ici quelques mots. L'hypothèse de Schlegel, qui se rattachait dans sa pensée à un ensemble de vues aujourd'hui discréditées, n'a pas d'ailleurs entièrement disparu. Elle se retrouve, avec toute sorte d'atténuations et de restrictions, dans beaucoup d'excellents esprits qui ne songent pas à en tirer les mêmes conséquences et qui ne se doutent peut-être pas où ils l'ont prise.
        Selon Schlegel, les flexions n'ont aucune signification par elles-mêmes et n'ont pas eu d'existence indépendante. Elles ne servent et n'ont jamais servi qu'à modifier les racines, c'est-à-dire la partie vraiment significative de la langue. D'où proviennent ces syllabes, ces lettres additionnelles si précieuses dans le discours ? Elles sont le pro-
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duit immédiat et spontané de l'intelligence humaine. En même temps que l'homme a créé des racines pour exprimer ses conceptions, il a inventé des éléments formatifs, des modifications accessoires, pour indiquer les relations que ses idées ont entre elles et pour marquer les nuances dont elles sont susceptibles. Le vocabulaire et la grammaire ont été coulés d'un même jet. Dès sa première apparition, le langage fut aussi complet que la pensée humaine qu'il représente. Une telle création peut nous sembler surprenante et même impossible aujourd'hui. Mais l'homme, à son origine, n'était pas l'être inculte et borné que nous dépeint une philosophie superficielle. Doué d'organes d'une extrême finesse, il était sensible à la signification primordiale des sons, à la valeur naturelle des lettres et des syllabes. Grâce, à une sorte de coup d'œil divinateur, il trouvait sans tâtonnement le rapport exact entre le son et l'idée : l'homme d'aujourd'hui, avec ses facultés oblitérées, ne saurait expliquer cette relation entre le signe et la chose signifiée qu'une intuition infaillible faisait apercevoir à nos ancêtres. D'ailleurs, poursuit Schlegel, toutes les races n'ont pas été pourvues au même degré de cette faculté créatrice. Il y a des langues qui se sont formées par la juxtaposition de racines significatives, invariables et inanimées, le chinois, par exemple, ou les langues de l'Amérique, ou encore les langues sémitiques; ces idiomes sont régis par des lois purement extérieures et mécaniques. Ils ne sont pas incapables, toutefois, d’un certain développement : ainsi l'arabe, en adjoignant, sous la forme d'affixes, des particules à la racine, se rapproche jusqu'à un certain point des langues indo-européennes.
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Mais ce sont ces dernières seules qui méritent véritablement le nom de langues à flexions; elles sont les seules, continue l'auteur dans son langage figuré, qu'il semble parfois prendre à la lettre, où la racine soit un germe vivant, qui croît, s'épanouit et se ramifie comme les produits organiques de la nature. Aussi les langues indoeuropéennes ont-elles atteint la perfection dès le premier jour, et leur histoire n'egt-elle que celle d'une longue et inévitable décadence.[17]
        Quand on examine de près cette théorie, on voit qu'elle tient de la façon la plus intime au symbolisme de Creuzer. Le professeur de Heidelberg appuyait aussi ses explications sur cette faculté d'intuition dont l'homme était doué à l'origine, et qui lui révélait des rapports mystérieux entré les idées et les signes; il parlait des dieux, des mythes, des emblèmes, dans les mêmes termes que Schlegel des formes grammaticales : tous deux se référaient à une éducation mystérieuse que le genre humain, ou du moins une portion privilégiée de la famille humaine, aurait reçue dans son enfance. Aux assertions de Creuzer, Schlegel apportait le secours de sa connaissance récente de l'Inde. Après les études qui venaient de le conduire jusqu'au berceau de îa race, le doute, assurait-il, n'était plus possible : la perfection de l'idiome, non moins que la majesté de la poésie et la grandeur des systèmes philosophiques, attestait que les ancêtres des Indous avaient été éclairés d'une « sagesse » particulière[18].
        A ces idées, qui ne manquaient pas d'une certaine ap-
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parence de profondeur, M. Bopp se contenta d'opposer quelques faits aussi simples qu'incontestables. Il avait choisi pour sujet de son premier travail la conjugaison du verbe, c'est-à-dire une des parties de la grammaire où l'on peut le plus clairement découvrir la vraie nature des flexions. Il montra d'abord que les désinences personnelles des verbes sont des pronoms personnels ajoutés à la racine verbale. « Si la langue, dit-il, a employé, avec le génie prévoyant qui lui est propre, des signes simples pour représenter les idées simples des personnes, et si nous voyons que les mêmes notions sont représentées de la même manière dans les verbes et dans les pronoms, il s'ensuit que la lettre avait à l'origine une signification et qu'elle y est restée fidèle. S'il y a eu autrefois une raison pour que mâm signifiât «moi» et pour que tam signifiât «lui», c'est sans aucun doute la même raison qui fait que bhavâ-mi signifie «je suis» et que bhava-ti signifie «il est». Du moment que la langue marquait les personnes dans le verbe en joignant extérieurement des lettres a la racine, elle n'en pouvait légitimement choisir d'autres que celles qui, depuis l'origine du langage, représentaient l'idée de ces personnes.[19] »
        Il fait voir de même que la lettre s, qui, en sanscrit comme en grec, figure à l'aoriste et au futur des verbes, provient de l'adjonction du verbe auxiliaire as «être» à la racine verbale : μαχ-έσ-ο-μαι, ὀλ-έσ-ω renferment la même syllabe εσ qui se trouve dans ἐσ-μέν, ἐσ-τί.[20] Les futurs et les imparfaits latins comme ama-bam, ama-bo,
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contiennent également un auxiliaire, le même qui se trouve dans le futur anglo-saxon en beo, bys, byth; c'est la racine bhû «être», qui, à l'état indépendant, a donné au latin le parfait fui él à l'allemand le présent ich bin, du bist.[21]
        Par ces exemples et par beaucoup d'autres du même genre, il montre que les flexions sont d'anciennes racines qui ont eu leur valeur propre et leur existence individuelle, et qu'en se combinant avec la racine verbale elles ont produit le mécanisme de la conjugaison. On ne saurait priser trop haut l'importance de ces observations. La théorie de Schlegel ouvrait une porte au mysticisme; elle contenait des conséquences qui n'intéressaient pas moins l'histoire que la grammaire, car elle tendait à prouver que l'homme, à son origine, avait des facultés autres qu'aujourd'hui, et qu'il a produit des œuvres qui échappent à l'analyse scientifique. C'est un des grands mérites de M. Bopp d'avoir combattu cette hypothèse toutes les fois qu'il l'a rencontrée et d'avoir accumulé preuve sur preuve pour l'écarter des études grammaticales.
