Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы
-- P. J. MARTINOV, de la compagnie de Jésus : De la langue russe dans le culte catholique, Lyon : Pitrat Aîné, 1874.
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Rien n'est plus ordinaire que d'entendre parler de la russification des anciennes Provinces de la Pologne. Il existe, en effet, tout un système d'assimilation forcée que le gouvernement actuel de Russie applique à ces contrées. Ce système, inauguré en 1863, sous l'impression des événements que personne n'ignore, est hautement avoué par la presse indigène, et le gouvernement lui-même n'en fait point un mystère. Loin de là, il le proclame par ses paroles comme par ses actes. C'est le mot d'ordre qu'il donne aux gouverneurs des provinces, en leur confiant la charge importante attachée à ce titre. Ce fut, il n'y a pas longtemps encore, le cri de guerre du journalisme officiel et officieux ; la devise adoptée par les apôtres du socialisme et du nihilisme, dont la classe est assez nombreuse, sans excepter les historiens et les publicistes à gages, qui restaient conservateurs sur toutes les autres questions, saut celle dont il s'agit. Russifier le pays, telle est encore aujourd'hui la formule consacrée.
Que signifie donc la russification?
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Russification vent dire d'abord introduction de la langue russe. Dans les vues du gouvernement, cette langue doit devenir dominante dans les provinces occidentales, comme elle l'est dans l'intérieur de l'empire, à Moscou, à Pétersbourg et partout. Langue officielle, elle doit y régner dans l'administration, dans les tribunaux, dans l'armée, dans les écoles, dans la vie privée et jusque dans le sanctuaire. De là, comme conséquence inévitable, proscription du polonais partout où on l'entend parler.
Russification signifie encore substitution, de la nationalité russe à la nationalité polonaise, ainsi qu'à la civilisation qui en est le fruit naturel. Pour opérer cette substitution, deux moyens ont été choisis. Le premier est l'expropriation sur une grande échelle : des terrains immenses ont été confisqués sur les seigneurs polonais et vendus aux Russes et Allemands venus, pour la plupart, de l'intérieur de l'empire. L'autre moyen, c'est l'élimination : on éloigne les Polonais de toutes les charges publiques, que l'on confie, de préférence, aux employés à la fois russes et orthodoxes.
Enfin, la russification suppose aussi la décatholicisation du pays, l'orthodoxie étant, aux yeux des Russes, un signe distinctif de leur nationalité. De là la propagande religieuse. Toutefois, ce ne sont pas seulement des prêtres qui y prêchent l'orthodoxie grecque ; souvent ce sont encore des bureaucrates, des agents de police, des gendarmes : singuliers apôtres qui usent de tous les moyens, sauf celui de la persuasion et du raisonnement, et qui tiennent leurs pouvoirs non pas du synode, mais de l'autorité civile, aux mains de laquelle sont, en réalité, les rênes du gouvernement ecclésiastique.
Tel est le vrai sens du mot russification et l'ensemble du système décoré de ce nom.
L'introduction de la langue russe dans le culte catholique en est la phase la plus intéressante au point de vue de notre sainte religion ; mais en même temps, elle se complique d'une foule de considérations qui en rendent l'étude difficile, et dont dépendent pourtant et l'intelligence et la solution du problème que le Saint-Siège est, en ce moment, occupé, dit-on, à résoudre.
Il importe donc d'envisager la question sous toutes ses faces et de la circonscrire; car nous voulons, avant tout, lui conserver son caractère religieux, sans jamais descendre sur le terrain
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politique. Cela n'empêche nullement d'interroger l'histoire ou de s'engager dans des recherches statistiques et ethnographiques, sans lesquelles, d'ailleurs, on ne comprendrait pas de quoi il s'agit; on se méprendrait sur le véritable caractère de la mesure décrétée par le gouvernement russe et on serait obligé de rester dans les abstraites régions des principes.
Voilà pourquoi il nous parait comme impossible de traiter de l'introduction de la langue russe dans le culte catholique, sans avoir auparavant fait connaître au lecteur le pays où l'on a résolu d'établir cette innovation, les peuples qui y sont le plus intéressés, leur origine, leur langue, leur passé historique et religieux. Après ce travail préliminaire, nous retracerons l'historique de la question agitée, ainsi que les intéressants débats qu'elle avait suscités dans les sphères officielles, ceux, en particulier, qui tendaient à faire rejeter la mesure proposée et qui étaient soutenus par les Russes eux-mêmes. Enfin, nous examinerons la question en elle-même, au double point de vue du principe et du fait, et après avoir mis dans la balance les arguments apportés par les parties adverses, nous tirerons les conclusions. Telle est la trame du travail que nous commençons aujourd'hui et la marche que nous nous proposons d'y suivre.
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Les provinces de l'ouest de la Russie dont nous avons à parler embrassent tout l'espace compris entre la Courlande, la Livonie, la Russie intérieure, la Galicie, la Pologne et la Prusse. Elles forment aujourd'hui neuf gouvernements qu'on peut partager en trois groupes. Le premier, ou la Lithuanie proprement dite, se compose des provinces de Kovno, Vilno et Grodno. La Russie Blanche, avec ses trois gouvernements de Vitebsk, Mohilev et Minsk, forme le second groupe, qu'on comprend parfois sous le nom de Lithuanie pris dans un sens plus large. Enfin les gouvernements de la Volhynie, de la Podolie et de Kiev, qu'on appelle la Petite-Russie on l'Ucraine polonaise, constituent le troisième groupe(1).
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De grands cours d'eau servent au pays de limites naturelles, surtout de trois côtés. A l'orient, le Dnieper le sépare de l'Ucraine russe, depuis l'extrémité sud du gouvernement de Kiev jusqu'à celle de la province de Mohilev, où la frontière se détourne dans la direction de l'est et se continue vers le nord par une ligne brisée difficile à décrire. La frontière occidentale est formée par le Sbroutch, qui se déverse dans le Dniester, puis par le Boug, tributaire de la Vistule, le Narev et le Bober (affluents du Boug), et le Néman. Du côté du sud, le pays est limité par le Dniester et YahorIyk, l'autre Boug et ses affluents (Sénukha, et Kodyme), et par la rivière Vyss. Au nord coule la Duna ; mais elle n'offre qu'une frontière partielle très incomplète.
Outre ces eaux limitrophes, le pays est arrosé par une quantité de fleuves, dont les principaux se déversent dans le Dnieper; tels sont le Pripiet (avec la Horyne, le Styr, le Sloutch, ses affluents), la Bérézina, la Soja.
Les bassins du Dnieper et du Dniester peuvent être considérés comme le pays classique et le siège par excellence des peuples russes, auxquels il faut ajouter les Slaves de Novgorod fixés autour du lac d'Ilmène et le Iong du Volkhov.
La géographie joue dans l'histoire russe un rôle très important ; elle explique en grande partie la formation des anciennes principautés russes, qui correspondaient d'ordinaire à autant de systèmes d'eau et s'y groupaient autour de quelque centre plus ou moins important.
Le sol du pays est extrêmement varié : aux sables de Vitebsk succèdent les marécages de la Polésie, et à ceux-ci la terre noire de la fertile Volhynie, où coulent le lait et le miel. La partie septentrionale est généralement assez élevée et boisée; elle abonde en petits lacs et offre des paysages pittoresques. Au delà de Grodno, Novogrodek et Minsk, le sol s'abaisse, les collines disparaissent, et vous découvrez, à travers un voile de brouillards, une vaste contrée couverte de forêts traversées par des eaux dormantes. C'est la Polésie, immense marécage occupant tout l'espace situé entre le Boug occidental et le Dnieper sur 400 kilomètres de largeur. Commençant dans la partie sud de Grodno, il se continue sur la plus grande partie de la province de Minsk, la Volhynie septentrionale, et entame le coin nord du gouvernement de
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Kiev. Plus au sud, à partir de Vladimir et de Sloutsk, le sol s'élève, les forêts deviennent plus rares, les collines, — contre-forts des Carpathes, — se dressent dans toutes les directions et forment auprès du Dniester une des plus belles contrées qu'on puisse voir en Russie. C'est à travers ces trois provinces du midi que passe la ligne de la population la plus dense de l'empire russe(2). Encore plus bas, vers le sud, le terrain s'abaisse de nouveau et va se confondre avec les steppes interminables de Kherson.
Tel est l'aspect général des provinces de l'ouest. Depuis un temps immémorial, il est habité par les Lithuaniens et les Russes, deux branches de la famille indo-européenne qui vivent l'une à côté de l'autre sans se confondre. Si vous suivez la ligne que parcourt le chemin de fer de Varsovie à Saint-Pétersbourg, en vous en écartant un peu vers l'est, sauf à passer, à certains endroits, sur la rive opposée, vous aurez tracé à peu près la limite ethnographique qui sépare les deux nationalités. Comme la nation lithuanienne était jadis répandue en toute la contrée de l'ouest, depuis la mer Baltique jusqu'aux rivages de la mer Noire, il est tout naturel d'en trouver encore aujourd'hui quelques restes disséminés en plusieurs endroits. Mais, en général, à mesure qu'ils s'éloignent de Kovno, foyer principal de la race lithuanienne, ils deviennent de plus en plus rares. Dans le gouvernement de Kovno, la population lithuanienne présente une masse compacte, dans la proportion de 80 % sur la population totale. La densité en est déjà moindre dans le gouvernement de Vilno; elle est presque nulle dans les provinces de la Podolie et de Kiev, situées à l'extrémité opposée. On compte près de 2 millions de Lithuaniens en tout, y compris ceux qui habitent la Prusse (au nombre de 150,000) (3). Nous donnerons plus loin des chiffres plus détaillés.
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A côté des Lithuaniens demeurent, en masses également compactes, les BIancs-Russiens, et plus au sud, les Petits-Russiens, deux branches du même tronc séparées l'une de l'autre par les eaux du Pripiet. Leur nombre s'élève à peu près à 7 millions d'âmes, dont plus de 600,000 dans les gouvernements de Vilno et de Grodno, qui ne font point partie des provinces russiennes.
Je dois prévenir les lecteurs, une fois pour toutes, que les termes de Russien, Ruthène, Roussine, Roussniaque, ne sont que des formes diverses d'un même nom désignant la même nationalité et sont synonymes de Russe. Quand on parle donc des Petits-Russiens, des Blancs-Russiens, des Grands-Russiens on des Russiens tout court, on veut indiquer par là autant de variétés de la même nationalité russe. Le mot Ruthène n'est que la forme latine de Russien, comme Roussniaque en est la forme hongroise. Réserver le nom de Russe tantôt pour les habitants de la Grande-Russie seuls, tantôt pour les Slaves de la Petite-Russie et de la Russie-Blanche, en donnant aux Grands-Russes le nom de Moscovites, c'est susciter une vaine dispute de mots et introduire dans le langage usuel une regrettable confusion. Il me semble qu'après les explications données plus loin au sujet de l'origine ethnographique des Grands-Russiens, les malentendus devraient cesser pour faire place à une entente commune.
Indépendamment de deux groupes principaux de la population russe proprement dite, il en est d'autres qui leur sont bien inférieurs en nombre. Nous parlons des Grands-Russiens, disséminés, çà et là, sans former une masse compacte. Ainsi, on en trouve près de 22,000 dont les deux tiers appartiennent à la secte des starovères, au centre même de la population lithuanienne, en Samogitie.
En général, l'élément grand-russien est peu considérable. Nul dans le gouvernement de Grodno, faible dans ceux de la Petite-Russie (où il atteint le chiffre de 37,044), il arrive à Minsk à son maximum, qui ne dépasse pas 58,000. Dans sa totalité, il ne donne que 200,457 âmes, dont plus de la moitié se compose de rascolniks(4).
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Ce chiffre permet de conclure que le peuple grand-russe n'a point porté à l'ouest le même génie de colonisation qu'il a manifesté dans les vastes terrains du nord-est de l'Europe. Autant sa puissance colonisatrice a été efficace au milieu des éléments ouraliens, autant elle est demeurée faible, disons mieux, nulle parmi les populations lithuaniennes et slaves de l'ouest. Tout autre fut l'action de l'élément polonais, quoiqu'il soit numériquement inférieur à l'élément letto-slave, puisqu'il n'atteint pas 2 millions(5).
En examinant la carte, vous y apercevrez, dans le coin occidental du gouvernement de Grodno, une sorte de passage enfermé entre les eaux du Néman et du Boug. Ce fut la voie principale suivie par l'immigration polonaise, non seulement parce que la nature elle-même semblait la lui indiquer, mais encore parce qu'anciennement, une partie considérable de cette contrée avait été hypothéquée aux princes de Mazovie par les seigneurs lithuaniens. C'était au commencement du XVe siècle. Depuis ce temps surtout, l'élément polonais y jeta de profondes racines et exerça son action particulièrement sur les populations russiennes du voisinage, ainsi que le témoigne leur idiome. De là, il s'étendit sur toutes les contrées russiennes en suivant deux directions principales : l'une vers le sud-est, à travers la Volhynie et la Podolie, jusqu'aux steppes de la mer Noire; l'autre vers le nord-est, par Vilno et la Duna, jusqu'au Dnieper, dont il descendit le cours.
Cette marche de l'immigration polonaise a donné lieu à des interprétations où les passions et la fantaisie semblent parler plus que la calme raison. La chose s'explique pourtant d'une manière bien simple. Il suffit de consulter la carte et de se rappeler que la zone du milieu, couverte d'immenses marécages et de forêts (de là soit nom de Polésie) (6), n'offrait rien qui pût atti-
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rer ou favoriser l'immigration. Les provinces méridionales, au contraire, étaient réputées pour leur fertilité, comme elles le sont encore de nos jours. Quant aux contrées du nord-ouest, si on ne pouvait pas dire d'elles que le lait et le miel y coulaient comme dans les terres de la Petite-Russie, elles attiraient le Polonais à cause de leur importance politique. Vilno était la capitale du grand-duché de Lithuanie, qui eut ses jours de puissance et de gloire; il fut même un moment où ses princes étaient sur le point de saisir l'hégémonie du monde slave. La Pologne sentait bien la nécessité de s'unir à une si puissante voisine déjà agrandie par la conquête des principautés russiennes ; elle l'essaya plus d'une fois; enfin l'union fut consommée en 1569, à Lublin, et les deux pays ne firent plus qu'un seul corps politique. Si, aujourd'hui, la Lithuanie (dans le sens large du mot) est un objet de contestation entre les Russes et les Polonais, il faut en chercher la cause surtout dans ce lien historique qui a duré pendant quatre siècles.
Ainsi s'explique la bifurcation apparente de la voie suivie par les flots de l'immigration polonaise. Eu réalité, ces flots, sans cesse renouvelés, ont envahi tout le pays du grand-duché lithuanien comme des principautés russiennes, quoique dans une mesure illégale, ainsi que nous venons de le dire. Si nous insistons sur ce point, c'est afin de suppléer en quelque manière à ce qui manque au modeste tracé géographique placé en tête de ce travail, et qui, nous l'avouons, ne parle pas aux yeux autant que nous l'aurions désiré.
Celui qui voudrait se rendre la chose plus sensible pourra prendre, par exemple, l'atlas de M. Erkert (7). Il y verra, sur la première carte, chaque nationalité indiquée par une couleur distincte. Il remarquera, sur le fond vert qui représente la nationalité russe, une foule de fiches roses d'autant plus nombreuses et
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plus considérables qu'elles approchent de la frontière polonaise : elles le sont, en particulier, dans les gouvernements de Grodno et de Vilno. Il en distinguera aisément comme deux traînées principales qui, en partant de ce point-là, suivent la direction sud-est et nord-est, c'est-à-dire vers Kiev et vers Vilno, et touchent à peine la zone marécageuse du milieu. La Polésie, par exemple, n'offre que quelques taches isolées, tandis qu'elles grossissent et se multiplient visiblement en Volhynie et en Podolie. Ces taches roses représentent l'élément polonais. Les Polonais ont, en effet, dans ces deux provinces, des possessions plus vastes et plus nombreuses qu'ailleurs. De la sorte, on peut suivre des yeux la marche de l'immigration polonaise et en constater le progrès. D'autre part, comme aujourd'hui les Russes appartiennent à l'Église orthodoxe, à peu d'exceptions près, tandis que les Lithuaniens et les Polonais sont pour la plupart catholiques, il s'en suit que la frontière ethnographique qui sépare ces deux nationalités de la population russienne coïncide presque avec la limite géographique des religions qu'elles professent. Quant aux protestants, il y en a plusieurs milliers parmi les Lithuaniens et les Lettons (25,753), quelques centaines parmi les Polonais (657), et, chose digne de remarque, pas un seul parmi les Russes. Nous ne dirons rien des juifs, dont le nombre, malgré son caractère sporadique, s'élève à plus de 1 million et demi; ni des Allemands qui arrivent à peine au chiffre de 35,000. Nous ferons remarquer seulement que le nombre de ces derniers que donne Schédo-Ferroti (tabl. IV, rubrique : divers ou protestants) est évidemment exagéré.
