[85]        La philosophie linguistique de l’illuminisme

        Dans la période du romantisme albanais, presque jusqu’à la fin du XIX^e siècle et au début du XX^e, on ne soulève pas de problèmes théoriques de la langue, de problèmes qui la concerne en tant que matière de la création poétique, quoique dans la pratique de la création littéraire, le matériel linguistique sera utilisé avec des changements évidents par rapport à la pratique de la création littéraire traditionnelle. Jusqu’à ce temps, dans le romantisme albanais on traite de la langue albanaise, en tout premier lieu, sous l’aspect national. A commencer par les écrits de Jeronim de Rada et, en particulier, de Naum Veqilharxhi, la question de la langue albanaise devient une question d’illuminisme nationale, voire politique de premier ordre, dans les lettres albanaises. Tous les écrivains, les scientifiques, les folkloristes et les publicistes les plus en vue du romantisme consacreront à cette question toutes leurs recherches et leurs création poétiques hymnisées.
        Pourquoi les écrivains albanais traitent-ils la question de la langue d’abord sous l’aspect, qui en général ne peut pas être considéré comme un aperçu sur les intérêts des créateurs artistiques?

        En tant qu’idéologie nationale synthétisant toutes les formes de l’activité intellectuelle, c’est à dire qui représente la création centrale dans la vie culturelle nationale, le romantisme ne peut pas poser la question de la langue séparemment des problèmes représentant les intérêts historiques de la nation.
        A l’époque où les hauts idéaux de liberté, d’indépendance et d’égalité étaient universels dans la culture européenne, où la majorité des peuples asservis de l’Europe s’étaient libérés des occupants ou ils se combattaient pour leur libération, où la langue, l’histoire et la littérature populaire faisaient preuve fidèle de l’identité nationale, où des mouvements et soulèvements contre les occupants avaient lieu, les écrivains, les peu d’intellectuels ne peuvent considérer et traiter la question de la langue que comme un facteur essentiel qui témoigne de l’existence d’une nation autochtone, respectivement comme une émanation nationale.
[86]              
        Les écrivains du romantisme albanais pensaient que les efforts pour l’écriture de la langue albanaise, pour son alphabétisation, pour la création de l’école albanaise sont, du moins pour un certain temps, le moyen le plus efficace de la lutte pour l'indépendance nationale; ils pensent que la question de la langue albanaise — de son alphabétisation et de son école — est en fait le moyen le plus efficace de la mobilisation de la conscience et de la création de la cohésion nationale. Etant persuadés que la culture nationale d’une riche tradition populaire peut être émancipée comme une culture nationale authentique, que la littérature albanaise peut être formée comme une littérature nationale authentique, que l’école albanaise peut être écartée des trois écoles étrangères — grecque, italienne et turcque — qui étouffaient la nationale, que la langue albanaise peut être élevée au niveau de la langue de la création poétique et scientifique et aussi de la langue de l’administration, que toutes les couches sociales peuvent avoir confiance en leur langue, les romantiques commencent leur lutte pour la langue albanaise comme une lutte verbale pour l’élévation de sa dignité nationale, d’une part, et comme une lutte pour la création de leurs œuvres, qui pourraient témoigner de ses possibilités créatrices, de l’autre. Cela veut dire que, à l’époque où l’albanais ne pouvait être écrit librement et considéré comme une langue de culture, d’art et de science, même par la plupart des Albanais, les romantiques se posaient comme première tâche: faire sortir la langue albanaise de la position sousestimée où elle se trouvait depuis quelques siècles, transformer la confiance des Albanais en une réalité, soit par des œuvres littéraires, soit par des œuvres linguistiques, soit en pratique, soit en théorie. C’est pourquoi la métalangue d’illuminisme métaphorique des débuts du romantisme et celle d’illuminisme théorique et publicistique du romantisme en cours se concentrant sur la constatation suivante: un peuple qui a sa propre langue irréfutable, comme c’est la langue albanaise, une des langues les plus anciennes de l’Europe — et qui a créé en cette langue une littérature artistique tellement précieuse, comme c’est la littérature populaire albanaise, ne doit jamais permettre de vivre asservi pendant des siècles et des siècles; c’est à dire que ce peuple doit vivre indépendant et libre. De cette façon, la question de la langue devient un moyen de la formation de la conscience nationale des Albanais et de l’information de l’opinion mondiale sur le peuple albanais, sur sa culture traditionnelle et contemporaine.

        Le caractère esthétique de la langue dans le romantisme
        Partant de la quatrième décennie du XIX^e siècle, des écrits de Jeronim de Rada et de Naum Veqilharxhi, la langue albanaise devient un des mots les plus fréquents, les plus significatifs, les
[87]    
plus expressifs du vocabulaire romantique, du vocabulaire scientifique, journalistique et poétique également. Il n’y avait presqu’aucun publiciste, scientifique ou poète actifs de la période du romantisme, qui n’écrive pas d’articles ou de vers sur la langue albanaise. Dans les journaux et les revues de l’époque, surtout après la Ligue albanaise de Prizren, les écrits sur la langue albanaise sont très fréquents et leur pathos se caractérise d’une tension patriotique particulière. Aussi fréquentes étaient aussi les correspondances entre les divers auteurs où on parlait aussi des problèmes de la langue albanaise. En général, le jugement objectif scientifique sur la langue en tant que moyen de communication est remplacé par les évaluations esthétiques sous l’influence des points de vue romantiques. Ainsi par exemple, les romantiques considéraient juste d’ajouter au groupe de mots gjuhë shqipe de diverses épithètes et d’écrire pour la belle langue, la langue libre, la bonne langue, la langue pure, la langue sonnante, la langue courageuse, brave, rigoureuse, saine, ancienne, divine etc. L’albanais est une langue d’où rayonnent les bontés, les vertus, les beautés, les capacités et les talents des membres de la nation qui le parlent. Pour les écrivains du romantisme albanais, la nation est un modèle organique, statique, immuable, tandis que la langue est l’expression la plus essentielle, la plus authentique, la plus originale et en même temps la plus universelle de son esprit. L’histoire, la tradition, les coutûmes, c’est à dire l’esprit du peuple sur son étendue synchronique et diachronique, se sont sanctionnés dans la langue qu’il parle. Pour les écrivains du romantisme albanais, la langue est la preuve suprême de l’identité de la nation. Tous les romantiques pensaient que, si elle est sous-estimée, si on ne la parle pas et on ne l’écrit pas, la nation aussi disparaît. Sami Frashëri exprime la conviction unanime des romantiques albanais, lorsqu’il écrivait:

«Shënj’e kombërisë është gjuha; çdo komb bahet me gjuhë; ata njerëz që harrojnë e lënë gjuhën e tyre e flasinë një tjatrë gjuhë, me kohë bëhenë njerëzit’e ati kombi q’i flasinë gjuhën e dalinë nga kombësi’e tyre»^[1]. (Le signe de la nation est la langue; chaque nation est basée sur sa propre langue; les gens qui oublient ou abandonnent leur langue et parlent une autre langue, deviennent, avec le temps, membres de la nation dont ils parlent la langue, donc, ils ne font plus partie de leur véritable nation).

        Cette métalangue romantique est en même temps le moyen et le symbole de l’intégrité nationale. Pour les romantiques albanais:
[88]
        Gjuha është një bari
        që ruan berrat e ti^[2].
        (La langue est un berger
        qui garde ses propres moutons).

        De cette façon, la langue utilisée pour mettre en relief les qualités de la langue devient décorative, glorificatrice, poétisante, esthétisante. Elle ne tient pas compte aussi de sa structure que de son effet: la langue devient ainsi un mythe national.
        Pourquoi les écrivains du romantisme albanais esthétisent-ils de cette façon leur langue?
        De même que la poésie populaire, les vertus nationales, l’histoire et les figures de l’histoire, la langue aussi a été utilisée par les romantiques pour animer le monde spirituel des Albanais, pour éveiller leur conscience nationale.

