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Le grand linguiste italien, Trombetti, en examinant les phénomènes du langage s’exclame — «Il linguaggio seque più la psicologia che la logica ». En s’exprimant ainsi il se rapproche beaucoup du raisonnement de l’école japhétique de Marr dans le même domaine, mais il ne reste encore qu’au seuil du développement qui n’a été poursuivi dans toutes ses conséquences que par les japhétidologues.
Dans notre étude sur l’origine du langage[1], nous avons essayé de démontrer suivant quel processus l’homme s’est trouvé en possession de la parole articulée dont l’élaboration progressait avec l’évolution sociale et l’affirmation de la pensée humaine, celle-ci servant à améliorer son existence. Nous continuerons notre exposé en précisant comment, dans l’esprit de l’école de Marr, évoluait la psychologie humaine, entraînant avec elle des modifications dans la structure du langage. Nous allons de la sorte procéder à l’examen des stades successifs de cette évolution et résumer la théorie stadiale de Marr qui est un des fondements de base de sa doctrine générale.
Toutefois, avant d’aborder la théorie stadiale de Marr, et afin d’en faire saisir toute la force pénétrante de conviction nous croyons utile, à titre de comparaison, de montrer comment est envisagée l’évolution du langage humain par Trombetti lui-même.[2]
Le langage, dit-il, est un moyen de communication, et une seule communication constitue l’unité fondamentale de tout discours, c’est-à-dire, la proposition. En dernière analyse, le problème de l’origine du langage se résout en un problème de la proposition, l’homme parle et a toujours parlé avec des propositions. Ceci ne veut pas dire que les paroles primitives ont été extraites des propositions par la voie d’analyse, erreur grossière combattue, dès 1842, par Madvig : il n’existe aucune différence entre les propositions et les paroles primitives. Les paroles primitives sont, de leur nature, holophrasti-
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ques, comme les interjections, et pouvaient toujours former une proposition d’un seul terme.
Les propositions monômes se trouvent en quelque sorte dans le stade du langage d’aujourd’hui. Telles sont celles qui expriment un commandement, comme — ici ! va ! — ou une affirmation prédicative sans sujet, comme « il pleut (piove) ! ah ! — Le vocatif est aussi holophrastique et peut avoir des significations diverses suivant les circonstances, par exemple, papa ! Certaines propositions monômes pareilles peuvent être comparées aux cris de menace, de secours, des animaux ; mais elles comprennent implicitement la communication d’un fait ou d’un changement interne ou externe (indices de la faim, vision de l’ennemi, etc...).
Les premières expressions humaines furent de caractère affectif, les interjections proprement dites, interjections impératives (st !) et formes d’impératif comme le latin, exclamations qui reflètent l’impression produite sur les sens, comme tuona, il tonne !
Le seul terme dont se composent de telles propositions n’est pas le sujet, mais le prédicat. Le sujet non seulement n’est pas exprimé, mais dans certains cas il n’est pas dans la pensée. On peut joindre ici quelques observations sur les verbes impersonnels.
En latin, — plui-t, tona-t, — contiennent le pronom personnel, comme dans legi-t, ama-t, — ce qui est dû simplement à l’imitation ou à la symétrie. Ce sont, comme s’exprime Schuchardt, de fausses fenêtres correspondant à de vraies fenêtres. Également en français — il pleut, en anglais — it rains, en allemand — es regnet, les pronoms viennent de l’imitation. En latin, en grec et en d’autres langues encore, les verbes qui sont communément impersonnels, peuvent avoir un sujet déterminé, par exemple, en latin, Jove tonanto, en grec ὕε δ’αρα Ζεύς (Od., § 457), Zeus pleuvait ; dans le Rig Veda, «Par-janya-tonante», comme également chez les Lithuaniens, « Perkuni ja-tonne » ou, enfin, sur les îles Andamanes, — «Pulugatonne». Ces expressions mythiques et anthropomorphiques s’expliquent du fait que les hommes primitifs personnifient la nature agissante, comme — le ciel ou le nuage pleut, ou bien la pluie pleut, — l’éclair brille. Rien ne défend de supposer que les phrases mythiques à l’origine, sont issues de cette seconde catégorie, c’est-à-dire avec un sujet intérieur, — « Puluga tonne » = « tonnerre, tonne ». De toute façon, il n’y a pas de doute que le type le plus ancien est celui réellement impersonnel, comme, tuona — il tonne !
Mais le type le plus commun de phrases est binôme avec sujet et prédicat. Certains nient que la phrase primitive soit monôme. En quoi se manifeste l’influence de la logique sur la grammaire : la proposition est assimilée au jugement et comme tel doit avoir les deux termes. Mais l’erreur d’une pareille généralisation est évidente.
Schuchardt, au contraire, considère comme primitives, les seules propositions monômes. Des deux propositions monômes accouplées serait sortie la proposition binôme commune, avec sujet et prédicat. L’union la plus simple aurait pu être du type — Voilà, re-
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garde, brûle ! soit — là ! brûle ! ou bien, — là brûle, ou encore — ce ! brûle ! d’où — ce brûle ! En d’autres termes, le germe du sujet se trouve dans l’indication du lieu où un fait se produit ou dans l’indication plus concrète d’une chose au moyen d’un pronom démonstratif accompagné d’un geste. Or, comme l’a observé Fick — les pronoms sont les vrais noms primitifs, qui, tout en participant de la nature des interjections et ayant ainsi une valeur holophrastique, sont pleinement aptes à exprimer le sujet de la proposition.
Il semble, cependant, remarque Trombetti, que l’explication de Schuchardt est un peu artificielle, et il ne croit pas nécessaire d’admettre les formes transitoires comme : là ! brûle ! La distinction avec — là brûle — est trop subtile et fondée sur une pause légère. II préfère admettre que les propositions binômes avec le sujet pronominal sont contemporaines des propositions monômes.
La difficulté d’admettre la même chose pour les propositions binômes avec sujet nominal se trouve dans le fait que le nom substantif est postérieur au verbe (Schuchardt dit que le sujet est postérieur au prédicat). Cependant cette postériorité est plutôt logique que chronologique, dans ce sens que les mots exprimant une action indiquent, en même temps, celui qui accomplit l’action. Ainsi, par exemple, « miaou » exprime directement le miaulement mais signifie — chat.[3]
La proposition à deux membres pourrait ainsi avoir son origine dans le type où le sujet est intérieur ou bien dans ceux où il est déduit du verbe prédicat ou ne représente qu’une seule forme. Par exemple dans le Kaciari : bàr bàr-u — le vent (bàr), souffle, quelque chose comme — le souffle souffle ; en magyar — eso esik, ou bien : esik az esö, il pleut, littéralement : « la pluie pleut ». Georg von Gabelentz (Die Sprachwissenschaft, II, 311) admet que dans des cas semblables, un ton plus élevé et un rythme plus vif aurait servi à distinguer le verbe-prédicat du nom-sujet...