Afin que le lecteur puisse avoir une idée générale de la population de toutes les neuf provinces, nous plaçons sous ses yeux quatre tableaux différents, dont les deux premiers sont disposés d'après les nationalités et le troisième d'après les cultes. Le premier donne, en outre, la statistique des diverses nationalités dans le royaume de Pologne, y compris les parties appartenant aujourd'hui à la Prusse et à l'Autriche, ainsi que la Courlande. Le quatrième tableau indique les mêmes nationalités et cultes dans leur rapport à la totalité des habitants. Ce dernier tableau n'étant qu'une simple reproduction de ce qui a été publié par le Comité statistique de Saint-Pétersbourg, il suffira de
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dire que nous l'avons emprunté à l'ouvrage intitulé : La Question polonaise, p. 92 et 94 (Paris, 1864), une des nombreuses publications que le feu baron de Fircks, plus connu sous le pseudonyme de Schédo-Ferroti, a laissées sur la Russie. Nous nous arrêterons davantage sur les travaux de MM. d'Erkert et Rittich, d'après lesquels ont été faits tous les autres tableaux et qui méritent d'être connus davantage.
Le travail de M. le colonel d'Erkert, membre de la Société géographique de Saint-Pétersbourg, eut deux éditions, dont l'une, destinée à l'étranger, a paru en français sous le titre suivant: Atlas ethnographique des provinces habitées, en totalité ou en partie, par des Polonais, avec six cartes chromolithographiées; Saint-Pétersbourg, 1863. Dans l'édition russe, les courtes légendes ethnographiques qui accompagnaient chaque carte furent remplacées par une brochure de 72 pages in-8°, intitulée : Coup d'il sur l'histoire et l'ethnographie des provinces occidentales de la Russie (1864) et l'atlas lui-même a reçu un titre moins polonais : c'est un simple Atlas ethnographique des provinces occidentales de la Rassie et des pays voisins. Dans l'une et l'autre édition, la carte générale qui figure en premier lieu est accompagnée d'un tableau ethnographique et statistique, celui que nous avons reproduit ici même, sauf quelques légères modifications réclamées par le but du présent travail. Ajoutons que M. d'Erkert donne partout des chiffres ronds, approximatifs; que ces chiffres se rapportent à l'année et que, pour les provinces de la Russie, ils représentent la moyenne entre les données du bureau statistique et celles du clergé paroissial. L'auteur assure avoir apporté dans ses recherches la plus grande impartialité et fait son travail dans l'intérêt de la science plutôt que de la politique. Malgré cela et malgré le ton de modération qu'il a su garder dans son commentaire, on ne saurait partager toutes les conclusions qu'il y développe. Au reste, son travail ne paraît pas avoir de caractère officiel. On ne peut en dire autant de l'atlas de M. Rittich, lieutenant-colonel de l'état-major. Fait sous la direction immédiate de M. Batuchkov, que le gouvernement avait chargé de la restauration des églises orthodoxes dans les provinces de l'ouest, il fut publié en 1864, par autorisation suprême (sic) et aux frais du ministère de
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l'intérieur; il peut donc servir d'indicateur officiel. Les populations y sont disposées d'après les cultes; l'indication des races n'y manque pas, il est vrai; mais elles occupent une place secondaire et ne présentent aucune vue d'ensemble, ce qui nous a engagé à les réunir et à les coordonner dans un tableau séparé (n° II), afin qu'on puisse le comparer à celui d'Erkert.
L'Atlas confessionnel de M. Batuchkov, nous n'hésitons pas à le déclarer, prime toutes les publications relatives au même sujet. Toutefois, nous n'attachons pas une foi absolue à ses indications; nous les croyons, au contraire, sujettes à caution, quelque officielles qu'elles soient d'ailleurs et précisément à cause de leur caractère trop officiel. Il n'est que trop évident, en effet, que l'idée qui a présidé à la confection de cet atlas est de persuader à l'Europe occidentale que la nationalité polonaise, dans les provinces de l'ouest, n'est point aussi considérable qu'on le croit communément; qu'on a grand tort, par conséquent, de les décorer du nom de polonaises. Si M. d'Erkert n'a pas réussi à être à l'abri d'un pareil reproche, M. Batuchkov l'évitera bien moins assurément. En attendant que ses calculs soient rectifiés par d'autres données, son atlas sera d'un précieux secours pour la science ethnographique (8).
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C'est à dessein que nous avons reproduit plusieurs tableaux statistiques des provinces en question; chacun pourra les comparer et arriver à des conclusions intéressantes. On ne tardera pas à se convaincre de l'extrême difficulté qu'il y a d'obtenir des calculs exacts. Les chiffres officiels ne sont pas plus rassurants; ils ont même le triste privilège d'inspirer moins de confiance que les autres. Telle est au moins l'opinion assez répandue dans le public russe. Quelques détails vont démontrer le fait.
Prenons, par exemple, le gouvernement de Grodno. D'après M. Erckert, il contient 270,000 Polonais, tandis que la Société géographique de Saint-Pétersbourg n'en compte que 193,228, et l'atlas de M.M. Batuchkov et Rittich les réduit à 82,908. De la sorte, nous avons ici à la fois le maximum, le minimum et la moyenne, les différences les plus tranchées. Lequel des trois chiffres est le vrai, et comment le savoir? « Pour ma part, dit M. Erkert, je tiens le chiffre de 83,800 pour tout à fait inexact : d'abord, par la raison que le gouvernement de Grodno est plus rapproché de la Pologne que les autres ; ensuite, parce que sa partie occidentale a été durant des siècles sous la dépendance immédiate du royaume ; enfin, c'est le seul gouvernement où la très grande majorité de la population rurale se compose de Polonais. Le chiffre de 83,800 est basé sur l'évaluation faite en 1848. Un autre calcul basé sur les idiomes aurait des résultats plus vraisemblables, quoique ce dernier moyen offre de grandes difficultés (9). »
M. Erkert parle ici d'un auteur qui a mis en avant le chiffre de 83,800; il ne le nomme pas; mais tout ce qu'il dit s'applique parfaitement à M. Batuchkov, dont il connaissait d'ailleurs l'ouvrage (10) . Les raisons apportées par M. Erckert à l'appui de son
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assertion paraissent fort justes; toutefois, elles n'expliquent pas la difficulté, et ce qu'il ajoute, à la fin, au sujet des calculs basés sur les idiomes, semblerait les compliquer encore davantage, puisque, selon lui, les idiomes offrent une base peu favorable à la nationalité polonaise. « Prendre pour base de la délimitation des peuples polonais et russes la langue qu'ils parlent actuellement, c'est, dit-il, le moyen d'obtenir le minimum des Polonais. Dans les gouvernements de Vilno et de Grodno, l'influence polonaise s'était fait sentir d'une manière si puissante qu'elle y a créé une langue à part, qui n'est ni le polonais ni le russe, mais un mélange de l'un et de l'autre. En tenant compte de ce phénomène, qui se reproduit aussi ailleurs, quoique dans une mesure diverse, on devrait diminuer en conséquence le chiffre assigné à la nationalité polonaise, de telle manière qu'elle serait insignifiante dans les provinces russiennes du sud (Volhynie, Kiev et Podolie), mais deviendrait plus sensible dans celles de la Russie Blanche, d'après la gradation suivante : Mohilev, Vitebsk, Minsk, Vilno, Grodno. De cette façon, au lieu de 1,257,000 Polonais, ou en obtiendrait tout au plus 1 million (p. 55). » C'est, en effet, ce qu'a obtenu la Société géographique, qui n'en compte que 1,027,947 (tabl. IV). M. Schédo-Ferroti, qui nous donne ce chiffre, dit expressément que, dans son tableau, il a mis sous la rubrique Russes tous les habitants parlant n'importe lequel des diverses idiomes russes, le petit-russien, le ruthène (?), le patois de la Russie-Blanche, etc. (p. 91). Mais c'est aussi ce qui explique le chiffre insignifiant de 82,908 adopté par les auteurs de l'Atlas confessionnel. Il est évident qu'ils y sont arrivés en considérant comme non polonais les 187,632 catholiques russiens qui habitent le gouvernement de Grodno (tabl. Ill) et qui parlent une langue mixte; car en les ajoutant aux Polonais de la même province, on obtient précisément le nombre indiqué par M. Erkert (270,540). Si donc les calculs basés sur les idiomes amènent des résultats plus vraisemblables, ils donnent raison à M. Batuchkov. On le voit, toute la question se réduit à savoir si les Russiens de Grodno sont polonais ou non, et on pourrait en dire autant des Russiens de Vilno. Toujours est-il cependant que le désaccord subsiste.
Autre exemple. M. Rittich porte le nombre des Grands-Rus-
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siens, dans la province de Kovno, à 21,743, dont 14,600 starovères et 257 catholiques. D'après M. Erkert, ce gouvernement n'aurait que 16,000 Russes en tout, chiffre bien plus vraisemblable (11). Comme le starovérisme est une plante qui ne pousse que sur le sol grand-russien et que les Russes de l'Ouest ne le cultivent guère, il faut en conclure que les 6,877 Grands-Russes qui restent en trop se composent d'employés du gouvernement ou de soldats en garnison dans le pays, — population trop flottante pour mériter de figurer sur un tableau ethnographique. Il peut se faire cependant que le chiffre des rascolniks soit marqué au-dessous de la réalité, rien n'étant plus mystérieux que le nombre réel de ces sectaires. Ainsi, les tableaux officiels en comptent près de 1 million seulement, tandis qu'ils dépassent certainement 10 millions. Il y a des auteurs qui portent leur nombre à 12 et même à 15 millions. De même, d'après les calculs officiels, dans tout le gouvernement de Toula, il n'y aurait que 2,000 starovères, et la vérité est que la seule ville de ce nom en contient davantage (12).
La statistique des Lithuaniens offre des divergences non moins frappantes. Ainsi, M. Rittich n'en compte que 1,286,296 en tout, tandis que la Société de géographie porte leur nombre à 1,645,587. De plus, toutes les deux en assignent 64,149 au gouvernement de Minsk, environ 1.000 à celui de Mohilev et près de 20,500 à la Volhynie, — soit 85,694 âmes dont il n'existe pas la moindre trace sur le tableau d'Erkert. Enfin, dans le gouvernement de Vitebsk, il y aurait d'après Rittich 167,000 Lithuaniens, et seulement 140,000 d'après Erkert. Malgré cela, chose étrange! la totalité de la population lithuanienne l'emporte chez ce dernier sur le chiffre qu'en donne M. Rittich!
On pourrait multiplier les exemples qui constatent des divergences analogues. Bornons-nous à une remarque générale. En examinant le tableau de M. Batushkov, on ne saurait s'empêcher d'y découvrir une certaine tendance à exagérer partout l'élément russe au détriment polonais et lithuanien. Mais il est dans le vrai quand il s'agit des totalités : en règle
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générale, il donne le maximum, tandis que M. Erkert a le chiffre moyen, et la Société géographique suit le minimum. L'exception n'existe que pour le gouvernement de Minsk, auquel celle-ci assigne plus de 1 million d'habitants que l'atlas de Batushkov réduit à 994,023.
Au reste, que prouvent, en définitive, toutes ces divergences? A quels résultats nous mènent-elles? Supposons que tous les calculs soient exacts, qu'ils ne portent aucune trace d'exagération, qu'en conclurez-vous ? Que la supériorité numérique est du côté de la nationalité russe? personne ne le nie. Et puis? Que toute la question est résolue et la cause finie? Nullement. Pour qu'elle le fût, on devrait prouver que les Russiens de l'Ouest ne sont point polonisés, qu'ils sont dans la même condition que les Grands-Russes et doivent être confondus avec eux. Il est des auteurs, cependant, qui exagèrent énormément les conséquences. De ce nombre est Schédo-Ferroti, pour ne citer qu'un seul entre mille. Écoutons :
Ces chiffres, dit le feu baron (13) , sont bien plus éloquents que ne pourrait l'être aucun raisonnement. — Ils prouvent à l'évidence que, dans les provinces en question, le nombre de ceux qui parlent le russe est six fois plus grand que celui des habitants polonais; que, dans aucune de ces contrées, pas même en Lithuanie, les Polonais ne sont plus nombreux que les Russes, et que, dans d'autres (Kiev et Mohilev), il y a de dix-sept à vingt-six fois plus de Russes que de Polonais.
Nous l'avons vu, l'auteur comprend sous le nom de Russes tous ceux qui parlent un idiome russe quelconque, restant ainsi dans l'équivoque à laquelle prête ce nom. Il oublie de dire que dans les deux provinces de Kiev et de Mohilev il n'y a que 35,000 Grands-Russes, tandis que les Polonais s'y comptent au nombre de 110 à 115, 000.
La prétention de ceux qui revendiquent les anciennes provinces de la Pologne à titre de pays habités par une population polonaise tombe donc à plat devant la supériorité numérique de l'élément russe, à moins qu'on ne veuille faire abstraction du peuple, pour ne prendre en considération que la nationalité des classes qui le dominent, soit par leur
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position, soit par leur richesse ... ; mais alors même... on trouverait qu'il y a deux nationalités rivales à se disputer les provinces, la nationalité polonaise et la nationalité juive, ou l'aristocratie de race et I'aristocratie flnancière. Il y a onze juifs sur dix Polonais, et, dans les provinces de Vitebsk, Mohilev et Kiev, la supériorité numérique des juifs est encore plus grande. A Mohilev, il y a quatre fois plus de juifs que de Polonais. Tant qu'on maintient le principe que la nationalité d'un pays est à déterminer d'après celle de la majorité de ses habitants, et à moins de nier que soixante est plus que seize, — seize plus que onze, — et onze plus que dix, — les provinces jadis soumises à la couronne de Pologne doivent être déclarées russes, lithuaniennes ou juives, mais jamais polonaises (p. 95).
C'est cependant cette dernière dénomination qui est la plus reçue en Occident et elle ne manque pas d'avoir sa raison d'être. D'abord, parmi les Polonais eux-mêmes, il en est fort peu qui soutiennent que les Russiens soient d'origine polonaise. S'ils donnent aux provinces occidentales le nom de polonaises, c'est parce qu'ils se mettent au point de vue politique, que leur domination passée durant des siècles justifie assez. Schédo-Ferroti n'en tient pas suffisamment compte. Au lieu de parler de la nationalité juive ou lithuanienne, il aurait mieux fait d'évaluer l'élément grand-russe qui est principalement en cause et de nous expliquer quelle nécessité il y a de russifier le pays, s'il est vrai que cet élément y est dominant et d'une supériorité numérique écrasante.
L'assertion des Polonais, dit-il, que leurs anciennes conquêtes, la Podolie, la Volhynie etc., leur reviennent de droit, est aussi vraie que si l'on disait que la Guyenne, l'Aquitaine, la Normandie, la Picardie et même l'lle-de-France avec Paris, sont des provinces anglaises, parce que dans le temps elles ont un moment appartenu aux Anglais. En élevant des prétentions sur ces anciennes conquêtes, les Polonais compromettent leur propre cause, car en évoquant le droit de conquête, ils confirment la domination russe sur leur pays, qui est une conquête de la Russie (p. 89).
On pourrait simplement nier la parité. Il y a, en effet, une énorme différence entre la domination d'un moment et celle qui a duré quatre siècles. Ensuite, ou pourrait faire observer que ce droit historique s'appuie sur la conquête autant que sur les traités : les deux Russies (Blanche et Petite) appartenaient
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déjà en grande partie à la Lithuanie. Lorsque celle-ci s'est unie au royaume de Pologne, les provinces russiennes partagèrent le même sort.
Outre la parité de race entre les Polonais et ces habitants des provinces en litige, continue Schédo-Ferroti, on a essayé de fonder les prétentions du parti ultra-patriotique sur le principe de parité entre les convictions religieuses, en affirmant que la population de ces provinces, à l'instar de celle de la Grande-Pologne, était catholique, apostolique et romaine.
Ici encore la supériorité numérique est du côté des orthodoxes grecs, qui comprennent presque les deux tiers de la population de ces provinces. A l'exception de Vilno (14), où le peuple est lithuanien et non pas polonais, les adhérents de l'Église orthodoxe grecque sont partout plus nombreux que les catholiques; dans deux provinces, Mohilev et Kiev, il y a même trois fois plus de juifs que de catholiques (p. 95).
Schédo-Ferroti semble avoir oublié qu'il n'y a pas très longtemps encore, la supériorité numérique était du côté des catholiques ; qu'outre les latins, il y avait près de 2 millions de catholiques du rite grec, et que cette Église unie avait été encore plus nombreuse lors du partage de la Pologne. Maintenant que l'Union n'existe plus officiellement dans les provinces de l'Ouest, on aurait mauvaise grâce, sans doute, à prétendre que les catholiques surpassent en nombre les orthodoxes. Il est même fort douteux qu'il se trouve des gens qui puissent s'illusionner à ce point, à moins qu'ils ne tiennent pour catholiques les anciens grecs unis, malgré leur passage au schisme. Dans ce cas, ils mériteraient le même reproche que ces prétendus orthodoxes qui regardent les grecs unis comme leurs coreligionnaires et s'étonnent de les voir figurer sur la liste des catholiques. Le nombre de gens qui se font de pareilles idées sur les choses les plus simples de la religion est plus considérable qu'on ne le croit, et ce ne sont pas toujours les moins instruits qui pensent ainsi (15) .
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Cela nous amène à examiner de plus près le principe de nationalité et de déterminer la place qu'il doit occuper dans la question de la russification du culte catholique.
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Trois choses concourent puissamment à former une nationalité : la communauté de la langue, celle de la foi et enfin celle de la civilisation. C'est ce qui eut lieu dans les provinces de l'Ouest, et d'autant plus facilement qu'il n'y avait aucune disparité de race entre les peuples indigènes, sans excepter les Lithuaniens, que certains ethnographes considèrent même comme une branche aînée des Slaves. Nous voyons s'établir entre ce peuple d'une part, les Russes et les Polonais de l'autre, une certaine communauté de langue, de religion et de murs. D'abord, en ce qui concerne la langue, le polonais devint la langue habituelle de l'administration, de l'école, de la vie privée, et cela non seulement, dans les hautes classes des Russes ou des Lithuaniens, mais encore parmi les gens du peuple et même parmi le clergé hétérodoxe. L'idiome blanc-russien subit une si forte influence de la langue dominante, que le fameux grammairien Gretch, dont le nom faisait jadis autorité, le considérait comme une nuance, une variation du polonais.