        La troisième et dernière nouveauté que nous voulons relever dans l'ouvrage qui nous occupe, c'est l'indépendance que, dès ses premiers pas, M. Bopp revendique pour la philologie comparative, en regard des grammaires particulières qui donnent les règles de chaque langue. Avant lui, on s'en était tenu, pour l'explication des formes sanscrites, aux anciens grammairiens de l'Inde. Colebrooke résume Pânini; Garey et Wilkins transportent dans leurs livres les procédés grammaticaux qui sont en usage
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dans les écoles des brahmanes. On concevait à peine 
l'idée d'une autre méthode : l'opinion générale était qu'il
 fallait s'en rapporter à des maîtres qui joignaient une si
 prodigieuse faculté d'analyse à l'avantage d'enseigner leur 
langue maternelle. M: Bopp n'est pas l'élève des Grecs et
 des Romains, mais il n'est pas davantage le disciple des 
Indous. «Si les Indous, dit-il[22], ont méconnu quelquefois
 l'origine et la raison de leurs formes grammaticales, ils
 ressemblent en cela aux Grecs, aux Romains et aux mo-dernes, qui se sont fait souvent une idée très fausse de
 la nature et de la signification des parties du discours les
 plus importantes, et qui mainte fois ont plutôt senti que
 compris l'essence et le génie de leur langue. Les uns
 comme les autres ont pris pour sujet de leurs observations leur idiome déjà achevé ou plutôt déjà parvenu au
-delà du moment de la perfection et arrivé à son déclin;
 il ne faut pas s'étonner s'il a été souvent pour eux une
 énigme et si le disciple a mal compris son maître. Il est
 certain que chez les Indous les méprises sont plus rares,
 parce que dans leur idiome les formes se sont conservées
 d'une façon plus égale et plus complète; mais il n'en est
 pas moins vrai que, pour arriver à une étude scientifique
 des langues, il faut une comparaison approfondie et philosophique de tous les idiomes d'une même famille, nés
 d'une même mère, et qu'il faut même avoir égard à d'autres idiomes de famille différente. En ce qui concerne la langue sanscrite, nous ne pouvons pas nous en tenir aux résultats de la grammaire des indigènes; il faut pénétrer plus avant, si nous voulons saisir l'esprit des
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langues que nous nous contentons d'apprendre machinalement dans notre enfance.»
        Si l'on se reporte à l'époque où ces lignes ont été écrites, elles paraîtront d'une grande hardiesse : elles étaient l'annonce d'une méthode nouvelle. M. Bopp prend dans chaque grammaire toutes les observations dont il reconnaît la justesse, de même qu'il emprunte tantôt à l'école grecque et tantôt à l'école indienne les termes techniques qui lui paraissent nécessaires et commodes. Mais, ainsi qu'il le dit, il ne reconnaît d'autre maître que la langue elle-même, et il contrôle les doctrines des grammairiens au nom du principe supérieur de la critique historique.
        Après avoir indiqué les idées essentielles du livre de M. Bopp, il resterait à citer quelques-uns des faits qu'il renferme, pour montrer à quels résultats la méthode comparative conduisait dès le premier jour. Il n'y avait pas longtemps que l'école hollandaise, représentée par Hemsterhuys, Valckenaer, Lennep et Scheide, avait essayé de renouveler l'étude de la langue grecque en y appliquant les procédés de la grammaire sémitique et en divisant les racines grecques en racines bilitères, trilitères et quadrilitères. On ne doit pas s'étonner si une pareille tentative ne produisit que des erreurs : ainsi σ.άω (considéré à tort comme le primitif de ἵσ.ημι) est ramené par Lermep à une racine τάω, τέρπω à τέρω, ἕρπω à ἐρέω. M. Bopp ne devait pas avoir de peine à prouver, par la comparaison des verbes sanscrits sthâ, trĭp, srĭp[23],
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combien ces éliminations de lettres étaient arbitraires. Mais ce qui, chez les savants que nous venons de nommer, doit surprendre plus que toutes les erreurs de détail, c'est l'idée qu'ils se faisaient encore des racines, car non-seulement ils comptent l’ω du présent de l'indicatif parmi les lettres radicales, et ils voient, par exemple, dans λέγω une racine quadrilitère, mais ils font servir les désinences grammaticales à l'explication des dérivés : ainsi ἁφή est rapporté à un prétendu parfait ἧφα, ἅμμα à ἧμμαι, λέξις à λέλεξαι, ῶατήρ à ῶέπαται. Pour la première fois, dans le livre de M. Bopp, on voit figurer de vraies racines grecques et latines; pour la première fois, les éléments constitutifs des mots sont exactement séparés. Appliquant aux verbes grecs la division en dix classes établie par la grammaire de l'Inde, il reconnaît dans δίδωμι, ἵσ.ημι les racines δο et σ.α, redoublées de la même façon que dans dadâmi, tishthâmi; il montre que les formes comme ῥήγμυμεν, δείκνυμεν, δαίνυμεν doivent être décomposées ainsi : ῥήγ-μυ-μεν, δείκ-νυ-μεν, δαί-νυ-μεν, et que ces verbes correspondent aux verbes sanscrits de la cinquième classe, tels que su-nu-mas; il rapproche, comme exemple d'un verbe de la huitième classe, le grec τάν-υ-μεν du sanscrit tan-u-mas; il montre enfin que le ν est une lettre formative dans les verbes comme κρίνω, κλίνω, τέμνω dont les racines sont κρι, κλι, τεμ.[24]
        Frédéric Schlegel avait déjà reconnu l'identité des infinitifs sanscrits en tum, comme sthâtum, dâtum, avec les supins latins comme statum, datum. Mais M. Bopp, allant
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plus loin dans cette voie, explique ces mots comme des accusatifs de substantifs abstraits formés à l'aide du suffixe tu. Il en rapproche les gérondifs sanscrits comme sthitvâ, dans lesquels il reconnaît l'instrumental d'un nom verbal formé de la même façon. On peut voir dans la Bibliothèque indienne d'Auguste-Guillaume Schlegel[25] l'étonnement que lui causait une analyse aussi hardie : il devait arriver souvent à M. Bopp de soulever des réclamations dans les camps les plus divers. Ceux qui avaient appris le grec et le latin à l'école de l'antiquité, ceux qui avaient étudié le sanscrit dans les livres de l'Inde, comme ceux qui expliquaient les langues germaniques sans sortir de ce groupe d'idiomes, devaient à tour de rôle être déconcertés par la nouvelle méthode. Au point de vite élevé où il se plaçait, les règles des grammaires particulières devenaient insuffisantes; les faits changeaient d'aspect en étant rapprochés de faits de même espèce qui les complétaient et les rectifiaient.