        La langue en tant que facteur de la culture

        Traitant de la langue comme une émanation de l’esprit national, les romantiques albanais la considèrent aussi comme un facteur décisif de l’enseignement, du savoir, de la culture, donc, comme un facteur de l’émancipation spirituelle de la nation. Etant le facteur essentiel de l’identité nationale, la langue est un facteur dont dépend entièrement l’avenir historique des Albanais. De même que l’histoire d’une série de peuples avancés, l’histoire des Albanais aussi, en un état arriéré, témoigne que le progrès culturel de la nation, et même son existence, dépendent entièrement de la langue. Les cultures nationales ne peuvent ni se développer, ni exister en dehors de leurs langues. Les romantiques albanais approuvent unanimement la pensée de Herder, citée par Thimi Mitko dans la préface de son ouvrage Bëleta shqypëtare: «Une nation ne peut se sauver de la barbarie qu’en travaillant sa propre langue»^[3]. Les romantiques attachent une attention particulière à l’enseignement de la langue nationale pour éliminer aussi les conséquences de l’enseignement des langues étrangères:

«Si, ndryshe do të mundim ne të mësojmë dituritë? Si do të marrim vesh punërat që kanë bërë pleqtë tanë për mëmëdhe? Qysh do të mundim të mësojmë istorin’e kombit vet, përveç me anë të gjuhës tënë? Gjer tani shqiptarët mësojnë në shkolla të huaja, në shkolla që nuk dëgjohet gjuha që flasin, n’ato shkolla të këqija në të cilat mbillet fara e zezë në shpirtin e vegjëlisë,
[89]    
që me kohë të dalin ata më të liqtë e më të kqinjtë armiq të gjuhësë edhe të kombit vet». (Comment pouvons-nous acquérir des connaissances? Comment pouvons-nous apprendre tout ce que nos ancêtres ont fait pour la patrie. Nous ne pouvons apprendre l’histoire de notre nation que par notre langue. Jusqu’à présent, les Albanais s’instruisent dans des écoles étrangères, dans des écoles où on n’entend point du tout leur langue maternelle, dans de mauvaises écoles qui parsèment la mauvaise graine dans l’esprit du menu peuple, qui préparent de méchants Albanais pour les dresser ensuite contre la langue et la nation albanaises)^[4].

        Donc, en mettant l’acquisition des connaissances et de la culture, en général, sous la dépendance de la langue albanaise, les romantiques mettent la formation de la conscience nationale sous la dépendance de l’enseignement de la langue albanaise; ainsi les romantiques encouragent, par leurs idées sur la langue, des efforts désignés d’illuminisme, qui joueront un rôle important dans la vie culturelle et politique de la nation albanaise au cours du XIX^e siècle.

        Alphabétisation de la langue

        Soit une décennie avant la Ligue de Prizren, soit une décennie après elle, la métalangue du romantisme albanais devient de plus en plus concret du point de vue politique et national. Dans les conditions historiques et culturelles de l’époque, les romantiques albanais augmentent leurs efforts scientifiques et poétiques en même temps, et parallèlement eux écrits qui esthétisent la langue nationale, ils commencent à soulever de plus en plus fréquemment, de plus en plus clairement et puissamment ses problèmes de caractère pratique. L’un de ces problèmes est l’alphabétisation de la langue albanaise.
        Le nombre des articles que les romantiques consacrent à la question de l’alphabet de la langue albanaise, en tant que condition indispensable de la culture nationale, est aussi grand que celui des vers et des articles qu’ils consacrent à la langue en tant qu’enthité nationale. Les scientifiques et les poètes, les publicistes et les journalistes de l’époque du romantique, tous se prononceront sur la question de l’alphabétisation de la langue. Si d’après leur vocabulaire pathétique rhétorique «ceux qui ne veulent pas écrire leur propre langue s’appellent des barbares»^[5], il est compréhensible
[90]    
pourquoi la majorité veulent témoigner que ni eux comme individus, ni les Albanais comme nation, ne doivent pas être appelés «gjuhëpashkrues» (= des hommes qui ne veulent pas écrire leur langue).
        Les écrivains du romantisme, voire aussi les poètes, s’occupent beaucoup de la question de l’alphabet, parce que faute d’un alphabet commun leur communication avec les lecteurs éventuels et aussi la publication de leurs œuvres, dressent des difficultés aussi aux auteurs eux-mêmes dans la création de leurs œuvres littéraires. C’est pourquoi les romantiques s’engagent dans l’explication des difficultés créées par l’emploi des alphabets différents. «Le manque de notre alphabet original, — écrit Zef Jubani dans son article Kundrime mbi gjendjen morale e mbi kulturën intelektuale të popullit shqiptar, {Aperçu sur la situation morale et la culture intellectuelle du peuple albanais), dresse de grandes difficultés à celui qui se met à écrire l’albanais; les lettres étrangères, latines ou grecques, ne peuvent pas satisfaire à tous les besoins de la prononciation précise de notre langue»^[6].
        Etant conscients des difficultés que l’usage des alphabets différents présente aux écrivains et aux lecteurs albanais, les romantiques albanais en discuteront relativement longtemps et proposeront les variantes qui, à leur avis, étaient les plus convenables à la langue albanaise. Ainsi par exemple, il y en avait quelques-uns qui considéraient l’alphabet latin comme le plus convenable à l’albanais; d’autres voyaient cette possibilité à l’alphabet arabe; cela veut dire que quelques-uns des écrivains du romantisme albanais étaient pour l’application de l’alphabet de Shoqëria e të shkronjturit shkronja shqipe d’Istambul (Association des lettres albanaises en Istambul), tandis que quelques autres pour l’application de l’alphabet de l’Association de Shkodra «Bashkimi» et d’autres encore pour celui de l’Association Dija; Jeronim de Rada était pour l’alphabet qu’il avait constitué lui-même. Donc, le répertoire des alphabets proposés à la langue albnaise n’était pas restreint. Par conséquent, il n’est pas du tout étonnant que la question de l’alphabet de la langue albanaise cause des discussions et des polémiques entre les poètes, les scientifiques, les folkloristes et les publicistes du Romantisme, ce qui aura lieu durant des années et élucidera non seulement leurs tendances culturelles, mais aussi celles politiques. Donc, cette question importante linguistique, littéraire et culturelle était aussi une question importante politique, qui sera traitée avec un pathos particulier par les romantiques albanais les plus éminents. Les écrivains du romantisme albanais ne pourraient jamais jouer un rôle si important dans la vie cul-
[91]    
turelle et politique du peuple albanais sans unir leurs esprits et leurs sentiments aux mêmes idéaux, sans mettre les intérêts nationaux au-dessus des tendances culturelles individuelles. C’est dans ce but que, d’une part, ils ironisent, la création de divers alphabet, et d’autre part, ils soutiennent la nécessité impérieuse de la création d’un alphabet unique et commun:

        Sa shqiptarë që jemi,
        aqë paie sbkronja kemi,
        si të duam le të themi,
        po dy me një udhë s’vemi,
        kjo gjë na ka lënë prapa!
                («Shqiptarët dhe shkronjat shqipe») ^[7]

        (Tant d’Albanais que nous sommes,
        Autant d’alphabets nous avons,
        nous pouvons dire tout ce que nous voulons
        mais aucun de nous n’est pas du même avis
        c’est justement cela qui nous a laissé en un
        état arriéré).

        Les discussions et les polémiques des romantiques sur les variantes différentes de l’alphabet de la langue albanaise, et plus tard leurs efforts réunis pour la création d’un alphabet commun, aboutiront au Congrès du Monastère ayant lieu en 1908 et à la solution définitive de cette question. Et il n’est pas de doute que le Congrès et ses conclusions étaient le fruit de leur activité scientifique et publicistique. Ainsi, la littérature romantique donne à la langue et à la littérature albanaise sa contribution historique.