D'après Schleicher (16), qu'une mort prématurée a enlevé à la
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science, le russe se divise en trois dialectes principaux : ceux de la Grande-Russie, de la Petite-Russie et de la Russie-Blanche, dont chacun se subdivise en beaucoup de dialectes (17) secondaires. Tous ils subissent l'influence permanente du dialecte de la Grande-Russie, lequel tient le milieu entre la langue ecclésiastique et celle du peuple.
« Le dialecte de la Grande-Russie est à peu près limité par une ligne tirée du lac Peïpouss jusqu'à l'embouchure du Don, dans la mer d'Azov. La partie nord-ouest de ce domaine grand-russe est occupée par le sous-dialecte de Novgorod. »
« Le dialecte de la Petite-Russie occupe la partie méridionale, depuis la Galicie orientale jusqu'au delà de la limite déjà mentionnée du dialecte grand-russe, au nord de la mer d'Azov. Le dialecte petit-russien diffère notablement de celui des Grand-Russes et se rapproche plus ou moins des idiomes (sIaves) occidentaux. Une variété du dialecte petit-russien se parle chez les Ruthènes en Galicie, dans la Hongrie septentrionale et en Bucovine. »
Dans sa Grammaire comparée des langues slaves, M. Miklosich considère aussi comme un fait acquis à la science que le petit-russien doit être tenu pour une langue indépendante (selbstständig), et non pour un dialecte du grand-russien (Introduction, p. ix). Aussi en donne-t-il à part la grammaire à la suite de celle de la langue grand-russe.
«Le dialecte de la Russie-Blanche, le plus restreint de tous, se parle dans toute la Lithuanie, c'est-à-dire dans les gouvernements de Vilno, Kovno, Grodno et Bialostock, et dans toute la Russie-Blanche (18) (ou dans les gouvernements de Mohilev, Vitebsk et Minsk), jusqu'à la rivière Pripiet (19). »
Tout le monde admet l'existence de trois dialectes bien dis-
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tincts de la langue russe ; mais l'accord cesse, lorsqu'il s'agit de déterminer leur ancienneté. Existaient-ils dès le IXe siècle, ou sont-ils d'une formation postérieure à l'époque de l'invasion des Tatars (XIII-XVe siècle)? Là-dessus, les opinions se partagent. Les uns soutiennent que primitivement il n'y avait qu'une seule langue commune à tous les peuples slaves dont fait mention la chronique attribuée à Nestor; que les trois dialectes se sont formés après l'invasion des Tatars, par suite des situations diverses où avaient été placés les peuples qui les parlent. D'autres prétendent, au contraire, que cette diversité est contemporaine de la formation du peuple russe et que, par conséquent, les trois dialectes existaient dès le commencement, quoique sous des formes moins déterminées.
On se demande, de plus, quelle est cette langue autrefois commune aux Slaves du midi ? Les partisans de l'Ucraine assurent que c'est le petit-russien, langue de Nestor, du chant d'Igor, etc., le russe par excellence. Les défenseurs de la nationalité grand-russe assurent de leur côté que c'est l'idiome grand-russien, que les premiers habitants de la Kievie (les Polanes des chroniqueurs) étaient les Grands-Russiens, lesquels, refoulés au nord par les Tatars, furent remplacés par les Petits-Russiens venus des monts carpathes.
Comment concilier ces deux opinions et à laquelle des deux langues rivales donner la priorité ? L'état actuel de la linguistique est trop peu avancé et les monuments littéraires de la première période sont trop peu nombreux pour pouvoir fournir une réponse satisfaisante. Toutefois, le témoignage de la chronique la plus ancienne, qui parle de divers peuples ayant chacun leur religion et leurs usages particuliers, permet de supposer aussi la diversité des idiomes locaux. En outre, la différence qui existe entre la langue du Nord et celle du Midi est telle qu'elle fait du petit-russien un idiome aussi distinct du grand-russien que le sont d'autres dialectes slaves, et, en tout cas, elle suppose que cette branche s'est séparée de la souche commune à une époque très éloignée. De la diversité des langues on concluait à celle de la nationalité ; c'était une conséquence naturelle, et c'est à ce titre que les Ucrainiens revendiquaient une littérature à part. Mais il y avait encore une autre raison, c'est que la langue do-
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minante de l'Empire est peu intelligible pour la masse des Petits-Russiens. On peut en dire autant du peuple blanc-russien ; car il ne faut pas oublier que la langue qu'on veut introduire dans l'Église catholique n'est point celle que parle le peuple, mais bien la langue littéraire et officielle, différente de la première.
Quant à la religion, qui est sans contredit le lien le plus puissant, son unité rencontrait ici un grand obstacle de la part du schisme grec. Toutefois, ces difficultés furent surmontées, puisque, à l'époque du premier partage de la Pologne, le catholicisme était dominant dans le royaume non seulement parmi les Polonais et les Lithuaniens, mais encore parmi les Russiens.
Reste la civilisation, compagne inséparable de la religion. Mais ici nous laisserons la parole à un auteur russe, dont le témoignage nous sera d'un grand secours :
La nationalité, dit M. Vladimir Bézobrazov (20) , ne consiste pas seulement dans la communauté de sang ou d'origine ethnographique; ce qui la constitue c'est le caractère moral, l'esprit et tout l'ensemble des éléments sociaux, dont le sang et la race ne sont qu'une partie. Cet esprit national qui donne une direction commune aux opinions et aux sentiments d'un peuple est parfois presque nul en regard d'autres conditions, comme cela a lieu, par exemple, en Alsace-Lorraine. Les habitants de ces provinces sont, de l'aveu commun des Français et des Allemands, tellement imprégnés de l'esprit national de la France, que toutes leurs sympathies sont pour elle et qu'elles n'ont que de la haine pour les Allemands.
Aussi, les Allemands les plus exaltés sont-ils forcés d'avouer que la population de ces provinces ne pourra être dépouillée de l'écorce française qu'au prix des plus énergiques efforts de la part de la Prusse, et encore pas avant cinquante ans. Nous ne voulons pas examiner si, même d'ici à ce temps-là, la chose est réalisable; nous demandons seulement de quel droit on fait subir de pareilles opérations chirurgicales à des centaines de milliers d'hommes ? Est-ce parce qu'il sied davantage à l'homme d'être allemand que français, ou bien parce que l'avenir appartient à la race germanique? Est-ce parce qu'il faut profiter du temps favorable pour ramener au foyer paternel les enfants prodigues du germanisme, ou bien parce que la mémoire des ancêtres violemment transformés en Français demande vengeance ? Les patriotes teutons peuvent deviser de la sorte inter pocula, mais ce sont là des rêveries que l'ivresse du triomphe peut seule excuser. Dans notre siècle, où la fièvre
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du nationalisme empêche de résoudre bien d'autres questions plus vitales que celles d'ethnographie, on doit plus que jamais nier la droit d'annexion ou de conquête, quand il est réclamé au nom du principe des nationalités. Un pareil droit, qui entraîne ordinairement des mouvements populaires, ne ferait que compromettre la paix de l'Europe pour longtemps, si ce n'est pour toujours, en soulevant des questions que ni la science ni le fer ne peuvent résoudre. Comment déterminer, par exemple, en Autriche, la nationalité de telle ou telle population, en saisir la nuance jusque dans le moindre fragment isolé et dire à quel corps politique il doit appartenir. L'ambition et l'ignorance seules ont intérêt à exploiter ces prétendues aspirations nationales des masses, afin de détourner l'attention du pays, des questions dont dépend son existence politique.
Mais n'insistons pas, car il est presque impossible de traiter ce sujet en peu de mots, tant sont vastes les dimensions artificielles que lui a données l'imagination de certains doctrinaires; rappelons-nous seulement cette maxime incontestable, savoir : qu'au point de vue du développement intellectuel et moral d'une nation, de son progrès historique comme race, il importe souverainement qu'elle puisse vivre et se développer au milieu des circonstances politiques les plus variées, qu'elles soient favorables ou non. Il y a un très grand avantage pour elle à vivre dans des états divers, ainsi que cela a lieu, par exemple pour la nationalité française en France et en Suisse, pour les Allemands en Allemagne et en Suisse. Tout en conservant intacts ses traits principaux, la nationalité revêt alors des formes plus variées dans les manifestations importantes de sa vie, et cette variété exerce une influence bienfaisante sur son développement social.
Par contre, les unités absolues de race seraient le plus grand mal qui pût frapper les intérêts de la civilisation européenne. Dans le commerce habituel et la vie pratique une certaine homogénéité des peuples dont se compose un État offre, sans doute, des avantages ; mais l'unification absolue, si toutefois elle est possible, serait désastreuse. Les États eux-mêmes sont intéressés à la répudier : les nationalités diverses sont un lien naturel qui les unit pour former un seul système européen ; elles facilitent les relations internationales et garantissent la paix générale. Sans elles les contrastes politiques deviendraient incomparablement plus sensibles, les chocs plus rudes, les luttes plus fréquentes, sinon perpétuelles. Une tentative d'unification condamnerait l'Europe à des guerres sanglantes.
Autant il est vrai que l'affinité de race et les sympathies on les antipathies qu'elle fait naître forment un des éléments de la vie sociale et politique des peuples, autant il est certain que les aspirations nationales des derniers temps doivent leur existence à bien des influences dont le caractère n'est rien moins qu'ethnographique...
L'histoire des nations, si variée dans ses formes, réunit les hommes
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en dehors de toute loi fixe , les groupe sans avoir égard au sang ni à la race et crée ainsi les unités politiques auxquelles nous donnons le nom de peuples et qui ne coïncident guère avec les nationalités. C'est ainsi qu'elle a uni l'Alsace et la Lorraine à la nation française si intimement qu'elles en ont adopté l'esprit : esprit qui nulle part, peut-être, ne s'est montré, lors des derniers événements, aussi vivace que chez elles. Et qu'on n'aille pas invoquer ici le droit historique ; qu'on ne dise pas que ces provinces doivent appartenir à l'Allemagne à titre d'ancien patrimoine, jadis violemment arraché par la France. Si on voulait appliquer un semblable principe aux États européens, il n'y aurait pas un seul d'entre eux qui ne dût craindre pour ses domaines. D'ailleurs ce principe est très incertain, les frontières politiques ayant subi des changements sans nombre ; il justifierait toutes les violences et bouleverserait la carte de l'Europe. En outre, si l'on invoque l'état de choses qui a existé il y a cent cinquante ans, pourquoi ne pas remonter quelques siècles plus haut, à I'époque où l'Alsace-Lorraine n'appartenait ni à la France ni à l'Allemagne, mais formait un territoire mitoyen et indépendant?
En poursuivant ses considérations, le publiciste russe estime que la haine inspirée à la France par son démembrement doit, tôt ou tard, aboutir à une guerre; que c'est pour elle un devoir sacré de délivrer les plus dévoués de ses fils gémissant sous le joug étranger. « De même, continue-t-il, ce serait peine perdue de vouloir prouver aux Alsaciens qu'ils ne sont nullement français, mais de vrais Allemands. Pour y réussir, il faudrait d'abord les germaniser, c'est-à-dire les dénationaliser, ce qui ne pourra se faire qu'après quelques générations. Admettons cependant que cela s'accomplisse un jour, reste à savoir si la France ne prendra pas sa revanche d'ici là. Quoi qu'il arrive, c'est toujours, pour la Prusse, une perte de forces morales et matérielles qu'elle aurait pu employer à autre chose. Mais voilà ce qui arrive d'ordinaire dans des cas semblables : on se voit en face d'une nécessité historique inexorable et on s'incline devant elle, comme le fait, par exemple, la Russie par rapport à la Pologne. » (p. 151.)
Le lecteur me pardonnera d'avoir peut-être abusé de sa patience. Le ton sympathique des pages qu'il vient de lire, leur actualité et surtout la justesse de la plupart des appréciations qu'elles contiennent, le porteront, je l'espère, à en excuser la longueur. Je ne crois pas, d'ailleurs, être sorti de mon sujet, et
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la dernière phrase relative à la Pologne nous y ramène tout naturellement. Il peut se faire que l'auteur de ces considérations, tout en plaidant la cause de l'Alsace-Lorraine, ait eu en vue les provinces baltiques de la Russie, qui pourraient bien devenir une pomme de discorde entre elle et sa puissante voisine. Mais elles s'appliquent également aux provinces occidentales de la Russie. Ainsi que l'Alsace-Lorraine, ces provinces formaient autrefois des principautés autonomes, indépendantes ; plus tard, elles furent conquises par les grands-ducs de Lithuanie, et quand celle-ci se fut unie à la Pologne, elles firent partie du royaume jusqu'à l'époque de son partage (arrivé dans l'intervalle de 1772 à 1795) où elles passèrent enfin à la Russie. Je n'ai pas à apprécier ici la valeur du principe de la nécessité historique à l'aide duquel on voudrait justifier le démembrement de la Pologne. Mais puisque le Messager russe a recours à ce nouveau Deus ex Machina, qui est en effet très commode pour trancher les difficultés les plus gênantes et pour absoudre n'importe quel méfait, il ne saurait trouver mauvais qu'on s'en serve aussi contre lui. Il ne faut pas oublier que la Revue dont nous avons extrait ces passages a pour rédacteur en chef un des promoteurs les plus systématiques de la russification des provinces de l'Ouest, notamment pour le culte. Elle considère naturellement ces contrées comme étant russes et nullement polonaises. On pourrait lui demander sur quoi elle fonde soit assertion. Est-ce sur le droit de conquête? Mais elle vient de le déclarer indigne du XIXe siècle ; et d'ailleurs, la conquête ne change pas le caractère ethnographique des peuples conquis. Invoquera-t-elle le droit historique? Dira-t-elle que les provinces ont primitivement fait partie de la Russie et que celle-ci, par conséquent, n'a fait que reprendre son ancien patrimoine? Mais elle vient de dire que ce droit est, au fond, révolutionnaire. Ensuite, si par le mot Russie il faut entendre la Grande-Russie actuelle (l'ancienne Moscovie), l'argument repose sur une fausse supposition. En effet, la Grande-Russie, comme État, ne date que du XIVe siècle. La plus ancienne chronique russe, attribuée à Nestor (1100) n'en connaissait pas l'existence ; elle énumère cependant les principales tribus asiatiques fixées, à cette époque, sur le territoire qu'occupe aujourd'hui le peuple grand-russien. Il n'y avait alors,
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d'après la même chronique, que des Russes occidentaux et méridionaux (appelés plus tard Blancs-Russiens et Petits-Russiens), qui occupaient tout le territoire des provinces actuelles de l'Ouest, sans compter le pays également russe de Novgorod (21) . Là était la véritable Russie, ayant ses deux centres principaux à Novgorod et à Kiev. On ne peut donc invoquer le droit historique en faveur de la Russie orientale ou moscovite, puisqu'alors Moscou n'existait même pas, au moins comme État. Reste le principe de nationalité; mais celui-ci, nous l'avons vu, a été avec raison déclaré inadmissible, d'autant plus que, dans le cas présent, le slavisme des Grands-Russes est lui-même mis en question par leurs adversaires.
Nous devons entrer ici dans quelques détails. Il existe une théorie d'après laquelle les Grands-Russes appartiendraient à la race touranienne; par conséquent, ils n'auraient rien de commun avec la nationalité éminemment slave des provinces occidentales. Cette théorie ingénieuse, dont la nouveauté a séduit quelques écrivains français, semble avoir été imaginée pour les besoins d'une cause devenue populaire en France. Elle peut satisfaire aux aspirations patriotiques de la nation polonaise et expliquer en partie ses persévérantes protestations contre l'ordre actuel des choses; elle n'est point nécessaire à la question qui nous occupe. En effet, quand même il serait démontré que les Grands-Russiens sont d'origine touranienne, tatare ou mongole, qu'en pourrions-nous conclure au sujet du droit qu'ils s'arrogent d'introduire la langue russe dans le culte catholique, ou de s'ingérer dans des affaires ressortissant exclusivement à la juridiction de l'Église? D'ailleurs, cette théorie est loin d'être adoptée par tous les Polonais. «La vérité est, dit M. Ladislas Mickiewicz, que personne n'accusera de tendresse à l'égard de la Russie, la vérité est que les Russes sont des Slaves, mais des Slaves dont le cur est comme pétrifié, dont l'âme s'est mongolisée. La nation polonaise, comme Abel, est victime d'un fratri-
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cide. C'est la lutte de deux esprits, de deux nations, non de deux races (22). »
Otez le cur pétrifié et l'âme mongolisée, et vous aurez la vérité. Il serait facile de multiplier les témoignages venant du même camp et parlant dans le même sens. Oh! mais à quoi bon ?