         IV.

        Le livre de M. Bopp parut en 1816, à Francfort-sur-le-Mein, précédé d'une préface de Windischmann et suivi de la traduction en vers de quelques fragments des deux épopées indiennes[26]. Le roi de Bavière, à qui Windisch-
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mann lut un de ces morceaux, accorda au traducteur un secours pécuniaire qui lui permit d'aller continuer ses études à Londres. M. Bopp y connut Wilkins et Colebrooke; mais il fut surtout en rapport avec Guillaume de Humboldt, alors ambassadeur de Prusse à la cour d'Angleterre. Il eut l'honneur d'initier à la connaissance du sanscrit le célèbre diplomate, depuis longtemps renommé comme philosophe, et qui venait de se montrer linguiste savant dans ses travaux sur le basque. L'esprit lucide et net du jeune professeur servit peut-être jusqu'à un certain point de correctif à cette large, et puissante intelligence, qui arrivait quelquefois à l'obscurité, en recherchant, comme elle excellait à le faire, dans les lois de la pensée, la cause des phénomènes les plus délicats du langage[27].
        En 1820, M. Bopp fit paraître en anglais, dans Ies Annales de littérature orientale, un travail qui reprend avec plus d'ampleur et de développement le sujet traité dans son premier ouvrage[28]. L'auteur ne se borne plus,
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cette fois, à l'étude du verbe : il esquisse déjà sa Grammaire comparée. Quelques lois phoniques sont indiquées; il présente pour la première fois la comparaison si intéressante entre les racines sémitiques et les racines indoeuropéennes, qu'il devait développer plus tard dans le premier de ses Mémoires lus à l'Académie de Berlin, et qu'il a peut-être trop condensée dans un des paragraphes de sa Grammaire comparée; il donne déjà de l'augment, qu'il identifie avec l’a privatif, l'explication qu'il reproduira dans son grand, ouvrage[29].
        Revenu en Allemagne, M. Bopp fut proposé par le gouvernement bavarois comme professeur à l'université de Würzbourg; mais l'université refusa de créer une chaire nouvelle pour des études qu'elle jugeait peu utiles. Il passa alors un hiver à Göttingue, où il fut en relation avec Otfried Müller. En 1821, sur la recommandation de Guillaume de Humboldt, devenu ministre, il fut appelé comme professeur des langues orientales à l'université de Berlin. Il se partagea dès lors entre son enseignement et ses écrits, qui se sont succédé sans interruption jusqu'à ce jour.
        De 1824 à 1833, il inséra dans le Recueil de l'Académie de Berlin six mémoires, moins remarquables par leur étendue que par leur importance; ils contiennent en germe sa Grammaire comparée. Nous ne voulons pas les analyser ici[30]. Mais il est intéressant d'observer comment
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peu à peu, à mesure que des sujets d'information nouveaux se présentent devant lui, l'auteur élargit le cercle de ses recherches.
        Aux langues qui lui avaient servi pour ses premières comparaisons, il ajoute d'abord le lithuanien[31], ensuite le slave[32]. Ce fut pour lui un surcroît de richesse et une mine pleine d'agréables surprises, car ces langues, très riches en formes grammaticales, se sont mieux conservées, à quelques égards, que le reste de la famille. Se référant à ces points de rencontre, M. Bopp regarde les peuples letto-slaves comme les derniers venus en Europe, et il admet qu'une parenté plus intime relie leurs idiomes au zend et au sanscrit. Nous devons dire qu'il a été contredit sur ce sujet par un philologue particulièrement versé dans l'étude du slave et du lithuanien. M. Schleicher conteste le lien spécial de parenté qu'on voudrait établir entre les deux langues asiatiques et les langues letto-slaves, et c'est de la famille germanique qu'il rapproche ces derniers idiomes.
        La découverte du zend ouvrit une autre carrière à l'activité de M. Bopp. Ce fut, comme il le dit, un, des triomphes de la science nouvelle, car le zend, dont le
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sens était perdu, fut déchiffré en partie par une application de la méthode comparative. Jusque là, M. Bopp s'était servi du persan moderne pour ses rapprochements; mais le persan, qui est au zend ce que le français est au latin, ne présente qu'anomalies et obscurités sans le secours de l'idiome dont il est sorti. Il est vrai que Paulip de Saint-Barthélémy, faisant preuve d'un véritable sens philologique, avait déjà reconnu, à travers la transcription défectueuse d'Anquetil-Duperron, un certain nombre de mots communs au zend, au sanscrit, à l'allemand et aux langues classiques. Mais les doutes injustes qui pesaient sur l'authenticité de la langue de l'Avesta empêchèrent d'abord M. Bopp d'entrer dans la même voie. Ce fut Rask qui, le premier, par des raisons toutes grammaticales, leva les scrupules. Eugène Burnouf commença bientôt après le déchiffrement qui fut un de ses plus grands titres de gloire. En faisant lithographier un manuscrit du Vendidad-Sadé, il permit à M. Bopp de prendre sa part d'un travail qui s'accommodait si bien au tour de son esprit. Il s'engagea entre les deux savants une lutte courtoise de pénétration et de savoir : l'estime qu'ils faisaient l'un de l'autre est marquée dans les comptes rendus qu'ils ont réciproquement donnés de leurs découvertes[33].
        Nous arrivons à un travail qui marque une direction nouvelle dans les recherches de M. Bopp. Dans ses premiers ouvrages, il s'était surtout occupé de l'analyse des formes grammaticales. Il fut conduit sur un autre terrain, non moins fécond en enseignements, par la Grammaire
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allemande de Grimm. Si M. Bopp a frayé la route en tout ce qui touche à l'explication des flexions, Jacob Grimm est le vrai créateur des études relatives aux modifications des sons. Cette histoire des voyelles et des consonnes, qui ne peut sembler inutile ou aride qu'à ceux qui sont toujours restés étrangers à l'examen méthodique des langues, venait de trouver dans l'illustre germaniste le plus délicat et le plus séduisant des narrateurs. Il avait montré, par la loi de substitution des consonnes allemandes, combien est important le rôle des lois phoniques dans la formation et dans la métamorphose des idiomes[34]. Allant plus loin encore, il avait analysé la partie la plus subtile du langage, savoir les voyelles, et ramené à des séries uniformes, qu'il compare lui-même à l'échelle des couleurs, les variations dont chaque voyelle allemande est susceptible. Mais ici il se trouva, sur un point capital, en désaccord avec M. Bopp. Ce n'est pas le lieu d'exposer la théorie de Grimm sur l'apophonie (ablaut)[35] : il nous suffira de dire que, non content d'attribuer à ces modifications de la voyelle une valeur significative, il y voyait une manifestation immédiate et inexplicable de la faculté du langage. M. Bopp combattit cette hypothèse comme il avait combattu la théorie de Frédéric Schlegel sur l'origine des flexions. Il s'attacha à montrer, par la comparaison des autres idiomes indo-européens, que l'apophonie, telle qu elle existe dans les langues germaniques, n'a rien de primitif, que les modifications de la voyelle n'entraînaient, à l'origine, aucun
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changement dans le sens, et que ces variations du son étaient dues à des contractions et à des lois d'équilibre[36]. Une fois attiré vers ce nouveau genre de recherches, M. Bopp continua ses découvertes; il fit connaître l'origine des voyelles indiennes rĭ et lĭ, montra la présence du gouna et du vriddhi dans les langues de l'Europe, distingua dans la conjugaison les désinences pesantes et légères, dans la déclinaison les cas forts et lescas faibles, et établit ces lois qu'il a ingénieusement appelées lois de gravité des voyelles[37].
        Après vingt-ans-de travaux préparatoires., le moment parut enfin venu à M. Bopp d'élever le monument auquel son nom restera désormais attaché. Il commença en 1833 la publication de sa Grammaire comparée[38]. L'impression produite par cet ouvrage fut grande : tous les esprits sérieux furent frappés du développement des recherches, de la simplicité des vues principales, de la nouveauté et de l'importance des résultats. Eugène Burnouf, qui rendit
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compte du premier fascicule dans le Journal des Savants, dit que ce livre resterait, « sous la forme que lui avait donnée l'auteur, comme l'ouvrage qui renferme la solution la plus complète du problème que soulève l'étude comparée des nombreux idiomes appartenant à la famille indo-germanique[39]. » Une traduction anglaise, due à M. Eastwick, parut sous les auspices de l'illustre Wilson[40].
        Les ouvrages de linguistique qui commencèrent dans le même temps à se multiplier en Allemagne, firent encore ressortir l'importance du livre de M. Bopp, qu'ils complétaient ou qu'ils continuaient par certains côtés. Il faut au moins nommer ici M. Pott[41], le savant étymologiste, et M. Benfey[42], qui poussa de front les études de grammaire comparée et les études sanscrites. Pendant que se publiait la Grammaire comparée, paraissait aussi le grand ouvrage où Guillaume de Humbordt montrait, avec une finesse et une profondeur singulières, quels enseignements on pouvait tirer, pour l'analyse de l'esprit humain, de l'examen historique et comparatif des langues[43]. Le mouvement phi-
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lologique, qui depuis ne s'est plus ralenti, se manifestait avec éclat : parmi cette variété de travaux, le livre de M. Bopp était comme l’ouvrage central, auquel la plupart de ces écrits se référaient ou qu'ils supposaient implicitement. Essayons donc de nous en rendre compte et de dégager, à travers la multiplicité des faits et des observations de détail, les principes qui y sont contenus.

         V.

