Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы
-- P. VOSTOKOV : «L'U.R.S.S, en 1933», Le Monde slave, janvier 1934, p. 96 - 115.
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Le bilan provisoire de 1933 a été présenté pour la R.S.F.S.R à la IVe session de la XVe législature du comité central exécutif de la Fédération russe, qui s'est tenue du 19 au 26 décembre dernier, et, pour l'Ukraine, vers la même date, à la VIe session du comité central de cette république. Auparavant avait eu lieu, entre le 18 et le 22 novembre, une réunion plénière du comité central et de la commission de contrôle du parti communiste d'Ukraine. Ces deux dernières assemblées ont été l'occasion de débats d'une brûlante actualité ; au contraire, la session du comité central exécutif de la R.S.F.S.R. n'a eu presque aucun contenu proprement politique : les problèmes économiques et même techniques y ont dominé. Il serait inexact d'en conclure qu'il ne s'est rien produit, cette année dans la vie politique intérieure de la Russie. Loin de là : la lutte de certains éléments sociaux contre le régime actuel s'est prolongée. Mais les chefs communistes ont préféré ne pas en parler. D'ailleurs, nous n'avons aucune raison de contester l'affirmation de l'un d'entre eux, P. Postyshev, quand il dit : « Dans la période écoulée, c'est en Ukraine que les éléments hostiles à la ligne générale ont trouvé le plus large champ d'action, et non dans la R.S.F.S.R. » Ce fait se rattache à la situation internationale de l'U.R.S.S., mais pas uniquement.
I. — Les événements d'Ukraine.
Les événements d'Ukraine doivent être replacés dans leur cadre historique. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait presque tous les orateurs qui en ont traité. Mais l'exposé le plus détaillé a été celui de S. Kosior à la réunion du comité central et de la commission de contrôle du
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P.C. d'Ukraine (1). Il est complété à certains égards par un discours de P. Postyshev à la même réunion, publié sous le titre L'Ukraine soviétique, fort inébranlable de la grande U.R.S.S. (2) Le contenu de ces deux interventions a inspiré les motions votées. (3) De même, les discours prononcés à la VIe session du C.C.E. d'Ukraine en décembre 1933, en tout cas tels qu'ils sont rapportés par la presse soviétique, ne font que les paraphraser (en particulier ceux du président du C.C.E. d'Ukraine, G. Petrovskij, et du président du conseil des commissaires du peuple, V. Chubar'). Quelques données nouvelles ont été apportées par Zatonskij à la IVe session du C.C.E. de l'U.R.S.S., le 29 décembre (4). Auparavant, à la réunion du comité central du P.C. d'Ukraine de juin 1933, Postyshev avait touché pour la première fois certains problèmes actuels qui avaient déjà attiré l'attention à cette époque (5).
Comment les événements sont-ils présentés par les matériaux énumérés ? Notons le caractère unilatéral de toutes ces sources : toutes sont communistes. Certains traits et détails ont un air fantaisiste. Néanmoins les contours généraux ressortent assez clairement.
Dès 1919, au moment où, sur le territoire ukrainien, les bolchévistes combattaient à la fois les Russes blancs et les petluriens, le parti communiste de Russie trouva en face de lui le parti communiste d'Ukraine. Celui-ci, avec Rechickij et Avdienko en tête, menait la lutte armée et menaçait Kiev. Beaucoup plus tard, en 1926-1928, on découvrit, puis on brisa, à l'intérieur du P.C. de l'U.R.S.S., le groupe « nationaliste » de Shumskij. Shumskij fut remplacé, comme commissaire à l'instruction publique d'Ukraine, par « le vieux bolchéviste » M. Skrypnik. Enfin, en 1933, fut dénoncée la « déviation nationaliste » de ce même Skrypnik. La pression exercée par le comité central du P.C. de l'U.R.S.S. débuta, dans cette période, par la décision du 14 décembre 1932 «sur la politique ukrainienne» (6). Au début de 1933,