Nous arrêtons ici notre citation de Trombetti, croyant avoir suffisamment démontré sa façon de raisonner. Nous n’entendons nullement nier l’intérêt de ses observations dont quelques-unes sont partagées, d’ailleurs, par Marr (l’homme parle par propositions ; la logique ne doit pas influencer la grammaire; une proposition n’est pas un énoncé logique ; le verbe précède le nom). Maïs ceci dit on ne peut pas se défendre de croire que ce linguiste a un point de départ faux ; tout en soulignant le rôle de la psychologie dans le langage, il n’en tient au fond nullement compte. Il néglige le fait que la conscience humaine, la psychologie, a parcouru de longues étapes d’évo-
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lution et c’est, cependant, par là qu’il faut commencer pour nous orienter dans les phénomènes linguistiques. Et tout d’abord, au premier degré de la conscience humaine, celle-ci ne se rend compte que de son ambiance immédiatement perçue par les sens (j’ai froid, j’ai faim, etc...). La liaison avec les autres individus et choses n’est perçue que de façon plus limitée. Quant à la nature, vis-à-vis de laquelle est placé l’homme quand il commence à prendre conscience de son individualité, elle se présente à lui au début comme une force tout à fait étrangère, puissante et inaccessible. Bref, c’est un état quasi-animal dans lequel l’attitude à l’égard de la nature, qui reste à son état premier et ne subit aucune emprise humaine, est parallèle de l’isolement d’homme à homme, les deux situations s’expliquant réciproquement. L’homme fera un pas en avant quand il réalisera le fait de sa vie en société, sous la forme d’existence grégaire d’abord. Cette conscience grégaire représente déjà un progrès par rapport au simple instinct primitif qui reçoit ainsi une nouvelle expression, un nouveau contenu. A son tour, cette conscience se perfectionne, au fur et à mesure qu’augmente la productivité de l’homme, que ses besoins s’accroissent, l’une et les autres étant commandés par l’augmentation de la population.
A ce stade, la structure du langage sera subordonnée aux mobiles de l’instinct et à la conscience naissante vis-à-vis d’autres hommes et de la nature. Il va de soi qu’à ce moment il ne peut être question d’un langage assoupli. Toutefois, la notion qui commençait alors à se faire jour était celle de l’opposition saisie entre la nature et la collectivité humaine. Cette opposition revenait en somme aux limites de faibles possibilités que l’homme avait alors pour réagir contre les forces naturelles. Il y avait ainsi un nombre limité d’actes pratiquement utiles qui définissaient les rapports de l’homme à la nature. Peu à peu, cependant, l’homme commence à créer des outils artificiels, devient plus apte à transformer les données naturelles. Cette circonstance joua un rôle bien important dans le départ d’une nouvelle façon de penser.
Après ce stade de conscience grégaire, l’homme qui s’efforce d’agir sur la nature, tout en en ignorant encore les lois et en restant surpris par sa grandeur et son extranéité, parvient au stade cosmique quand il percevait la nature dans les limites étroites du cosmos avec ses qualités irréelles. Avec cette mentalité cosmique se confondra, plus tard, la mentalité mythologique, toutes les deux constituant ce qu’on appelle l’état prélogique de la pensée, ignorant la causalité.
Ouvrons, ici, une parenthèse qui nous permettra de mieux saisir le raisonnement; de Marr. Voici ce qu’il dit :
« Quand le même objet était considéré à la fois source du bien et du mal, quand le temps et le lieu n’étaient pas distingués, quand on ne tenait pas compte du temps dans un fait, alors corrélativement non seulement il n’y avait pas, mais il ne pouvait pas y avoir de mots vocaux pour des objets qui n’existaient pas dans la cons-
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cience, il n’y avait pas de syntaxe qui tient compte de la succession de faits dans leur connexion causale naturelle, les hommes pensaient mythologiquement, ils pensaient à l’aide de la mentalité dite prélogique ou plutôt ils ne « pensaient » pas encore, mais ils percevaient mythologiquement, car il n’y avait pas encore de différenciation logique, comme dans la structure sociale qui commande la conscience, la production n’était pas encore différenciée.
Quant au langage vocal, il apparaît à un degré élevé de l'évolution humaine, où il y a déjà la production, degré qui a derrière lui presque toute l’histoire du paléolithe. A ses débuts le langage vocal était un privilège, un des moyens techniques de l’organisation sociale.
C’est une période de la pensée logique, celle du mal et du bien, du temps et du lieu distingués, celle où les groupements humains perçoivent leur ambiance, le monde, dans la connexion causale, car la causalité apparaît alors dans la mentalité ; on devient capable de trouver la cause et les conséquences, en observant les faits visibles. Le langage vocal connaît déjà le verbe, c’est une époque quand existent déjà les phrases composées d’éléments qui intéressent les interlocuteurs, qu’il s’agisse de tel état ou même de l’action, du sujet et de l’objet. Les phénomènes sont classifiés comme propices, à des degrés divers, à cette connexion causale de faits ou comme contraires. Chaque phénomène, chaque objet, sur ce plan propice ou non, reçoivent un mot vocal spécial.
C’est un stade social et linguistique déjà évolué, alors que, auparavant, l’homme primitif ne distinguait ni temps ni espace, qu’il rendait par un seul mot correspondant à notre notion du Ciel. Cette confusion a une énorme importance pour la question de la causalité. D’après Lévy-BruhJ, entre les deux stades, prélogique et logique, l’homme n’avait pas de mobile qui eût transformé sa mentalité. Lévy-Bruhl, confronte ainsi les causes visibles et invisibles, réelles et mystiques, sans aucune autre différenciation. Or, la paléontologie linguistique nous révèle que pour la perception de la causalité indépendante des forces mystiques invisibles de la nature il ne suffisait pas de disposer de ce qu’on appelle habituellement visible, mais il fallait assimiler ce visible dans la conscience, saisir la causalité visible. Cette assimilation consciente de la causalité ne tient pas seulement à une simple expérience contemplative abstraite, moins encore à une mystique quelconque, des visions et des présages, mais à la production. Comme le langage vocal apparaît seulement à un certain degré de l’évolution de la culture matérielle, car il ne pouvait pas exister avant qu’il y ait eu un instrument de la production déjà achevé et perfectionné, il en est pareillement avec la mentalité logique qui ne pouvait pas être là avant un moment donné, avant l’époque de transformation nouvelle de la production et celle, concomitante, de la structure sociale. (Cf. « Pourquoi il est si difficile de devenir linguiste-théoricien », dans le IIe vol. des œuvres choisies de Marr, pp. 400 et 408). »
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En nous excusant de cette longue digression qui, nous l’espérons, n’aura pas été inutile, nous reprenons le fil de notre développement sur l’évolution stadiale du langage.
Comment pouvons-nous approfondir le raisonnement qui nous a permis jusqu’ici d’établir, ne fût-ce qu’hypothétiquement, les premiers stades de la pensée humaine, pensée plus instinctive encore que consciente dans ses balbutiements ? Certes, nous avons des documents paléolithiques qui nous renseignent sur certaines réactions de l’homme, sur son aménagement dans le milieu naturel, ses tentatives de vie émergeant d’animalité. Cependant, tous ces témoins sont muets et les réponses que nous pouvons en recueillir tiennent surtout à l’ingéniosité de notre interprétation. C’est ici, justement, que la théorie de Marr vient à notre rescousse pour nous fournir des arguments parlants, pour nous permettre des déductions plus solidement étayées. C’est que, en effet, les langues primitives qui, jusqu’ici, sont considérées par l’école linguistique dominante comme des parents pauvres, s’avèrent, au contraire, d’une richesse merveilleuse pour le chercheur qui, en faisant abstraction des normes de la grammaire logique, bien postérieure, basée déjà sur l’expression écrite de la pensée, se tourne vers cette source. C’est la méthode de paléontologie linguistique qui peut nous aider — en sondant au plus profond des couches du langage survécues chez les peuplades primitives — à nous faire une idée du langage non encore soumis à notre logique d’aujourd’hui, mais qui servait déjà à l’homme pour s’exprimer à sa façon. Quand on aborde le problème sous cet aspect on s’aperçoit, aussitôt, à quel point la théorie japhétique a dépassé les vues acceptées généralement en cette matière. Trombetti, en abordant la question, part, notamment, sans se soucier ou sans supposer un état préalable, de la notion de la proposition telle que nous la connaissons dans les langues grammaticalement très outillées, c’est-à-dire avec le sujet, le prédicat et l’objet. Pourtant Trombetti, comparé à d’autres linguistes, est déjà un novateur, pour ne pas dire un hérétique et il sent bien que pour progresser dans nos connaissances linguistiques, nous devons nous débarrasser résolument de tous les préjugés que l’école indo-européenne continue à cultiver.