        La vue fondamentale de la philologie comparative, c'est que les langues ont un développement continu dont il faut renouer la chaîne pour comprendre les faits qu'on rencontre à un marnent donné de leur histoire. L'erreur de l'ancienne méthode grammaticale est de croire qu'un idiome forme un tout achevé en soi, qui s'explique de lui-même. Cette hypothèse, qui est sous-entendue dans les spéculations des Indous aussi bien que dans celles des Grecs et des Romains, a faussé la grammaire depuis son origine jusqu'à nos jours. Mais s'il est vrai que nos langues modernes sont un héritage que nous tenons de nos ancêtres, si, pour nous rendre compte, en français ou en italien, du mot le plus usuel et de la forme la plus simple, il faut remonter jusqu'au latin, si le grec d'aujourd'hui est incompréhensible sans la lumière du grée ancien, le même principe conserve toute sa force pour les idiomes de l'antiquité, et la structure du grec et du latin restera pour nous une énigme aussi longtemps que nous voudrons l'expliquer par les seules informations qu'ils nous fournissent. Comment comprendrons-nous pourquoi l'italien dirigere fait au
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participe diretto, ou pourquoi le français venir fait au présent singulier je viens et au pluriel nous venons, sans le secours de la conjugaison latine et sans la connaissance des lois phoniques qui ont présidé à la décomposition du latin? Mais sommes-nous plus en état de dire sans sortir du grec pourquoi (βάλλω fait à l'aoriste ἔβαλον, ou pourquoi εἰμί fait ἦν à l'imparfait? II serait impossible, sans l'aide de la langue mère, d'indiquer d'une façon satisfaisante le lien de parenté qui unit le substantif français jour à la syllabe di renfermée dans lundi, mardi; mais l'affinité du grec Ζεύς avec son génitif Διός est-elle plus apparente? Le grec et le latin, pas plus que le français ou l'italien, ne sauraient rendre compte des formes grammaticales qu'ils emploient, et, dans le plus grand nombre des cas, ils ne donnent pas la clef de leur vocabulaire. Ce serait une étrange illusion de croire qu'un idiome entre dans l'existence en même temps qu'un certain groupe d'hommes commence à former un peuple à part. Quand Romulus assembla ses bergers sur le mont Aventin, les mots, l'organisme grammatical qui devaient composer le langage de ses descendants, étaient créés depuis des siècles. Pour découvrir les origines d'une langue, il ne suffit donc pas d'interroger les documents qui nous l'ont conservée, quelque anciens qu'ils puissent être. La question première, celle de la formation, resterait impénétrable, si la philologie comparative ne fournissait d'autres moyens d'investigation et d'analyse.
        La grande expérience tentée par M. Bopp a prouvé qu'en réunissant en un faisceau tous les idiomes de même famille, on peut les compléter l'un par l'autre et expliquer
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la plupart des faits que les grammaires spéciales enregistrent sans les comprendre. Il est inutile de donner ici des exemples : le livre de M. Bopp en est rempli de la première à la dernière page. Il nous montre, à travers la diversité apparente dé tant d'idiomes, le développement d'un vocabulaire et d'une grammaire uniques. Ce n'est pas que chaque langue ne porte en soi un principe de rénovation qui lui permet de modifier le type héréditaire et de substituer en quelque sorte des organes nouveaux aux mots usés et aux formes grammaticales hors de service. Mais si les langues ont été justement comparées à des monuments dont on renouvelle constamment les parties vieillies, il faut ajouter que les matériaux qui servent à réparer les brèches sont tirés de l'édifice lui-même. Le verbe français a perdu les formes personnelles du passif, mais il les remplace à l'aide d'un verbe auxiliaire et d'un participe qui sont aussi anciens que le reste de la langue française. De même, en latin, le passif n'a plus de seconde personne du pluriel; mais la forme en mini qui en tient lieu (amamini, moneminï) est un participe moyen dont les formes grecques, comme (φιλούμενοι, τιμώμενοι, attestent l'antiquité[44].
        Chaque mot, chaque flexion nous ramène par une, filiation directe jusqu'aux temps les plus reculés de la langue; mais la philologie va encore plus avant et montre de quelle nature sont les éléments qui ont servi à composer le langage. Elle constate que les idiomes indo-européens se réduisent, en dernière analyse, à deux sortes de racines: les unes, appelées racines verbales, qui expri-
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ment une action ou une manière d'être; les autres, nommées racines pronominales, qui désignent les personnes, non d'une façon abstraite, mais avec l'idée accessoire de situation dans l'espace. C'est par la combinaison des six ou sept cents racines verbales avec un petit nombre de racines pronominales que s'est formé ce mécanisme merveilleux, qui frappe d'admiration celui qui l'examine pour la première fois, comme il confond d'étonnement celui qui en mesure la portée indéfinie après en avoir scruté les modestes commencements. L'instinct humain, avec les moyens les plus simples, a créé un instrument qui suffit depuis des siècles à tous les besoins de la pensée. La Grammaire comparée de M. Bopp est l'histoire de la mise en œuvre des éléments primitifs qui ont servi à former la plus parfaite des familles de langues.
        Cependant le livre de M. Bopp n'est pas resté à l'abri de la critique. Nous avons essayé d'en exposer l'idée mère et d'en faire voir les mérites : nous croyons qu'il est aussi de notre devoir d'indiquer les principaux reproches qu'on a pu adresser à l'auteur[45].
        Une lacune qui a été signalée quelquefois, c'est l'absence de la syntaxe, c'est-à-dire de cette partie de la grammaire qui est traitée d'habitude avec le plus de développement. Il est naturel que les règles de construction tiennent une large place dans les livres qui enseignent à parler ou à écrire une langue ; mais le dessein de M. Bopp
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est tout autre. Il ne veut pas nous apprendre le maniement pratique des idiomes dont il nous retrace les origines, les affinités et les changements. Il en écrit l'histoire, ou plutôt il a choisi dans cette histoire, trop étendue et trop compliquée pour les forces d'un seul homme, la phonétique et la théorie des formes. La tâche, ainsi réduite, était encore assez grande pour satisfaire l'ambition et pour suffire au travail d'une vie entière.
        Mais la lacune qu'on a remarquée s'explique encore par une autre raison. La syntaxe d'une langue consiste dans l'emploi qu'elle fait de ses formes grammaticales; pour rapprocher, à cet égard, plusieurs idiomes entre eux, et pour tirer de ces rapprochements des conclusions historiques, il faut d'abord établir, d'une façon incontestable, quelles sont les formes grammaticales qui, par leur origine, se correspondent. Avant de comparer le rôle du datif grec à celui du datif latin, il est nécessaire de savoir si la comparaison porte sur deux formes congénères[46]. La tâche la plus pressante de la philologie indoeuropéenne était donc l'étude des flexions. Entreprise trop tôt, la syntaxe comparative aurait manqué de principes solides, sans avoir, comme les syntaxes spéciales, l'utilité pratique pour excuse[47].
        Dans un ordre d'idées tout différent, on a fait une autre objection à M. Bopp. On lui a reproché d'attribuer
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au sanscrit une importance excessive, et de ramener trop souvent le reste de la famille au modèle de la langue de l'Inde. Il ne faudrait pas s'étonner si la philologie comparée, créée par des indianistes, avait d'abord traité avec prédilection l'idiome qui jetait tant de lumière sur ses frères. Mais il faut ajouter que M. Bopp, parmi ses contemporains et ses émules, est celui qui a le moins cédé à cette préférence; mieux que personne et dès ses premiers ouvrages[48], il a fait voir le parti qu'on doit tirer du grec et du latin, et même de l’allemand et du slave, pour corriger et pour compléter le sanscrit, que des lois phoniques d'une extrême rigueur ou une prononciation vicieuse ont parfois mutilé ou altéré. En isolant ou en prenant à la lettre certaines phrases de M. Bopp, on pourra faire croire qu'il regarde le mot sanscrit comme le prototype des mots congénères; mais toutes les sciences comparatives se servent d'abréviations convenues, que le lecteur n'a pas de peine à interpréter. Le sanscrit étant l'idiome dont nous avons gardé les monuments les plus anciens et dont les formes grammaticales sont d'ordinaire les plus intactes, il est naturel qu'il serve de point de dé-
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part aux recherches; parmi ces sœurs inégales en âge et en beauté, le chœur est mené par l'aînée et la plus belle. On ne veut pas nier d'ailleurs qu'il est quelquefois arrivé à M. Bopp de mettre, d'une façon un peu imprévue et sans intermédiaires suffisants, le sanscrit en présence d'un idiome qui n'y touche que de loin. Mais cette critique doit moins s'adresser à la Grammaire comparée qu'aux mémoires spéciaux dont nous parlerons tout à l'heure.
        Un reproche qu'on ferait peut-être avec plus de raison à M. Bopp, c'est de trop laisser ignorer à ses lecteurs combien les recherches de linguistique sont redevables aux grammairiens de l'Inde. S'il faut louer l'illustre savant d'avoir réservé à leur égard tous les droits de la critique européenne, on peut regretter qu'il ait quelquefois relevé leurs erreurs, tandis que les hommages qu'il leur rend sont muets. Ce ne fut pas un mçdiocre avantage de trouver une langue toute préparée d'avance pour l'étude grammaticale, par ceux mêmes qui la maniaient, et de n'avoir qu'à appliquer aux idiomes de l'Occident des procédés d'analyse que la science européenne, depuis plus de deux mille ans, n'avait pas su trouver. Le classement méthodique des lettres d'après les organes de l'appareil vocal, l'observation du gouna et du vriddhi, les listes des suffixes, la distinction de la racine et du thème, ce sont là, parmi beaucoup d'autres idées neuves et justes, des découvertes qui ont passé de plain pied de la grammaire indienne dans la grammaire comparative; mais ce que, par-dessus tout, nous devons aux écoles de l'Inde, c'est l'idée d'une grammaire expérimentale, nullement subordonnée à la rhétorique ni à la philosophie, et s’attachant à la forme avant
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de s'occuper de la fonction des mots. Si à une clairvoyance admirable il se mêle beaucoup de subtilité, si nous avons employé, pour un usage qu'on ne soupçonnait pas, des procédés qui avaient été inventés dans un dessein tout différent, il n'en est pas moins juste de reconnaître que le progrès accompli, depuis cinquante ans, par les études grammaticales est dû, en grande partie, à la connaissance de la méthode indienne. Gomme tous les novateurs, M. Bopp a été plus frappé des défauts que des mérites d'un système qu'il a perfectionné en le simplifiant. Il faut ajouter que M. Bopp a d'abord appris à connaître les grammairiens indiens, non dans leurs livres originaux, mais par les traductions de Garey, de Wilkins, où ils gardaient leur air étrange et leur subtilité en perdant leur brièveté et leur précision.
        Il nous reste, avant de quitter le grand travail de M. Bopp, à faire quelques remarques sur la composition et sur le style de cet ouvrage. La Grammaire comparée est un livre d'étude savante; quoique le langage de l'auteur soit d'une, parfaite clarté, on ne saurait le lire sans une attention soutenue. Chaque mot a besoin d'être pesé sous peine d'erreur. Supposant son lecteur non-seulement attentif, mais bien préparé, M. Bopp distribue ses développements d'une façon un peu inégale : il passe vite sur les principes généraux et il insiste sur les particularités; il dit en quelques mots qu'il adopte l'opinion d'un auteur et il s'étend sur les faits qui la limitent ou la rectifient. Les grandes lois ne ressortent peut-être pas toujours assez au milieu des observations secondaires, et le ton uni dont M. Bopp expose ses plus belles trouvailles fait qu'on n'en
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aperçoit pas du premier coup toute l'importance. Le passage continuel d'un idiome à un autre est un procédé d'exposition excellent, parce qu'il nous montre comment l'auteur a poussé ses recherches et comment il a fait ses découvertes; mais il exige chez le lecteur de la suite et de la réflexion. C'est la plume à la main, en s'entourant autant qu'il est possible des livres cités par M. Bopp, qu'il faut étudier la Grammaire comparée. Outre l'instruction, on y trouvera alors un très-sérieux attrait, en découvrant la raison et l'origine des règles que tant de générations se sont transmises sans les comprendre, et en voyant peu à peu un jour nouveau éclairer et transformer des faits que nous croyions connaître depuis l'enfance.