        La langue littéraire

        A l’époque où on soulève la question de la langue en tant que facteur de l’identité nationale et la question de son alphabétisation en tant que question culturelle et politique à la fois, il est tout naturel de soulever une autre question, celle de la langue littéraire indépendamment du fait qu’elle serait résolue ou non à ce temps-là.
        Quoique la question de la langue littéraire s’actualise sur le plan théorique à la fin du XIX^e siècle, il n’est pas de doutes que la pratique de la création littéraire et illuministe du romantisme même objectivement à la même voie, à la voie de la création de
[92]    
la langue littéraire nationale. En ce qui concerne la langue littéraire. il y avait des opinions différentes. La pratique la plus importante de la création poétique, scientifique et publicistique du romantisme albanais témoigne que la langue littéraire commune unit tous les membres d’une nation, indépendamment de leurs différences individuelles.
        A commencer de Naum Veqilharxhi, les romantiques s’efforceront de surpasser, pour autant qu’il était possible et objectivement admissible à cette époque-là, les distinctions dialectales et régionales. Indépendamment du fait que les romantiques écriront en un dialecte, ils feront attention à traiter les deux dialectes de façon tout à fait égale. Grâce à cette attitude, les romantiques accéléreront le processus du rapprochement des deux dialectes de l’albanais. Les exemples qu’on peut citer sont nombreux. Ainsi par exemple, Kostandin Kristoforidhi écrit son récit Gjahu i malësorëve, — l’un des rares récits de la prose romantique — en tosque et en guègue à la fois. Il a écrit cela non seulement pour faire le plaisir aux lecteurs, mais aussi pour donner la preuve qu’il avait la même considération sur les deux dialectes; entre temps, son dictionnaire albanais-grec est considéré à juste titre comme le premier dictionnaire supradialectal, c’est à dire le premier dictionnaire national de l’albanais^[8]; c’est pour la même raison que Jani Vreto aussi écrit les termes créés par lui-même en tosque et en guègue: të kuptuarit, mais aussi té kupëtuomit; të faniturit, mais aussi të fanituomit, të menduarit, mais aussi të menduomit et d’autres de ce genre^[9]; dans la dernière décennie du XIX^e siècle, les romantiques arbereches (Albanais d’Italie) comprennent que leurs œuvres seront isolées par le dialecte archaïque arbereche en lequel ils les avaient écrites. C’est pourquoi il y en a quelques-uns, comme par exemple Leonardo de Martino. qui écrit en dialectes de l’Albanie, Zef Schiro. qui fait rapprocher le dialecte arbereche à la langue de sa patrie^[10], et Zef Serembe qui réunit des mots des divers parlers de l’albanais^[11].
        Si on analyse les poésies, les écrits scientifiques et publicistiques de l’époque, on constate que le nombre des mots que les écrivains de l’un dialecte empruntent à l'autre dialecte est beaucoup plus grand que celui des trois auteurs susmentionnés. Indépendamment qu’une telle pratique semble tout à fait artificielle, il est évident que les romantiques mettent l’intention nationale,
[93]    
historique au-dessus de celle pratique, donc, qu’ils sont conscients de cela. Cette pratique suivie par les écrivains du romantisme albanais, surtout dans les années de la Ligue de Prizren, se reflète même dans leurs écrits scientifiques et publicistiques. Ainsi par exemple, Jani Vreto écrit sur la langue dans la préface de son traduction intitulée Të shqiptuarëtë e Dërasësë së Qevit Fivjetit: «Je parle la langue des villages de Pogon, ou plus précisément de mon village de naissance Postenan, mais, puisque tous les parlers de l’albanais me sont chères et respectés, j’ai écrit une langue mélangée, en tirant des mots des deux dialectes, et surtout de celui guègue. J’ai appliqué cette idée en vue d’ouvrir la voie à l’unification de la langue. Mais je ne suis pas d’avis qu’il ne faut pas écrire chacun en son dialecte en tirant des autres les mots et les expressions qui lui manquent. Les deux voies sont utiles à la formation d’une langue unifiée, plus précise et plus belle»^[12].

        L’unité de la langue

        Quelle est la raison que les romantiques prêtent une attention tellement grande à l’avenir de la langue albanaise?
        Il ne fait pas de doutes que leurs raisons étaient plus que culturelles, des raisons politiques et historiques. Ils écrivent pour la langue littéraire future et ils cherchent les voies de sa formation en partant en tout cas des motifs politiques et historiques nationaux, parce qu’il comprenaient très bien que la question de la langue, et particulièrement de la langue littéraire d’une nation, est plus qu’une question culturelle et scientifique. Etant convaincus que «plusieurs langues et dialectes entraînent la division et l’émigration»^[13], ils veulent, comme écrira Sami Frashëri dans une lettre, que l’albanais écrit serve à l’animation de la langue albanaise, à l’unification de ses dialectes». Si Jani Vreto et Sami Frashëri parlent de l’unification des deux dialectes, les écrivains de la dernière décennie de l’époque du romantisme commencent à utiliser le groupe de mots gjuhë letrare (langue littéraire). Ils considèrent la solution de l'alphabet comme le premier pas vers la solution de la question de la langue littéraire. Ainsi par exemple, Luigj Gurakuqi écrit à ce propos: «Nous avons presque résolu la question de l’alphabet, et après cela on doit s’efforcer de tomber d’accord sur la question de l’orthographe, ce qui a une très grande importance pour la formation de la langue littéraire albanaise»^[14].
        Tandis que Asdreni dit: «Je pense que, après avoir préparé un abécédaire commun, il est nécessaire aussi d’orienter la langue, vers l’unification des deux dialectes, guègue et tosque, ce qui donnera à l’albanais une physionomie unique»^[15]. Et Hil Mosi de dire: «Nous avançons graduellement, et avec le temps, notre langue réussira non seulement à devenir une langue unifiée, pure et riche, mais aussi à avoir une littérature très belle, ce qui la placera parmi les langues les plus cultivées qu’on parle dans les Balkans» ^[16].
        La question de la langue littéraire dans la publicistique romantique devient ainsi une question qui se rattache à l’avenir de la nation. C’est pour cette raison que les romantiques considèrent la langue littéraire nationale, avant tout, comme un résultat de synthèse des deux dialectes, indépendamment du fait qu’ils ont suivi une pratique artificielle; pour eux, l’unification des deux dialectes devient une condition de la disparition de toutes les causes de la division. De même que la langue est, pour eux, une émanation de l’esprit national et l’école — une institution de l'éducation, la langue littéraire aussi est un instrument de la culture de la nation. L’idée des romantiques sur la nécessité de la constitution de la langue littéraire et sur les voies qu’on doit suivre à cette intension, a été développée par Aleksandër Xhuvani en 1905^[17].
        Malgré que la linguistique et la publicistique de l’époque du romantisme s’élèvent rarement à un niveau théorique, en ce qui concerne la question de la langue littéraire, on ne peut pas nier le fait que c'est justement le romantisme albanais qui crée les prémisses culturelles, scientifiques et nationales de la formation de l’albanais littéraire commun, un problème qui sera couronné de nombreuses années plus tard, justement en 1972, au Congrès de l’Orthographe de la Langue albanaise. Il est évident pourquoi cette idée sera exprimée par le linguiste Aleksandër Xhuvani, dont la formation intellectuelle commençait à l’époque du romantisme albanais: «Je constate dans le dialecte tosque les mêmes événements et phénomènes historiques et les mêmes voies que dans les langues susmentionnées: le grec, le latin, etc. Il se peut qu’il se passe avec le tosque la même chose qu’avec le dialecte d’och en France, mais je voudrais seulement exprimer mon opinion sur tout ce qui se passe dans notre linguistique, ce qui m’a convaincu qu’il y a plus de raisons que le tosque prenne la place
[95]    
principale dans la langue littéraire qui sera constituée dans l’avenir»^[18].
        Comme il ressort de tout ce que nous avons dit, la structure de la métalangue romantique est complétée avant tout par les efforts d’élever la dignité de la langue albanaise, de l’alphabétiser, le rapprocher ses dialectes et finalement de former la langue littéraire nationale. Malgré ses limitations qui le plus souvent sont une conséquence de l’enthousiasme romantique, du pathos et de la rhétorique romantique, du patriotisme sentimental, romantique, la métalangue du romantisme soulève les questions les plus importantes de la littérature, et de la culture nationale albanaise et elle donne leurs solutions. Donc, les écrits romantiques sur la langue albanaise deviennent des écrits sur les grandes questions de la vie culturelle nationale.