Encore un coup, la théorie dont nous parlons n'est point nécessaire à notre thèse ; elle est trop entachée d'exagération pour ne pas rendre suspectes ses meilleures preuves. En voulant prouver trop, elle risque de ne prouver rien. Est-ce à dire qu'elle n'ait rien qui mérite l'attention de l'historien? Nous sommes les premiers à déclarer le contraire, d'autant plus que ce qu'elle contient de vrai, de sensé, les historiens russes de nos jours le disent également. Ils reconnaissent franchement que les Grands-Russiens sont un peuple mixte, ce qui leur est commun, ajoutent-iIs, avec d'autres grands peuples, les Romains, les Français, les Anglais. Ils avouent qu'ils sont le produit de la colonisation de la Russie par les Slaves de l'Ouest; qu'à côté d'eux, au nord et au nord-est de la Russie actuelle, vivaient jadis et vivent encore de nombreuses tribus finnoises ou turques, avec lesquelles ils se mêlèrent et qu'ils finirent par absorber. lls ne nient pas que le sang finnois n'ait laissé des traces dans les veines du Grand-Russien, comme la domination tatare en a laissé dans son caractère. Ils concéderont même que, de tous les peuples qui prétendent au nom de Slaves, c'est le plus mêlé, le moins slave, et que, sous ce rapport, il est l'opposé des Blancs-Russiens, dont le sang slave est Ie moins mêlé (23) . Ils font remarquer que le mélange date de temps immémorial, qu'il s'est fait lentement, naturellement, presque sans violence. Ni les chroniques, ni les traditions ne laissent supposer que les tribus finnoises aient été détruites ou chassées des localités où les trouva le plus ancien annaliste russe et où elles ne subsistent plus ; à leur
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place, on ne voit que des Grands-Russiens. Que sont-elles devenues? La réponse, la voici : elles se mêlèrent avec l'élément russe, elles s'y fondirent, elles se sont russifiées. Ainsi s'explique la formation du peuple grand-russien, qui, au XIIe siècle, existait à peine, puisque la plus ancienne chronique indigène (attribuée à Nestor) ne le connaissait point, et qui compte aujourd'hui environ 40 millions d'âmes.
Voilà ce qui est acquis à la science moderne et enseigné par les Russes eux-mêmes. En conclura-t--on, encore une fois, que les Grands-Russiens ne sont point de la famille slave?
«Pour être croisés de Finnois et de Tatares, répond excellemment M. Leroy-Beaulieu (Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1873), les Grands-Russiens ne sont devenus ni l'un ni l'autre, et de ce qu'ils ne sont point de pure race indo-européenne, il ne suit pas que ce soient des Touraniens. La langue et l'éducation historique ne sont pas les seuls titres au nom de Slave. Le Grand-Russien n'est pas seulement slave par les traditions, par l'âme; il l'est encore par filiation directe, par le corps, par le sang. Une part notable du sang de ses veines est slavonne et caucasique. La proportion est impossible à déterminer. La Grande-Russie ne fut pas soumise par les Slaves de Kiev et de Novgorod à main armée; ce fut une longue et lente colonisation, comme une infiltration sourde et séculaire des Slaves, qui a cela de remarquable qu'elle a presque échappé aux annalistes et que l'histoire en devine le début sans en pouvoir fixer les phases (24). »
Le grand fait de la colonisation de la Russie centrale nous fournit encore une autre conclusion. Pourquoi l'élément finnois s'est-il fondu dans l'élément slave, sinon parce qu'il lui était inférieur sous le rapport de la civilisation, quelque peu avancée
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que fût celle des colons grands-russiens. Des phénomènes analogues se sont produits dans les contrées occidentales autrefois soumises à la Pologne. L'élément russe y étant mis en présence du lithuanien, l'a dominé moralement, tout en restant son vaincu dans l'ordre politique. Les Lithuaniens adoptèrent la langue des Blancs-Russiens, qui devint celle de l'administration, des lois, de I'aristocratie et des habitants des villes, si bien que l'idiome de la nation conquérante ne fut parlé que par le peuple de la Lithuanie proprement dite et de la Samogitie. Les Blancs-Russiens, à leur tour, étant placés en contact avec la nation polonaise, subirent son influence en adoptant sa langue, sa religion, ses moeurs. Bref, ils se polonisèrent. Dans l'un et l'autre cas, la cause est la même, et ces transformations ne furent provoquées ni par la violence, ni par la pression ; ce fut la conséquence naturelle de cette loi générale, en vertu de laquelle un élément supérieur exercera toujours une action transformatrice sur un autre qui lui est inférieur.
Dans les pages qui précèdent, nous avons essayé de faire connaître les populations auxquelles on voudrait imposer la langue officielle comme langue du culte public. Nous avons esquissé à grands traits les diversités plus ou moins profondes qui les séparent des Russes de l'empire, au point de vue de l'histoire, de la langue, de la nationalité et de la religion. De toutes ces considérations se dégage ce nous semble, la conclusion suivante : savoir que, si les provinces occidentales ne sont pas polonaises d'origine, elles l'ont été par le fait d'une longue domination de la Pologne, dont elles ont adopté la nationalité, et que, pour légitimer la mesure que poursuit la Russie vis-à-vis des catholiques de l'Ouest, il faudrait l'appuyer sur des titres et des droits moins sujets à contestation.
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Le projet d'introduire I'usage de la langue russe dans le culte catholique, nous l'avons dit dès le début de ce travail, remonte à l'époque des événements de 1863. Toutefois il n'avait alors rien de déterminé. L'attention du gouvernement était absorbée par d'autres mesures de russification plus urgentes : il fallait avant tout pacifier le pays.
Il n'entre pas dans notre plan de faire le récit des faits qui ont signalé l'administration du général Mouraviev ou celle de ses successeurs. Cette tâche a été accomplie par d'autres (25) . Il suffit de dire que le régime dictatorial de Mouraviev, 1863-1865, a été continué après lui par le général von Kaufmann, depuis gouverneur général de Turkestan et vainqueur de Khiva. C'est de son temps (1865-1866) qu'une nuée d'employés russes vint s'abattre sur le pays pour le dévaster ; c'est alors encore qu'on vit se former à Vilna le triumvirat composé des abbés Zylinski, Niemekcha et Toupalski, voués corps et âme aux intérêts du gouvernement, et que fut établie la Commission spéciale pour les affaires catholiques.
La Commission avait pour président M. Storojenko qui s'adjoignit en qualité de secrétaire l'ex-abbé Kozlovski, apostat, homme d'ailleurs instruit et plein d'activité. Elle traça un plan des réformes à introduire dont voici quelques-unes des plus saillantes : 1° ramener à l'orthodoxie (c'est-à-dire au schisme) ceux des
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catholiques du rite grec qui s'étaient fait inscrire au nombre des Latins à l'époque de la grande défection de 1839 ; 2° supprimer le diocèse de Minsk, projet accompli plus tard ; 3° introduire l'usage de la langue russe dans les églises catholiques ; 4° réorganiser les consistoires en y introduisant des commissaires du gouvernement; 5° réformer les séminaires dans le but de les fermer ; 6° réorganiser l'académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg dans le même but, en la remplaçant par une faculté théologique attachée à l'université etc. (26). L'ensemble de ces mesures rappelle le Plan d'abolition de l'Eglise romaine que nous avons publié l'année dernière (27). Ce qui nous intéresse le plus pour le moment, c'est l'article troisième, relatif à l'introduction du russe dans le culte catholique.
Jusque-là on s'était borné à l'introduire dans l'enseignement religieux des écoles militaires, ce qui remonte à l'époque où celles-ci étaient placées sous la direction du grand-duc héritier, aujourd'hui Empereur. Les autres écoles du gouvernement n'en bénéficièrent qu'en 1868. Mais cela ne suffisait plus. On voulait étendre la même mesure sur l'Eglise elle-même «Nous voilà bien avancés, disait-on, avec l'enseignement du catéchisme en russe, quand il n'est permis ni de prier en cette langue, ni d'entendre la parole de Dieu! Quelle inconséquence de s'arrêter en chemin après avoir fait les premiers pas ? » Ces déclamations revenaient sans cesse et sous toutes les formes. L'administration en profita pour aller de l'avant. Toutefois, pour mieux mûrir la question, elle en confia l'examen à la dite Commission spéciale dont le président, M. Storojenko, était considéré comme un des partisans les plus chauds de la russification du culte, s'il n'en est pas l'auteur. En tout cas, la Commission gagna en importance ; Ie nombre des personnes qui en faisaient partie s'éleva jusqu'à vingt, parmi lesquelles se trouvaient M. Dereviski, conseiller d''État, M. Kouline, inspecteur des écoles, M. Bezsonov, directeur du musée et du lycée, M. Samarine, aide de camp du commandant Baranov, M. Govorski, rédacteur du détestable journal périodique Le Messager de la Russie sud-ouest, M. Koz-
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lovski, secrétaire de la Commission, le général Ratch, mort depuis, etc.(28) .
Les conclusions de la Commission furent favorables à l'usage de la langue officielle dans les cultes étrangers. Quatre membres, ceux que nous venons de nommer en premier lieu, ont voté contre, en motivant leur protestation dans des mémoires assez développés auxquels nous reviendrons bientôt. De son côté, la majorité en a fait composer un à l'appui de son opinion ; plusieurs personnes ont eu l'occasion de le lire en manuscrit non seulement à Vilno, mais encore à Saint-Pétersbourg. Le général Kaufmann à qui ce mémoire avait été soumis, promit de l'appuyer ; sa destitution inattendue arrêta l'affaire. Le rédacteur de la Gazette de Moscou se fit l'avocat de l'opinion de la majorité, qui était la sienne. Il la livra aux appréciations de la presse, en déclarant traître à la patrie quiconque ne partageait pas sa manière de voir. Grâce à cette tactique, l'opinion commença à se former et dès lors le bruit courut que dans les sphères élevées de l'administration on avait compris la nécessité de mettre fin à la poIonisation des populations russes de l'ouest par le moyen de l'Eglise. On était sur le point de soumettre à qui de droit toutes les pièces nécessaires à un examen complet et approfondi, lorsque parut à Saint-Pétersbourg une brochure intitulée : De l'Introduction de la langue russe dans le culte catholique (29) . Sous ce titre on avait réuni les mémoires des quatre opposants cités plus haut. La presse ultra-russe se récria. Elle trouvait étrange de voir paraître les quatre mémoires sans être accompagnés de celui de la majorité , comme si elle n'avait pas assez parlé dans le sens de celle-ci ou comme si le gouvernement ne pouvait rendre public le mémoire de la majorité. En tout cas, le silence du gouvernement est d'autant plus regrettable qu'on dit le document en question fort bien rédigé et péremptoire. Le général Kaufmann n'était plus là pour prêter son appui. A son départ pour Tachkent, le règne de l'arbitraire et de la violence fit place à un régime plus modéré, plus doux; si le fond du système est resté le même, la forme en a varié. Aussi le comte Baranov (1866-68) et le
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général Potapov, qui occupe encore le poste de gouverneur général de ViIno, font-ils un contraste sensible avec leurs deux prédécesseurs dans la même charge.
Lorsque, en 1868, l'administration des provinces nord-ouest fut confiée au général Potapov, la question de la russification du culte catholique était déjà bien avancée; elle n'avait encore aucun caractère légal, mais elle était déjà à l'étude au ministère de l'intérieur, dont relèvent les affaires des cultes étrangers et auquel l'avait soumise le comte Baranov.
La question a dû être portée à un comité spécial composé de ministres et des plus hauts dignitaires, désignés par l'Empereur; le grand-duc Constantin présidait les réunions et le comte Sievers, directeur des cultes étrangers, faisait les fonctions de secrétaire (30) . C'était en décembre 1869. Dès les premières séances, l'opinion prépondérante inclinait du côté de l'introduction immédiate de la langue russe à la place du polonais. Toutefois, avant de prendre une mesure définitive, on voulut entendre l'avis des gouverneurs généraux de Kiev et de Vilno, le prince Dondukov-Korsakov et le général Potapov, qui furent mandés exprès dans la capitale. Le prince Dondoukov opina que l'introduction pure et simple de la langue russe n'était pas possible
par la raison qu'il existait un ukaze de l'empereur Nicolas qui le défend formellement; qu'il fallait, avant toute autre chose, lever cet interdit, en rapportant la loi susdite, et, en attendant, permettre l'usage du russe dans le culte catholique supplémentaire.
Cette opinion modérée a été partagée, par plusieurs membres du Comité : c'étaient Timachev, ministre de l'intérieur, le comte Shouvalov, chef de police, le comte Adlerberg, ministre de la cour, Bobrinski, ministre des travaux publics, Reitern, ministre des finances, Pahlen, ministre de la justice et le général Potapov. L'opinion contraire a été soutenue par le grand-duc Constantin auquel ont adhéré le ministre de la guerre, Milutine, celui des domaines, Zélény, le ministre de l'instruction publique, comte Tolstoy, le président du conseil des ministres, prince
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Gagarine, le général Tchevkine, etc. L'adhésion du chancelier, le prince Gortchakov, à l'opinion modérée, décida la question et porta l'Empereur à sanctionner les décisions du Comité en date du 16 décembre 1869. Elles furent suivies de la circulaire du 31 janvier 1870, dont voici la substance en ces trois articles : l° retrait de la loi faite par Nicolas, interdisant l'emploi du russe dans les églises catholiques ; 2° faculté accordée aux catholiques, protestants et autres cultes étrangers, de se servir de la langue russe dans leurs offices ; 3° condition préalable que la demande en soit faite par les paroissiens à leur curé, lequel en référera aux autorités diocésaines et celles-ci au ministre de l'intérieur, à qui appartiendra la décision. Une chose est à noter dans cette circulaire : c'est le caractère facultatif attribué à l'emploi du russe dans le culte additionnel ; on laisse aux catholiques la liberté d'en user ou de ne pas en user.
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Venons maintenant aux quatre mémoires mentionnés plus haut. Inutile de dire que la plupart des considérations auxquelles s'y livrent les auteurs ne sauraient être approuvées par un catholique ; aussi, je me garderai bien de reproduire même pour les réfuter, toutes les calomnies qu'elles contiennent contre l'Église romaine. Il n'y a rien d'étonnant que des hétérodoxes tiennent un tel langage à soit égard ; et c'est précisément ce qui donne de la portée à leurs protestations contre la mesure adoptée par le gouvernement. Ils sont unanimes à rejeter l'introduction du russe dans le culte catholique, tout en se montrant très-hostiles à la nation polonaise ; ils admettent également la nécessité de russifier le pays dont il s'agit, quoiqu'ils ne s'accordent pas sur les moyens d'atteindre ce but. Ainsi l'un d'eux conseille de supprimer le chant des catholiques en polonais et de le remplacer par le chant latin ! Un autre trouve que le chant est tout à fait inutile et même, anticanonique en quelque langue qu'on l'exécute. Ces divergences viennent de la diversité des points de vue auxquels se placent les auteurs des mémoires pour envisager la question. M.M. Samirine et Bezsonov considèrent l'usage du polonais comme la cause principale du mal et en demandent la
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suppression comme condition nécessaire à la russification du pays. MM. Derevitski et Kouline placent la source du mal dans le catholicisme lui-même, dont le polonais, disent-ils, est inséparable. Quant aux motifs qu'ils font valoir contre l'introduction du russe dans I'Eglise catholique, on peut les réduire aux deux suivants : 1° le moyen choisi est inefficace ; 2° il est préjudiciable à la religion dominante de l'empire. Le premier de ces motifs nous fournira plus d'un argument en faveur de notre thèse ; quant au second, s'il ne la favorise pas, il n'a rien non plus qui présente une objection sérieuse, ainsi qu'on le verra plus loin.
Avant d'entrer dans des détails, je dois indiquer la source où ont été puisées les données qu'on va lire. N'ayant pas, à mon grand regret, le texte original des quatre mémoires, il a fallu me contenter des citations qu'en a faites le Messager russe dans sa livraison de septembre 1867 (p. 316-392), où il en fait une critique aussi détaillée que partiale.
I. Commençons par le mémoire de M. Samarine (31), portant la date du 7 mars 1866.
L'auteur débute par faire ressortir le tort que, selon lui, le maintien du polonais causerait à l'uvre de la russification des provinces occidentales. Il voit dans la langue polonaise non seulement un instrument de propagande catholique, mais encore le symbole d'une nationalité ennemie, rappelant sans cesse au peuple les souvenirs de la domination passée de la Pologne, un anneau qui rattache ces provinces par un lien organique à Varsovie, centre de leur gravitation. Aussi applaudit-il à la mesure par laquelle le gouvernement a exclu le polonais du programme scolaire de ses établissements; toutefois il estime que la mesure était insuffisante puisqu'elle laissait intact l'usage du polonais dans la sphère religieuse. Or, reconnaître le polonais comme langue de la prière publique et de la prédication, c'est en assurer le maintien absolu, c'est paralyser toutes les autres mesures tendant à restreindre l'usage de cet idiome. Il conclut donc à la nécessité de le défendre absolument dans le culte public. En même temps, il s'oppose formellement à ce qu'on substitue au polonais la russe. D'après lui, l'introduction de la langue russe
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dans l'Église catholique ne ferait que maintenir le fanatisme religieux dans le peuple; elle assurerait au catholicisme le terrain qu'il occupe déjà et lui servirait de moyen de propagande au grand préjudice de l'orthodoxie russe.
M. Samarine professe une aversion profonde pour le chant des hymnes et des cantiques exécuté par les fidèles: « Ce qui attire le peuple dans les églises catholiques, dit-il, c'est d'abord leur nombre et leur magnificence, qui font un si grand contraste avec la pauvreté des temples orthodoxes ; c'est ensuite la musique de l'orgue comparée au misérable chant des Russes; c'est enfin la satisfaction qu'éprouve le peuple de pouvoir prendre part au chant des cantiques, pour ne pas parler de la confession, de la prédication et des autres moyens dont disposent les ministres de la religion pour gagner les gens. Comment voulez-vous, s'écrie-t-il, que, dans une telle situation des choses, l'orthodoxie prospère et le catholicisme ne domine pas? (p. 331.) Pour placer l'orthodoxie dans des conditions plus avantageuses, le concours du gouvernement est indispensable, pourvu qu'on n'aille pas introduire Ie russe dans les églises, car ce serait travailler de la manière la plus efficace non à la russification du pays, mais à la propagation du catholicisme dans les provinces occidentales, autant que dans l'intérieur de l'Empire. » (p. 332.)
La conclusion de M. Samarine est que la religion catholique n'étant, d'après les lois fondamentales de I'Empire, que tolérée, doit conserver son titre de culte étranger, et en cette qualité avoir à son usage une langue étrangère et non celle de la religion officielle, ni Ie polonais qu'il s'agit de proscrire. Reste le latin, et c'est ce que propose l'auteur du mémoire à la place des deux autres langues.
Ce n'est pas que M. Samarine méconnaisse les avantages de la russification du culte public. Il admet volontiers que c'est un moyen de rompre le lien qui unit le catholicisme à la nationalité polonaise et d'assurer à l'idiome officiel le rang qui lui convient; malgré cela, il le rejette à cause des immenses périls dont serait menacée l'orthodoxie russe et qu'il ne croit pouvoir conjurer qu'en permettant de chanter seulement en latin. Encore ne fait-il cette concession que pour ne pas effaroucher les fidèles, habitués au chant de l'église, sans quoi il l'aurait tout simplement supprimé.
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II. L'auteur du second mémoire commence par réfuter les conclusions de M. Samarine qu'il trouve insuffisantes puisqu'elles laissent intacte la prédication en polonais ; puis, envisageant la question au double point de vue du polonisme et de l'orthodoxie russe, il s'attache à prouver que le premier ne recevra de l'introduction du russe qu'un tort apparent, tandis que la seconde en éprouvera un dommage réel et certain : selon lui, la source du mal qu'on veut combattre n'est pas dans le polonisme, mais bien dans le catholicisme, qu'il désigne le plus souvent sous le nom de latinisme ou de papisme. Partant de ce principe, dont la fausseté est manifeste, M. Derevitski, auteur du mémoire, prouve d'abord que l'introduction du russe dans le culte ne saurait nuire au polonisme et ses preuves méritent d'être remarquées. Elles procurent plus d'un argument en faveur de nos conclusions, en ce qu'elles démontrent l'inefficacité de la mesure décrétée par le gouvernement. Voici ces preuves.
La première est fournie par la nouvelle génération des Polonais recevant leur éducation dans les établissements publics des capitales, par conséquent dans un milieu et sur un sol éminemment russe, où la doctrine religieuse leur est enseignée non en polonais, mais dans la langue du pays. Eh bien ! malgré cela, leur polonisme est demeuré intact et ce sont eux qui ont donné les partisans les plus ardents et les plus influents à la cause de la propagande révolutionnaire. Aux yeux de l'estimable conseiller d'État, comme de tant d'autres Russes, le polonisme est synonyme de révolution. Quelque peu fondée que soit cette prévention, l'auteur a parfaitement raison d'affirmer l'impuissance du remède qu'on voudrait apporter à ce prétendu mal. On lui a objecté que les étudiants polonais dont il parle continuaient à entendre les sermons en polonais et à chanter à l'église dans la même langue. L'objection n'est pas sérieuse. Elle se réfute d'ailleurs par l'exemple de la Samogitie.
La Samogitie est un pays éminemment catholique, où tout le monde, sans exception, professe la religion romaine. Quelque longue et universelle qu'ait été l'influence que les Polonais ont exercée sur le pays, ils ne parvinrent pas à introduire leur langue ni dans l'usage populaire ni dans le culte religieux; les
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prières publiques et les chants s'y font toujours en samogitien, ainsi que les sermons que prêchent des prêtres sortis presque exclusivement du sein de la nation. samogitienne. Cela n'empêche pas le Samogitien de montrer à l'égard de tout ce qui est russe et « orthodoxe » plus d'hostilité que n'en témoignent peut-être les Lithuaniens avec leur langue polonaise. C'est que le catholicisme est à ses yeux la seule religion véritable et que le schisme et l'hérésie lui inspirent une profonde aversion qu'il exprimera en n'importe quelle langue (p. 336), — ce qui est parfaitement vrai.
Ajoutez que, d'après M. Derevitski, dans les provinces nord-ouest, les deux tiers de la population catholique romaine sont composés de Samogitiens et de Lithuaniens qui ne font pas usage du polonais. La mesure dont il s'agit n'atteint donc qu'imparfaitement le but qu'on se propose, en substituant au polonais le russe; elle ne concerne que le dernier tiers de la population catholique parlant le ruthénien et obligée d'apprendre le polonais afin de pouvoir comprendre, en partie au moins, les offices qui se font à l'Église.
Après l'exemple des Samogitiens vient celui des jésuites, qui aurait mieux trouvé sa place dans la seconde partie du mémoire où l'auteur montre les dangers de la propagande catholique s'exerçant au moyen de la langue russe ; dangers qui nous paraissent exagérés, ainsi que nous le dirons plus loin.
L'exempIe de l'Union, qui ne diffère du catholicisme romain que par le rite est plus heureux. M. Derevitski prétend que les Grecs-Unis ont rendu aux Polonais des services signalés, tandis que son censeur, la Gazette de Moscou, voit en eux des auxiliaires de la cause russe et attribue à la langue slavone, dont les Grecs-Unis se servent dans les offices de l'Église, la facilité avec laquelle ils ont passé à l'Eglise dominante du temps de l'empereur Nicolas.
Tout le monde sait aujourd'hui ce que cette facilité a coûté à ceux des Grecs-Unis qui voulaient persévérer dans la soumission au Saint-Siège, et ce qui leur en coûte encore de nos jours dans le diocèse de Khelm.
En soi, l'Union n'est pas plus hostile à la Russie que ne l'est le catholicisme romain, puisque c'est la même religion ; mais il
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est tout naturel que les Grecs-Unis sympathisent davantage avec leurs coreligionnaires polonais et cette sympathie doit être d'autant plus vive qu'elle sera plus dégagée des tendances nationales ou politiques.
Aux arguments qui précèdent ou pourrait ajouter celui tiré de l'influence que le prêtre exercera au confessionnal et que la langue russe ne saurait empêcher.
Si les preuves par lesquelles l'auteur du mémoire établit l'insuffisance de la mesure dirigée contre le polonisme ne manquent pas de justesse et de force, celles qu'il produit pour établir la seconde assertion méritent à peine d'être mentionnées. En effet, voulant prouver que l'introduction de la langue russe dans le culte Catholique créerait un immense danger à l'Eglise dominante, il répète la calomnie, mille fois réfutée, que le catholicisme est destructif de tout ordre et de tout pouvoir politique, que la langue russe n'empêchera pas le prêtre de faire de la propagande politique au tribunal de la pénitence, qu'elle deviendrait entre les mains du clergé latin un moyen légal de propagande religieuse, — droit qui appartient à l'Eglise dominante à l'exclusion de tout autre culte étranger; enfin, qu'elle tuerait dans son germe l'idée de la nécessité et de l'utilité de passer à l'orthodoxie, et arrêterait le mouvement déjà commencé vers l'Eglise officielle. L'unique moyen d'affaiblir le catholicisme dans le pays en question consisterait, d'après M. Derevitski, à relever l'Eglise dominante, en laissant au culte catholique sa langue polonaise, — comme héritage inaliénable de l'hérésie, et en se bornant à user de mesures administratives mais implacables et systématiques, contre tout prêtre qui s'écarterait tant soit peu de l'accomplissement entier des devoirs de son ministère. Telle est la conclusion du second mémoire, le moins défectueux de tous. Passons au suivant.
III Après un court préambule, M. Kouline arrive aux difficultés qu'il voit dans la substitution du russe au polonais et qui lui paraissent énormes, insurmontables. Il s'agit, dit-il, de séparer ce qui a été uni durant des siècles et d'unir ce qui a été séparé jusqu'à présent. Il s'agit de traduire en russe tous les manuels de doctrine catholique, tous les livres de prières en usage chez les catholiques ; il faudra leur donner en russe tout ce qu'ils ont
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l'habitude de lire, d'entendre, de chanter en polonais, sous peine d'exciter de justes mécontentements de leur part; il faudra organiser la prédication et la confession en russe, l'introduire dans l'enseignement de l'académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg. En un mot, il s'agit de créer toute une littérature théologique et historique, première difficulté (p. 351).
Une autre difficulté vient de ce qu'on sera obligé de traduire en russe les offices composés en l'honneur de certains saints, tels que Josaphat, archevêque de Polotsk, et André Bobola, jésuite, que les Russes considèrent comme persécuteurs de leur religion.
Voici une nouvelle difficulté. Combien d'années ne faudra-t-il pas consacrer à ces travaux, et où trouver des hommes qui voudraient s'en charger ? M. Kouline est convaincu qu'aucun Russe vraiment « orthodoxe » ne consentira à se mêler d'une pareille besogne, et qu'elle sera faite par des catholiques dévoués au pape avec le concours du P. Martinov, Petchorine (32) et de leurs semblables. Plût à Dieu qu'on me fît l'honneur de m'associer à une si belle uvre, et qu'ainsi fussent comblés les vux les plus chers à mon cur et que je ne suis pas seul à nourrir.
Après avoir parlé des difficultés qu'offrent ces travaux déclarés égyptiens et indignes d'un orthodoxe, l'auteur passe aux qui résulteraient de l'introduction du russe dans l'Eglise catholique. Les développements dans lesquels il entre à ce sujet ne diffèrent de ceux des mémoires précédents que par la forme et aussi par une nuance plus prononcée de slavophilisme.
Une des erreurs de la coterie slavophile consiste à dire que la nation russe ne petit être qu'orthodoxe, que l'orthodoxie (c'est-à-dire Ie schisme grec) est un élément constitutif de la nationalité russe! M. Kouline déclare formellement qu'un hétérodoxe peut bien être un sujet fidèle de Sa Majesté Impériale, mais qu'il n'aura jamais l'esprit russe. Il en conclut que les Ruthènes catholiques des provinces occidentales doivent revenir à Ia religion dominante : «Voilà, s'écrie-t-il, notre tâche à la fois sublime et
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simple, intelligible et chère à tous! En introduisant l'usage du russe dans le culte, nous abandonnons cette tâche aux papistes, ennemis, tandis que nous avons ici sur tous les points de Ia contrée des milliers d'hommes prêts à se dévouer à l'uvre des conversions. » (p. 361.)
Voulez-vous savoir quels sont ces ouvriers dévoués de l'orthodoxie russe? — Écoutez ce qui suit : « Si les popes, les juges de paix, les commandants militaires, les chef de la gendarmerie, les agents de sûreté, les employés d'accise, les maîtres d'école, etc., agissaient de commun accord, chacun dans sa sphère et s'entraidaient mutuellement, si au moins les zélateurs de l'orthodoxie ne rencontraient pas d'empêchement de la part des Russes indifférents, — on verrait sous peu un grand fait historique accompli ! » Les singuliers apôtres!
D'après les calculs de M. Kouline, cinq ans suffisent pour décatholiciser, par ce moyen, tous les Russes de l'Ouest ; il pense même que ces conversion en masse se feraient avec moins de difficulté que celles des Ruthènes-Unis, en 1839. «On rêve un nouveau Siestrencievitch, et on oublie qu'en fin de compte ce métropolitain n'a fait rien d'utile pour la Russie ; ce qu'il nous faut maintenant, c'est un second Siemaszko.» (p. 362.)
Hélas ! le ciel dans sa Justice vient de l'envoyer à Khelm, et, à l'heure où je trace ces lignes, Ie second Siemaszko y achève l'uvre infernale du premier.
La conclusion de l'auteur du mémoire est facile à deviner : employer les efforts les plus énergiques à ramener le peuple ruthène à l' « Orthodoxie. »
Toutefois, par un reste de pitié, il consent à ce qu'on permette d'enseigner la doctrine catholique en russe dans les écoles laïques, et qu'on imprime à l'usage du peuple un recueil de prières dans la même langue, mais seulement à titre provisoire, puisque dans cinq ans il ne doit plus y avoir de catholiques d'origine russe. — Quant à la prédication, M. Kouline ne voit pas ce qu'on gagnerait à la proscrire en polonais; il demande uniquement qu'on veille à ce que le prédicateur polonais n'avance rien qui puisse blesser les intérêts de l'État ou de l'Eglise officielle.
IV. — Il faut renoncer à vouloir reproduire le texte du quatrième mémoire, élucubration la plus volumineuse de toutes. Le
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langage en est tellement boursouflé, le flux des paroles si exubérant, qu'on a toutes les peines du monde d'en dégager les pensées que l'auteur a voulu exprimer. On dirait qu'il a horreur de la clarté et du naturel. D'ailleurs, la plupart des considérations, noyées dans une phraséologie diffuse, sont puisées dans le fond commun du parti slavophile, dont M. Bezsonov est un des adeptes les plus ardents, et dont il partage par conséquent les errements et les exagérations.
Laissant de côté les réflexions qu'il développe longuement sur l'inefficacité de la mesure en question, sur les maux imaginaires que causerait le maintien du polonais, ne fût-ce que dans un seul verset, d'un hymne quelconque ou dans une seule page de sermon, arrêtons-nous à celles qui lui sont particulières ou auxquelles il a donné un plus grand relief.
Ainsi que ses trois autres collègues, M. Bezsonov s'oppose formellement à la substitution du russe au polonais, quelque hostile qu'il se montre envers ce dernier. «Ce serait, dit-il avec raison, quitter le terrain de la politique ou de la littérature et entrer sur celui de la religion et de l'Eglise» On le sait, un des griefs les plus graves que le parti slavophile, d'accord en cela avec les starovères, ne cesse de formuler contre le pouvoir séculier, c'est son ingérence dans les affaires de la conscience et ses empiétements sur l'autorité spirituelle de l'Église.
M. Bezsonov parle aussi des dangers qui en résulteraient inévitablement pour l'Eglise officielle ; mais il insiste d'une façon particulière sur les difficultés inhérentes à la traduction des livres catholiques et qui lui paraissent presque insurmontables.
C'est tout un traité qui remplit près de la moitié de son mémoire et qui tend à prouver que, pour accomplir cette tâche, il faudra d'abord créer une langue à part, ce qui demanderait les efforts réunis des université, et des académies entières ; qu'il faudrait en second lien, établir une académie spéciale et entreprendre ce travail égyptien avec le concours de centaines des meilleurs écrivains, durant un siècle et plus.
Qu'il y ait de l'exagération, c'est ce dont nous convenons volontiers. On ne peut pas cependant méconnaître que le fond de la difficulté ne soit vrai. La littérature catholique en langue russe est réellement encore à créer. « Notre langue profane, écrit
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l'auteur, n'est pas assez mûre pour rendre toutes les nuances de la théologie et de la science ecclésiastique ; elle aurait, pour cela, besoin d'un puissant concours du slavon ; or, la langue slavonne est l'orthodoxie, et nous sommes fiers de n'avoir, jusqu'à présent, aucun écrit catholique composé en cette langue » (p. 376.) Ce langage nous parait trop absolu pour être exact. Il existe plusieurs ouvrages catholiques écrits en slavon. Sans parler des livres glagolitiques totalement ignorés des Russes, il suffit de citer les ouvrages répandus parmi les Grecs-Unis, quoique, à vrai dire, la langue dans laquelle ils sont écrits ne brille ni par l'élégance ni même par la pureté. L'assertion de M. Bezsonov serait plus fondés si elle se bornait à la langue russe moderne, celle qu'on parle aujourd'hui à Moscou ou dans la capitale, et qu'on veut introduire dans le culte catholique.
En résumé, bannir le polonais du culte accessoire, ne rien écrire en russe à l'usage des catholiques, leur ouvrir les portes de l'Eglise officielle à deux battants, — telles sont les conclusions principales que l'auteur du mémoire maintient catégoriquement.
Toutefois pour ne rien brusquer et ne pas abolir immédiatement l'usage du polonais, M. Bezsonov veut bien consentir à ce qu'on fasse quelque chose pour les catholiques ruthènes, mais uniquement à litre de mesure provisoire, d'accord en cela avec l'auteur du mémoire précédent et tous ceux qui préfèrent aux mesures violentes et radicales le système plus modéré d'agir peu à peu, système qui a prévalu dans les sphères supérieures de l'administration au grand mécontentement des russificateurs à outrance.
Tel est, en résumé, le contenu des quatre mémoires officiels touchant la question qui nous occupe. Nous allons maintenant faire connaître les résultats obtenus dans le domaine littéraire.
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Le catéchisme été le premier livre qu'on ait traduit en russe à l'usage des catholiques. Primitivement on n'avait en vue que les élèves des écoles militaires. Jusqu'en 1853, la doctrine catholique
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y était enseignée en polonais et bien des élèves, ne sachant pas cette langue, devaient l'apprendre, uniquement pour pouvoir suivre les leçons de catéchisme. A partir de cette année, le catéchisme fut expliqué en russe et c'est le P. Staciéwitch, dominicain et professeur de religion dans les écoles, qui fut chargé d'en rédiger un en cette langue. Son travail reçut l'approbation du métropolitain Holowinski et fut immédiatement adopté dans les établissements militaires, placés alors sous la direction du grand-duc Alexandre, aujourd'hui empereur. Toutefois le catéchisme ne fut pas imprimé, mais ou se servit de cahiers lithographiés.
Dès que le système actuel de la russification fut appliqué aux provinces occidentales de l'empire, on s'occupa d'y introduire l'enseignement religieux en langue russe. On demanda donc et on obtint, en 1865, l'autorisation de livrer à l'impression les cahiers lithographiés du P. Staciéwitch. Le catéchisme détaillé parut en effet la même année à Saint-Pétersbourg, avec l'imprimatur de l'évêque Staniewski. Le style en est correct et pur, et son orthodoxie a pour garant l'approbation de Mgr Holowinski : car il faut supposer que le texte imprimé est identique avec le cahier lithographié. Aujourd'hui l'édition de 1865 est nécessairement incomplète et je ne pense pas qu'il en existe une seconde, postérieure au concile du Vatican. Mais indépendamment même des décisions de ce concile, il était à désirer que la doctrine relative à l'Eglise et à son chef fût accentuée davantage
A côté de ce catéchisme détaillé il en existe un autre destiné aux écoles primaires. Il est intitulé: Catéchisme abrégé à l'usage de la jeunesse étudiante de la religion catholique-romaine, fait par ordre suprême (sic); avec un recueil de prières journalières approuvée par Mgr Staniewski, évêque suffragant (33). J'ai entre les mains un exemplaire de la 2e édition, publiée en 1869 à Vilno. Ce n'est qu'une simple traduction faite sur le texte polonais qui a été imprimé en 1865. S'il fallait juger des autres productions littéraires de Vilno par cet échantillon, on devrait plaindre les catholiques obligés d'apprendre leur doctrine dans un pareil manuel. De tous les livres élémentaires, le caté-
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chisme est sans contredit le plus important et peut-être le moins facile à faire. Outre la connaissance approfondie de la doctrine, il exige la plus grande précision du langage. La moindre inexactitude dans l'expression peut devenir une erreur doctrinale. Il y en a plus d'une dans le catéchisme officiel de Vilno, sans compter une quantité d'autres fautes moins graves, qui accusent dans le traducteur une assez mince connaissance de la langue russe (34) .
Il serait injuste de taxer ces erreurs de volontaires. Si elles l'étaient, rien n'expliquerait un semblable manque d'habileté et de prudence de la part des promoteurs de la cause russe. Leur propre intérêt n'exigerait-il pas d'éviter tout ce qui pouvait compromettre le succès, surtout dans les commencements ? Aussi Ia presse ultra-nationale recommandait-elle la plus grande circonspection. « Il ne faut pas, écrivait la Gazette de Moscou (17 janvier 1870), qu'on nous reproche d'attenter à l'intégrité de la foi catholique ; il faut la laisser intacte, avec toutes ses particularités, et il vaut mieux ne point se mêler de traduction que de faire les moindres changements dans les livres catholique, qu'on traduit. »
Ce conseil n'est pas sans rapport au catéchisme de Vilno, dont nous nous occupons en ce moment. Lorsque celui-ci parut au jour, des plaintes ne tardèrent pas à s'élever de la part des prélats catholiques les plus haut placés. Ils reprochèrent au traducteur d'avoir altéré le passage relatif à l'Eglise. Le ministère tint compte des observations, fit suspendre la vente du livre et n'en autorisa la circulation qu'après y avoir introduit les corrections demandées. En même temps il ordonna une nouvelle édition dans laquelle l'article a été modifié dans le sens franchement catholique. Le Pape y est formellement chef visible de l'Eglise catholique, successeur de saint Pierre, prince des apôtre, et en cette qualité vicaire de Jésus-Christ sur la terre
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(p. 28). A ce propos, la Gazette de Moscou ne manqua pas de faire ressortir aux yeux de la foule la haute impartialité du gouvernement et l'injustice de ceux qui l'accusaient d'en vouloir à la foi catholique. «Le fait est, ajoutait-elle non sans fierté, que maintenant, la traduction russe du catéchisme rend la doctrine romaine avec plus de précision que ne l'a fait l'original polonais.»
Plût à Dieu qu'il en fût ainsi des autres élucubrations des traducteurs officiels et même des autres parties du catéchisme considéré dans son ensemble ! Ainsi on y chercherait en vain quelque indication relative au dogme de l'Immaculée Conception qui avait été proclamé quinze ans auparavant : la seconde édition de 1870 pouvait, ce semble, en faire mention. Mais on tient à ne rien altérer.
Il existe aussi un Eucologe russe intitulé : Petit autel (altarik) (35) . C'est encore une simple traduction faite sur le texte polonais qui a été publié en 1854 par un certain Cierpinski. L'auteur anonyme des Persécutions en Lithuanie regrette que l'abbé Niemekcha, traducteur du livre, n'ait pas choisi un meilleur modèle, bien que celui-ci soit revêtu de l'approbation de l'évêque de Vilno auprès de qui Cierpinski remplissait les fonctions de secrétaire. Le traducteur eut soin d'embellir son texte de quelques prières très flatteuses pour le patriotisme russe (36) , celle, par exemple, où il apprend à la jeunesse catholique (dont une grande partie se compose de Polonais, Lithuaniens, Samogitiens) la manière de prier pour la Russie, sa patrie. Il est à remarquer que, dans la prière pour l'empereur, le nom et le titre du souverain sont imprimés en caractères deux fois plus grands que le nom de Dieu, tandis que le Saint-Père n'est pas même mentionné. Dans le calendrier placé au commencement du livre, au 26 septembre, saint Josaphat, archevêque de Polotsk, mis à mort par les schismatiques, est omis et remplacé par saint Cornélius, qui s'y trouvait déjà au dix-neuvième jour du même mois.
L'Eucologe fut suivi d'un Recueil de leçons évangéliques pour les dimanches et les jours de fête, portant en tête
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du titre les mots : A l'usage des catholiques romains.
L'opuscule est muni de l'approbation du censeur ecclésiastique, M. Mamert de Fulstein-Herburt, et un avis placé a la seconde page fait savoir que le texte russe a été examiné par les autorités diocésaines. Cet avis était nécessaire pour prévenir ou calmer les scrupules des consciences catholiques. Il faut savoir qu'il n'existe en russe aucune traduction de la Bible d'après la Vulgate. Ce fut même une des difficultés que l'administrateur du diocèse de Vilno avait fait valoir auprès du gouvernement contre l'introduction du russe dans le culte catholique. On a répondu qu'il y avait une traduction slavonne de la Bible adoptée par les Ruthènes-Unis, qu'on allait la réimprimer et la distribuer aux prêtres catholiques. On a oublié que les catholiques du rite latin sont tenus, en vertu des décrets du concile de Trente, de suivre la Vulgate, et non les Septante, d'après lesquels a été faite la version slavonne ; que l'ancien dialecte dans lequel celle-ci est faite et les caractères slavons avec lesquels elle est imprimée en rendent l'intelligence et la lecture difficiles. Quant à la version russe de la Bible entière, même d'après les Septante, elle reste encore a faire.
On comprend qu'une traduction des textes évangéliques ait inspiré de la défiance, tant à cause de la nouveauté de la chose que vu les circonstances au milieu desquelles elle vint au jour. Encore si le texte imprimé était à l'abri de tout reproche ; mais non; l'inexpérience littéraire du traducteur se trahit sans cesse, et les fautes qu'on pourrait y relever, soit contre le sens, soit contre le génie de la langue, formeraient une liste assez longue. Qu'on juge par les exemples suivants: les mots chair et corps y sont employés indistinctement; d'où il arrive que la phrase classique de saint Jean: Et verbum caro factum est est traduite de la sorte: Et le Verbe s'est fait corps (p. 17). Ailleurs (p. 8), on lit que tout corps verra le salut du Seigneur, au lieu de dire : toute chair (omnis caro). Le péché de luxure est transformé en péché de luxe, de prodigalité (roskoche), et parmi les péchés d'autrui figure celui de les taire devant les supérieurs. Ponce-Pilate devient Pilate de Pont (p. 189 et ailleurs), etc., etc. Malgré cela le Lectionnaire a été imposé aux écoles, et il y eut des professeurs qui perdirent leur place pour n'avoir pas voulu en
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accepter des exemplaires ou les mettre entre les mains de leurs élèves (37).
Mais le livre qui a produit le plus de sensation c'est le nouveau Rituel, publié la même année 1869 à Vilno (38) . Il y a cela de particulier que le texte polonais en est complètement banni et remplacé par le russe ; quant au texte lithuanien et lette, on l'a transcrit en caractères russes ; l'écriture latine a été réservée au français et à l'allemand, en attendant qu'on leur applique le système de transcription en lettres russes. J'insiste à dessein sur ce point; car il existe en Russie un parti qui attache à ce système une très grande importance. On espère par ce moyen faciliter aux masses populaires l'apprentissage de la langue officielle qu'elles s'obstinent à ignorer, ayant assez de leur langue maternelle.
M. Georges Samarine estime la chose tellement importante qu'il engage le gouvernement à s'en occuper sérieusement sans épargner ni peines ni argent (39) . L'objet principal de ses sollicitudes sont les Lettes et les Esthoniens des provinces baltiques, et le zèle qu'il déploie pour leur russification semble s'enflammer en raison de la froideur que témoignent a cet égard ces populations. Rien ne fait mieux connaître leurs dispositions que le passage suivant du rapport officiel fait par le gouverneur général, M. Albedinski, et cité par M. Samarine lui-même. «La sympathie des Lettes (40) et des Esthoniens pour la Russie, sympathie toujours douteuse, va en diminuant à mesure que l'instruction augmente parmi eux. La masse des Lettes orthodoxes incline de plus en plus vers le luthéranisme et se défie de tout ce qui est russe, plus que ne le fait la portion luthérienne de la population. Cette défiance se fait sentir surtout là où les luthériens se montrent sympathiques aux tendances russes.» En terminant son rapport, le général Albedinski engage le gouvernement à renoncer à
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toute tentative de russifier le pays au moyen des masses populaires, s'il ne veut pas semer la division entre elles et les classes supérieures (41). Le lecteur peut juger par là si la même tentative a la chance de trouver un meilleur accueil auprès des populations polonaise et lithuanienne des provinces occidentales.
Mais, indépendamment de tout intérêt national ou religieux et à ne considérer la question qu'au point de vue scientifique, est-il vraiment désirable que l'écriture latine soit évincée par l'alphabet russe ? Ne serait-il pas temps, au contraire, d'adopter pour celui-ci une transcription en lettres latines, parfaitement capables de rendre toutes les nuances de la phonétique slave? On écrit bien en caractères latins le sanscrit, le chinois et n'importe quelle autre langue ; pourquoi n'écrirait-on pas de même le russe? d'autant plus qu'il existe déjà un mode de transcription très rationnelle du tchèque et de l'illyrien et que les peuples slaves les plus avances dans la civilisation se servent de l'écriture latine. Quant à ceux qui voudraient faire accepter aux peuples slaves le russe comme langue littéraire commune, ils se bercent de vaines espérances.
Que si une pareille tentative n'a aucune chance de succès au point de vue de la science, à quel résultat peut-elle s'attendre en se présentant au nom de la religion, comme messagère de la propagande hétérodoxe ? Pour ma part, je suis convaincu que le nouveau rituel qu'on veut substituer à l'ancien dans les provinces de l'ouest ne fera que rendre plus tenace rattachement des populations catholiques à leurs habitudes religieuses ayant la double consécration du temps et de l'Eglise. Ce n'est pas le moindre défaut du livre et ce n'est pas non plus le seul qu'on puisse lui reprocher : ainsi, on y remarque certaines omissions qu'on a quelque droit de croire préméditées. Parmi les bénédictions, on chercherait en vain celle du scapulaire, pour ne citer que ce seul exemple auquel auraient pu être ajoutées bien d'autres divergences de la traduction avec l'original (42).
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Nous avons vu l'importance que certains membres de la Commission de Vilno attachaient au chant des cantiques. Puisque le peuple ne devait plus les chanter en polonais, il fallait les lui donner en langue russe. Là était la difficulté : on ne traduit pas les hymnes aussi facilement que la prose. On l'essaya cependant, et en 1870 parut le premier essai sous ce titre fort modeste : Cantiques religieux que le peuple chante pendant les fêtes de Noël. Les cantiques sont au nombre de neuf! La traduction est attribuée à une religieuse russe de Vilno (43) et la censure porte la signature du prélat Toupalski. Je ne connais que le petit recueil des Cantiques et des prières publié en 1871 à Saint-Pétersbourg avec l'approbation de Mgr Staniewski. La forme en est presque élégante et la traduction surpasse, sous le rapport du style, toutes les productions énumérées plus haut, quoiqu'elle laisse à désirer quant à la prosodie. Le recueil ne contient que sept cantiques.
Telle est la flore littéraire cultivée a Vilno par les zélateurs de la russification. Ajoutons-y, pour la compléter, une histoire abrégée de l'Ancien et du Nouveau Testament, et celle de l'Eglise catholique.
Mais, ce n'était pas tout d'imprimer ces livres ; l'essentiel était de les faire accepter. Là se trouvait la difficulté, particulièrement au sujet du nouveau rituel. L'administrateur de l'archidiocèse de Mohilev, Mgr Staniewski, sollicité par le directeur des cultes étrangers de donner son approbation, hésita longtemps, en faisant valoir son incompétence dans une affaire qui ne relevait que du Saint-Siège, il conjura de n'y pas donner suite ; mais enfin on parvint à triompher de sa résistance et les exemplaires du rituel furent expédiés par le collège ecclésiastique aux autorités diocésaines. Le courageux évêque de Jytomir, Mgr Borowski, refusa absolument de s'en servir : on l'exila à Penza. Mgr Wolonchewski, évêque de Samogitie, fit déposer les siens aux archives et continua d'employer dans le culte supplémentaire les langues lithuanienne et lette (44).
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Les choses se passèrent autrement à Vilno, ou il n'y avait plus d'évêque. Le prélat Zylinski, chargé de l'administration du diocèse, se prêta volontiers aux injonctions du Collège ou plutôt du comte Sievers, directeur des cultes étrangers. On prétend même qu'il se serait engagé vis-à-vis du gouvernement à travailler à l'introduction du russe dans le culte catholique et que cet engagement a été pris lors d'un voyage dans la capitale, entrepris pour des motifs fort intéressés. Il eut recours à l'expédient des signatures : quiconque, par sa signature, certifiait avoir reçu un exemplaire du rituel, était censé l'avoir accepté ; ce fut la répétition de la comédie des pétitions et des adresses, demandant l'usage du russe dans l'Eglise. Les prêtres dociles eurent les faveurs du gouvernement, tandis que les ecclésiastiques demeurés fidèles à leur devoir furent mal notés, destitués, persécutés. Le cur se brise en lisant le récit des persécutions de tant de ministres de Dieu, et l'on se demande si le Seigneur souffrira longtemps de pareils scandales des faibles. Au reste, la justice divine a fait déjà sentir ses rigueurs. Tout le monde se rappelle la fin terrible du prélat Toupalski. Le 8 mai 1871, il fut assassiné par son propre domestique de la manière la plus cruelle. Le tronc de son corps fut repêché dans la Wilia, mais la tête, les pieds et les mains ne furent retrouvés qu'à Marienbourg où le meurtrier a été arrête. A la nouvelle de ce crime épouvantable, le peuple disait : Le doigt de Dieu est là.
Détournons nos regards et hâtons-nous d'ajouter qu'il y eut aussi parmi le clergé d'intrépides défenseurs de la cause catholique. Il suffit de nommer Stanislas Pierowitch, curé d'une paroisse de Vilno. L'acte héroïque par lequel il s'illustra est d'autant plus remarquable, qu'avant de l'accomplir cet abbé avait secondé l'uvre de la russification. C'était le jour de l'Annonciation. Après l'Évangile, l'abbé Pierowitch monte en chaire, fait l'homélie du jour, puis, dans un discours chaleureux, il retrace le tableau des souffrances de l'Eglise en Lithuanie, dénonce la trahison de ses pasteurs, et montrant un exemplaire du nouveau rituel, le seul qu'il a gardé après avoir brûlé la veille les autres, il le déchire en morceaux et le brûle publiquement sous les regards de la foule stupéfaite. L'autodafé terminé, il fait appeler l'agent de la police, se remet entre ses mains en lui
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disant : « J'ai fait mon devoir, faites le vôtre. » Il fut déporté dans la province d'Archangel.
VII
Il nous reste à examiner la question elle-même, à peser les arguments pour et contre et à voir de quel côté penche la balance. Les deux termes qu'on veut rapprocher, savoir le culte catholique accessoire et la langue russe sont-ils compatibles, et, s'ils le sont, doit-on les unir? — Poser ces deux questions, c'est établir la distinction du principe et du fait, distinction qui est ici de la première importance.
En effet, la question dont il s'agit peut et doit être considérée sous ce double aspect. En thèse générale et en théorie, il n'y a aucun doute que la langue russe peut être employée dans le culte catholique a l'égal du polonais, de l'allemand, du français ou de tout autre idiome. Il est tout à fait indifférent pour l'Église qu'on se serve de telle langue ou telle autre pour annoncer la parole de Dieu, enseigner la doctrine, faire des prières publiques et célébrer des cérémonies différentes de la liturgie proprement dite. Le Saint-Siège a toujours soutenu le principe que, par exemple, l'enseignement religieux et la prédication doivent se faire dans la langue vulgaire de chaque peuple et la raison en est évidente : il faut avant tout que les fidèles comprennent ce qu'on leur enseigne.