         VI

        Une fois la Grammaire comparée conduite à bonne fin, et en attendant le dernier remaniement qu'il devait lui donner, où M. Bopp allait-il tourner son zèle infatigable? Il restait encore quelques idiomes indo-européens qu'il avait laissés en dehors de ses rapprochements, soit que les moyens de les étudier lui eussent manqué, soit que les textes qui nous les ont conservés fussent trop récents ou trop courts. Il y consacra les mémoires que, de 1838 à 1854, il inséra dans le Recueil de l'Académie de Berlin. Mais ces essais, il faut le dire, se ressentent de l'insuffisance des documents sur lesquels ils s'appuient. N'ayant pas à sa disposition des matériaux étendus, il est parfois obligé de recourir à des comparaisons lointaines et à des rapprochements aventurés. C'est ici que se découvrent les
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dangers d'une méthode qui, pour être employée avec sûreté, suppose la connaissance complète et approfondie des idiomes auxquels elle s'applique.
        Un mémoire de M. Pictet sur les langues celtiques venait d'être couronné par l'Institut de France[49]. M. Bopp, partant de cet écrit qui s'inspirait directement de sa méthode, et s'aidant, en outre, des livres de Mac Gurtin et d'O'Reiily, essaya sur le rameau celtique l'étude qu'il avait faite sur les autres branches indo-européennes[50]. Cependant le celtique occupe peu de place dans la seconde édition de la Grammaire comparée : l'auteur reconnut sans doute que les matériaux dont il disposait étaient trop rares et la lumière renvoyée sur le reste de la famille trop faible et trop incertaine. Il ne paraît pas avoir eu l'idée de dépouiller le grand ouvrage de Zeuss, qui, grâce à, des moyens d'information dont avaient manqué ses prédécesseurs , a fondé enfin l'étude comparative des langues celtiques sur une base large et solide[51].
        Un curieux problème de linguistique ramena M. Bopp vers l'extrême Orient. Dans son grand ouvrage sur la langue kawie, Guillaume de Humboldt avait exposé comment la civilisation brahmanique se répandit de l'Inde dans les îles
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de la Malaisie et de la Polynésie. M. Bopp cherche à rat tacher au sanscrit un certain nombre de mots des langues maiayo-polynésiennes[52]. Mais, si nous en croyons les spé
cimens qu'il nous donne, le sanscrit souffrit de singulières
déformations dans la bouche de ces peuples incultes. Tout 
l'organisme grammatical a disparu : le vocabulaire seul a
 subsisté. «Ces idiomes se sont dépouillés de leur ancien 
vêtement et en ont revêtu un autre, ou bien, comme dans
 les langues des îles de la mer du Sud, ils se montrent à 
nous dans un état de nudité complète.» M. Bopp est le 
premier à nous avertir que des observations ainsi limitées 
à la partie la moins caractéristique d'un idiome doivent
 être accueillies avec précaution.
        Les mémoires subséquents sur le géorgien[53], sur le borussien[54] et sur l'albanais[55] se ressentent plus ou moins de cette même difficulté qui résulte de la jeunesse relative et de la maigreur des documents mis à contribution. On en pourrait dire à peu près autant pour l'arménien, que l'au-
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teur, déjà engagé dans la publication de la seconde édition de la Grammaire comparée, y fit un peu tardivement entrer en ligne. L'origine iranienne de l'arménien paraît incontestable; mais la grammaire de cette langue a subi des modifications trop profondes, et son système phonique est encore trop peu connu pour que les rapprochements avec le zend et le sanscrit ne semblent pas quelquefois prématurés. Tout en poussant de la sorte ses travaux de philologie comparative, M. Bopp ne négligeait aucun moyen de faciliter l'accès de la langue qui lui avait donné l'idée et la clef de ces recherches. Grammaires, vocabulaires, textes, traductions, il a tout mis en œuvre pour rendre l'étude du sanscrit plus simple et plus aisée[56]. Sa Grammaire sanscrite a subi autant et plus de remaniements encore que
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la Grammaire comparée : après deux premiers essais, il la condensa en un petit volume qui est un modèle de saine critique et d'exposition lumineuse. Le succès de ce livre est attesté par trois éditions que distinguent l'une de l'autre de constantes améliorations. Pour ses publications de textes, il choisit, avec un bon goût parfait, les épisodes les plus intéressants et, en même temps, les plus faciles des deux principaux poëmes épiques de l'Inde. C'est à M. Bopp que nous devons le texte et la première traduction exacte de l'histoire de Nala, devenue justement populaire en Allemagne. Nous lui devons aussi cette délicieuse idylle de Sâvitrî, l'un des morceaux les plus touchants qu'il y ait dans la littérature d'aucun peuple. Le Glossaire sanscrit de M. Bopp, qui contient de nombreux rapprochements lexicologiques, est également arrivé aujourd'hui à sa troisième édition. Il complète cette série de travaux que recommandent l'unité de vues, une grande clarté et l'éloignement pour l'érudition inutile.
        Un mémoire de M. Bœhtlingk sur l'accentuation en sanscrit fournit à M. Bopp l'occasion de porter ses recherches sur un point encore inexploré de la philologie comparative. Il rapprocha de l'accent indien le système de l'accentuation grecque, et montra avec quelle merveilleuse fidélité certaines particularités de l'intonation se sont conservées dans la déclinaison et dans la conjugaison de l'une et l'autre langue. Il borna d'ailleurs ses observations au sanscrit et au grec, les analogies faisant défaut ou les renseignements étant trop rares pour les autres idiomes de la famille[57]. L'histoire complète de l'accent tonique dans
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les langues indo-européennes demeure encore à l'heure qu'il est une tâche réservée pour l'avenir.
        Cependant M. Bopp amassait de nouveaux et amples matériaux pour la seconde édition de sa Grammaire comparée. Les différentes tranches de la philologie indo-européenne avaient grandi rapidement dans l'intervalle qui sépare les deux éditions, grâce surtout aux progrès de l'épigraphie grecque et latine et à la publication des textes védiques. Les travaux de M. Ahrens avaient montré combien la science pouvait encore récolter dans le champ des idiomes classiques, en né se bornant pas aux formes de la langue littéraire, mais en dépouillant les dialectes et en interrogeant les inscriptions, ces fidèles témoins des variations de la langue hellénique. Depuis les premiers livres de M. Ahrens, le grand recueil de M. Bœckh n'avait pas cessé de s'accroître et de fournir à la grammaire comparative un riche butin qui est loin encore d'être épuisé[58]. Des publications analogues se faisaient pour les inscriptions de l'Italie; nous avons déjà dit combien les travaux de M. Gorssen, qui avaient été précédés des re-
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cherches de MM. Mommsen, Aufrecht et Kirchhoff, ont jeté de jour sur la structure de l'ancien latin[59]. L'histoire de la langue allemande et de ses nombreux dialectes, commencée avec tant de succès par les frères Grimm, avait donné naissance à une quantité de publications, qu'il serait impossible d'émamérer ici. En même temps, MM. Schleicher et Miklosich soumettaient les dialectes lithuaniens et slaves à une étude rigoureuse et approfondie[60].
        De tous côtés on se partageait, pour en décrire lés particularités, le vaste empire embrassé par M. Bopp. Les idiomes asiatiques n'étaient pas oubliés dans cette grande enquête. La langue des Védas, plus archaïque, plus riche en formes grammaticales, plus voisine du grec et du latin que le sanscrit de l'épopée, était mieux connue de jour en jour, et M. Bopp avait la satisfaction de voir réellement conservées dans ces antiques documents des formes qu'il avait autrefois restituées par conjecture, en s'appuyant sur le zend ou sur les langues classiques[61]. L'explication des livres sacrés des Parses, laissée malheureusement interrompue par Eugène Burnouf, avait trouvé dans M. Spiegel
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un infatigable continuateur, pendant que l'ancien perse, c'est-à-dire le dialecte des inscriptions, s'enrichissait par la découverte inespérée du monument de Bisoutoun.
        Une si grande abondance de matériaux devait donner la plus vive activité aux travaux de grammaire comparée. Depuis 1852, un excellent recueil, devenu bientôt trop étroit, servait d'organe à ces études et inaugurait l'ère des recherches de détail[62]. On y trouve, sur les sujets les plus divers, mais surtout sur la phonétique, des travaux souvent cités par M. Bopp dans le cours de sa deuxième édition, et signés des noms de MM. Pott, Benfey, Ahrens, Kuhn, Max Müller, Aufrecht, A. Weber, G. Curtius, Corssen, Schleicher, Léo Meyer[63].
        Entouré de ces secours, mais consultant par-dessus tout
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ses propres observations, M. Bopp commença en 1867 la publication de la seconde édition de sa Grammaire comparée. Elle porte à chaque page la marque du continuel travail d'amendement et de correction que M. Bopp n'a jamais cessé de faire subir à ses idées. Elle contient peu de paragraphes qui n'aient été remaniés ou augmentés[64]. En même temps, il y fit entrer la substance de ses plus récents écrits, en sorte qu'on peut, regarder cet ouvrage comme le dernier mot de l'auteur et comme le résumé de ses travaux.
        En parcourant la liste des publications de M. Bopp, qui toutes concourent au même but, on ne peut s'empêcher d'admirer la persévérance et l'unité de ses efforts. Il a passé sa vie entière à confirmer et à développer les principes qu'il avait posés dans son premier livre : poursuivant sans relâche les mêmes études, il s'est attaché pendant cinquante ans à en étendre la portée, à en multiplier les applications et à en assurer les progrès dans l'avenir. Aussi son nom restera-t-il inséparable d'une science dont il est, en un sens, le plus parfait représentant : sa récompense a été de la voir grandir sous ses yeux. Peu de recherches ont pris un accroissement aussi rapide : créée il y a un demi-siècle, la philologie comparative est
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enseignée aujourd'hui dans tous les pays de l'Europe; elle a ses chaires, ses livres, ses journaux, ses sociétés spéciales; elle a introduit des idées nouvelles sur l'origine et le développement des idiomes, modifié profondément l'ethnographie et l'histoire, transformé les études mythologiques'et éclairé d'un jour inattendu le passé de l'humanité. L'auteur de ce grand mouvement scientifique est un homme modeste jusqu'à la timidité, ne parlant jamais de ses découvertes les plus importantes, mais aimant à citer quelque fait de détail, et laissant voir alors par moments, aux saillies discrètes d'un enjouement candide, la joie intime que lui causent ses travaux[65].
        Il nous reste à dire quelques mots de la présente traduction[66]. Nous avons scrupuleusement respecté le texte d'un livre qui est devenu classique et dont même les points contestables ont besoin d'être conservés, car ils appartiennent à l'histoire de la science, et une quantité d'autres écrits s'y réfèrent. Un examen attentif nous a d'ailleurs montré que toutes les parties de la Grammaire comparée se tiennent d'une façon étroite : la suite de l'ouvrage révèle l'importance de telle observation dont on ne voit pas, au premier coup d'œil, la valeur ou l'opportunité. Les modifications que je me suis permises sont tout extérieures : elles ont pour objet de rendre le livre d'un usage plus
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commode et plus facile. Après mûre délibération, je me suis abstenu de donner des notes critiques au bas des pages[67]. Outre qu'il eût fallu, pour répartir ces notes d'une façon égale sur toutes les parties de la Grammaire comparée, un savoir non moins étendu que celui de l'auteur, il eût été impossible de condenser d'une façon intelligible, dans des remarques nécessairement peu développées, des observations qui, pour être utiles, ont besoin d'être accompagnées de leurs preuves. Peut-être essayerai-je plus tard, si nul autre n'entreprend cette tâche, de donner un commentaire critique sur quelques parties de la Grammaire comparée de M. Bopp.
        Les précieux encouragements qui m'ont soutenu dans mon travail me faisaient un devoir de n'y épargner aucune peine. Mes premiers remerciements sont dus au Comité des souscriptions aux publications littéraires, qui a rendu possible cette édition française, en la proposant au patronage de Son Exe. M. le comte Walewski, ministre d'État. Je suis heureux de nommer ensuite M. Bopp, qui, malgré l'affaiblissement de sa vue, a demandé à relire les épreuves, et m'a fourni, avec ses corrections, quelques additions utiles. J'ai trouvé, pour la révision des épreuves, un autre collaborateur dans M. Baudry, bien connu par ses études de linguistique et de mythologie. L'exécu-
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tion typographique, confiée par M. Hachette à l'Imprimerie impériale, est digne de ce grand établissement. J'ai réservé pour la fin mes remerciements à M. Adolphe Régnier, qui m'a bien voulu aider de sa haute expérience, et à mon ancien maître, M. Egger[68], qui a prêté à ce travail, commencé sur son conseil, l'attention affectueuse et le concours eficace que trouvent auprès de lui toutes les entreprises utiles aux lettres.