        Les barbarismes et l’épurification de la langue

        A partir de Naum Veqliharxhi, la littérature du romantisme albanais soulève aussi un autre problème très important à des conséquences linguistiques synchroniques et diachroniques particulières, et par conséquent historico-littéraires et artistiques également: c’est le problème de la pureté de la langue albanaise.
        De même que les autres langues, l’albanais a subi les influences des langues étrangères dans les différentes périodes de son histoire, et avant tout les influences des langues des peuples avec lesquels le peuple albanais a eu des contacts et des rapports commerciaux et culturels. Mais l’albanais a subi aussi les influences des langues des envahisseurs des Balkans. Ces contacts se manifestent surtout dans le lexique de l’albanais. Ainsi par exemple, l’albanais a emprunté des mots, des notions et plus rarement des locutions, au latin, au grec et à l'italien, pour nommer les objets, les phénomènes et les processus, dont les noms adéquats n’étaient pas encore créés en albanais, soit parce qu’ils étaient de nouveaux objets ou phénomènes apparaissant dans la vie des Albanais, soit parce que, du point de vue sémantique, ils étaient mieux couverts par le mot ou le terme étranger. Quoique quelques-uns de ces mots, notions ou termes demeurent dans les marges de la langue albanaise pour être rejetés plus tard, leur majorité sont bien assimilés et ils deviennent, avec le temps, des éléments de la structure lexicale, phonétique, morphologique et par conséquent syntaxique de la langue albanaise.
        L’occupation de l’Albanie par les Ottomans met la langue albanaise dans les positions historiques particulières, parce que c’est une occupation qui dure plus de quatre siècles, ce qui est dangereux même pour une langue de tradition littéraire et culturelle
[96]    
la plus longue et la plus riche. L'instauration du pouvoir étranger, l'emploi obligatoire de la langue turque en tant que langue de l’administration, l'instruction religieuse en langue de l'occupant, le service militaire des jeunes Albanais dans l’armée turque, finalement les efforts ininterrompus de l’Empire ottoman pour islamiser la population albanaise, ont, sans doute, des conséquences linguistiques. Toutes ces circonstances mettent l’albanais devant de grands épreuves, voire aussi devant des épreuves historiques de son existence.
        Indépendamment de tous ces facteurs, qui accroissent beaucoup la possibilité de l’interférence, la littérature ancienne et, en général, les documents écrits de la langue albanaise feront une longue résistance à la pression du turc. En faveur de cette résistance sont une série de facteurs et de circonstances, tels que l’ancienneté de l’albanais, le système cultivé de son organisation qui est résultat de son ancienneté et de son originalité et qui peut admettre uniquement les unités adéquates, la riche tradition de la culture populaire, d’une part, et la configuration géographique, qui ne pouvait pas être couverte facilement et en continuité par l’administration turque, d’autre part. La résistance réussie de la langue albanaise à la pression du turc dure jusqu’au XVIII^e siècle, où elle commence à s’affaiblir, soit parce que quelques conditions objectives furent créées en faveur du processus de l’interférence, soit parce que le pouvoir de l’envahisseur turc s’intéresse davantage au rafermissement de son influence culturelle sur le peuple albanais, d’une part, et les centres albanais et la Turquie ou les autres centres balkaniques et en dehors des Balkans, de l’autre, s’élargissent, où un grand nombre d’institutions religieuses turques furent ouvertes, de grandes possibilités furent données aux lexiques turc et arabe de pénétrer vivement dans la langue albanaise. En témoignent aussi les mots turcs et arabes, qui sont aussi nombreux dans la littérature de l’époque écrite à l’alphabet arabo-turc, qu’on peut dire qu'ils définissent presque la structure lexicale de sa langue.
        En conséquence de la concurrence de l’école turque avec l’école grecque et celle italienne, qui ont sans doute une tradition plus longue que la première et qui luttent pour élargir leur influence culturelle et politique sur les Albanais, furent créées des conditions plus favorables au raffermissement de l’interférence de ces trois sources sur tout le territoire de l’Albanie. Et si une école rétrécit l’horizon au deux autres, pour autant elle l’élargit à soi-même et vice-versa, mas toujours au détriment du peuple albanais, de sa langue et de sa culture. C’est pour cette raison qu’aux dernières décennnies du XVIII^e siècles et au début du XIX^e le nombre des mots étrangers, turcs, arabes et grecs et plus ou moins italiens, pénétrant dans la langue albanaise, s’accroît beaucoup. L’albanais
[97]    
que les auteurs de l’époque écrivent à l’alphabet arabo-turc est, dans ces circonstances, une langue pleine de mots turcs, arabes, grecs ou italiens, c’est l’albanais atteinte à sa nature. Ce phénomène qui a de lourdes conséquences pour la culture et la langue albanaise, devient encore plus dangereux parce qu’il semble naturel pour longtemps à ses auteurs.
        Pourtant, l’histoire est un processus régi par des loies plus universelles que quelques phénomènes particuliers ou en fin de compte plus généraux.

        La loyauté linguistique romantique

        A l’époque du romantisme albanais apparaît aussi la tendance à distinguer ce qui est national de ce qui est étranger dans la littérature et la culture albanaise. C’est pourquoi, à partir de Naum Veqilharxhi, les romantiques albanais ne peuvent pas être indifférents à l’égard des mots étrangers. En tant que créateurs de formation culturelle contemporaine, formés dans les circonstances de luttes des peuples asservis de l’Europe pour leur liberté nationale, dans les circonstances où au-dessus de tout on mettait l’idée, le sentiment et l’activité nationaux, les romantiques albanais constatent à temps le danger des barbarismes pénétrés dans la langue albanaise et menaçant aussi la question de l’indépendance nationale.
        En général, la période du romantisme albanais fut caractérisée par le raffermissement de la loyauté linguistique — comme il s’appelle dans la terminologie linguistique, ce qui veut dire se consacrer à la langue nationale, d’une part, et éviter le phénomène des barbarismes, de l'autre. En différence de leurs prédécesseurs, les romantiques non seulement font la distinction entre l’étranger et l’autochtone, mais aussi ils se prononcent ouvertement pour cela; et cette déclaration consciente commence justement dans le domaine de la langue, parce que pour eux la langue est le facteur essentiel de l’appartenance nationale. En voilà ce que Naum Veqilharxhi écrit dans une lettre qu’il adresse aux jeunes Albanais en 1846: «Comme vous le savez, dans notre langue albanaise ont pénétré, au cours du temps, plusieurs mots et expressions étrangers. Je viens de donner des exemples. Après avoir étudié et réuni le matériel nécessaire, je me suis mis à rédiger de nombreux livres utiles à l’enseignement de l’albanais, en traduisant des autres langues également»^[19]. Plus tard, dans la préface de son manuscrit sur la vie de Scanderbeg, Zef Jubani montre du regret de «voir sa langue mélangée avec des mots des langues des envahisseurs
[98]    
de son peuple, de voir son peuple dans la misère»^[20]. Le regret de Thimi Mitko en est encore plus amer; il adresse une lettre à Dhimitër Camarda, où il écrit entre autres: «Les mots turcs, arabes, slaves, etc., qui ont pénétré en cachette dans notre langue, sont superflus, inutiles et ils sonnent mal. C’est pourquoi le peuple albanais doit les rejeter. Non seulement qu’ils sont superflus et sonnent mal, mais aussi ils détériorent la langue»^[21]. Mais les romantiques arberèches (Albanais d’Italie) également montreront du regret pour l’état de la langue albanaise qui était inondée par le lexique étranger. Ils avaient l’illusion que du moins leur dialecte avait échappé aux barbarismes, quoique des italianismes avaient pénétré à l’intérieur de lui. Dans la préface de Kënga e Sprasme e Balës, Gavril Dara (le jeune) écrivait entre autres: «J’ai traduit «Kënga e sprasme e Balës» en italien en vue d’être compris par les Latins et aussi de faire savoir aux Albanais de l’Albanie que nous, nous trouvant dans les villages albanais d’Italie et parmi des étrangers, depuis quatre siècles,, nous avons pu non seulement maintenir la langue, mais aussi la parler purement, de même qu’elle était à l’âge d’or de Scanderbeg»^[22]. Les romantiques, donc, constatent avec regret le mélange de l’albanais avec les mots étrangers et ils soulignent qu’on doit se consacrer à lui. L’interférence porte objectivement à la loyauté linguistique nationale. Si les mots étrangers sonnent mal, la langue albanaise dégénère et s’appauvrit; si, en dernier, les mots étrangers sont inutiles et en même temps le témoignage d’une létargie nationale des Albanais, on doit poser la question suivante : que doit-on faire pour changer la situation existante?

