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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-иссдедовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


— Ecole doctorale lémanique en histoire des théories linguistiques.
Univ. de Lausanne, 28-29 septembre 2007
Organisation :
CRECLECO / Section de langues slaves  (Université de Lausanne)
Lieu : Crêt-Bérard (VD) (arrêt CFF : Puidoux-Chexbres)

Archives :

Ecole doctorale 2004

Ecole doctorale 2003

Ecole doctorale 2006



 
Programme

Vendredi 28 septembre 2007

— 9 h 00 Accueil des participants
— 9 h 30 Patrick SERIOT (Lausanne) Présentation de l'école doctorale et du CRECLECO (Centre de recherches en épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale)
Présentation du site web du CRECLECO
— 10 h 00 Christian PUECH (Paris-III)

1ère conférence : L’historien des idées linguistique serait-il une sorte d’antiquaire ?

2ème conférence : Historicité du Cours de linguistique générale de F. de Saussure

— 12 h 30 repas
Après-midi  : présentation des travaux de thèse
— 14 h 00 Elena SIMONATO (Lausanne)

Langues et politiques linguistiques en Asie Centrale soviétique : les enseignements de Polivanov

— 14 h 30 Emilie BRUNET (Paris-III)  

Les manuscrits d’Emile Benveniste (1902-1976)

— 15 h 00 Viktorija SAIDI (Lausanne) 

Le problème de la nomination de la langue ukrainienne

— 15 h 30 pause
— 16 h 00 Mladen UHLIK (Lausanne / Ljubljana) 

Comparaison franco-soviétique de la sociologie face à la représentation de la « crise linguistique

— 16 h 30 Irina IVANOVA (Lausanne)

L’énigme de l’Institut du Mot Vivant (Institut Živogo Slova)

— 17 h 00 Ekaterina ALEKSEEVA (Lausanne / Saratov) 

La sémiotique dans la linguistique russe de la deuxième moitié du XXe siècle

— 17 h 30 Elena BULGAKOVA (Lausanne)

Représentations sur la langue. L’analyse du discours linguistique sur la langue nationale en Ukraine indépendante


Samedi 29 septembre 2007

— 9 h 00 Prof. Jurij KLEJNER (Saint-Pétersbourg)

1ère conférence : Teaching the history of linguistics at Saint-Petersburg University

2ème conférence : The history of linguistics as linguistics and history

— 11 h 00 Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) 

La « slavistique fantastique » de N. Marr : peuples et langues slaves  dans la « nouvelle théorie du langage »

— 11 h 30 Andreja ERŽEN (Lausanne / Ljubljana)

L'influence de Baudouin de Courtenay sur les linguistes slovènes à la fin du 19e siècle

— 12 h 30 repas
Après-midi  : présentation des travaux de thèse
— 14 h 00 Anne-Gaëlle TOUTAIN (Paris-III) 

Système de valeurs saussurien et linguistique structurale : Hjelmslev, Jakobson, Saussure

— 14 h 30 Inna AGEEVA (Lausanne) :

V.N. Vološinov et G.G. Špet : deux points de vue sur les problèmes sémiotiques

— 15 h Margarita SCHOENENBERGER (Lausanne)

La langue, la culture et la norme linguistique dans les travaux de G.O.Vinokur (1986-1947) : de la «stylistique linguistique» de Vinokur à la «théorie des styles fonctionnels» de D.N.Sˇmelev (1926-1993)

— 15 h 30 Sara COTELLI (Neuchâtel) Histoire d'une idéologie langagière: l'unilinguisme de la Révolution française à la Question jurassienne

— 16 h Bilan et perspectives



Résumés

 

—                Inna AGEEVA (Lausanne)

V.N. Vološinov et G.G. Špet : deux points de vue sur les problèmes sémiotiques

Les idées nées au sein du « Cercle de Bakhtine » jouent un rôle particulier dans les sciences humaines d’aujourd’hui. Elles exercent une influence sur l’élaboration de la structure thématique et servent de référence pour les chercheurs travaillant dans de différents domaines tels que les études littéraires, la philologie, la psychologie, la linguistique, la philosophie, etc. De ce fait, l’interprétation de l’héritage intellectuel du « Cercle de Bakhtine » est très différenciée : historico-culturelle, féministe et même idéologico-marxiste. C’est pourquoi la mise en contexte des conceptions des membres du Cercle, plus précisément celle de V.N. Vološinov (1895-1936), permet non seulement de mettre en évidence les fondements ontologiques, historiques et existentiels des sciences humaines en Russie, ainsi que leur spécificité méthodologique, mais aussi de montrer l’originalité des théories de ces penseurs et donner de nouvelles pistes de recherches contemporaines. C’est pour cette raison que j’aimerais consacrer ma communication à la recontextualisation de la conception sémiotique de Vološinov, plus précisément à l’analyse de sa théorie du signe sur le fond des idées sémasiologiques  de G.G. Špet (1879-1937).