                   Épinal, le 1er novembre 1865.

                   Michel Breal.

        En moins de dix ans, une nouvelle édition de cette traduction française est devenue nécessaire : nous voyons dans ce fait la preuve que nous ne nous étions pas trompé sur l'utilité et l'opportunité de notre travail. Quels que soient, dans le présent et dans l'avenir, les pas accomplis parla science, il faudra toujours, sur chaque question, connaître d'abord l'opinion du maître. Il semble, d'ailleurs, que nous ayons déjà traversé la période des grands travaux d'ensemble, et qu'un ouvrage semblable à celui de Bopp voie difficilement le jour de longtemps.
        Depuis qu'a été écrite l'introduction qui précède, plus d'un point dans le domaine de la philologie s'est modifié. Ainsi le tableau que nous avons tracé page ii a heu-
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reusement cessé d'être ressemblant, et les publications grammaticales qui ont paru depuis lors en France, prouvent qu'un nouvel esprit a pénétré chez nous dans cet ordre de recherches. Je citerai comme exemples la Phonétique de M. Baudry, la Grammaire grecque de M. Ghassang, les Racines grecques et la Grammaire grecque de M. Bailly, les Mémoires de la Société de linguistique, la Revue de linguistique et de philologie comparée, la Revue celtique, sans parler de beaucoup d'autres excellents travaux qui touchent moins directement aux langues analysées par Bopp. Notre pays, qui s'était laissé devancer, aura donc bientôt regagné le temps perdu. Si la traduction de Bopp a été pour quelque chose dans ce résultat, nous ne regretterons pas les longues heures qu'elle nous a coûtées.

                   Paris, 26 mai 1875.

                   M. B.



* Nous reproduisons ces pages telles quelles ont paru dans la première édition. Nous avons seulement joint quelques additions entre crochets.

[1] On trouvera des détails intéressants sur la part que prit Leibniz au développement de la linguistique dans le bel ouvrage de M. Max Müller : La science du langage. T. I, leçon quatrième. Le premier volume de cet ouvrage a été traduit en français par MM. Harris et Perrot. La traduction dé la seconde partie doit paraître prochainement. [2 vol. 1867-68.]

[2] Heidelberg, 1808. 

[3] Article sur la grammaire de Wilkins, dans le Moniteur du 26 mai 1810.

[4] Sérampour, 1806.

[5] Londres, 1808.

[6] Calcutta, 1810. — La grammaire de Colebrooke, quoique publiée la
 première, ne fut connue de M. Bopp que plus tard.

[7] Francfort-sur-le-Mein, 1816. La préface, qui est de Windischmann, est datée du 16 mai 1816. Le 16 mai 1866, une fondation qui portera le nomde M. Bopp et à laquelle concourent ses disciples et ses admirateurs de tout pays, sera constituée à Berlin pour l'encouragement des travaux de philologie comparative. [La France y contribua pour une large part.]

[8] On sait que les ressemblances de l'allemand et du persan ont été observées de bonne heure; mais on les expliquait par des conjectures aujourd'hui abandonnées. Il est constaté à présent que ces analogies proviennent de la parenté générale qui unit tous les idiomes indo-européens, et que les langues germaniques n'ont pas avec le persan ou avec le zend une affinité plus étroite qu'avec le sanscrit.