        Langue sans barbarismes

        Les romantiques ne donnent pas tous la même réponse à cette question, quoiqu’ils aient les mêmes idéaux nationaux. Et cela pour deux raisons principales.
        premièrement, parce que la locution mot étranger n’a pas le même sens pour tous les romantiques, et
        deuxièmement, parce que l’époque du romantisme dure beaucoup, environ 80 ans; cette longue période permet aussi que les
[99]    
points de vue de quelques auteurs sur cette question évoluent, soit' en général, soit en particulier.
        Ainsi par exemple, tandis que Thimi Mitko, Pashko Vasa. Gavril Dara, Naim Frashëri et Filip Shiroka considèrent comme mots étrangers tout mot de provenance étrangère indépendamment du fait quand et d’où vient-il en albanais et indépendamment de la place qu’il occupe dans sa structure, Jani Vreto fait la distinction de quelques aspects rattachés à ce syntagme: «Duke shënuar se kur them fjalë të huaja, nuk kam parasysh ato fjalë që e kanë patur qëmoti rrënjën të përbashkët me fjalë greke ose latine, dhe për fjalët që kanë hyrë nga greqishtja dhe latinishtja qysh në ko- hë të lashta, si dhe për disa fjalë që kanë hyrë më pastaj prej gju- hësh të t’era. por për fjalët e huam që hvnë... aë nsa pushtimi turkefcëtej dheqë përdoren krahas fjalëve thjesht shqipe që i gjejmë e që përdoren akoma në gjuhën shqipe»^[23]. (Il faut noter que quand je dis un mot étranger, je ne tiens pas compte des mots de racine commune avec les mots grecs ou latins, ni de ceux empruntés au grec et au latin depuis les temps anciens et ni de quelques autres mots empruntés plus tard aux autres langues, mais des mots entrés en albanais... depuis l’occupation turque et par la suite, et employés même de nos jours parallèlement aux mots proprement albanais). Le mot albanais devient pour tous les romantiques, l’unique mot de leur vocabulaire, indépendamment qu’il sonne bien ou non. C’est pour cette raison que pour Naum Veqilharxhi: «E para e punës ish që si të mund të nxjerr fjal’e kuviset e huaj, e mbë vent të tyre të drethtonj të tjera nga vetime e giuhësë. Edhe me gjithë që, hë për hë, mund të mos tingëllojnë ëmbël mbë të dëgjuarit e veshëve, po kam shpresë se besoj koha do t’i ëmbëlsonjë» ^[24] (Le problème principal est de débarrasser la langue des mots et des expressions étrangers et de créer à leur place des autres de matériel proprement albanais. Même s’ils ne sonnent pas bien au début, j’espère que le temps fera le sien). Entre-temps, Jani Vreto veut «remplacer» par des mots albanais même les mots de provenance étrangère qui ne peuvent pas être chassés: «Duhet vetëm sa të muntmë në shumë kujdes të mërgoimë prishjetë e huajtërimetë. Edhe fjalëtë qi do dituria e s’i ka gjuha jonë të projmë sa të muntmë t’i bëjmë prej fjalëvet sanësë pas zakonevet saj. Edhe, kur të mos muntmë t’i bëjmë nga gjuha jonë. t’i marrëmë nga elenishtja, a nga latinishtja, me të cilat është shumë gjëri dhe prej atyre kanë marrë e janë begatuarë gjithë gju- hët e Evropës, po t’i mbrujmë ndë tipar e ndë fytyrë të sanësë
[100]  
pas të moçimeve prej atyre që janë mbrujturë vetiu ndë gjuhët tënë»^[25] (On doit prêter attention, le plus que ce soit possible, à rejeter les mots et les constructions étrangers. Nous devons former de matériel proprement albanais même les mots instruits manquant à notre langue. Dans le cas où cela est impossible, nous devons les emprunter au grec et au latin dont l’albanais est proche et où toutes les langues de l’Europe ont emprunté pour s’enrichir, et leur donner le visage albanais). Si la demande de Naum Veqilharxhi et Jani Vreto, en ce qui concerne l'épurification de l’albanais, est plus rationnelle, celle de Naim Frashëri est plus émotionnelle, plus poétique, quoique l’argumentation scientifique ne lui manque pas: «Gjuha shqip është pra shum’e bukurë po duhetë shkruarë me kujdesë dhe me shije e me bukuri. Të shkruhetë thjeshtë shqip, e pa përzjerë me gjuhë tjetrë kurrë, se fjal'e huaj është si derri nën dhen. Gjuha shqip është mjaft e gjerë për ata, q’e dinë mirë, pa ka dhe lehtësinë, që bashkon dy fjalë, si vetë-dije, mëmë-dhe, punë-mbarë, bukë-dhënës, etj.» ^[26](La langue albanaise est, donc, très belle, mais il faut faire attention à l’écrire simplement comme elle est, sans la mélanger avec d’autres langues, parce que le mot étranger est comme le cochon parmi les moutons. La langue albanaise est très étendue pour ceux qui la savent bien, de plus, elle a la facilité d’unir deux mots, tels que vetë-dije (conscience), mëmë-dhe (patrie), punë- -mbarë (bon travailleur), bukë-dhënës (généreux).
        Donc, tous les romantiques ont porté une attention particulière à la question de l’épurification de la langue albanaise; et le résultat de leur travail se manifestera dans les oeuvres de caractère scientifique, publicistique, dans de divers articles, et, même dans les vers patriotiques. La pureté de la langue devient une question scientifique et pratique également, qui envahit les textes poétiques, les manuels scolaires, la correspondance et voire aussi les proverbes. Et c’est juste, parce que pour les romantiques la langue est une émanation nationale, sa pureté un témoignage de son ancienneté et de son origine, tandis que l’ancienneté et l’origine de la langue, de leur part, deviennent le témoignage des vertus nationales.
        Entre-temps, le débarrassement de la langue des mots étrangers soulève la question de leur remplacement, parce que l’idée que porte un mot demeure comme une manifestation de la vie matérielle et spirituelle du peuple. C’est pourquoi, parallèlement aux efforts de chasser les mots étrangers, les romantiques fournissent des efforts créatrices pour les remplacer par des mots proprement albanais.
[101]            
        Mais, comment les remplacer, D’où tirer les mots albanais ou comment les créer?

        Les archaïsmes et les provincialismes

        Dans la littérature du romantisme albanais, dans la majorité des cas, les mots étrangers sont remplacés par des archaïsmes, des provincialismes, et, surtout, par des mots que les auteurs de textes ont créés eux-même, donc, par des néologismes.
        On ne peut jamais considérer petit le nombre des mots que les romantiques albanais remettent au jour en les tirant, soit du trésor oral du peuple, soit des textes des auteurs anciens, et en les mettant en contextes différents du discours. A cette époque, plus que jamais dans l’histoire de l’écriture de l'albanais, la langue du texte tire des couleurs stylistiques tant par les archaïsmes que par les provincialismes. Les romantiques suivent le mot albanais en espace et dans le temps et l’emploient indépendamment du fait qu’il peut être inconnu parce qu’il est tombé à l’oubli, ou qu’il peut être limité sous l’aspect sémantique à cause de son emploi régional ou local, ou indépendamment qu’ils sont obligés de lui donner quelquefois un nouveau sens.
        L'intérêt des romantiques au trésor populaire oral, d’une part, et à la tradition littéraire cultivée, de l’autre part, aux créations populaires de toutes les régions albanaises et aux écrits de Lekë Matrënga. Frano Bardhi, Pjetër, Budi, Jul Variboba, Pjetër Bogdani, peut être considéré comme un intérêt tant à la continuité de la culture qu'à la continuité de la langue albanaise en espace et dans le temps.

        Les néologismes.