Car il faut bien nous dire que l’homme aux premiers stades de son langage n’était guère, nous venons du reste de le voir, un logicien accompli. Bien au contraire. Dans son état mental primitif qui participait encore à la fois de l’instinct et de la conscience, celle-ci très faible et imparfaite, l’homme était loin de concevoir réellement ces idées abstraites que sont le sujet, c’est-à-dire l’individu, la personne elle-même, et son action ou état, le prédicat. Ces idées étaient encore très confuses du moment que l’individu lui-même n'avait pas encore pris une conscience bien nette de son rôle personnel et des possibilités de son action indépendante, en dehors de la collectivité, face à la Nature mystérieuse et toute puissante.
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Certes, l’action existait, mais elle se traduisait en elle-même, dans tous les gestes et réflexes de l’homme, dans l’activité de celui-ci, mais non dans une phrase construite logiquement. Comme l’a dit excellemment le P. Rodriguez (cité dans lntroduzione... di glottologia de Trombetti, p. 223) : « Les notions grammaticales résident bien plutôt dans l’esprit de celui qui parle, que dans ce qu’on peut appeler le matériel du langage. » Dans la phrase construite prélogiquement, l’action ne se sépare pas encore du sujet agissant et il en est de même pour l’objet de l’action. Toutes ces notions logiques, que nous ne pouvons pas percevoir autrement qu’au moyen de termes grammaticaux consacrés par l’atavisme de notre pensée de civilisés, se présentent tout à fait différemment quand il s’agit de la mentalité primitive qui ignore tout de nos concepts logiques, mais qui se représente ces rapports différemment, en les confondant ensemble.[4] Il n’y a pas encore de phrase, de proposition bien réglée, mais il y a un ensemble, un complexe, une phrase-mot, qui ne se décomposera, pour se rapprocher de notre façon d’expression, qu’après des millénaires d’une évolution qui aura modifié l’attitude de l’homme vis-à-vis de ses semblables et de la nature.
Qu’il en ait été ainsi, nous en avons la preuve non pas de quelque outil archéologique muet, mais de faits linguistiques, notamment ceux des langues paléoasiatiques incorporantes, telles que l’aléoutien ou le youkaguir, bien qu’elles soient déjà relativement évoluées. Prenons un exemple en aléoutien :
1) iqya-h, canoë.
2) iqya-si-ku-h, canoë-faire-maintenant-lui.
3) iqya-si-guta-qali-ka-ku-h, canoë-faire-de nouveau - possible- maintenant-lui (Il peut maintenant commencer à faire un canoë).
Le premier exemple grammaticalement représente un nom, avec la particule formative h qui a la fonction de désinence du cas ; le deuxième exemple inclut l’élément d’action (si), celui de temps (ku) alors que la particule h prend ici la fonction de la désinence personnelle de la 3e personne ; le troisième exemple nous montre une phrase-mot encore plus développée par incorporation plus poussée. Ce polysynthétisme primitif de l’aléoutien n’existe, d’ailleurs, plus à l’état pur. Cette langue se sert déjà, en effet, parallèlement avec l’incorporation de propositions dans notre sens du mot, en précisant les catégories grammaticales. Nous ne saurions entrer ici dans les détails d’ordre trop technique. Qu’il nous suffise de mentionner seulement que l’aléoutien nous permet d’approcher la solution de la ques-
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tion, à savoir comment, dans une langue, le nom et le verbe s’étaient séparés et ont formé des catégories à part, problème de tout intérêt,., puisqu’il s’agit justement de ce processus, qui, à la confusion primitive sujet-prédicat, fait succéder deux notions déjà distinctes, trahissant ainsi la modification survenue parallèlement sur le plan social, le rôle de l’individu se précisant, s’accusant davantage. Trombetti (op. cit. p. 224) estime que les noms substantifs ont une origine adjectivale ou verbale. Ceci est évident, dit-il, pour les noms abstraits, comme beauté ou amour, mais les substantifs concrets sont aussi d’origine secondaire. Les choses sont nommées d’après leur qualité ou action qui font sur nous une plus grande impression, p. ex., argent, métal blanc, serpent, etc... Dans certaines langues, miaou exprime le miaulement du chat et peut signifier le chat lui-même ; mais, logiquement, le verbe est antérieur au substantif.
Cette innovation — l’apparition du sujet bien distinct — est l’aboutissement d’une très longue évolution préalable, de sorte que notre courte digression nous a fait faire un très grand saut dans l’ordre de notre exposé où nous en étions au stade de la phrase-mot de caractère incorporant qui reflète, socialement parlant, une situation personnelle de l’individu encore fort peu avancée. L’individu se confond encore avec la collectivité, avec son clan, en dehors duquel il n’est rien et ne se conçoit pas. Nous pouvons, à ce propos, citer le cas d’une langue que nous avons plus spécialement étudiée et qui appartient évidemment au stade logique du langage, non sans avoir gardé, cependant, quelques curieuses survivances paléontologiques. Nous avons, notamment, en vue le suffixe - ek - que le kurde emploie à la fois et pour exprimer l’unité, la définition d’un être et d’un objet, et pour indiquer son caractère indéfini. Ce phénomène ne trouve son explication qu’au moyen du recours à l’interprétation sociologique. A un moment donné, ce suffixe en indiquant l’individu lui imprimait en quelque sorte un caractère vague et indéfini, en tant que la personnalité n’existait pas et, seul, le clan comptait. Comme nous l’a communiqué le prof. Marr, dans le même ordre d’idées, se place le fait que, dans l’alphabet cunéiforme assyrien, le signe de clou vertical, représentant l’idée d’un individu, sert aussi de déterminatif qu’on place toujours avant le nom d’une tribu.
Pour en revenir à notre exposé que nous venons d’interrompre en étudiant l’apparition de la notion d’individu, de sujet, il faut remarquer que la collectivité humaine primitive, ignorante des lois naturelles, en constatant les forces de la Nature dans leur activité, était amenée à penser que celles-ci jouent indépendamment de toute intervention humaine, laquelle ne se conçoit pas, d’ailleurs, dans ce rôle, et que, s’il y a un sujet agissant, c’est la Nature elle-même, dont l’homme ne serait en quelque sorte qu’une marionnette, un instrument. Cette notion irréelle, mythologique (cf. plus haut ce que Marr dit de la « perception mythologique ») a reçu chez les linguistes, le nom de « sujet mythologique », désigné ainsi pour le faire
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différer du « sujet logique», tel que le connaissent notre mentalité et notre grammaire qui en dérive.
Puis, nous l’avons déjà dit, on prenait conscience des actes séparés, pratiques et utiles, effectués par l’homme lui-même et, grâce à ces actes, sur leur base, les peuples, se trouvant dans des conditions plus favorables, commençaient à comprendre les lois de la nature dont dépendaient ces actes humains. En même temps que les lois naturelles devenaient mieux connues, se développaient les moyens qui permettaient à l’homme d’agir sur la nature. Plus les hommes s’éloignent de l’animalité, plus leur action sur la nature prend le caractère d’actes prévus, conformes à un plan, visant des buts définis, fixés préalablement.
Au cours de ce processus d’action consciente, l’individu, prévoyant et agissant, ne cesse pas lui-même de s’extérioriser, alors que le passé, avec sa notion de sujet mythologique, recule toujours davantage et se présentera bientôt sous un aspect passif. Toutefois, ces deux notions — sujet mythologique, sujet individuel, actif — co-existeront encore longtemps, l’un à côté de l’autre, non sans lutter pour la suprématie et il est facile d’en tracer l’histoire en étudiant dans leur dynamisme certaines langues paléoasiatiques américaines.
Comme le dit Mestchaninov, que nous suivons, d’ailleurs, dans notre exposé[5], l’aléoutien est très compliqué et, déjà, guère primitif. Sa structure décèle un long développement historique du passé et fait constater dans son état actuel une grande variété des composants linguistiques. Le nom y est proche du verbe, mais cependant le verbe est déjà formé comme tel et intervient dans la phrase. Le nom n’a dans sa déclinaison, que deux cas, direct et relatif, tous les deux passifs ; mais, en même temps, néanmoins, l’un d’eux, le direct, assume déjà aussi le rôle actif. Partant l’individu a déjà pris conscience de lui-même et s’accuse dans son action, bien qu’il soit envisagé encore sous l’angle de vision influencé par la mentalité mythologique, que nous venons de caractériser à l’instant. Il s’en suit que le même cas peut être tantôt actif, tantôt passif. Le cas instrumental n’y est pas encore, mais il y a, cependant, une forme indiquant l’instrument d’action attesté par une infixation spéciale du verbe. Cette infixation indique la présence, dans la phrase, de l’instrument d’action, c’est-à-dire de l’intermédiaire de l’action effectuée ; et cet instrument est relié à l’objet sur lequel il agit, la liaison étant exprimée par un formatif de cas pronominal, qui s’accorde avec lui (au singulier ou au pluriel). De sorte que, dans leur essence, ces formatifs de cas pronominal ne sont pas autre chose que les indicateurs désignant la direction de l’action accomplie ici à l’aide de l’intermédiaire (à l’aide de l’instrument), ce qui n’est pas limité aux pronoms seuls.
Les temps dans l’aléoutien se distinguent déjà par des indices
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du présent, du passé et du futur, lesquels, à leur tour, sont précisés encore selon le rapprochement ou l'éloignement du temps de l’accomplissement d’action, toutefois, le verbe, par sa forme, est encore près du nom et du pronom. En particulier, la notion de l’appartenance de l’objet, qui est celle de l’appartenance de l’action, est également concrétisée. De là proviennent les formes possessives aussi bien du nom que du verbe, qui apparaît ainsi comme subjectif-objectif, c’est-à-dire transitif[6]. Pareille forme du verbe rend le passage d’action sur l’objet, parce que la particule possessive dans les noms indique que l’objet appartient à quelqu’un, alors que dans les verbes l'action est dirigée sur quelqu’un et à son tour appartient à quelqu’un (« Mes deux prises — je prends deux »). De la sorte, la particule possessive dans le verbe contient en elle à la fois l’indication confondue de deux éléments opposés : l’individu agissant et l’objet d’action.
Il faut noter également que la conscience linguistique de l’aléoutien fait une différence entre les deux premières personnes dont l’individualité est marquée par les suffixes pronominaux et la troisième personne qui n’a aucun suffixe. Elle n’en a pas moins sa personnalité propre qui découle de son opposition aux deux premières. Ici, se reflète la mentalité qui continue encore à accorder la qualité d’individualité collective au clan.
Ce côté psychologique, dont on a vu les répercussions sur la structure du langage, peut être éclairé très nettement, par l’exemple de la langue américaine de Némépou. On y constate déjà, entre autres, la notion de la propriété privée ; mais le propriétaire et l’objet qui lui appartient sont considérés comme un ensemble. L’action sur mon objet est l’action sur moi-même, l’action de mon objet est mon action propre, mon action à moi. « Mon cheval marche » signifie, d’après la structure, ma propre marche. Il s’en suit que l’action de l’homme sur l’objet qui lui appartient est une action sans objet, et le verbe reçoit, par conséquent, une forme intransitive. L’homme agit sur son objet qu’on ne distingue pas du propriétaire lui-même, c’est-à-dire l’homme agit sur lui-même et, on a ainsi un semblant de forme réfléchie. Cependant, cette forme n’existe pas encore car il n’y a pas encore d’individu considéré isolément. Pour arriver à saisir le contenu de cette construction, il faut, par conséquent, tout d’abord, définir la physionomie sociale de l’individu lui-même, du propriétaire.
L’homme individu, qui n’est pas séparé de l’ensemble social auquel il se rattache, n’en apparaît pas moins comme une unité de la collectivité. Toutefois, ce n’est pas encore un individu en tant qu’une personnalité individuelle séparée. Le Némépou rend, en effet, la notion d’individu comme d’une unité sociale collective : à savoir que « moi » est opposé à « toi », non pas comme une unité également
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physique, mais comme mon unité sociale à une autre unité également sociale. Tout ce qui se passe à l’intérieur de l’unité sociale (unité collective) donnée est rendu par une forme de verbe sans objet, intransitive. Tout ce qui sort au-delà de cette unité acquiert déjà la possibilité d’une structure transitive, avec le sujet et l’objet. De cette façon, avec les données du némépou, nous approchons de la perception sociale de la différence entre les verbes transitifs et intransitifs, qui restent, d’ailleurs, encore dans le cadre de leur fixation strictement formelle. Néanmoins, les données de la langue permettent d’aborder ce problème, non seulement sous son aspect extérieur, formel, mais aussi quant à son contenu, grâce à la sémantique sociale, laquelle — disons-le en passant — est également une particularité de la méthode japhétique de l’étude linguistique.
Il s’agit, notamment, de la perception en fonction du totem. Dans cet état de perception, dans cette mentalité totémique, l’action de l’homme se perçoit comme celle du totem; elles sont liées, inséparables. Or, dans le némépou cette mentalité totémique est déjà entamée par le fait que l’individu se conçoit aussi. Mais l’individu agit dans l’« objet qui lui appartient », tout comme au stade précédent dans l’individu qui « appartenait au totem », c’était le totem qui agissait et point l’individu par lui-même. L’individu ne concevait pas son action individuelle, il y avait la conscience collective de l’unité. Quand il arrive à concevoir son action à lui, il ne la sépare pas, cependant, de l’action de l’ensemble collectif dont il fait partie. De sorte que, au fur et à mesure que l’ensemble collectif commence à se différencier socialement et économiquement, le cercle de la perception totémique se rétrécit.