 

Ekaterina ALEKSEEVA (Lausanne / Saratov)

La sémiotique dans la liguistique russe de la deuxième moitié du XXe siècle

 

La seconde moitié du XXe siècle se caractérise par l’intérêt commun des chercheurs russes pour les problèmes sémiotiques en philologie. Les spécificités de la sémiotique russe (soviétique) de cette période sont conditionnées par différents facteurs : l’histoire, la politique et enfin l’état général de la philologie. 

L’étendue des problèmes sémiotiques dans la linguistique russe de cette époque historique est large : de l’étude des catégories sémiotiques dont l’homme se sert dans sa vie, l’interaction des systèmes de signes avec le langage humain et sa place parmi eux, jusqu’à l’étude des unités sémasiologiques universelles et au rôle des signes et des symboles dans la transmission des représentations mythologiques sur le matériau des langues anciennes et modernes.

Ces recherches se divisent en plusieurs domaines thématiques. Ce sont :

1.                  Étude des catégories sémiotiques dans différentes traditions culturelles :  V.Toporov, J.Stepanov;

2.                  Sémiotique culturelle : J.Lotman, B.Uspenski, V.Kolesov, N. Tolstoj;

3.                  Typologie sémantique:  O.Trubačev, A.Golan, M. Makovskij.

Parmi les ouvrages qui ont joué un rôle décisif dans la diffusion des idées sémiotiques en Russie on peut nommer les suivants:  Sémiotique 1971 de J.Stépanov, Anthologie de la sémiotique 1983 (sous la direction de J.Stépanov), Systèmes langagières sémiotiques modélant slaves 1965 de V.Ivanov, V.Toporov, Recherches sur les systèmes des signes (revue sous la direction de J.Lotman depuis des an. 60), Dictionnaire des antiquités slaves 1995-1996 (sous la direction de Tolstoj)  et d'autres.

Ces recherches ont préparé une base pour la nouvelle étape des études sémiotiques linguistiques.

 

Emilie BRUNET (Paris-III)

Les manuscrits d’Emile Benveniste (1902-1976)

 

A la mort d’Emile Benveniste, la Bibliothèque nationale de France (BnF) reçoit ses papiers en legs conformément à la volonté exprimée par le linguiste. Conservés au département des manuscrits dans la collection « Papiers d’Orientalistes », ces documents n’ont fait l’objet que d’un inventaire sommaire et ont été largement sous-exploités jusqu’à présent.

Soucieuse de valoriser ses collections et de développer ses relations avec le monde de la recherche, la BnF décide donc en 2006 de répondre favorablement aux membres de deux équipes de recherche françaises* proposant d’étudier ces manuscrits.

Chargée du traitement de l’ensemble du fonds (inventaire et mise en place d’un catalogue en ligne), je présenterai son histoire – qui est aussi celle de sa dispersion dans plusieurs institutions – avant de décrire ce qu’il contient (notes de cours, brouillons, carnets d’enquêtes…) et d’envisager les enjeux qu’il représente pour l’histoire de la linguistique.

* UMR 7597 HTL « Histoire des théories linguistiques » (CNRS / Paris7 / ENS LSH Lyon, http://htl.linguist.jussieu.fr) et UMR 8132 ITEM « Institut des Textes et Manuscrits Modernes » (CNRS / ENS Paris, http://www.item.ens.fr)

 

— Elena BULGAKOVA (Lausanne)

Représentations sur la langue. L’analyse du discours linguistique sur la langue nationale en Ukraine indépendante

 