[9] Le missionnaire ajoutait ces derniers mots pour prévenir une objection qu’on ne devait pas manquer de lui opposer, celle d'un emprunt fait aux royaumes grecs fondés dans le voisinage de l'Inde.

[10] Il rapproche, par exemple, dânam de donum, dattam de datum, vîra de virtus, vidhavâ de vîdua, agni de ignis, nava de novus, divas de dies, madhya de medius, antara de inter, janitrî de genitrix. Il met le présent de l'indicatif et le potentiel du verbe asmi en regard de εἰμί et de sim. Il compare les pronoms personnels et interrogatifs en sanscrit, en grec et en latin. Il rapproche enfin les noms de nombre dans les trois langues.

[11] Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XLIX, p. 647-697.

[12] Voyez, par exemple, aux tomes XVIII et XXI de l’Hisloire de l'Académie des Inscriptions, l'analyse de deux mémoires de Fréret intitulés : Vues générales sur l'origine et le mélange des anciennes nations. Observations gé nérales sur l'origine et sur l'ancienne histoire des premiers habitants de la Grèce. Dans ces mémoires, le pénétrant critique essaye déjà la méthode et pressent quelques-unes des découvertes de la linguistique moderne.

[13] Recherches asiatiques, t. I, p. 422.

[14] «Je n'ai jamais, dit William Jones dans son premier discours à l'Institut de Calcutta, considéré les langues que comme de simples instruments du savoir réel, et je pense qu'on a tort de les confondre avec lui. »

[15] II faut excepter le seul Adelung, qui, dans son Mithridate (I, p. xxviii 
et suiv.), propose sur la nature et sur l'origine des flexions des vues pleines
 de sens et de justesse. Mais il eût été en peine de les démontrer sur le grec 
ou sur le latin. Même après la publication du premier ouvrage de M. Bopp,
 Ph. Buttmann, dans son Lexilogus (1818), déclare qu'il est obligé de 
laisser les flexions en dehors de ses recherches, et Jacob Grimm, en 1822, 
dans la seconde édition de sa Grammaire allemande (I, p. 835), dit que 
les signes casuels sont pour lui «un élément mystérieux» dont il renonce à
 découvrir la provenance. [Une remarquable explication des flexions a été 
donnée par Horne Tooke (1786-1812) dans son ouvrage : Ἔπεα ωτερόεντα or the diversions of Purley.

[16] Voyez surtout Grammaire comparée, § 108.

[17] Ouvrage cité, p. 44 et suiv.

[18] De là le titre de l'ouvrage de Schlegel.

[19] Système de conjugaison de la langue sanscrite, p. 147.

[20] Ouvrage cité, p. 66. Cf. Grammaire comparée, § 648 et suiv.

[21] P. 96. Cf. Grammaire comparée, § 526.

[22] Ouvrage cité, p. 56.

[23] Plus tard, M. Bopp devait montrer que tri˘p, sri˘p supposent d'anciennes formes tarp, sarp. (Voyez Grammaire comparée, §1.)

[24] Cf. Grammaire comparée, § 109a et suiv.

[25] T. I, p. 125.

[26] Dès l'année 1819, quelques-unes des idées exposées par M. Bopp étaient 
reproduites en tête d'un livre qui est encore entre les mains de tous nos 
lycéens. Nous voulons parler delà Méthode pour étudier la langue grecque de
 J. L. Burnouf (voir l’Avertissement de la sixième édition). Le savant universitaire, qui s'était fait l'auditeur du cours de Chézy, avait vu le parti qu'on devait tirer de la langue de l'Inde pour éclairer la grammaire grecque. Il a indiqué avec plus de détail ses vues sur ce sujet, dans un article inséré, en 1823, dans le Journal asiatique (t. III). Ce n'est pas ici le lieu d'examiner pourquoi ces commencements n'ont pas été suivis, en France, d'un effet plus prompt et plus général.

[27] Comme modèles de cette analyse philosophique où Guillaume de Hum
boldt est incomparable, on peut citer les écrits suivants : De l'écriture pho
nétique et de son rapport avec la structure des idiomes (1826); Du duel
 (1828) ; De la parenté des adverbes de lieu avec les pronoms dans certaines
 langues (1830).

[28] Ce travail a été traduit en allemand par le docteur Pacht, dans le recueil de Gottfried Seebode : Nouvelles archives de philologie et de pédagogie, 1827.

[29] Grammaire comparée, § 537-541.

[30] Ils ont pour titre collectif : Analyse comparative du sanscrit et des langues congénères. En voici la liste :

1824. Des racines et des pronoms de la 1re et de la 2e personne. (Voir la recension d'Eugène Burnouf dans le Journal asiatique, t. VI.)

1825. Du pronom réfléchi.

1826. Du pronom démonstratif et de l'origine des signes casuels.

1829. De quelques thèmes démonstratifs et de leur rapport avec diverses prépositions et conjonctions.

1831. De l'influence des pronoms sur la formation des mots.

1833. Des noms de nombre en sanscrit, en grec, en latin, en lithuanien et en ancien slave. — Des noms de nombre en zend. (Tous ces mémoires ont paru en brochures à part.)

[31] Avec l'aide des grammaires de Ruhig et de Mielcke.

[32] Grâce aux travaux de Dobrowsky, de Kopitar, de Schaffarik.

[33] Annales de critique scientifique, 1831. — Journal des Savants, 1833.

[34] Cf. Grammaire comparée, § 87,1.

[35] Il s'agit de ce changement de voyelle qu'on observe dans les verbes, comme ich singe, ich sang, gesungen; I sing, I sang, sung.

[36] M. Bopp n'a pas donné dans sa Grammaire comparée une exposition 
d'ensemble sur ce sujet. Il explique les diverses variétés de l'apophonie à
 mesure qu'elles se présentent. Voir les $$ 7 et suiv., 26. et suiv., 48g et
 suiv., 589 et suiv., 602 et suiv. La polémique contre Grimm se trouve 
dans deux articles insérés, en 1827, dans les Annales de critique scientifique. 
Ils sont reproduits dans le volume intitulé Vocalisme (Berlin, 1836), où ils
 sont suivis d'un autre article publié, en 1835, dans le même recueil, sur le 
Dictionnaire de Graff.

[37] [L'ouvrage le plus détaillé sur la phonétique indo-européenne est r : Ascoli. Lezioni di fonologia comparata del sanscrito, del greco e del latino,
 1870. Encore inachevé. ]

[38] Grammaire comparée du sanscrit, du zend, du latin, du lithuanien,
 du gothique et de l'allemand, in-4°. L'ouvrage parut en six livraisons de 1833 à 1849.

[39] Journal des Savants, 1833, p. 413.

[40] Londres. 3 volumes, 1845-53. Cette traduction est arrivée à sa troi
sième édition.

[41] La première édition des Recherches étymologiques de M. Pott est de 
1833. La seconde édition a subi un remaniement complet, qui en a fait un 
livre nouveau. [8 vol. 1859-75].

[42] Les principaux ouvrages de M. Benfey sont le Lexique des racines grecques (1839), l'édition du Sâma-véda (1848), la Grammaire sanscrite (1852), l'édition du Pantchatantra (1859). M. Benfey dirige une revue de philologie, intitulée : Orient et Occident. [3 vol. 1860-66.]

[43] De la langue kawie, 1836-39, 3 volumes in-4°. — L'introduction forme une œuvre à part: De la différence de structure des langues et de son influence sur le développement intellectuel du genre humain.

[44] Grammaire comparée, § 478.

[45] II serait impossible d'entrer dans les critiques de détail : un travail aussi étendu sur des matières aussi variées et aussi neuves devait nécessairement renfermer des points contestables.

[46] Voyez Grammaire, comparée, § 177.

[47] Un premier essai de syntaxe comparative a été tenté par M. Albert Hœfer, dans son traité : De l'infinitif, particulièrement en sanscrit. Berlin, 1840. On trouvera deux articles de M. Schweizer, sur l'emploi de l'ablatif et de l'instrumental, dans le Journal pour la science du langage, de M. Hœfer. Mais le plus grand nombre de remarques sur la syntaxe comparative se trouve dans le livre de M. Adolphe Régnier : Etudes sur l'idiome des Vedas et les origines de la langue sanscrite. Paris, 1855. [Delbrück et E. Windisch. Syntaktische Forschungen, 1871. Cf. les articles de M. Thurot et de M. Bergaigne dans la Revue critique, 13 juillet et 31 août 1872.]