Le némépou reflète précisément le stade auquel, à l’intérieur de la collectivité, se conçoivent, déjà, « moi » et « toi », bien que ce « moi » soit encore collectif, enraciné dans l’ensemble. Cet individu, la première personne, se manifeste avec une netteté suffisante et chaque action qui le vise est marquée par une nuance (par exemple l’action de la 2* personne sur la lre reçoit dans le némépou un indice formel spécifique).
Cette analyse quelque peu prolongée et très technique a été nécessaire pour vous faire saisir sur le vif comment opère la théorie japhétique quand elle poursuit son étude de l’évolution stadiale du langage. Les méthodes paléontologique et sémasiologique lui permettent, en effet, d’élargir et d’approfondir son investigation bien au-delà de la simple étude de formes conçues dans le cadre grammatical logique, procédé qui est seul admis à l’école indo-européenne, mais qui nous laisse complètement désarmés en face des phénomènes linguistiques qui naissent et se développent selon leur évolution propre, avec laquelle les catégories logiques n’ont pas grand-chose à faire.
Une fois de plus, il faut dénoncer le danger de considérer la linguistique comme une sorte de chasse gardée des indo-européanistes
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qui se cantonnent obstinément dans un des domaines du langage humain, parvenu à un stade écrit et très évolué, alors que toute l’immensité réelle du monde linguistique humain échappe entièrement à sa vision.
Nous croyons ainsi avoir démontré, nécessairement d’une façon superficielle, imposée par le cadre de notre exposé, comment se dessinent les premiers stades du devenir linguistique. Stade de grégarité primitive impuissante vis-à-vis de la nature ; puis, celui de la collectivité, opposée à la Nature et gagnant péniblement sur elle par un effort infiniment long, avec le rôle obscur et inconscient de l’homme absorbé dans le clan, les notions totémiques évoluant parallèlement avec le développement social et se reflétant sur les notions linguistiques en tant que celles-ci servent à définir l’homme et son action.
II ne suffit pas de déclarer, comme le fait Trombetti, que les premières parties du discours étaient des interjections, des mots démonstratifs et des verbes actifs, toutes les autres étant d’origine plus tardive. On s’engage ainsi dans une voie qui ne saurait aboutir à des conclusions satisfaisantes, car on se place ainsi, surtout, sur un terrain formel et phonétique, qui ne nous fournit, pour ainsi dire, qu’un commencement de preuve, tandis que l’évolution linguistique, à côté de la forme, comprend le contenu de tous ses phénomènes dans leur dynamisme constant, puisque la langue change et que ces changements sont fonction des modifications qui surviennent dans la mentalité humaine. La langue n’est pas un simple ensemble de sons, mais elle est, avant tout et surtout, l’instrument de la pensée, qui n’en a pas d’autres. Il est vain de vouloir échapper, sous prétexte de l’impossibilité pour les linguistes de se muer en sociologues, à cette vérité évidente que nous ne saurons jamais arriver à la compréhension du langage qui est la pensée exprimée, en nous défendant d’étudier cette pensée elle-même, qui constitue des mentalités, lesquelles diffèrent entre elles en fonction des stades sociaux parcourus par l’homme depuis qu’il est sorti de l’animalité.
Nous avons, par conséquent, établi que la mentalité de l’homme qui s’est élevé déjà au-dessus du stade purement grégaire est celle, où : 1° il conçoit déjà la Nature, bien qu’il n’en connaisse pas encore les lois; 2° il attribue l’action à une force qui est extérieure à lui-même ; 3° il commence en même temps à se rendre compte de l’action humaine, qui est, toutefois, fonction du totem. Cette mentalité, appelée prélogique par Lévy-Bruhl, est désignée par Marr comme totémique (totem entendu comme sujet mythologique) ou magique, mythologique. Elle se subdivise en cosmique[7] ou microcosmique suivant son degré d’entendement et de compréhension.
Les langues, au seuil des sociétés tribales entre le matriarcat et le patriarcat, se trouvent à ce stade de mentalité.
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Le processus de l’évolution sociale — commandé par la division du travail et l’accentuation de l’individu, alors que généralement la production et la consommation restaient collectives — la production et la consommation restaient collectives — fait intervenir, peu à peu, un nouveau facteur de contradiction interne : la notion de propriété collective, puis de propriété privée. Sur ce plan social apparaît le nouvel élément linguistique concomitant, le pronom. Cette catégorie grammaticale, que Marr (et Trombetti également) considère comme la première partie du discours, ne remplace pas d’abord le substantif (qui n’existait pas encore) ; mais le nom totem qui se plaçait, nous l’avons dit, en dehors et au-dessus de la collectivité humaine d’alors, comme une idée de la production sociale (cueillette, chasse). Tant que cette idée n’avait pas germé chez l’homme, il n’y avait pas lieu de parler de la structure du langage, de la syntaxe. C’est au fur et à mesure de l’organisation du travail, de sa division, de l’apparition de la notion de propriété que se transforme la conscience individuelle par rapport à la collectivité. Nous avons vu déjà que, au stade mythologique, la collectivité et l’individu se conçoivent comme un ensemble diffus, pluralo-singulier. La collectivité est plurale, mais elle se compose d’individus et, dans son évolution, elle apparaît comme une unité par rapport à la Nature et à l’égard des autres collectivités. De cette façon, elle s’anime, comme un tout, c’est-à-dire acquiert la qualité d’une unité agissante, tout en restant opposée à chacun des individus qui la composent. Dans ces conditions, la collectivité assumera le rôle qui, jusqu’à ce moment, était dévolu à la Nature, comme principe agissant extérieur. La notion du sujet mythologique que nous connaissons déjà sera ainsi transférée sur la collectivité qui devient totem, et nous arrivons au stade du totémisme ethnographique succédant au totémisme mythologique. L’ancêtre légendaire du clan, son totem se substitue dans la conscience tribale au rôle attribué jusque-là à la Nature. Linguistiquement, cela s’exprime dans l’apparition de la troisième personne représentant la collectivité, le clan et opposée aux deux premières personnes, celles-ci accusant déjà leur rôle individuel.
Le processus que nous venons de décrire est résumé par Marr dans les termes suivants :
« Le sujet sort de son opposé, qui est l’objet, du point de vue qualitatif mais, aussi, quantitatif, en tant que le sujet, dans la conscience actuelle de la société de classe est individuel. Partant, le sujet-individu émerge de la collectivité, de l’objet collectif, et tous les deux — le sujet et l’objet — sortent de l’action collective que nous avons définie comme travail-magie. Dans la société primitive, la magie et le travail sont indivisibles; ils sont seulement changeants, inséparables, comme la pensée et la langue. La magie est simultanément et la pensée et l’attitude mentale, tout comme son produit : le mythe. La magie n’est que l’aspect qualitatif de la pensée, de la pensée primitive diffuse et dialectique. Cette pensée primitive a connu des étapes (nous venons de les sérier, B. N.).»
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Le travail transforme ainsi la mentalité. En développant sa production matérielle et en liant des rapports conditionnés par celle-ci, l’homme transforme sa façon de penser; sa pensée élabore d’autres idées; la production mentale se modifie parallèlement. Chaque acte de la production acquiert sa valabilité sur le plan mental correspondant, il est soumis à une norme de la mentalité magique. L’agent, l’homme exécutant ce travail, apparaît à lui-même sous cet angle de pensée comme objet vis-à-vis de l’agent mythique par rapport auquel il se considère encore comme passif. Ce n’est que plus tard, avec l’évolution de la pensée logique, que l’homme, exécutant réel de l’action, deviendra un sujet conscient de lui-même.
Un pareil dédoublement du sujet peut être relevé dans certaines langues des sociétés tribales. La structure tribale de la société, telle qu’on a pu l’étudier, par exemple en Amérique, était basée sur une production encore très peu développée, une population très clairsemée sur un grand espace, d’où une soumission complète de l'homme à la Nature incompréhensible et ses notions religieuses enfantines. La tribu restait pour l’homme une limite, aussi bien par rapport à un étranger d’une autre tribu, que par rapport à lui-même : la tribu, le clan, leurs institutions étaient sacrés et inviolables, apparaissaient comme une force suprême, donnée par la nature, à laquelle une personne séparée restait soumise sans conditions dans ses sentiments, ses pensées et ses actes[8].
C’est à nouveau les langues paléoasiatiques qui nous permettent les constatations linguistiques correspondantes. Le système pronominal qu’on y observe, ainsi que la conjugaison pronominale, reflètent un état prolongé de perception individuelle; mais, en même temps, la structure du langage assez fréquemment conserve l’état précédent de la situation confuse de l’individu. Ainsi, dans le youkaguir, le tchoukote, on a des phrases-mots dans lesquels le sujet, la personne agissante, n’est pas indiqué ; il y a des formes de verbe qui reflètent l’appartenance à la personne, mais non pas la personne qui agit; on y constate une situation particulière de la troisième personne qui est impersonnelle, d’après sa forme, par rapport aux deux premières, etc... Dans la langue némépou, s’est conservée la perception collective de ces deux premières personnes, comprises dans toute leur ambiance sociale, etc...
Ainsi, on dit en aléoutien :
1° sû/kû, il le prend;
2° angagi-m sû/kû, homme le prend;
mais la traduction exacte serait : 1° sa prise, acte de prise lui appartenant; 2° acte de prise appartenant à l’homme, que nous tradui-
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sons en nous adaptant à notre mentalité grammaticale qui veut qu’il y ait un sujet.
En Youkaguir :
Köde-d-ilen-bunil, homme-renne-tuerie,
que nous traduirons : l’homme a tué le renne, avec le sujet; mais pour le youkaguir, il n’y a qu’une constatation, sans notre précision logique. Le sujet est dissimulé dans cet ensemble verbal tout entier.
Dans la langue américaine némépou, on dira :
à sikàm-na anpisa, tu prends un cheval quelconque (qui appartient on ne sait à qui) ;
à sikàm inpisa, tu prends ton cheval (ta propriété).
Le verbe, dans la seconde phrase, est dans la forme intransitive, ce qui prouve que l’action est sans objet, parce que le sujet ne se conçoit pas séparément de son ambiance; autrement dit, en agissant sur l’objet qui lui appartient, il agit sur lui-même. Remarquons en passant que dans cette façon concrète de penser[9], celle du primitif, on conçoit un objet qui appartient à on.ne sait qui ; mais un objet en général, sans qu’on signale ses attaches socialo-économiques, n’existe pas. Il en est, d’ailleurs, de même en ce qui concerne l’homme lui-même, confondu, encore nécessairement, avec la collectivité, les phrases respectives étant « ma femme, je marche », « mon frère, je marche », « ton frère, tu marches », pour dire, — ma femme, mon frère, ton frère, — marchent. Il ne s’agit pas d’indiquer que mon frère ou ma femme, ton frère et ta femme, appartiennent à moi, à toi; mais cette tournure de phrase reflète que dans le némépou, on ne conçoit pas encore l’individu séparément de la collectivité. (Comparez l’abkhase : sara s-ab, moi mon père = mon père ou le mundari ; apu-m t-ape, ton père de vous = votre père, etc.) (Trombetti, op. cit., p. 247). Il ne suffit pas de décrire la forme grammaticale, il faut saisir sa psychologie, comme nous l’avons dit au début de cet exposé.
Au début, il y a le totem - Nature, toute puissante et inaccessible, perçue comme plus forte que la collectivité humaine; puis, l’action de l’homme sur la Nature progressivement se renforce et apparaît le totem collectivité (clan, tribu) ; ensuite, avec le démembrement à l’intérieur de la collectivité, l’unité, qui en fait partie, prend de la conscience ; enfin, plus loin encore, la personnalité individuelle finit par émerger.
Nous avons ainsi étudié les deux premiers stades d’évolution
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du langage, le stade actif-mythologique, ou l’action est attribuée à un principe magique, aux forces secrètes qui se placent au-dessus de l’homme, et le stade activo-passif, où l’homme commence déjà à prendre conscience de son action. Il nous reste à dire maintenant quelques mots sur les stades suivants, qui commencent à se rapprocher de plus en plus de notre mentalité grammaticale, de la structure logique du langage.
Le troisième stade survient dans le langage quand l’homme commence à comprendre les forces de la Nature, dont dépend son activité. L’influence des forces imprévues et incontrôlables s’affaiblit, les moyens d’agir sur la Nature augmentent. La structure du langage s’en ressent en conséquence. L’action se transfère sur l’agent réel, l’homme, le sujet logique. Les catégories logiques actives s’accusent et s’opposent à la conception activo-passive du stade précédent. Le sujet mythologique du passé perd de sa réalité, de son efficacité, devient bientôt une abstraction. Il se produit une rivalité, une compétition entre les anciennes façons de s’exprimer commandées et élaborées sous l’empire de la mentalité qui a déjà cédé sa place, entre les formes grammaticales périmées qu’on s’efforce d’adapter aux conceptions nouvelles. Le nom et le verbe se transforment, des formes grammaticales neuves apparaissent soit comme un résultat de compromis avec les anciennes, soit comme entièrement originales. Dans ce stade, qualifié d’ergatif, (auquel Marr classe les langues du Caucase du Nord), les verbes transitif et intransitif, par exemple, se différencient déjà nettement, et le cas du nom en dépendra, alors que, dans le stade précédent, le même verbe pouvait être transitif ou in transitif suivant son traitement, soit positif, soit pronominal. Dans le stade ergatif, l’emploi des cas du nom se précise et des cas nouveaux apparaissent. Tel est le cas instrumental ou ergatif qui a un double sens, grâce à la transformation de la mentalité qui est en cours. D’une part, il peut signifier, en exprimant l’intermédiaire de l’action de celui qui agit, l’instrument de celle-ci. De l’autre, avec la disparition du sujet mythologique, qui agissait à travers de l’exécuteur d’action, conçu lui-même comme son instrument, ce cas acquiert un rôle indépendant et peut, dès lors, lui-même, être un cas actif, signifier le sujet, tout en gardant sa forme passive. Ce n’est, d’ailleurs, que dans ce stade ergatif qu’il peut assumer ce rôle. Il n’existera pas dans le stade suivant, comme il n’a pas existé dans le stade, précédent[10]. En aléoutien, par exemple, pour expri-
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mer l’instrument, on infixait au verbe la particule sa. On y dit :
qa - h tha - n - nan su - sa - ku - gin. poisson bras-mien-un prend-avec-maintenant-moi. C’est-à-dire, je prends le poisson avec mon bras .
Dans les langues paléoasiatiques plus évoluées, il y a déjà un cas instrument spécial : ainsi, dans le koriak ou le kamtchadal : vala-ta, avec le couteau; qaa-ta, avec le renne. Ce cas se rapproche ainsi de celui du stade ergatif, comme dans le darga, par exemple, (un des idiomes du Daghestan) :
nu-ni dirxa-li väkära hwi-li-chi
par moi par le bâton ai-je-frappé le chien
Dans cette phrase, il y a trois cas instrumentaux de sens différents : 1. nu-ni, indique le sujet d’action; 2. dirxa-li, son instrument ; 3. hvi-li-si, direction de l’action effectuée sur le chien.
Le sens actif du cas instrumental employé avec le verbe transitif est une particularité du stade ergatif dont dépend, à son tour, l’analyse d’une façon spéciale du passif, selon que le verbe est transitif ou intransitif.
Dans les langues du stade précédent, par exemple l’aléoutien, le transitif est passif dans sa construction et le sujet s’y trouve au cas oblique. On s’y exprime ainsi : « de l’homme plusieurs prises » — angagi-m suku-nin — pour dire « l’homme les prend », en partant ainsi de l’idée « à qui appartient l’action (de prendre) »; alors que, dans le stade ergatif, se substitue déjà l’idée « par qui l’action est
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effectuée », bien que le sujet reste encore dans un cas oblique, le cas ergatif dont on a donné plus haut la caractéristique. Comme il a été dit, ce cas a une double fonction, soit une expression ergative du sujet logique avec le verbe transitif, soit une expression instrumentale, les deux exprimées par la même forme. Il en est ainsi dans les langues du Caucase du Nord; alors que, dans les langues méridionales du Caucase, on assiste déjà à la scission. Le géorgien, le mégrélien et le tchan ont une désinence spéciale pour le cas sujet et le cas instrumental. D’ailleurs, le verbe transitif, passif encore dans sa forme qui survit du stade précédent, est déjà actif par son contenu dans le stade ergatif. Dans le stade précédent, le verbe était transitif ou intransitif du fait qu’il indiquait l’objet ou ne l’indiquait pas par sa forme, soit possessive, soit pronominale; tandis que, dans le stade ergatif, il ne s’agit plus de la forme, mais de la sémantique, du sens de verbe qui agit ou n’agit pas sur l’objet. Cette modification entraîne celle du cas direct. Dans le stade précédent, il signifiait l’objet indépendamment du verbe transitif ou intransitif, dans le stade ergatif, il est passif avec les verbes transitifs formellement passifs (quand il exprime l’objet), mais il est actif avec les verbes intransitifs formellement actifs (quand il exprime le sujet)[11]. Il acquiert ainsi une qualité nouvelle. C’est pourquoi on lui donne un nouveau nom de cas absolu. Il n’est plus le cas direct du stade précédent, mais il n’est pas davantage le nominatif du stade suivant.
Bref, le verbe, au stade ergatif, arrive à une grande précision pour exprimer le sujet et l’objet et fait accorder son aspect formel avec la signification du thème verbal. Quant au nom, on vient de le voir, aux cas direct et oblique (relatif) du stade précédent, se substituent l’absolu et l’ergatif qui, à leur tour, donnent naissance à une multitude d’autres cas, ce qui tient encore au caractère concret du langage : le tabassaran a trente-six cas; le darga possède des cas non seulement pour rendre l’éloignement, mais pour souligner qu’il se produit d’en haut ou d’en bas, etc...
Au point de vue de l’évolution stadiale, il importe encore de souligner que, par exemple, dans la langue avare, le verbe ne s’accorde pas d’après les personnes, mais reçoit des indices de classe, accordés avec le sujet dans les verbes intransitifs, avec l’objet dans les transitifs, c’est-à-dire le même phénomène qu’avec le cas absolu décrit tout à l’heure.
A ce stade, on voit que l’individu, dont on a déjà la conscience, est actif dans son importance socialo-économique. Si, auparavant, les indices de classes réglaient l’attitude vis-à-vis de la collectivité, maintenant ils dépendent du rôle socialement actif ou passif. L’indi-
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vidu actif est opposé à tout le reste[12]. Homme, guerrier, père, mère, etc., seront dans la classe active, alors que la classe passive comprendra des êtres animés, comme enfant, fille non mariée, et des objets. Les langues du stade ergatif connaissent ainsi trois classes : active (masculin et féminin) et passive. Cette particularité trace une limite nette avec le stade précédent. Elle explique également les constructions verbales et nominales, la précision du verbe transitif ou intransitif par sa signification, l’apparition du cas absolu qui fait pressentir le cas nominatif; notamment, dans les phrases avec le verbe intransitif (en géorgien). D’ailleurs, le nominatif ne recevra son statut définitif que dans le stade suivant, appelé logique, auquel appartiennent les langues plus connues, attestées par écrit et mieux étudiées (indoeuropéennes, sémitiques, ouralo-altaïques, etc.) avec lesquelles opère la linguistique officielle. Au stade ergatif, en effet, la personne agissante logiquement peut être exprimée par le cas absolu ou ergatif et, même, par le datif avec les verba sentiendi. Le stade ergatif ne connaît pas, par conséquent, de cas strictement actif ou passif. En géorgien, on dit : mama-s a-qu-s tign-i, littéralement, au père lui-avoir-le-livre ; patri habetur liber, le père a un livre ; kats -i stav-s dzaf-sa, homme file le fil. Le cas absolu, dans les deux phrases : tign-i, kats-i, qui tend déjà au nominatif, apparaît différemment : il est objet dans la première, sujet dans la seconde; quant au datif-accusatif : mama-sa, dzaf-sa, il est logiquement subjectif dans la première et objectif dans la seconde et, en outre, il est sujet au datif avec verba sentiendi et accusatif avec le prédicat dans la forme active. Nous avons, ainsi, la structure subjective-objective du verbe dans tel groupe d’après le temps[13]. Le groupe comprenant le présent et l’imparfait est déjà dans sa structure subjective comme sur le plan du stade logique; alors que celui de passé défini, plus-que-parfait et passé du subjonctif, avec la structure objective, reste encore au stade ergatif, le sujet étant exprimé par un indice objectif passif du verbe (qal-sa u-staw-s dzaf-i, la femme avait filé le fil).
Cette analyse, dans laquelle on s’est borné forcément à quelques exemples, suffit, néanmoins, à démontrer que la conception japhétique du langage est nettement dynamique. Elle ne se contente pas, en effet, de fixer les grands stades d’évolution, chacun offrant un caractère propre; mais elle s’attache, en outre, à poursuivre le mouvement des divers éléments du langage, à saisir leurs transformations, d’un stade à l’autre, aussi bien qu’à l’intérieur d’un stade donné : les stades ne se séparant pas entre eux par des cloisons étanches, mais laissant des survivances, des archaïsmes, qui entrent
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en conflit de structure et de signification par leur forme et leur contenu, qui doivent s’adapter aux nouvelles conditions de mentalité.
Ainsi, dans le stade actif-mythologique, la question des rapports entre les catégories logiques et grammaticales ne se pose pas encore, puisqu’on a à faire avec une phrase-mot, incorporant tous les éléments indistinctement, comme, par exemple, en aléoutien :
iquahsi guta siga ka ku h
canoë fabrication à nouveau solide possible une
qui veut dire, à notre façon : il peut de nouveau fabriquer solidement un canoë.