L’apparition d’un nouvel Etat-Nation en 1991 a réveillé chez les intellectuels ukrainiens le sentiment national, la passion de l’unité. Il est devenu primordial d'affirmer leur identité nationale et culturelle par rapports aux Russes. Les intellectuels ukrainiens n’ont pas cherché à être très originaux  et, comme dans beaucoup de cas  où il s’agit de justifier l’existence d’un Etat-Nation, la langue nationale est devenue le principal facteur de l’autodétermination nationale. C’est là qu’ils  ont dû se confronter à la réalité et avouer qu’une très grande partie de la population était russophone ou ne possédait pas de bonnes connaissances de l’ukrainien. L’on aboutit à une sorte de paradoxe : la langue nationale, tant chérie par les partisans de la renaissance nationale et déclarée principal facteur d’appartenance à la nation ukrainienne, n’est presque pas parlée par « le peuple » ou bien ne correspond pas du tout à sa variante normative.

Officiellement ce sont les Ukrainiens qui sont reconnus comme nation « originaire », « principale », et c’est la langue ukrainienne qui est considérée comme la langue « officielle », ce qui devrait signifier la seule ou du moins la « principale » des langues d’usage. En réalité, les Ukrainiens ne constituent pas le groupe dominant en Ukraine de même que la langue ukrainienne n’est pas la langue dominante. Cet écart entre le statut formel et le statut réel de la population ukrainienne aussi bien que de la langue ukrainienne est à l’origine de multiples malentendus et d’une confrontation idéologique.

Les résultats du dernier recensement ainsi que de différentes sondages montrent que ce n’est pas l’ukrainien qui est la langue dominante, comme cela devrait logiquement être le cas pour la langue officielle mais la langue russe.

Le problème de la langue nationale est un des sujets essentiels, le plus souvent traités, dans la linguistique de la période de post-indépendance. Cela est dû en partie à la situation linguistique et ethnoculturelle ambiguë qui règne dans le pays mais aussi au fait que la normalisation de la langue ukrainienne n’est pas encore complètement achevée.

Les linguistes ukrainiens sont insatisfaits du statut formel de la langue ukrainienne, de l’écart entre la loi sur la langue et son application en pratique.  L’on voit apparaître des articles linguistiques dans les éditions non spécialisées, dans divers journaux hebdomadaires ; les linguistes sont régulièrement invités à la radio afin de discuter le problème de la langue nationale et d’« instruire » la population ukrainienne privée de « conscience nationale ».

En analysant un certain nombre de publications, l’on peut remarquer que les opinions des linguistes ukrainiens au sujet de la langue nationale et de la politique linguistique se ressemblent beaucoup. Il n’existe pratiquement pas de points de vues opposés sur certains problèmes ou questions, le discours linguistique prenant ainsi la forme d’un « monologue » influencé probablement par des sentiments patriotiques. L’on peut donc supposer l’existence d’une  idéologie linguistique.

Le discours sur la langue nationale fait ressortir un certain nombre de représentations sur la langue partagées, explicitement ou implicitement, par les linguistes ukrainiens qui, une fois acceptées, les dirigent vers les réponses identiques. Dans l'exposé, les représentations suivantes seront analysées :

 

· La langue c’est l’âme de la nation. Sans la langue ukrainienne il n’a y pas de la nation ukrainienne.  ;

· La langue nationale doit unir la nation.

· Il existe une mentalité nationale se reflétant dans la langue .

· Le bilinguisme officiel est toujours nuisible et représente une menace pour l’unité nationale.

· Théorie du complot autour de la  nation et de la langue ukrainienne.

· Le russe est la langue des « traîtres », le surzˇik est la « langue des incultes ».

 

Il devient intéressant d’analyser le discours sur la langue nationale en Ukraine sous cet angle-là, c’est à dire à travers ces représentations sur la langue.

Nous allons également dégager la cause probable de l’apparition de cette idéologie linguistique en Ukraine et  voir comment elle influence le processus de la normalisation de l’ukrainien, à savoir les innovations grammaticales et lexicales. 

 

 

— Sara COTELLI (Neuchâtel)

Histoire d'une idéologie langagière: l'unilinguisme de la Révolution française à la Question jurassienne

 

Cette communication vise à explorer une idéologie langagière typique du domaine francophone, l’unilinguisme, dans la diachronie. La volonté de faire coïncider langue et territoire politique a une longue histoire. Nous passerons en revue ses étapes importantes (Révolution française, instauration de l’école laïque et obligatoire, etc.) et nous la suivrons jusqu’au 20ème siècle où elle fait encore partie intégrante de la vision du monde des francophones de toutes régions. