Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы
-- A. Meillet : «La situation linguistique en Russie et en Autriche-Hongrie», Scientia, n° 23, 1918, pp. 209-216.
Commentaire
Cet article de Meillet paru dans le numéro 23 (1918) de la revue italienne Scientia est le premier d’une série de trois que Meillet consacra, dans la même revue, à l’analyse de plusieurs situations linguistiques. Après « La situation linguistique en Russie et en Autriche-Hongrie », Meillet publia un article sur « Les langues dans le bassin de la mer Baltique » (Scientia, 24, 1918, pages 383-392) ; puis un dernier sur « La situation linguistique de l’Asie » (Scientia, 45, 1929, pages 173-187).
A travers l’analyse de la situation linguistique de la Russie et de l’Autriche-Hongrie, c’est en fait à une analyse des frontières que Meillet va se consacrer.
Meillet commence par énumérer les nombreuses langues parlées à travers la Russie, de la Baltique au Caucase, en passant par la Crimée. De cette énumération ressort une véritable hiérarchisation des langues : toutes les langues sans littérature et non porteuses de la civilisation occidentale et de la religion chrétienne qui va (évidemment !) avec sont dépréciées. A côté de cette multitude de langues que l’on rencontre surtout aux confins de la Russie, la langue russe (dont l’ukrainien et le biélorusse sont, selon Meillet, des dialectes) forme une masse compacte qui semble relier l’ensemble du territoire. Ainsi, Meillet n’a rien à redire concernant les frontières de la Russie, puisque la « langue désigne la Russie pour former un Etat un, plus même que l’Allemagne, la France ou l’Italie » (page 213). Les propos seront différents pour l’Autriche et la Hongrie.
En Hongrie, la minorité magyare a imposé sa langue qui, soit dit en passant, « sans supériorité d’aucune sorte, n’offre que des inconvénients pratiques » (page 241), aux autres nations de l’empire. Ce faisant, les Magyars ont ainsi séparé les Roumains, les Slovaques et les Croates des groupes linguistiques auxquels ils appartenaient naturellement. Cela fait dire à Meillet que les frontières de la Hongrie sont donc artificielles (page 241).
En Autriche, même si depuis quelque temps les Slaves, longtemps germanisés, utilisent à nouveau leurs langues nationales, même si le parlement impérial viennois autorise désormais les députés des différentes nationalités à s’exprimer dans leurs langues, cela ne change rien au statut des frontières. Comme la Hongrie, l’Autriche est composée de « groupes réunis par le hasard » (page 216). Par conséquent, elle a aussi « des limites arbitraires » puisque ces dernières « ne concordent avec aucune frontière linguistique » (page 216).
De cet article semble ressortir l’idée que pour Meillet seules les frontières linguistiques sont valables, puisque naturelles.
(Sébastien Moret)