Puis, au stade suivant, activo-passif, les éléments composants arrivent déjà à se manifester séparément. Néanmoins, les cas du nom, la portée du verbe, restent encore activo-passifs par leur contenu et assument leur sens d’après la syntaxe. Un seul cas peut servir de sujet et d’objet et, d’ailleurs, le sujet ne s’y précise pas encore. Le sens dans chaque cas concret est donné par la forme du verbe et la disposition des mots dans la phrase.
Quand on arrive au stade ergatif, la confusion cède sa place à plus de netteté. Le verbe et le nom s’accordent déjà suivant le sens du premier. Dans les verba sentiendi, le sujet est au datif, dans les transitifs, à l’instrumental, dans les intransitifs, à l’absolu.
Enfin, dans le dernier stade, logique, les cas de sujet et d’objet dépendent aussi bien de la sémantique verbale, du sens du verbe, que de sa forme. Le nominatif dépend non pas de la signification du verbe, mais il s’accorde avec lui, tient compte de la syntaxe et de la morphologie du verbe. Le verbe change de nombre suivant le nombre du sujet, etc.
En résumé, la valeur de chaque forme grammaticale reçoit une interprétation plus concrète qui pénètre à ses origines mêmes, qui sont dans le travail c’est-à-dire dans l’attitude vis-à-vis de la Nature, dans leurs démarches consécutives.
L’école linguistique officielle, même quand elle se réclame des facteur sociologiques (Meillet, Vendryès, M. Cohen), par contre, n’approfondit pas son analyse, étant de son essence statique; alors même qu’elle étudie certaines transformations, s’attachant surtout à la phonétique, elle se contente des situations déjà cristallisées et se désintéresse de leur origine sociale, de leur genèse en devenir continu.
Note. — Pour les raisons d’ordre typographique, la transcription de certains sons n’a pas pu être assurée selon les règles admises généralement. Sur cette page même, le h (et dans la citation au début) est « barré », c.-à-d. fortement aspiré ; le n représente une nasale sonnante (et dans ma 5e citation) ; le g devrait porter un accent circonflexe renversé (et dans ma 2e citation). Les spécialistes m’excuseront et auront rectifié d’eux-mêmes. — B. N.
[1] Cf.« L’origine du langage», L’Ethnographie (Paris), n° 32, 15 juillet-15 décembre 1936, pp. 43-65.
[2] Cf. Introduzione agli elementi di glottologia, Bologna, 1922, pp. 216 et suiv. Cf. aussi, par ex. de Saussure (Cours de linguistique, 21) : « Tout est psychologique dans la langue, y compris ses manifestations matérielles et mécaniques comme les changements de sons. »
[3] La théorie japhétique affirme que l’onomatopée est un phénomène tardif. Lors de l’apparition du langage, l’homme était loin de disposer d’une telle quantité de mots pour les dépenser à une expression imitative consciente de tels phénomènes ou d’autres. L’imitation de sons n’a joué aucun rôle dans l’apparition du langage. (Marr, Œuvres choisies, vol. II, p. 423.)
[4] Nous ne pouvons pas partager l’opinion de M. Max H. Bondin : «Essai sur le rôle de la linguistique au service de l’investigation sociologique», Revue Anthropologique, n° 4-6, 1937, pour qui il y a « des peuples à tendances individualistes », plus aptes à différencier le sujet et l’objet, et d’autres — communistes — confondant ces notions. Comme si tous les peuples n’étaient pas passés par le stade de communisme primitif.
[5] Cf., son ouvrage : Novoïé Outcheniyé o yazykié (La nouvelle théorie du langage), Léningrad, 1936.
[6] Trombetti, op. cit., p. 271, se prononce énergiquement contre la notion du verbe possessif.
[7] Le langage vocal apparaît au stade de mentalité cosmique. (Marr.)
[8] Sur le plan juridique des observations très intéressantes concernant la confusion de l’individu et de la collectivité se trouvent dans l’ouvrage de M. Kovalewsky : Droit coutumier ossétien, Paris, 1893 (ch. III, le droit contractuel).
[9] On n’aura pas, p. ex., un verbe abstrait pour dire « pêcher », mais il variera suivant le poisson pris : « je saumonne », etc.
[10] Trombetti: (op. cit., p. 264) dit :
« La distinction entre le sujet actif et inactif qui se trouve dans le Basque et le Caucasique, l’Indochinois, le groupe Papou-Australien et les langues paléoasiatiques et américaines est très importante :
Nous disons indifféremment « le chien est fidèle, le chien aboie, le chien mord l’enfant », bien que, dans le premier cas, le sujet n’accomplisse aucune action; alors que, dans les deux autres cas, il accomplit une action, soit intransitive, soit transitive. Les langues qui possèdent une forme spéciale pour le sujet actif (cas actif ou ergatif) emploient pour le sujet inactif, en règle générale, un nom simple sans aucune affixation, comme pour l’objet : par exemple, en basque, gizon-a-k ikusten du, l’homme le voit, alors que gizon-a- da-tor, l’homme vient (pareillement pour l’objet : ikusten du gizon-a, je vois l’homme). Il importe beaucoup d’étudier la vraie nature de l’ergatif, parce que sur lui est en grande partie fondée la théorie du caractère passif du verbe transitif ou, en général, du verbe d’action : théorie que je ne peux pas accepter. »
Cette question est étudiée, d’un façon approfondie, par une des élèves de M. Marr (S.L. Bykhovskaia, « La construction 'passive' dans les langues japhétiques », dans le vol. II. du recueil : « Le langage et la mentalité », Léningrad, 1934) qui aboutit à la conclusion suivante :
«... Au début, tous les verbes étaient transitifs, bien entendu les verbes d’action, car l’apparition du verbe, ou plus exactement du mot pour un état, est un phénomène bien plus tardif et exige une grande capacité d’abstraction. Le stade suivant de l’évolution est celui où les verbes actifs se divisent en verbes transitifs et intransitifs. C’est le stade auquel se trouve le verbe dans les langues japhétiques et, partiellement, dans les nord-américaines. Enfin, le troisième stade de l’évolution, quand l’homme peut déjà penser le verbe comme un processus abstrait, en dehors du rapport entre ce processus et celui qui l’occasionne, le sujet, et en dehors de ce qu’il vise, l’objet. C’est le stade quand dans le verbe s’efface déjà la différence entre les trois types de processus, le stade auquel, grâce à la capacité déjà acquise de concevoir un processus abstrait, les indicateurs personnels deviennent déjà méconnaissables dans le verbe, et on ne les prend plus, à présent, pour les pronoms, — bref, c’est par excellence le stade de l’évolution des langues indoeuropéennes, stade d’évolution auquel les verbes transitifs et intransitifs sont construits de la même façon. »
[11] Le verbe transitif remonte à la conjugaison nominale-possessive qui était passive par sa forme transmettant l’appartenance de l’action à l’individu émergé (du collectif), alors que l’intransitif remonte à la conjugaison pronominale, c’est-à-dire à une forme verbale déjà personnellement individualisée.
[12] Trombetti, op. cit., p. 243, sans interprétation mentionne les classes.
[13] La structure subjective rend la personne agissante par des particules pronominales subjectives; la structure objective, par des particules pronominales objectives.