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le « rétablissement de l'ordre » en Ukraine battait déjà son plein (7). En juin, il apparut qu'une des victimes serait Skrypnik lui-même, cette étoile de première grandeur du ciel bolchéviste ukrainien (8): Postyshev, muni par le comité central de pleins pouvoirs pour l'Ukraine, l'attaqua avec une extrême violence. Le discours de Skrypnik à la réunion du comité central du P.C. d'Ukraine ne satisfit pas. Il parlait de certains problèmes du « front culturel ». Postyshev voulait l'obliger à s'expliquer sur d'autres sujets. « Ce qu'il fallait nous raconter, » lui dit-il, « c'était comment l'ukrainisation s'est trouvée, dans bien des cas, entre les mains de la canaille petlurienne, comment ces ennemis, avec ou sans carte du parti, se sont dissimulés derrière votre large dos de membre du bureau politique, comment vous avez maintes fois pris la défense de ces éléments étrangers et hostiles. Voilà ce dont il fallait parler, voilà l'essentiel ». A ce moment, la cause de Skrypnik était déjà perdue : les auditeurs, dociles à la volonté de Moscou, saluèrent ces mots de « violents applaudissements ». Selon l'orateur, « le secteur dirigé jusqu'à ces derniers temps par le camarade Skrypnik (j'ai en vue le commissariat et tous les services de l'instruction publique) est de tous le plus encombré par les éléments contre-révolutionnaires et nationalistes. C'est là que les saboteurs s'en sont donné à cur joie, ont placé leurs gens aux postes essentiels du front idéologique. Ils n'ont jamais été combattus, et, le camarade Skrypnik lui-même a dû l'avouer, nos ennemis ont trouvé des protecteurs fermes et autorisés chez certains communistes, manifestement sourds et aveugles. » D'on venait ce manque de vigilance, sinon des erreurs idéologiques de Skrypnik ? « II y a de graves erreurs aussi dans les écrits du camarade Skrypnik sur 1e problème national et l'édification
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culturelle. » En juin, on n'a pas confié au public russe en quoi consistaient ces erreurs. C'est seulement en novembre, après le suicide de Skrypnik, que Postyshev et Kosior s'en occupèrent en détail dans leurs discours. A la réunion de juin, Postyshev esquissa quelques autres traits du tableau. Il affirma qu'en général, sur les divers secteurs du «front culturel» ukrainien, le rôle dirigeant avait été joué par « bon nombre de petluriens, de makhnovistes et d'agents de l'étranger ». « Ces saboteurs et ces espions », continua-t-il, « tous ces Javorskij, Badan, Maximovich, Herstenjuk, Shumskij, Solodub, outre le travail d'information auquel ils se livraient pour certaines puissances, propageaient dans l'exercice de leurs fonctions non point notre culture ukrainienne, nationale dans la forme et socialiste dans son contenu, mais une culture nationaliste, chauvine, bourgeoise, celle des Doncov, des Efremov, des Hruhevskij, hostile aux idées et aux intérêts du prolétariat et des paysans travailleurs.» II est, naturellement, difficile de dire dans quelle mesure sont fondées les accusations d'espionnage et de sabotage portées contre les personnes ici nommées. Il faut admettre que, dans certains cas du moins, elles ne le sont absolument pas. Mais que la direction du « front culturel » en Ukraine ait été pénétrée d'un esprit peu favorable à l'unité politique et morale de l'État soviétique, c'est un fait établi. Nous en verrons plus bas les causes. Nous supposons qu'elles résident dans la nature même de ce qu'on appelle aujourd'hui la «politique nationale de Lénine ». On peut admettre que beaucoup de fonctionnaires de l'I.P. «poursuivaient toujours leur rêve de détacher l'Ukraine de l'Union soviétique». Postyshev, en se fondant sur les dépositions des accusés, a caractérisé le « sabotage » dans l'économie rurale : s'il faut l'en croire, les saboteurs « reculaient consciemment les dates des semailles pour que les semences ne pussent pas même lever», détérioraient exprès les tracteurs, expédiaient des machines pour la moisson là où on n'en avait aucun besoin, affectaient exprès certains kolkhoz à des dépôts de pétrole distants de 40 à 50 kilomètres, alors qu'il y en avait à 10 ou 15 kilomètres, etc... Cependant l'auteur fait entrer dans cette énumération de crimes le fait suivant : «les saboteurs gardaient les bons grains pour divers fonds intérieurs des kolkhoz et remettaient à l'État les plus mauvais». Rappelons-nous que le grain est livré a l'État à vil prix et que, parmi les «fonds intérieurs des kolkhoz», il y a le fonds de semences. Le
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crime mentionné par Postyshev est donc plutôt le fait d'un bon agriculteur que d'un saboteur.