Mais la langue peut cesser d'être indifférente selon les circonstances dans lesquelles ou la trouve placée et suivant le but qu'on se propose en l'employant. Ici, ce qui était acceptable en théorie peut ne pas l'être en pratique. Nous en avons une preuve frappante dans la conduite que la Russie a tenue à diverses époques dans la question même dont il s'agit. Ainsi, du temps de l'empereur Nicolas, l'usage de la langue russe a été formellement défendu aux prédicateurs catholiques. Aujourd'hui, l'interdit est levé et la faculté est accordée de se servir du russe non seulement dans l'enseignement du catéchisme, mais encore dans les cérémonies accessoires de l'Église et la prière publique. Nous voilà donc en présence de deux décrets contradictoires. Dira-
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t-on que le gouvernement actuel a voulu réparer les erreurs du règne précédent, ou bien qu'il a montré en cela moins de prudence que celui-là ? Toujours est-il qu'aux yeux du gouvernement, l'usage de la langue russe, jugé inopportun en 1848, ne l'est plus en 1870. En changeant sa manière de voir, il aura sans doute tenu compte des circonstances et des situations du moment. Nous ne faisons pas autre chose, quand nous disons qu'il ne faut pas perdre de vue l'ensemble des mesures administratives prises depuis 1863 dans le but avoué de russifier les provinces de l'ouest. Si donc nous nous inscrivons contre l'introduction du russe dans le culte catholique, ce n'est point que la chose soit mauvaise en elle-même; c'est uniquement à cause de l'ensemble des circonstances dans lesquelles elle est offerte aux populations catholiques de la Russie occidentale. Pour bien apprécier cette nouvelle mesure, il faut l'envisager dans son origine, ses applications et ses effets ; il faut voir aussi si elle se concilie avec les intérêts de l'État, des populations et de l'Église.
Or, l'origine en est viciée, l'application violente et les conséquences ne sauraient être que désastreuses pour la religion catholique. Elle porte à la fois atteinte au droit, à la liberté et à la religion. Elle ne se concilie pas non plus avec les intérêts qui y sont mis enjeu. Viciée dans sa source et inutile a l'État, elle est odieuse aux populations et fatale aux âmes et à l'Eglise. Tels sont les motifs principaux qui rendent cette mesure inacceptable à la conscience catholique et que nous essayerons de développer le plus brièvement possible.
D'abord, cette mesure est viciée dans son origine et inefficace pour le but qu'on veut atteindre. Son vice originel est d'avoir été portée par une autorité tout à fait incompétente, en dehors du concours de l'Eglise, qui seule avait le droit d'en prendre l'initiative. De tout ce qui précède, il résulte clairement que non seulement le pouvoir séculier est le seul auteur de la mesure en question, mais qu'il a encore fait cruellement expier aux premiers pasteurs la fermeté dont ils avaient fait preuve en refusant d'approuver ce qui condamnait leur conscience. Cette anomalie s'explique facilement quand on se rappelle la fausse notion qu'on se fait en Russie de l'Eglise et la suprématie usurpée que l'État y
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exerce sur l'Église officielle depuis des siècles et qu'il voudrait étendre aussi sur l'Église catholique. Mais il est inutile d'insister sur un point que personne ne révoque en doute et qui provoque des protestations éloquentes de la part des Russes eux-mêmes. Nous avons vu d'ailleurs ce qu'en pensent les représentants du parti slavophile, dont M. Bezsonov, auteur d'un des quatre mémoires, s'est fait l'écho.
Le but qu'on veut atteindre par l'introduction du russe dans le culte est de «séparer le catholicisme de la nationalité polonaise, de rompre le dernier lien qui unit à celle-ci les populations des provinces occidentales, d'empêcher que l'Église catholique n'y devienne une institution politique. »
II a été dit plus haut combien le moyen employé pour atteindre ce but est inefficace, de l'aveu même des adversaires de la nationalité polonaise. Aux exemples cités à cette occasion, on pourrait joindre celui de l'Irlande catholique. Les Anglais y ont bien introduit leur langue ; rien n'y fait ; l'antagonisme des deux nations n'a rien perdu de son intensité. Il y a dans l'Irlandais un repli de son âme où le despotisme a vainement essayé de s'introduire : c'est celui qui renferme sa foi. Attaqué dans tous ses droits, il les a tous cédés à la force, sauf un seul, celui d'adorer Dieu selon sa religion. Il en est de même des Ruthènes catholiques : la langue russe n'y pourra rien.
On prétend que le catholicisme, uni à l'élément polonais, devient une espace d'institution nationale, politique; et pour le dépouiller de ce caractère vrai ou imaginaire, que fait-on? On lui imprime le caractère d'officialité qui en fait une institution réellement politique et nationale, quoique différente de la première.
Si le polonisme est la source de tous les maux pour la nation catholique, le remède n'est pas difficile à trouver. On n'a qu'à proclamer la liberté religieuse, mais franche et complète. C'est à notre avis, la meilleure solution du problème que la Russie, depuis un siècle, essaie en vain de résoudre. Par ce moyen, elle aurait un clergé vraiment national et sincèrement dévoué à l'État et à l'Église, et le fantôme du polonisme se dissiperait pour ne plus reparaître.
Enfin, pour être conséquent avec soi-même, ne devrait-on pas travailler à séparer le polonisme de l'élément catholique non-
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seulement dans les provinces de l'ouest, mais encore et surtout dans le royaume de Pologne, où ces deux éléments sont unis de la façon la plus intime? Cependant on ne le fait pas, et l'on préfère russifier les Lithuaniens, les Esthoniens, sans en exempter les juifs.
Viciée dans son principe et inefficace, cette mesure est encore antipathique aux populations, d'abord à cause du caractère étranger de la langue qu'on veut introduire dans l'Eglise et ensuite à cause de la manière dont on a voulu la faire accepter.
La langue officielle date du XVIIIème siècle. Depuis ce temps, il faut l'avouer, elle a pris de grands développements, elle s'est polie et enrichie considérablement : toutefois, quelque rapides qu'on suppose ses progrès, quelque cultivée qu'elle puisse être aujourd'hui, jamais elle n'a servi à aucun culte religieux. Les «orthodoxes» eux-mêmes s'en passent fort bien dans les offices divins; ils ne possèdent pas même de Bible entière traduite en cette langue, et peut-être M. Bezsonov, philologue de profession, n'avait-il pas tout à fait tort de dire qu'on serait embarrassé d'y trouver les termes nécessaires pour rendre la terminologie de la doctrine catholique.
D'un autre coté, l'Eglise catholique ayant été reconnue comme dominante dans l'ancien royaume de Pologne, la sainte messe s'y célébrait toujours en latin ; quant au culte accessoire, on se servait de préférence du polonais sans exclure ni le lithuanien et le lette, ni le ruthénien.
En outre, puisque, dans l'Empire de Russie, qui a étendu sa domination sur le territoire du duché de Varsovie, de la Lithuanie et des principautés russiennes, il existe une loi qui défend sous les peines les plus sévères d'embrasser la foi catholique, l'Eglise n'avait que faire de la langue officielle de l'Empire, devenue le symbole de la soit-disant orthodoxie. Elle comptait bien au nombre de ses enfants des Ruthènes de l'un et de l'autre rite, mais elle leur parlait leur langue maternelle, dans laquelle ils faisaient la confession, apprenaient la doctrine chrétienne, entendaient la parole de Dieu. Elle s'en sert encore aujourd'hui dans le commerce religieux avec ceux des Ruthènes qui ont persévéré dans la foi et elle s'en trouve bien. Aucun Russe orthodoxe n'est venu ni ne viendra se joindre au petit troupeau que forment
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les Ruthènes catholiques. Pour qui donc introduire la langue russe dans l'Eglise latine?
Au surplus, les populations indigènes, telles que Lithuaniens, Lettes, Samogitiens, Ruthènes, se sont tellement familiarisées avec le polonais (qu'elles entendent parler depuis des siècles) qu'en faisant usage de leurs propres idiomes, l'Eglise agit sous l'inspiration de la charité maternelle plutôt que par nécessité. Les vrais fidèles parmi ces peuples aimaient cent fois mieux se servir dans le culte supplémentaire du polonais que du russe et garder le statu quo; la raison en est bien simple : la langue polonaise est comprise de tout Lithuanien ou Ruthène, tandis qu'on ne peut pas en dire autant du russe. Assurément, ce ne sont ni les Lithuaniens, ni les Samogitiens. ni les Lettes qui le comprendront. Voilà pourquoi les masses populaires témoignent tant d'aversion pour la nouvelle mesure (45) .
Leur imposer maintenant la langue officielle en proscrivant les idiomes indigènes ce serait une injustice criante. Comment ! les ecclésiastiques seraient obligés de prêcher, d'enseigner le catéchisme dans une langue qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'apprendre suffisamment, dans laquelle personne ne songeait à enseigner la religion catholique ! En outre, que de prêtres âgés qui n'ont jamais songé à apprendre le russe, et qu'on ne fera point parler russe en leur interdisant usage du polonais. Les obligera-t-on aussi à étudier une langue qui leur est étrangère et à s'en servir en chaire ? C'est les condamner à fouiller les entrailles de la terre pour en extraire quelques parcelles de métal.
Ajoutez à tout cela que l'usage du russe dans l'Eglise ayant été interdit par un oukaze de l'empereur Nicolas, il est tout naturel que le clergé catholique en ait négligé l'étude ; rien ne paraît plus étrange que le reproche qu'on lui adresse de montrer peu d'empressement à faire aujourd'hui ce qu'on lui défendait hier. Le caractère contradictoire et arbitraire de ces deux mesures du gouvernement indique assez que la langue russe n'est ici qu'un instrument propre à servir ses intérêts temporels et que le bien des âmes est le moindre de ses soucis.
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La manière violente dont on a essayé d'imposer la nouvelle mesure l'a rendue encore plus odieuse au peuple. Tout esprit équitable admettra qu'en fait de religion il faut accorder à la conscience des fidèles pleine liberté d'action. Le gouvernement russe devrait être le premier à partager cet avis, une longue expérience lui ayant appris, par l'exemple des starovères ou vieux-croyants de sa propre Église, que la persécution religieuse produit des résultats diamétralement opposés à ceux qu'on veut obtenir. Aussi n'a-t-il pas tardé à reculer devant les mesures de violence. Il a mis plus d'une entrave à la réalisation de son décret ; mais ces entraves mêmes montrent les dangers que courrait la liberté légale de la part des autorités subalternes, lorsqu'elles voudraient témoigner du zèle pour les intérêts de l'État. En effet, il y eut des excès déplorables, grâce aux russificateurs à outrance qui trouvèrent le moyen d'interpréter la volonté de l'Empereur à leur manière. L'intérêt personnel leur dictait d'en tirer tout le profit possible et ils se mirent à faire du zèle, en se répandant dans toutes les parties de la Lithuanie dans le but d'organiser une croisade de pétitions en faveur de l'introduction de la langue russe. Nous renvoyons pour les détails de cet apostolat d'un nouveau genre au livre tant de fois cité sur les Persécutions en Lithuanie ; le lecteur pourra s'y édifier aussi sur le triste rôle qu'ont joué dans cette uvre des ténèbres quelques prêtres infidèles, comme il s'en rencontre toujours aux époques troublées de la société. Nous lui recommanderons aussi les pages écrites par Schédo-Ferroti dans son livre : Que fera-t-on de la Pologne? où il fait ressortir avec beaucoup de justice le caractère odieux de la mesure qui nous occupe. (V. surtout les pages 201-207 de la seconde édition de Berlin et Bruxelles, 1805.)
Mais ce qui rend surtout cette mesure antipathique aux populations ce sont les dangers dont elle menace leur foi et les conséquences fatales qui s'ensuivraient infailliblement.
Les promoteurs de la russification du culte assurent que ces dangers sont imaginaires, que « personne ne songe à porter atteinte à la religion catholique, puisque les lois fondamentales de l'Empire la tolèrent, qu'on n'en veut ni au dogme ni a la foi ; on veut seulement en séparer la langue, ces deux éléments étant parfaitement séparables».
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Il ne s'agit pas des conceptions théoriques; il faut considérer les choses pratiquement, telles qu'elles existent dans les convictions du peuple et dans la réalité. Or, nous avons déjà eu occasion de porter l'attention du lecteur sur le rôle immense que les formes extérieures jouent dans la religion du peuple russe. Toutes les sectes indigènes y trouvent leur explication et en découlent. Les rascolniks ne sont au fond que des ritualistes attachant aux anciens rites une importance exagérée et ne voyant leur salut que là. Toucher aux rites, c'est donc attenter à la religion du peuple, puisque dans la simplicité de sa foi il la fait consister en grande partie dans ce qu'elle a d'extérieur et de sensible, en contondant le rite avec le dogme. S'il a tort de comprendre ainsi la religion, il a aussi droit à la condescendance. Il a d'ailleurs en sa faveur un fait historique qui n'est que trop connu.
Comment la déplorable défection des Grecs-Unis s'est-elle accomplie en 1839 ? On a mis en avant la question du rite, en prétextant qu'on voulait le débarrasser des éléments latins qui s'y étaient introduits durant les siècles de la domination polonaise et le ramener ainsi à sa pureté primitive. Il y eut même des évêques qui se laissèrent prendre au piège et qui apportèrent la plus grande bonne foi dans leurs soins de purifier le rite des Ruthènes. On sait les résultats de celte purification. Deux millions environ de catholiques furent entraînés au schisme, séduits par le mirage trompeur du rite purifié.
N'est-ce pas la même tragédie qui se renouvelle de nos jours dans le diocèse de Khelm, dernière épave de l'Église grecque-unie dans l'empire russe? Là aussi on commence par purifier les rites, c'est-à-dire par les rapprocher de ceux de l'Église schismatique, sans réfléchir aux nombreuses altérations qu'ils y ont subies depuis l'époque de sa complète rupture avec l'Église de Rome, sa mère légitime.
Et puis, voyez l'inconséquence ! A Khelm, une tendre sollicitude est accordée à la conservation des anciens rites, et à Vilno on déploie non moins de zèle à introduire dans la même Église catholique des rites nouveaux. Il est évident que, là comme ici, le rite ne sert que de prétexte et que le véritable but qu'on poursuit, c'est d'effacer les moindres traces de l'influence polonaise
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et catholique, partout où on les trouve, que ce soit dans les rites ou dans la langue.
Maintenant, voici les conséquences désastreuses qui ne tarderont pas à se produire, supposé que le gouvernement arrive à réaliser ses plans. Les églises devenues désertes ; la piété des fidèles refroidie, presque éteinte ; les sacrements abandonnés ; la religion catholique menacée d'une ruine générale dans le pays ; les défections, aussi nombreuses qu'inévitables, allant grossir les rangs des incrédules et des hérétiques ou passant en masse au schisme ; tous les ennemis de l'Eglise triomphant et l'enfer dilatant ses abîmes pour dévorer les âmes.
Telles sont les craintes, hélas ! trop légitimes que l'introduction de la langue russe dans le culte catholique inspire aux populations occidentales et que partagent les âmes remplies d'ailleurs des sentiments les plus bienveillants à l'égard du grand empire de Russie.
Il se présente ici une grave objection qui réclame une réponse. On nous dit que la langue russe introduite dans le culte catholique est un moyen efficace de propagande que le gouvernement, sans s'en douter peut-être, met entre les mains de l'Église, et que, au moins sous ce rapport, la mesure prise a le caractère bienfaisant d'une faveur plutôt que d'une prescription hostile à la religion catholique. L'argument ne manque pas d'être spécieux, et, à vrai dire. c'est celui qui est le plus souvent produit non seulement par certains catholiques et les orthodoxes « bien intentionnés », mais encore par les adversaires déclarés du catholicisme. Nous avons vu avec quelle unanimité les auteurs des quatre mémoires faisaient valoir le même argument pour dissuader l'introduction de la langue russe dans le culte, d'accord en cela avec tous les écrivains du parti slavophile de Moscou, et avec M. Aksakov, à leur tête (46) . Ceux-ci s'en font un fantôme épouvantable, ceux-là, au contraire, le prennent pour un gracieux mirage. Les uns et les autres sont a coté de la réalité.
Ah! s'il était libre aux Russes d'embrasser la religion catholique pour obéir à la voie de la conscience ; si la liberté reli-
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gieuse cessait d'être un mot vide de sens ; s'il était seulement permis de se servir de la langue russe ailleurs que dans les provinces occidentales, par exemple, à Saint-Pétersbourg (47), à Moscou, à Odessa, partout où il y a des catholiques russes; ou bien, si le droit d'imprimer des livres russes à l'usage des catholiques n'était pas un monopole réservé au gouvernement, etc., etc..., assurément l'ordonnance de 1869 aurait pu être regardée alors comme une mesure vraiment libérale et bienfaisante. Aujourd'hui elle n'inspire que de la répulsion. Réprouvée par l'épiscopat, rejetée par la partie saine du clergé, elle paraît suspecte aux populations elles-mêmes qui n'ont point oublié la manière dont le gouvernement s'y était pris en 1839 pour abolir l'Église grecque-unie en Lithuanie. Elles s'en souviennent si bien, que leur bon sens y puise le principal argument contre l'introduction de la langue officielle dans le culte. En effet, quiconque voudra examiner la question de près et se rappeler que le formalisme est un caractère distinctif de l'Église russe, que pour le peuple le rite c'est tout, celui-là ne tardera pas à arriver à cette conclusion, pour moi évidente, que la langue joue ici le même rôle que le rite jouait on 1839 et qu'il continue à jouer dans le diocèse de Khelm, en d'autres termes que c'est un pont jeté pour passer au schisme.