        En ce qui concerne l’attitude des romantiques albanais envers la langue en général, et envers son lexique en particulier, il parait que la formation des mots nouveaux dans des buts nominatifs et stylistiques aussi est plus caractéristique que l’emploi fréquent des archaïsmes et des provincialismes. Il est évident pourquoi les romantiques albanais, travaillant dans les domaines de la poésie, de la science et de la publicistique et se posant le devoir de faire renaître la tradition historique et culturelle de la Nation et de développer une nouvelle tradition, utilisent, à la place des mots étrangers entrés en albanais, de nouveaux mots formés par eux-même. En traitant de nouveaux thèmes dans la poésie lyrique et épique ainsi que dans la publicistique, en fondant une série de nouvelles disciplines scientifiques ou philosophiques dans la culture nationale, telles que la grammaire, la folkloristique, la mathématique, la zoologie, l’anthropologie, la géométrie, la géographie, l’astronomie, la biologie, la physique, la chimie, la philosophie, l’éthique, l’esthétique, en s’occupant ainsi de différentes questions
[102]  
faisant partie des différentes disciplines scientifiques, les romantiques sont obligés, entre-temps, de former un grand nombre de mots nouveaux non seulement pour remplacer les mots étrangers, mais aussi pour dénommer les idées qui entraient pour la première fois dans la vie intellectuelle de la nation. C’est pourquoi les nouveaux mots deviennent non seulement une manifestation du patriotisme, mais aussi une condition de leur création poétique réussie et avant tout de leur création publicistique, scientifique et illuministe.
        La langue des romantiques nous permet d’affirmer que les nouveaux mots formés durant l’époque du romantisme albanais conviennent à la nature de la langue albanaise. Et cela parce que les romantiques albanais connaissaient bien la langue populaire. En formant de nouveaux mots tantôt par affixation, tantôt par composition et tantôt par l’imitation des modèles lexicaux étrangers[27], et en sauvegardant dans tous les cas la structure morphologique et phonétique de l’albanais, les romantiques témoignent pratiquement de la connaissance parfaite non seulement du fonds lexical de l’albanais, mais aussi de quelques lois linguistiques universelles.
        Les tendances et les efforts créateurs des romantiques dans le domaine du lexique font que le fonds lexical de l’albanais devient riche finalement. Il est un fait déjà connu que pour plusieurs néologismes devenues un trésor préciaux de la langue albanaise nous sommes dûs beaucoup aux romantiques albanais. La plus grande contribution au fonds lexical de la langue albanaise a été donnée par les poètes et les illuministes les plus distingués du romantisme: Naum Veqilharxhi, Jani Vreto, Kostandin Kristoforidhi, Sami Frashëri et Naim Frashëri. Les nouveaux mots qu’ils ont fournis sont utilisés même de nos jours dans la création spirituelle du peuple albanais, soit sous leur forme initale, soit sous leur forme évoluée.

        Les internationalismes et le purisme.

        Les romantiques albanais considèrent la formation des mots nouveaux comme un devoir, et ils les emploient pour remplacer non seulement les mots étrangers superflus, inutiles, mais aussi les mots étrangers, qui pratiquement ne peuvent pas être remplacés sans appauvrir le fonds lexical de l’albanais. De même que les Slovaques, les Thcèques et les Polaques, les Allemands et les Hongrois traduisaient tous les mots étrangers en leurs langues maternelles, les romantiques albanais aussi traduisaient en albanais tous
[103]  
les mots et toutes les notions d’origine étrangère; donc, ils traduisaient les mots qui pouvaient et devaient être traduits et ceux qui ne pouvaient pas et ne devaient pas être traduits. Voire aussi Jani Vreto, qui était un auteur qui défendait théoriquement l’utilité de l’emploi des termes grecs et latins pénétrés de bonne heure dans les sciences et dans la philosophie, ne s'en tient pas à ses principes théoriques. Les romantiques albanais considéraient comme une tâche linguistique et culturelle et aussi comme un devoir d’importance nationale le remplacement des mots étrangers, voire aussi des internationalismes. Le nombre des internationalismes est sans doute considérable, et les écrivains du romantisme albanais leur fermaient les portes de la langue albanaise, ou bien ils les chassaient de l’albanais en formant à leur place de nouveaux mots proprement albanais, tantôt bien réussis, tantôt moins réussis. Dans la majorité des cas ils s’efforcent de former de nouveaux mots albanais suivant le model étranger, et souvent ils y réussissent, quoique quelques-uns d’eux ne seront pas maintenus pour longtemps, principalement à cause de la préssion efficasse de l’internationalisme. Parmi les nouveaux mots formés par les romantiques pour remplacer les internationalismes sont plus caractéristiques aussi les suivants: fletore-gazetë (journal), e nisërë-iniciativë (initiative), terthe-sakrificë (sacrifice), shtambë-shtypshkronjë (imprimerie), shkronjëcore-gramatikë (grammaire), dhemasë-gjeometri (géométrie), yjëqyrë-astronomi (astronomie), dhenashkronjë-gjeologji (géologie), mbimëshikonjë-biologji (biologie), ujëshikonjë-hidrografi (hydrographie), numeratore-aritmetikë (mathématique), pasës-satelit (satellite), gjymse-hemisferrë (hémisphère), gjithëçishte-kosmos (cosmos), njeritregonjë-antropologji (antropoîogie), dheshkro- një-gjeografi (géographie), prijës-major (major), lëndë-materie (matière), lëmsh i dheut-glob (globe), i nyjshëm-i artikuluar (articulé), etc. Même dans ce processus, ce sont les romantiques et les illuministes principaux qui se font distinguer et notamment: Kristoforidhi et Vaso Pasha et surtout Jani Vreto, Kostandin Kristo- foridhi, Sami Frashëri et Naim Frashëri.
        Les écrits des romantiques susciteront un intérêt particulier parmi les lecteurs albanais de l’époque qui étaient peu nombreux. Ils deviennent importants pour le lecteur même pour leur romantisme linguistique. «Ces livres et ces brochures écrits simplement en albanais sans avoir besoin des mots étrangers seront recherchés beaucoup par les Albanais et en particulier par les Albanais musulmans»^[28].
[104]            
        Pourquoi? Pourquoi peut-on dire que le texte romantique devient recherché même pour sa langue pure?
        Les efforts pour la pureté de la langue albanaise prennent, avec le temps, le caractère d’une campagne frontale contre tous les mots étrangers pénétrés en albanais: contre les barbarismes et contre les internationalismes. Les auteurs de cette campagne s’y engagent par patriotisme, c’est pourquoi sur le point de leur épée linguistique sont tous les mots étrangers indépendamment du fait quand ont-ils pénétré en albanais et combien sont-ils assimilés par son système, indépendamment du fait combien leur emploi appauvrit ou renforce ses possibilités créatrices et expressives.
        Donc, les efforts pour la pureté de la langue revêtent un caractère de purisme, parce que la lutte pour la pureté de la langue est une des conditions de la lutte pour l'indépendance nationale. C’est pourquoi, pour les romantiques, elles est un devoir patriotique.
        Durant les années de la Ligue de Prizren la question de la pureté de la langue devient un des points les plus importants du programme politique du romantisme albanais, une question politico-patriotique de premier ordre. En fournissant des efforts pour la pureté de la langue, les romantiques visent, en fait, à embrasser la conscience politique et historique de la nation. Tandis que les envahisseurs se sont efforcés d’étouffer les consciences albanaises par le dédain de la langue albanaise, les romantiques s’efforcent de ranimer et d’élever ces consciences par la voie de glorification de la pureté de leur langue maternelle. C’est à dire, en faisant élever la pureté de la langue au niveau de l’argumentation politico-patriotique, les romantiques enrichissent le fonds des moyens de la lutte pour l’indépendance nationale. Le pathos des efforts pour la pureté de la langue et, dans leur cadre, le pathos puriste également deviennent un facteur de l’intégrité nationale, et l’intégrité nationale, de sa part, un facteur efficace de la lutte pour la constitution de l’Etat indépendant albanais.
        Mais, indépendamment de son caractère patriotique marqué, le tour du purisme ne durera pas beaucoup dans la littérature albanaise: étant un phénomène linguistique unilatéral, le purisme s’arrêtera, sous l’influence des nouvelles idées pénétrant dans la structure du processus des efforts pour la pureté de la langue albanaise.