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Cette fois-là, Postyshev parla en détail de la personne de Skrypnik. D'après lui, «les erreurs nationalistes de Skrypnik datent de loin». Mais c'est seulement dans la période de «lutte pour la liquidation du kulak comme classe», que «sa déviation a commencé à prendre figure de système cohérent d'opportunisme national». Il faut entendre que Skrypnik était du nombre de ces communistes qui se résignaient malaisément à voir supprimer les paysans et condamner à de cruelles souffrances une multitude d'innocents (les kulak et leur famille). C'est alors qu'il «s'est mis en rapport avec les agents interventionnistes, les Badan, les Javorskij, les Slipanskij et autres.» C'est alors que les interventionnistes, représentés par les nationalistes ukrainiens, se sont mis a utiliser de toutes les façons «un personnage aussi autorisé que Skrypnik ».
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périodiquement pour bavarder, mais qui ne devait pas avoir d'influence réelle sur la vie et le fonctionnement de chaque république. »
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qu'ils soient avancés en âge». Malgré tout, ce n'était pas dans les éditions académiques que cette propagande atteignait son apogée. Les publications des instituts provinciaux touchant l'instruction publique étaient ici au premier rang: «Dans toutes ces éditions, souvent simplement hectographiées, mémoires, recueils, manuels scolaires des instituts de Nezhin, Uman', Kamenec-Podolsk» etc., il était plus facile que partout ailleurs de propager des idées nationalistes.» D'après une remarque de Zatonskij, la science ukrainienne obéissait à une espèce de racisme : à l'aide de mensurations scientifiques des crânes, on prouvait que les Ukrainiens étaient de purs Slaves. Au commissariat de l'I.P., on idéalisait les Cosaques zaporogues et le temps des hetmans. L'ukrainisation était utilisée, d'après Postyshev, «pour recommander la rupture entre les ouvriers et paysans ukrainiens et les travailleurs des autres nationalités de l'U.R.S.S., avant tout les ouvriers et paysans russes».
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scientifique, l'Ukraine soit appelée une partie de l'Europe. Mais n'importe quel atlas soviétique la situe en Europe, tout de même que Moscou. Justement cette géographie scolaire, avec la conception historique qu'elle révèle, ne satisfait plus les communistes russes, bien qu'elle se maintienne encore dans leurs manuels. Les phrases de Postyshev citées plus haut ne se comprennent que si l'on admet que l'orateur considère l'Ukraine ou l'U.R.S.S. dans son ensemble comme un monde à, part, différent de l'Europe. Ce monde, quelques-uns l'appellent Eurasie. Affirmer le caractère européen de l'Ukraine, c'est trahir la cause commune des peuples de l'U.R.S.S.
«L'antique prison des peuples qu'était la Russie tsariste n'est plus. Cette Moscou-là a été balayée par la Révolution d'octobre, qui a anéanti le pouvoir des propriétaires, des fabricants, des kulak, des généraux, du knout et les chaînes pour les ouvriers et les paysans. Il existe une nouvelle Moscou, capitale de l'Union des républiques soviétiques socialistes, de la patrie du prolétariat international et des masses opprimées de tout l'univers. Il existe une nouvelle Moscou, centre d'attraction de l'avant-garde de l'humanité. Il existe une nouvelle Moscou, symbole de la lutte pour l'abolition définitive du servage, de l'exploitation et de l'oppression dans le monde entier. Cette nouvelle Moscou, les prolétaires et les travailleurs de tout l'univers la considèrent avec amour et espoir. Les capitalistes, les propriétaires, les banquiers, tous les esclavagistes modernes la regardent avec haine et colère. Et c'est de cette Moscou-là que la contre-révolution nationaliste veut détacher les ouvriers et les kolkhoz d'Ukraine pour les courber de nouveau sous le joug d'un esclavage colonial.»
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II. — Ukraine, Pologne, Allemagne.