On voit, par là, combien sont exagérées les craintes du danger dont la propagande catholique menacerait l'Eglise dominante. Les auteurs des quatre mémoires en font un véritable épouvantail, oubliant que la langue russe est une épée a deux tranchants dont la poignée est entre les mains vigoureuses du gouvernement. D'ailleurs, puisque l'Église russe est, d'après eux, la véritable, qu'a-t-elle à craindre?
C'est ainsi que pense M. Georges Samarine, dont nous nous plaisons a invoquer ici le témoignage.
«L'Église orthodoxe, écrit-il, établie sur la liberté, n'a à craindre aucune liberté de qui que ce soit. Elle doit craindre non pas la lutte contre les ennemis qui l'attaqueraient en toute liberté et
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auxquels elle pourrait opposer des défenseurs également libres, mais bien le calme plat du silence et de l'inaction, ce repos qu'elle trouve à l'ombre de la protection spéciale qui la dispense de la peine de se défendre et de se régir par elle-même. C'est l'expérience de plus d'un siècle et demi qui nous l'a appris à nos dépens, et nous pouvons dire au juste ce qu'à coûté à l'Eglise cette suprême protection qui s'est chargée de veiller à la conservation de ses dogmes, de son orthodoxie et de sa discipline. Le jour où les sentinelles postées à l'entrée de notre Église seront levées, ce sera le commencement non de sa dissolution, mais de sa régénération ; car, en émancipant la conscience individuelle, le gouvernement voudra ne pas oublier que la conscience collective de l'Eglise entière n'a ni moins de droit à la liberté, ni moins besoin d'en jouir que la première. L'Église perdra, il est vrai, la protection spéciale du gouvernement ; mais, en revanche, elle échappera à la mort que donne cette tutelle et retrouvera avec la liberté de la parole celle de se gouverner et de se défendre par elle-même. » (Les Marches de la Russie, t. IV, p. 48, Berlin, 1874.)
Notre tâche est terminée. Nous avons envisagé la question dont il s'agit sous ses faces diverses, autant que le permettait le cadre restreint de notre travail. Après une étude préliminaire sur le pays et les peuples que la question intéresse directement, nous en avons retracé l'historique et les débats qu'elle a suscités dans les sphères administratives; enfin nous avons examiné la question elle-même, dans son origine et sa source, que nous avons trouvées viciées, dans son application, que nous avons démontrée odieuse, et dans ses conséquences, qui nous ont paru funestes aux âmes et fatales à la religion catholique.
La conclusion à tirer s'offre d'elle-même; elle est défavorable à l'introduction du russe dans le culte catholique. En d'autres circonstances, nous serions les premiers à prendre la défense de la mesure que nous avons le grand regret de devoir combattre aujourd'hui ; et l'affection que nous avons toujours témoignée pour notre langue maternelle nous permet d'espérer qu'on verra dans le verdict prononcé contre elle l'expression d'une profonde conviction et d'un devoir de conscience, devoir d'autant plus rigoureux que certains organes de la presse russe m'ont attribué à ce sujet des sentiments qui ne sont point les miens.
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Encore une fois, je ne rejette l'usage du russe dans le culte catholique qu'à cause des circonstances qui l'accompagnent et en dénaturent le caractère. Présentée dans des conditions plus normales, cette même mesure aurait réuni les suffrages de tous les catholiques sincères ainsi que de tous les amis du droit, de la religion et de la liberté.
Quant a moi, j'aurais été le premier à la saluer comme un véritable bienfait et à bénir le nom du souverain qui l'aurait octroyée.
Notes
(1) Voir la carte ci-jointe, où chaque groupe est marqué d'une couleur distincte. (retour texte)
(2) En Podolie, par exemple, le nombre d'habitants par mille carré s'élève à 2.178 d'après les uns (V. le tableau ethnogr., n° 1) ; et d'aprés les autres à 2,268. Ce dernier chiffre, qui paraît plus exact, n'est dépassé que dans le gouvernement de Moscou, le plus populeux de tous, où il arrive à 3,499 (V. Buschen, Bevölkerung des russischen Kaiserreichs, p. 62. Gotha, 1862). (retour texte)
(3) Sous le nom de Lithuaniens on comprend aussi les Lettons, qui habitent la Courlande et la partie nord-ouest du gouvernement de Vitebsk.(retour texte)
(4) D'après M. Ritlich, il y en aurait 105,399.(retour texte)
(5) Voir les tableaux n° I et II.(retour texte)
(6) Liess veut dire en russe forêt. A l'heure qu'il est, une commission est chargée d'explorer tous les terrains marécageux et d'étudier les moyens de les dessécher. Déjà elle a fait le nivellement des marécages qui longent le Pripiet dans le gouvernement de Minsk et dans une partie de la Volhynie, sur une étendue de 6,500 verstes carrées. On croit leur dessèchement très possible. dès qu'on pourra en canaliser les eaux ; l'industrie et la population de ces provinces ne tarderont pas alors à entrer clans la voie du progrès, après des siècles de stagnation. Aujourd'hui, par exemple, dans le gouvernement de Minsk, qui égale en étendue les trois gouvernements de Moscou, de Kalouga et de Toula pris ensemble, il y a, en moyenne, 684 habitants sur une lieue carrée; et dans la district de Mozyr, le plus marécageux de tous, on n'en compte que 287, tandis qu'on les évalue à 1,547 par lieue carrée dans les districts situés en dehors du rayon des marécages, et à 2,770 dans l'intérieur de la Russie.(retour texte)
(7) Il en sera question plus loin.(retour texte)
(8) En voici le contenu. En tête de I'atlas qui a le format d'un folio maximo figure un tableau synchronistique (sic) des anciennes principautés russes, dressé dans le but de rendre visible cette verité incontestable (aux yeux de M. Batuchkov), à savoir que les provinces occidentales sont bien réellement russes. Les diverses souverainetés dont ce pays a successivement dépendu sont indiquées par autant de couleurs diverses : le vert représente la domination russe, le jaune celle de la Lituanie, le rose indique le règne de la Pologne. Pour rendre ce tableau et la carte générale accessibles aux étrangers, le texte a été publié aussi en français. — Chaque carte spéciale se compose de deux parties dont l'une représente en dessin chromolithographié les localités et le nombre des habitants de la province d'après les cultes ; l'autre indique la population de chaque paroisse. L'élément catholique est figuré par la couleur rose, les orthodoxes par le vert, les protestants par le bleu ; enfin la couleur brune indique les mahométans. Les starovères n'en ont aucune; mais ils figurent dans les tableaux ajoutés à la marge. Une carte générale réunit les neuf gouvernements et est suivie d'un tableau statistique contenant la totalité de la population de chacun d'eux d'après les cultes, ainsi que le rapport numérique de la population orthodoxe à celle des autres confessions.
C'est cette carte qui a servi de modèle à la nôtre, quant aux choses principales, bien entendu, et moins l'indication de la limite qui sépare sur l'original les nationalités lithuanienne et russe. Celle limile recule considérablenient la frontière administrative et officielle, dans la direction de l'ouest. Ainsi, dans le gouvernement de Grodno, elle la fait presque toucher à la Pologne; elle diminue de près d'un tiers celui de Vilno, n'offrant en compensation de toutes ces pertes que le coin nord-ouest de la province de Vitebsk. Il nous a paru suffisant d'indiquer la division officielle. Quant aux deux tableaux (n° Il et III) qui proviennent de la même source, la forme seule et la distribution des données qu'ils contiennent viennent de nous; le fond appartient aux auteurs de l'Atlas confessionnel.(retour texte)
(9) Coup d'il sur les prov. occid., p. 56.(retour texte)
(10) Ibid., p. 2.(retour texte)
(11) En ajoutant aux 14,609 rascolniks les 1,141 Russiens orthodoxes et les 275 catholiques russes, on obtient juste16,025.(retour texte)
(12) Voir La Causerie, de 1871, t. X, article de M. Zavadski-Krasnopolskoi.(retour texte)
(13) La Question polonaise, p. 92. Nous citons les propres paroles de l'auteur dont le français laisse parfois un peu à désirer.(retour texte)
(14) Sous ce nom, l'auteur comprend aussi le gouvernement de Kovno.(retour texte)
(15) Qu'il me soit permis de produire ici les raisonnements par lesquels un écrivain russe a motivé cette étrange opinion. Dans sa Statistique comparée de Russie, 1871, M. Pavlov, en énumérant les catholiques, a compris dans leur nombre les 200,000 grecs unis du diocèse de Khelm, dans le royaume de Pologne. Un écrivain de la Causerie (Besieda), revue panslaviste de Moscou, en fut fort scandalisé. « Apparemment, écrit-il, l'auteur de la Statistique ignorait que les uniates russes communient sous les doux espèces et ont des prêtres mariés; que les offices divins se font chez eux en vieux slavon d'après le rite et les usages de l'Eglise « orthodoxe» (donc les grecs unis sont orthodoxes (!), à cettte exception près qu'au lieu de prier pour le synode, comme cela se fait dans l'Eglise orthodoxe, leurs prêtres prient pour le très saint Père le pape de Rome. (Bagatelle !) L'auteur parait ne pas avoir été bien renseigné sur le compte des unis ; autrement il n'aurait pas séparé de l'orthodoxie ceux qui s'en étaient séparés non pas en vertu d'une protestalion, ainsi que l'ont fait les rascolniks, mais sous la pression inexorable du joug «nobiliaire et jésuitique. » (1871, t. X, section Nouveaux livres, p. 49.)
Ce docte théologien de la revue panslavisie (l'article est signé : Zavadskii-Krasnopolski) aurait besoin d'être instruit bien plus que l'auteur de la Statistique comparée, qui a parlé très correctement; il aurait mieux fait de s'occuper de chiffres, et de ne pas toucher aux questions dont évidemment il ignore les premiers éléments. Rien n'est plus commun cependant parmi les Russes que de tenir les catholiques du rite grec pour orthodoxes, uniquement parce qu'ils ont le même rite que l'Eglise russe et malgré leur croyance à la primauté du pape, chef de l'Eglise et vicaire de Jésus-Christ; comme si la diversité du rite constituait celle de la religion. Si les savants pensent de la sorte, que ne doit-on pas attendre des masses! (retour texte)
(16) Les langues de l'Europe moderne, trad. par H. Ewerbeck, p. 260, Paris, 1852. Schleicher y a suivi l'auteur des Antiquiés slaves, le célèbre Schafarik. Je regrette de ne pas avoir sous la main le texte original de l'auteur, qui a été peu satisfait de la version française.(retour texte)
(17) Il serait plus exact de dire variétés.(retour texte)
(18) Ce n'est pas dans une partie qu'il domine, mais dans toute la Russie-Blanche, sauf dans le coin nord-ouest du gouvernement de Vitebsk.(retour texte)
(19) Quelqu'un a fait la remarque que, dans les localités où les Blancs-Russiens et les Petits-Russiens se rencontrent, leurs idiomes perdent les particularites dialectiques et se rapprochent de celui de la Grande-Russie. Phénomène singulier, qui, s'il était constaté, indiquerait l'origine de la langue grand-russe et confirmerait l'opinion de ceux qui croient voir en elle un produit des idiomes parlés par les habitants de la Blanche et Petite-Russie.(retour texte)
(20) Messager russe, mai 1873, p. 144 et suiv.(retour texte)
(21) M. Kostomarov les fait venir du sud à cause de la frappante ressemblance qu'il dit exister entre l'idiome qu'on parle à Novgorod et la langue des Petits-Russiens. La première fois qu'il a entendu parler un Novgorodien, il l'a pris pour un Petit-Russien s'efforçant de parler la langue de la Grande-Russie (Monographies et recherches historiques. t. I. p. 331., éd. de 1872).(retour texte)
(22) Histoire populaire de Pologne, par Adam Mickiewicz, publiée et annotée par L. M, p. 51, Paris, 1867.(retour texte)
(23) Toutes ces considérations ont été parfaitement développées par M. Anatole Leroy-Baulieu, dans ses remarquables études sur la Russie, qu'il publie dans la Revue des Deux Mondes depuis septembre 1872. Nous espérons qu'elles paraîtront bientôt en volume séparé.(retour texte)
(24) La formation du peuple grand-russien est un des problèmes les plus importants de l'histoire russe. Un ouvrage complet sur cette riche matière est encore à faire, mais il existe d'excellentes monographies, qu'on peut consulter avec profit. Nous indiquerons en premier lieu les travaux de MM. Léchevski et Kavéline, publiés dans le Messager de l'Europe (mars et juin 1866). les ouvrages de M. Thirsov, Populations indigènes dans la partie nord-est de la Moscovie (Kazan, 1866), de M. Korsakov : Méras et la principauté de Rostov ; L'Histoire de la principauté de Riazan, par M. Ilovaïski, et Les Histoires générales de Russie, par Soloviev, Bestoujev-Rumine, etc.(retour texte)
(25) Voir l'ouvrage intitulé : Persécutions de l'Eglise en Lithuanie et particulièrement dans le district de Vilno, traduit du polonais et précédé d'une préface du R. P. Lescur (Paris, 1873). L'auteur anonyme de cet écrit paraît trop bien renseigné pour ne pas avoir été mêlé aux affaires dont il dévoile les intrigues. S'il n'est pas exempt d'erreur dans l'appréciation des choses du passé ou dans les questions étrangères a son sujet principal, on ne peut lui refuser le mérite de l'impartialité et de la veracité en ce qui concerne les faits dont il a été témoin ou qui sont arrivés de son temps. L'ouvrage comprend l'intervalle de temps compris entre 1863, année de la dernière insurrection et 1872; il est partagé en quatre périodes, ou tableaux correspondant à autant d'administrateurs qui se sont succédé en Lithuanie, en commençant par le général Mouraviev.(retour texte)
(26) Persécutions en Lithuanie, p. 17.(retour texte)
(27) Un nouveau Plan d'abolition de l'Eglise romaine en Russie, Paris, Albanel.(retour texte)
(28) Il a écrit une histoire de l'insurrection de 1863. (retour texte)
(29) Messager russe, sept. 1867, p. 325.(retour texte)
(30) L'auteur anonyme des Persécutions est dans l'erreur lorsqu'il dit que ce comité spécial avait pour président le comte Sievers, et, parmi les consulteurs, le P. Stuciewics, dominicain, et M. Pichler, le trop fameux apostat bibliophile (p. 74).(retour texte)
(31) Il ne faut pas le confondre avec M. Georges Samarine, publiciste renommé.(retour texte)
(32) Vladimir Petchorine est un Russe converti. Helléniste distingué, il occupait autrefois une chaire à l'université de Moscou; aujourd'hui il remplit les fonctions de prêtre en Irlande. On a de lui de charmantes poésies en russe.(retour texte)
(33) Le lecteur aura remarqué que l'approbation de l'ordinaire est accordée seulement aux prières, et non au texte du catéchisme.(retour texte)
(34) Ainsi, pour ne citer que quelque, exemple, l'axiome : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi» est rendu d'une façon rien moins que grammaticale (p. 40). Ailleurs (p. 36) on lit que les tentations sont causées par les caprices (prihoti) au lieu de dire convoitises (pohoti). Les trois personnes de la T. S. Trinité n'auraient, d'après l'auteur, qu'une nature et une substance pareille ou uniforme, le mot russe correspondant (onidakovy) ayant le sens d'uniformité plutôt que d'identité.(retour texte)
(35) Publié à Vilna en 1869.(retour texte)
(36) Dieu, bénissez la Russie, notre patrie (p. 153 et ailleurs).(retour texte)
(37) Persécutions en Lithuanie, p. 119.(retour texte)
(38) En voici le titre complet : Rituale sacramentorum ac aliarum Ecclesiae Romano-Catholicae coeremoniarum. Ex rituali synodi provincialis Petricoviensis depromptum. Je cite d'après la 2e édit. de 1870, augmentée et corrigée.(retour texte)
(39) Les Marches de la Russie, t. IV,p. 228. (retour texte)
(40)Vers 1845, les paysans lettes, au nombre de 30 000, ont été attirés à l'Eglise dominante, grâce aux promesses qui leur avaient été faites, mais qu'on n'a pas tenues. Ausi redemandent-ils à cor et à cri de redevenir luthériens. (retour texte)
(41) Les Marches de la Russie (Okraïny Rossii), par M. G. Samarine, t. IV, p. 229. (retour texte)
(42) L'auteur des Persécutions en Lithuanie dit que le traducteur a supprimé les bénédictions des scapulaires et des rosaires (p. 120). Il est possible qu'elles le fussent dans la première édition du Rituel, faite en 1869, et dont parle l'auteur anonyme : quant à la seconde édition de 1870, la bénédiction du rosaire s'y trouve certainement (p. 361). (retour texte)
(43) Persécutions en Lithuanie , p. 120. (retour texte)
(44) Persécutions de l'Eglise en Lithuanie , p. 133 et suiv. L'histoire de ce rituel y est relatée en détail. (retour texte)
(45) Persécutions de l'Eglise en Lithuanie , p. (retour texte)
(46) Journal Le Dieu, n° 13 de 1864 et passim. (retour texte)
(47) Il paraîtrait que depuis quelque temps un pasteur luthérien, nommé Masing (fils) prêche en russe dans un oratoire de la capitale, situé sur la rive droite de la Néva, et que des Russes orthodoxes,y compris leurs prêtres, viennent y assister en grand nombre (Wurstemberger, La liberté de conscience en Russie et l'Alliance évangélique, p. 232, Berlin, 1873). (retour texte)