        Le dépassement du purisme

        A la fin du XIX^e siècle et au début du XX^e, le nombre des journaux et des revues en albanais s’accroît, le nombre des individus pouvant lire et écrire l’albanais s’accroît aussi, les lecteurs commencent à réagir à l’égard des questions différentes, surtout à l’égard des questions nationales politiques, linguistiques, littéraires et culturelles en général, traitées dans ces revues et journaux.
[105]            
        C’est justement à cette époque-là qu’apparaissent les premiers symptômes de doute en faveur de la campagne contre toute sorte de mots étrangers. C’est pourquoi il n’est pas bizarre de voir le processus du purisme se transformer graduellement en un autre processus, qui est presque le contraire, le processus de la tolérance à l’égard des mots étrangers, qui s’accroît et s’élargit graduellement pour devenir dans l’avenir un danger sérieux pour la langue albanaise. L'atténuation de la campagne romantique contre les barbarismes et les internationalismes porte à l’élargissement de l’espace que les mots étrangers occupent dans la langue albanaise. Les mots tels que: poligrafi, literatura, kondision, methudë, influence, kollonë, korrespondencë, zhurnal, oktobër, dhipllomë, kollaj, skandal, dhaskal, etc., acquièrent le droit de citoyenneté. Le fait que les auteurs ou les rédacteurs publiant des articles de ce genre considèrent juste l’explication, de temps en temps, du mot étranger par le respectif albanais entre les parenthèses, une explication qui est beaucoup plus fréquente que celle du mot albanais par le respectif étranger entre les parenthèses, témoigne clairement que le processus des internationalismes et des barbarismes devient de nouveau un élément supportable du lexique de l’albanais écrit. Le fonds lexical, donc, n’exclue ni les mots étrangers utiles, ni ceux inutiles. Il est, durant ces années, un processus naturel causé par le dépassement du purisme qui se transformera dans le futur en un témoignage d’interférence plus ou moins supportable.
        Dans une telle atmosphère d’oschillations linguistiques entre la campagne contre tous les mots étrangers et la tolérance des mots que l’albanais peut remplacer facilement ou dont il a ses propres mots, il est naturel de paraître des idées niant les deux extrémités, c’est à dire des idées qui font renaître le principe de Jani Vreto, le principe que celui-ci aussi n’avait pas mis en application à l’époque de la campagne puriste. Dans la préface du Dictionnaire albanais-français et français-albanais, Luigj Gurakuqi écrit entre autres: «Përmi t’shtuem e krijim të fjalëve t’reja m'ka ra me e diftue shumë herë mendimin t’im, nuk asht pra nevoje t’shtyhem tepër gjatë e t’i përmendi prep oroet e mia; vetëm po thom se mue m’gitet punë e drejtë që disa ndër to t’i nxjerrim prej gjuhëve tjera e disa t’i përbajmë vetë, por, si m’njenën si m’tjetrën rase, t’marrim gjith herë mbrapa ligjet e methudat. që qeverisin t’njeshunit e gjuhës s’onë...
        Tuej punue kso doret na nuk kena për t’ramë n’teprim t’disave, t’cilët mendojnë se t’gjitha fjalët, që kena mangut, do t’nxirren e do t’përbahen prej rrajave shqype, punë kjo, që do ta ngatrrote fort gjuhën tonë e do t’a bâte shumë t’randë e t’vishtirshme ; e n'tjetre anë, kena për t’ruajtë edhe prej vesit t’atyre, tjerëve. për t’cilët dlirësija e gjuhës nuk ka asnjë çmimë, e që pra kishin për t’a lai’acue e për t’a bastardue, pa kurrfarë maset e ndalimiet. Me
[106]  
fjalë t’hueja e t’panevojshme e t’tepërme»^[29] (En ce qui concerne la formation des mots, je me suis prononcé maintes fois, c’est pourquoi il n’est pas nécessaire de m’attarder et de mentionner de nouveau mes observations; je vais dire seulement qu’il me semble juste que quelques mots doivent être tirés des autres langues et quelques autres doivent être formés de matériel proprement albanais, mais, dans les deux cas, il faut tenir compte des lois qui régissent notre langue...
        De cette façon, nous ne commettrons pas la même erreur que quelques-uns, qui pensent que tous les mots nous manquant doivent être formés de matériel proprement albanais, ce qui rendrait très difficile la langue albanaise; et d'autre part, il faut faire beaucoup d’attention au vice de ces gens-là qui ignorent complètement la pureté de la langue et qui auraient inondé la langue par des mots étrangers inutiles).

        Il est important d’affirmer que c’est justement ce point de vue qui triomphera aussi dans la théorie et dans la pratique de la langue albanaise, quoiqu’il y ait toujours des individus employant des mots étrangers inutiles.
        Les efforts romantiques pour la pureté de la langue, commencés comme une loyauté envers la langue nationale et continués comme un purisme, sont pratiquement couronnés par une attitude que les Albanais tiendront dans le futur.

        Le rôle synthétisant de la langue des romantiques

        Les conclusions théoriques par lesquelles termine la période du romantisme albanais, en tant que complexe stylistique — d’après lesquelles la langue albanaise doit être écrite purement et elle doit tolérer uniquement les mots étrangers irremplaçables ou ceux qui portent un coloris stylistique et qui sont devenus des éléments indivisibles de son système phonétique et morphologique — sont un résultat tout à fait naturel de la pratique poétique, scientifique, publicistique et illuministe du romantisme.
        Le romantisme en tant que période des nouveaux idéaux historiques nationaux est en même temps la période du nouveau idéal idéo-stylistique et linguistique. Etant une période historique où les hauts idéaux de la nation, de la langue, de la liberté et de l’indépendance orientent chaque mot et chaque idée de ses fondateurs, le romantisme albanais devient nécessairement un complexe stylistique d’une nouvelle conscience linguistique. Si pour les fondateurs de cette période dynamique, la tradition et l'histoire nationales sont une consolation et le futur un but vital auquel
[107]  
se soumettent tous les idéaux, la langue populaire est le moyen le plus efficace de leur manifestation poétique. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que cette période littéraire et de recherches sur tous les autres plans de la création spirituelle soit une période de recherches même sur le plan de la langue populaire en sa dyachronie et en sa synchronie. En traitant de nouveaux contenus historiques et nationaux, en dépassant les formes héritées et en constituant de nouvelles formes, de nouveaux genres et types littéraires, le romantisme pose nécessairement des demandes inconnues même devant la langue albanaise. Et ces nouveaux demandes exigent une nouvelle attitude envers la langue en tant que moyen de création et de communication. Un des facteurs qui témoignent cette nouvelle attitude à l’égard de la langue albanaise sont les efforts des romantiques pour son déchargement des mots étrangers. Puisque le romantisme albanais est un complexe stylistique des nouveaux contenus et idéaux, d’une nouvelle philosophie sur la nation et sur son avenir, il est évident pourquoi il devient un complexe stylistique d’une nouvelle poétique, qui exige de la langue populaire de nouvelles fonctions et de nouvelles possibilités. La préoccupation des romantiques albanais pour la question de la langue en théorie et en pratique témoigne qu’ils sentent bien la charge qu’ils mettent à la langue populaire. C’est pourquoi la poésie, la science, la publicistique du romantisme albanais font la synthèse de l’expérience nationale dans le domaine de la langue également. Au début ils étaient basés sur la création populaire, malgré cela ils constatent, avec le temps, que leur langue appartenant à un monde passé, patriarchal et rustical, ne peut pas satisfaire tous les besoins des créateurs aux moments fréquents des flux et des refflux du siècle; elle n’est pas, sans doute, une langue qui peut exprimer toutes les nouvelles exigences spirituelles, intellectuelles et émotionnelles ou bien réaliser toutes les idées, visions et intentions créatrices, c’est pourquoi, basés sur le fonds large et riche de la tradition populaire, les romantiques mettent sur le même cadre l’expérience linguistique de toutes les générations, de toute la culture nationale, de tous ses courants d’une part, et les résultats de leurs efforts créateurs, de l’autre part. Si l’on peut constater que dans les créations de quelques romantiques, tels que Jeronim De Rada et Naim Frashëri, on synthétise et on dépasse les particularités stylistiques et linguistiques de leurs prédécesseurs, on doit affirmer qu’une telle synthèse a été déjà faite par le romantisme sur tous les plans de la culture nationale.
        La campagne entreprise contre les mots étrangers pour la pureté de la langue albanaise, est un des faits qui prouvent et encouragent la synthèse linguistique durant le romantisme albanais.
        En soulignant le danger de l’interférence consolidée vers la fin du XVIII^e siècle et au début du XIX^e, ainsi qu’en mettant en relief la possibilité créatrice de l’albanais, les écrivains romantiques
[108]  
se sont confrontés avec la nécessité de stimuler tous ses potentiels, premièrement, dans le domaine du lexique, et, deuxièmement, dans la formation des mots, dans la morphologie, dans la phonétique et dans la syntaxe. C’est pourquoi, ce n’est pas par hasard que la synthèse est un processus du romantisme (dans l’attitude envers la tradition) et la visée du romantisme (dans l’attitude envers l’avenir de la langue nationale). C’est à dire, ce n’est pas par hasard que le romantisme réunit, d’une part, l’expérience linguistique de presque toutes les contrées albanaises et, de l’autre part, prépare la langue nationale au point de vue pratique et théorique.
        Les efforts dans la période du romantisme pour la pureté de la langue albanaise, voire aussi sous la forme du purisme, dans les conditions spécifiques de la lutte pour l’indépendance et pour la constitution de l’Etat indépendant albanais, sont un facteur important, et même décisif, du processus de la formation de la langue nationale. Puisqu’ils embrassent principalement le lexique, les efforts des romantiques pour la pureté de l’albanais marquent la phase précédente du processus de standardisation de la langue nationale.
        Les efforts pour la pureté de la langue albanaise, voir aussi le purisme, auront de l’importance particulière pour la littérature albanaise et sa métalangue. A commencer du romantisme, la poésie, la prose, le dramme et la critique albanaise de même que la science et la publicistique, seront écrits avec la conviction que la parole écrite albanaise doit être purement et simplement albanaise, que le texte écrit albanais peut supporter uniquement les mots étrangers portant l’idée des phénomènes, des objets et des processus pas encore dénommés, ou bien de ceux considérés des internationalismes. L’exemple linguistique des romantiques demeurera le modèle de la langue soignée dans la littérature albanaise.
        Il n’est pas de doute qu’après cette campagne intellectuelle pour la langue albanaise il y aura des individus qui écriront l’albanais comme si Vaso Pasha, Kostandin Kristoforidhi, Sami Frashëri, Luigj Gurakuqi et surtout Naim Frashëri n’avaient jamais écrit en albanais; qui emploieront les mots étrangers, parce qu’ils ne connaissent pas leurs respectifs albanais, ou parce qu’ils pensent que c’est plus facile pour le lecteur; qui emploieront les mots étrangers, parce qu’ils ne connaissent pas les conséquences culturelles de l’interférence superflue. Donc, il y aura plus tard aussi des individus qui écriront comme si la campagne des romantiques pour la pureté de la langue albanaise n’avait jamais eu lieu, et qui peuvent réussir à faire publier quelque chose de leurs écrits, mais personne ne les écoutera pas.
        Celui qui n’a pas au moins la culture nécessaire pour sa langue maternelle, que peut-il avoir d’autre chose?