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à eux. Ils firent passer en Ukraine nombre de leurs partisans «sous couleur de repentis désirant collaborer loyalement à l'édification de la civilisation ukrainienne soviétique». Ainsi s'accomplit «le transport d'éléments contre-révolutionnaires en Ukraine soviétique». Kosior affirma même que «parmi les nationalistes contre-révolutionnaires aujourd'hui démasqués, la plupart sont venus de l'étranger, de Prague, de Galicie et autres lieux». Les communistes russes s'indignent surtout à propos des «nationalistes galiciens, entièrement vendus aux nobles polonais, profondément polonisés et envoyés ici pour préparer de l'intérieur une intervention». De pareilles affirmations ne sauraient être prises pour argent comptant. En outre, des phénomènes d'ordre très divers sont ici confondus : c'est d'ailleurs un des traits les plus caractéristiques des tableaux de la situation politique tracés par Kosior, Postyshev et Cie. Certains détails semblent tout simplement faux. Ainsi Kosior fonde ses constructions sur les dépositions suivantes d'un membre de l'organisation contre-révolutionnaire, Vikula : «Le centre politique, qui avait à sa tête Hrushevskij, s'entendit avec les milieux cadets russes, les S.R. russes, les menchévistes géorgiens, les nationalistes blanc-russes, en vue d'une action commune tendant au renversement du pouvoir des Soviets». On a peine à se représenter une entente entre Hrushevskij et un groupe un peu important de cadets russes. Toutes ces affirmations caractérisent moins la situation politique réelle que les fables dont les dirigeants communistes alimentent leurs partisans.
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lité de membre de l'organisation militaire polonaise, dont il était le chef pour l'Ukraine. Cela ne l'empêchait pas de jouir d'une confiance exceptionnelle dans les groupes communistes de Kiev et de Chernigov, ainsi qu'auprès de certains dirigeants. «Et Skarbek n'était pas seul !», s'écrit Kosior. Il était entouré de partisans et de collaborateurs occupant la même position : parmi eux, l'orateur cite Politur. «Nous avons en Ukraine», dit-il, «plus d'un demi-million de Polonais; par endroits ils forment des masses assez compactes. Eh bien ! le travail parmi la population polonaise était confié à ces gens-là. C'étaient eux qui choisissaient et formaient les maîtres des écoles polonaises, c'étaient eux qui sélectionnaient et répartissaient les dirigeants des soviets de villages et de cantons». Cette indication est précieuse comme aveu de la vitalité du mouvement polonais en Ukraine. Elle est instructive en un autre sens encore : on sait que dans l'U.R.S.S. toutes les autorités, même locales, ne sont plus élues par la population, comme l'exigerait la Constitution, mais désignées d'en-haut. Il est assez rare qu'on rencontre dans la presse soviétique un aveu de ce fait. Nous en tenons un ici : en qualité de communistes influents, les membres de l'organisation en question sélectionnaient et répartissaient les autorités locales.
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pour 1931. Les arrestations affaiblirent grandement l'organisation et, d'après la déposition de Pyrkhavka, rapportée par Kosior, «la fixation de la date de l'insurrection fut reconnue sans importance réelle, puisque la base sur laquelle nous pouvions compter se trouvait sensiblement réduite». C'est alors que l'organisation se serait orientée vers «la théorie de l'intervention». Les dirigeants résidant en Ukraine jugeaient que les forces locales ne suffisaient pas pour «renverser le pouvoir des Soviets, maintenir le front et renforcer le nouvel État ukrainien indépendant». En outre, s'il faut en croire les policiers rouges, le comité du parti socialiste-révolutionnaire d'Ukraine à Prague fit connaître qu' «il se solidarisait entièrement avec les plans d'intervention et travaillait dans ce sens avec les fascistes ukrainiens dirigés par Konovalec». Où cette organisation avait-elle ses forces ? Kosior répond : à Karkhov, à la revue Chervonnyj Shljakh, au commissariat de l'agriculture, à la direction des transports, à la direction géodésique. Mais ses membres étaient «surtout à leur aise» aux cours d'ukrainisation de Kharkov : «Tout cet établissement était pratiquement entre les mains des contre-révolutionnaires». Mais, de l'aveu de Kosior, où n'y avait-il pas de «nids de contre-révolutionnaires ?» Il y en avait «aux commissariats de l'instruction publique, de l'agriculture et de la justice, à l'académie des sciences, à l'institut de marxisme-léninisme, à l'académie agricole, à l'institut Shevchenko, etc... »
Voici sous quel aspect la motion dépeint les nationalistes ukrainiens.
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de la Pologne avec l'Allemagne fasciste». Elle constate aussi «la lutte entre les fascistes polonais et allemands pour l'hégémonie dans le camp de la contre-révolution ukrainienne». Certaines indications des orateurs communistes peuvent être comprises en ce sens que cette hégémonie serait passée dans ces derniers temps entre les mains de l'Allemagne (21).