[48] «Je ne crois pas, dit M. Bopp dans les Annales de littérature orientale (1820), qu'il faille considérer comme issus du sanscrit le grec, le latin et les autres langues de l'Europe... Je suis plutôt porté à regarder tous ces idiomes sans exception comme les modifications graduelles d'une seule et même langue primitive. Le sanscrit s'en est tenu plus près que les dialectes congénères. .. Mais il y a des exemples de formes grammaticales perdues en sanscrit qui se sont conservées en grec et en latin. »

[49] A. Pictet, De l'affinité des langues celtiques avec le sanscrit. Paris, 1837.

[50] Des langues celtiques au point de vue de la grammaire comparative.
 Mémoires de l'Académie de Berlin, 1838.

[51] Zeuss, Grammatica celtica. Leipzig, 1853 [2e éd. revue et complétée
par M. Ebel, 1871]. — M. Schleicher, dans son excellent Compendium de la
 Grammaire comparée des langues indo-européennes, s'est servi de cet ou
vrage et a régulièrement rapproché les formes celtiques des formes congé
nères des autres idiomes. [De même Curtius dans la 4e édition de ses 
Grundzüge. — M. Whitley Stokes a soumis les rapprochements celtiques
 de Bopp à une révision attentive. Voy. Revue celtique, 1875.]

[52] De la parenté des langues malayo-polynésiennes avec les langues indo
européennes. Mémoires de l'Académie de Berlin. 1840.

[53] Les Membres caucasiques de la famille des langues indo-européennes. 1846. — L'auteur, dans ce mémoire, traite surtout du géorgien1, d'après
 une grammaire de G. Rosen.

[54] De la langue des Borussiens. Mémoires de l'Académie de Berlin. 1853. — Le borussien ou ancien prussien est un dialecte de la famille lithuanienne,
 présentant certaines particularités qui ont disparu des autres dialectes. Il
 s'est éteint au xviie siècle : le seul souvenir qui nous en reste est une tra
duction , d'ailleurs très-fautive, du petit catéchisme de Luther. [Il a sur
vécu aussi quelques listes de mots.]

[55] De l'albanais et de ses affinités. Mémoires de l'Académie de Berlin. 1854. —L'auteur s'est surtout servi de l'ouvrage de Hahn. — Tous ces Mé
moires ont paru aussi comme brochures à part.

[56] Voici la liste des publications sanscrites de M. Bopp :

       1. GRAMMAIRES.

1894-1837. Exposition détaillée du système de la langue sanscrite. — Voir la recension d'Eugène Burnouf, dans le Journal asiatique, t. VI.

1829-1833. Grammatica critica linguae sanscritae.

1834. Grammaire critique de la langue sanscrite, sous une formé abrégée.

1845. 2e édition du même ouvrage. — C'est à cette édition que se rapportent les renvois de la Grammaire comparée.

 i86i-i863. 3e édition du même ouvrage. [4e éd. 1868.]

2.      TEXTES ET TRADUCTIONS.

1819. Nalus, carmen sanscritum (Londres). Texte et traduction latine.

1830. 2e édition du même ouvrage (Berlin). [3e éd. 1868.]

1838. Nalas et Damayanti. (Traduction allemande.)

1824. Voyage d'Arjuna dans le ciel d'Indra, avec quelques épisodes du Mahâbhârata. (Texte et traduclion allemande.) [2e éd. 1868.]

1829. Le Déluge et trois autres épisodes du Mahâbhârata. (Texte et traduction allemande.)

3.        GLOSSAIRES.

1828-1830. Glossarium sanscritum.

1840-1847. Glossarium sanscritum in quo omnes radices et vocabula usitatissima explicantur et cum vocabulis graecis, latinis, germanicis, lithuanicis, slavonicis, celticis comparantur. [3e éd. 1867.]

[57] Système comparatif d'accentuation (Berlin, 1854). — Les vues de M. Bopp sur l'accent ont été soumises à une critique savante par MM. H. Weil et L. Benlœw, dans leur ouvrage intitulé : Théorie générale de l'accentuation latine, Paris, 1855.

[58] Les beaux travaux de M. G. Curtius sur la langue grecque nous montrent la méthode comparative s'aidant de tous les secours que lui fournissent l’épigraphie et la connaissance des dialectes. Parmi les ouvrages de ce savant, dont ie tact et la réserve seront particulièrement appréciés du public français, il faut citer surtout le suivant : Principes de l’étymologie grecque [4e éd. 1873]. M. G. Curtius a également publié une Grammaire grecque à l'usage des classes (7e édition, Prague, 1866), où il fait entrer, dans une juste mesure, les faits constatés par la nouvelle méthode. A celte grammaire est joint un volume d'Éclaircissements [2e éd. 1870].

[59] Mommsen. Etudes osques (Berlin, 1865-46). Les Dialectes de l'Italie méridionale (Leipzig, 1850). — Aufrecht et Kirchhoff. Les Monuments de la langue ombrienne (Berlin, i85i). — Corssen. Prononciation, vocalisme et accentuation de la langue latine (Leipzig, 1858-59). [2e éd. 1868-70.] — Etudes critiques sur la théorie des formes en latin (Leipzig, 1863).

[60] Schleicher. Grammaire lithuanienne (Prague, 1856). — Miklosich. Grammaire comparée des langues slaves (Vienne, 1852-56).

[61] La première connaissance de la langue védique est due à Fr. Rosen, qui publia en 1838 le premier livre du Rik. Les quatre Védas sont entièrement édités aujourd'hui. On a publié également les plus anciens livres grammaticaux des Indous,, et M. Bopp a encore pu mettre à profit, pour la seconde édition de sa Grammaire comparée, les belles, et pénétrantes études de M. Adolphe Régnier sur le Prâtiçâkhya div. Rig-véda (Etudes sur la grammaire védique ; Paris, 1857-59). Il a aussi eu entre les mains les premiers volumes du grand Dictionnaire sanscrit, encore inachevé, publié par l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg, sous la direction de MM. Bœktlingk et Roth (1852-6.fr). [7 volumes, 1852-75.]

[62] Nous voulons parler de la Revue de philologie comparée dirigée d'abord
 par MM. Aufrecht et Kuhn, puis par M. Kuhn seul [1852-1875, 22 vo
lumes]. Mentionnons, en outre, un recueil dirigé par MM. Kuhn et Schlei
cher qui s'occupe plus spécialement des langues celtiques et slaves [1858-75,
 8 vol,]. Avant ces deux journaux, M. Hoefer avait fait paraître le Journal
 pour la science du langage (Berlin, 1845-1853). Il y faut encore joindre 
celui de MM. Lazarus et Steinlhal, la Revue pour la psychologie des nations 
et la science du langage, qui cherche à mettre en lumière le côté philoso
phique de l'étude des langues. [Depuis 1868 paraissent à Leipzig les Studienzur griechischen und lateinischen Grammatik, publiés par George Curtius.]

[63] M. Schleicher a publié, en 1861, un Compendium de la grammaire 
comparée des langues indo-européennes, qui se recommande par l'excellente disposition des matières, par la précision des idées et la nouveauté d'une partie des observations. [3e éd. 1874.] De son côté, M. Léo Meyer fait paraître une Grammaire comparée du grec et du latin que distinguent l'abondance des exemples et la hardiesse souvent heureuse des rapprochements, [Encore inachevée en 1875.]

[64] De là les nombreux sous-chiffres, l'auteur, avec raison, n'ayant pas voulu changer les numéros de ses paragraphes.

[65] [M. Bopp est mort le 23 octobre 1867.]

[66] Dès 1858, M. Adolphe Régnier, sentant la nécessité d'une traduction 
française de la Grammaire comparée, avait entamé à ce sujet avec M. Bopp
 des négociations,qui, pour des raisons étrangères à leur volonté, ne purent 
alors aboutir.

[67] Le petit nombre de notules que j'ai ajoutées n'a d'autre objet que de fournir au lecteur quelques éclaircissements relatifs à la composition ou au texte du livre de M. Bopp. J'ai traduit en français le titre des ouvrages, en langue étrangère cités par l'auteur, ne voulant pas augmenter la complication d'une lecture que les rapprochements d'idiome à idiome rendent déjà assez peu aisée.

[68] Le premier enseignement régulier de la grammaire comparée est dû, dans notre pays, à M. Egger, qui introduisit la méthode comparative dans les leçons professées par lui à l'Ecole normale supérieure, de 1839 à 1861. Une partie de cet enseignement se trouve résumée dans les Notions élémentaires de grammaire comparée pour servir à l'élude des trois langues classiques. [7e éd. 1875.]