---

[1] Sami Frashëri, Shqipëria ç’ka qënë, ç’është e ç’do të bëhetë. Mendime për shpëtimin e mëmëdheut nga rreziket që e kanë rrethuarë. «Drita-, Boucareste, 1899; «Rilindja», Prishtinë, 1978, p. 36.

[2] Spiro Dine, Valët e detit, Sofia, 1908, p. 2 et 187.

[3] Thimi Mitko, Bëleta Shqypëtare, Alexandrie 1878. La préface: Mbledhës të hershëm të folklorit shqiptar (1635-1912), II, Institut du Folkore, Tirana 1961, p. 12.

[4] «Shqipëria» 2 août 1897: Mendimi politik e shoqëror i Rilindjes kombëtare shqiptare, 1, (1879-1908), préparé pour presse par Zihni Haskaj, Institut de l’Histoire et de Linguistique, p. 234-235.

[5] Jaiii Vreto, Vepra të zgjedhura, Recueilli et préparé par Alfred Uçi, Shtëpia botuese e librit politik, Tirana, 1973, p. 196.

[6] Giuseppe Jubany, Raccolta di canti popolari e rapsodie di poemi albanesi. Tradotti nell’idioma italiano, Trieste, 18V1 ; Vepra të zgjedhura, réunis et publiés sous le soin de Jup Kastrati, «Naim Frashëri», Tirana, 1966, p. 66.

[7] Cité d’après: Jup Kastrati, Lufta per njësimin e alfabetii shqip ne vitet 1878-1905, dans le recueil Alfabeti i gjuhës shqipe dhe Kongresi i Manastirit, Instituti i Historisë — Instituai i Gjuhësisë e i Letërsisë, Tirana, 1972, p. 86.

[8] Androkli Kostalari, Gjuha e sotme letrare dhe disa problème themelore të drejtshkrimit të saj, Instituti i G juhësisë dhe i Letërsisë Tirana, 1973, p. 22.

[9] Jani Vreto, Për të vërtetënë dhe për shkronjënë e së vërtetësë, in «Dituria», 1885, nr. 9, p. 131.

[10] Voir: Dhimitër S. Shuteriqi, Nëpër shekujt letrarë, «Naim Frashëri», Tirana, 1973, p. 137.

[11] Ibid, p. 178.

[12] Jani Vreto, Për zgjedhjen e të folit ndê të kthyerë, in «Drita» 1884, nr. 1, p. 2.

[13] Voir: Buletin për Shkencat Shoqërare, Tirana, 1954, nr. Il, p. 114-116; cité d’après: Androkli Kostallari, Gjuha e sotme letrare dhe disa problème themelore të drejtshkrimit të saj, p. 21.

[14] Lekë Gruda, Themeli i gjuhës letrare, in «Albania-, 1905, nr. 2, p. 47-50; Alfabeti i gjuhës shqipe dhe Kongresi i Manastirit, p. 84.

[15] Asdren, Çështja e alfabetit, in Albania 1905, nr. 4; Vepra, IV, Rilindja, Prishtinë 1971, p. 180.

[16] Hilë Mosi. Parathënie, in Dija 1907; p. 4-5; cité d’après: Vepra të zgjedhura, III, «Rilindja», Prishtinë, 1972, p. 117-118.

[17] Dok Sula (Aleksandër Xhuvani), Per themelim të një gjuhe letrëtare, in Albania 1905, nr. 11; cité d’après: Mendimi politik e shoqëror i Rilindjes kombëtare shqipiare, I, (1879-1908), p. 283.

[18] Ibid, p. 284-285.

[19] E Parathënme mbi djelmt e rinj shqipëtarë, in: Myslim Islami, Naum Bredhi — Veqilharxhi ideologu i pare i Rilindjes shqiptare, «8 nëntori», Tirana, 1977, p. 135.

[20] Zef Jubani, Historia e jetës dhe veprave të Gjergj Kastriotit, emnue prej Osmanllive Skanderbeg, i pari ndër zotnij të shqiptarisë. Qysh ne mot 1441. En manuscrit. Cité d’après: Vepra të zgjedhura. Réunis et présentés sous le soin de Jup Kastrati, «Naim Frashëri», Tirana, 1966, p. 51.

[21] Thimi Mitko, Bëleta shqypëtare, Alexandri, 1878. Parathënia e glosarit, p. 191 cité d’après: Qemal Haxhihasani, Thimi Mitko (1820-1890), Shtëpia Botuese «Naim Frashëri», Tirana, 1962, p. 67-68.

[22] Gavril Dara i Riu, Kënga e sprasme e Balës. Parathënie të Arbëreshëvet, «Arbri i 'Ri», 1887; cite d’après: Gavril Dara (i Riu), «Kënga e sprasme e Balës. Adapté en langue contemporaine et préparé pour les élèves des. écoles secondaires par Sh(aban) Demiraj, Drejtoria e Botimeve Shkollore, Tirana, 1965, p. 21.

[23] Jani Vreto, Mendime mbi shkrimin e gjuhës shqipe. Dorëshkrim greqisht, Përkthimi i N. Çanit; Vepra të zgjedhura, Mbledhur dhe pregatitur nga A(lfred) Uçi. Shtëpia botuese e librit politik, Tiranë, 1973, p. 262.

[24] E parathënme mbi djelmt e rij shqipëtarë, në librin: Myslim Islami, Naum Bredhi Veqilharxhi ideologu i pare i Rilindjes shqiptare. «8 Nëntori», Tirana. 1977, p. 135, 136.

[25] Jani Vreto, Për zgjedhën e të folit ndë të kthyerë, in «Drita» 1884, nr. I, p. 2-3, cité d’après Vepra të zgjedhura, p. 65.

[26] Naim Frashëri. Histori e Shqipërisë, «Mbrothësia», Sophia 1899, p. 36.

[27] Voir: Jup Kastrati, Naimi për gjuhën shqipe, in «Studime filologjike», 1971, nr. 3, p. 115-116.

[28] Shahin Kolonja, Qeveria turke dhe shqiptarët (en turque) in «Drita» 5/18.II.1904. cité d'après: Mendimi politik e shoqëror i Rilindjes Kombëtare shqiptare I. Recueil d’articles de la presse. Préparés par Zihni Haskaj, Institut de l’Histoire et de la Linguistique. Tirana 1971, p. 274.

[29] L(ekë) Gruda, Fjalorth Skqyp-frangjisht e Frangjisht-shqyp des mots nouveaux. La préface, Naples 1906, cité d’après: Vepra te zgjedhura. Réunis, rédigés et munis d'une préface par Mark Gurakuqi, «Naim Frashëri», Tirana 1961, p. 224..