« Dans la seconde moitié de février 1933, Bandrivskij me dit que Sushko était à Berlin et voulait me voir. C'était après l'avènement d'Hitler. Sushko me communiqua qu'il s'était entretenu avec A. Rosenberg, rapporteur du parti hitlérien pour les affaires étrangères et partisan de l'intervention contre l'U.R.S.S. Se basant sur cet entretien, il me dit que l'Allemagne adoptait une politique violemment anti-soviétique, envisageait une coalition avec l'Italie, l'Angleterre et la France contre l'U.R.S.S. et entamait déjà des conversations avec la Pologne pour la faire entrer dans ce bloc. Rosenberg, d'après Sushko, estimait que l'organisation militaire devait développer une action immédiate contre le pouvoir des Soviets, puisque la venue d'Hitler au pouvoir et son attitude agressive à l'égard de l'U.R.S.S. créaient une situation favorable au détachement de l'Ukraine et à la formation, grâce à une intervention, d'un État national indépendant».
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III. — Causes des échecs communistes en Ukraine.
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rait nier qu'au cours de ces dernières années cette ukrainisation forcée ait été réalisée par les communistes sous le pavillon de la «politique nationale de Lénine». On espérait séduire ainsi les nationalistes ukrainiens. Mais le prix n'était pas suffisant : les nationalistes réclament davantage, la complète séparation. Quant à ceux qui étaient prêts à collaborer avec les communistes pour rapprocher les deux peuples, ukrainien et russe, cette politique les a rejetés à l'écart. Nous voulons parler ici non point des patriotes grand-russes, mais des Ukrainiens qui n'ont pas perdu le sentiment des liens si étroits qui, actuellement comme par le passé, rattachent l'Ukraine à la Russie. Les recensements de ces dix dernières années montrent que le Sud comme le Nord de l'Ukraine sont habités par une population ukrainienne d'origine, mais qui se reconnaît russe de langue et de civilisation (les véritables Ukrainiens occupent seulement la zone centrale). Mais ces gens-là ne sont pas en honneur auprès des communistes. De par leurs principes doctrinaires, ces derniers sont obligés d'ukrainiser l'Ukraine à tout prix. Sur qui peuvent-ils s'appuyer ? Uniquement sur des éléments qui sont foncièrement hostiles à toute leur politique. Voilà comment il se fait que des administrations entières, des établissements comme les «cours d'ukrainisation» et autres du même genre tombent entre les mains d'hommes qui ne pensent qu'à rompre définitivement avec l'U.R.S.S.
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ni Juifs ? Ils seront obligés comme par le passé d'étudier la dernière production des philologues de Galicie et de Kiev décorée du nom de langue littéraire ukrainienne. Ils seront étrangers à la langue qui possède dans sa littérature le Droit russe et le Chant d'Igor et les uvres du plus grand génie ukrainien, ukrainien de naissance et russe d'éducation, Gogol. Gogol n'a jamais oublié que l'Ukraine était toujours la Russie. Actuellement, les communistes russes se vantent d'avoir expulsé la civilisation russe de l'Ukraine : «Maintenant, la civilisation essentielle de l'Ukraine c'est la civilisation ukrainienne, nationale dans la forme, socialiste par son contenu» (Kosior). De la valeur socialiste de son contenu, il est permis de douter. Les discours des dirigeants communistes nous en fournissent des raisons suffisantes. Quant à la forme, son caractère galicien à la Hrushevskij et à la Javorskij, ne suscite aucun doute. Qu'y ont gagné les communistes ? Ils prétendaient, par l'ukrainisation forcée, gagner de nouveaux amis : ils n'ont fait que renforcer leurs ennemis. Si l'on considère de plus près l'ukrainisation bolchéviste que prêche actuellement Kosior, on verra qu'elle ne se distingue guère de l'ukrainisation forcée de Skrypnik. Dans le vain espoir de séduire les curs des nationalistes ukrainiens, les communistes persistent à financer généreusement leurs adversaires, comme ils l'ont fait tout le long de ces dernières années.
Il faut avouer que, dans ces conditions, les communistes ne sauraient réussir. On peut désirer qu'ils changent de politique. On peut au contraire souhaiter qu'ils creusent eux-mêmes leur tombe. Mais, dans les deux cas, il faut reconnaître que la direction actuellement suivie aboutit à une impasse. Les communistes doivent ou bien capituler devant l'ennemi et quitter l'Ukraine, ou bien soumettre à une révision radicale la «politique nationale de Lénine» et s'appuyer sur
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les éléments qui tendent à rapprocher effectivement et non en paroles les deux civilisations ukrainienne et russe.
Ainsi l'Ukraine, avec l'Extrême-Orient, est le secteur le plus menacé du front communiste. Au cours de 1933, le fait est apparu dans toute sa clarté.
P. Vostokov.
(A suivre.)
Notes
(1) Publié en brochure par les Editions du parti sous le titre : Les résultats et les objectifs immédiats de la politique nationale en Ukraine, 1933, (tirage : 100 000 exemplaires). (retour texte)
(2) Voir les journaux de Moscou du 6 décembre 1933.(retour texte)
(3) Publiées dans les journaux soviétiques du 27 novembre. (retour texte)
(4) Izvestija du 31 décembre 1933. (retour texte)
(5) Discours prononcé le 10 juin 1933, publié le 22 juin. (retour texte)
(6) Cette décision incite le comité central du P. C. d'Ukraine et le conseil des commissaires du peuple « à consacrer une sérieuse attention à la bonne exécution de l'ukrainisation, à renoncer à son application mécanique, à chasser les éléments petluriens et autres nationalistes bourgeois des administrations du parti et des soviets, à sélectionner et éduquer soigneusement des cadres bolchévistes ukrainiens, à assurer la direction systématique et le contrôle du parti sur l'ukrainisation du parti ». Le comité central du parti adresse ici un ordre direct non seulement au parti communiste, mais aussi au conseil des commissaires du peuple d'une des républiques de l'Union. C'est un trait extrêmement significatif du régime qui s'établit de plus en plus dans l'U.R.S.S. (Voir Le Monde slave 1930, I, p. 426.) (retour texte)
(7) Voir Le Monde slave, 1933, II, pp. 153-154. (retour texte)
(8) Déjà au XVIe congrès du P.C. de l'U.R.S.S., en juin-juillet 1930, l'intervention de Skrypnik avait été une des plus remarquées. (Voir compte-rendu sténographiquc, pp. 466-467). (retour texte)
(9) Voir les journaux soviétiques du 8 juillet 1933. (retour texte)
(10) Numéro du 8 juillet. (retour texte)
(11) Pravda du 6 décembre 1933. (retour texte)
(12) A la réunion de juin, l'activité des «organisations de sabotage contre-révolutionnaire» avait fait l'objet d'un rapport spécial de Balickij. Nous ne possédons malheureusement pas ce texte. (retour texte)
(13) Le Monde slave, 1930, III, p. 129. (retour texte)
(14) Le Monde slave, 1930, III, pp. 138-139. (retour texte)
(15) Publiée dans la presse de Moscou le 27 novembre. (retour texte)
(16) Jeune écrivain ukrainien. (retour texte)
(17) Prédécesseur de Skrypnik au commissariat de l'I.P. d'Ukraine. (retour texte)
(18) Le Monde slave, 1930, III, p. 139-144. (retour texte)
(19) La région de Chernigov a été formée au début de 1933 avec des éléments de celles de Kiev et de Kharkov. C'est la septième des grandes régions d'Ukraine. Voir Le Monde slave, 1932, IV, p. 106. (retour texte)
(20) Le Monde slave, 1930, III, p. 144-145 (retour texte).
(21) Parmi les plus récentes données de ce genre, notons la communication faite à l'organisation communiste de Dnepropetrovsk par le secrétaire du comité exécutif Shataevich. Il s'agit de documents tombés entre les mains des Soviets et concernant «une alliance germano-ukrainienne» conclue entre Goering et Konovalec. L'Allemagne accorde son concours pour la formation d'une grande Ukraine ; en échange, des concessions sont promises aux Allemands dans les industries métallurgiques et de guerre, ainsi qu'un droit de contrôle sur l'armée et la politique étrangère. La nouvelle de cette «alliance» a été transmise de Prague par l'Agence Havas le Ier janvier 1934. On peut mentionner aussi le discours de Chubar' à la IVe session du C.C.E. de l'U.R.S.S., reproduit le 2 janvier par la presse soviétique. (retour texte)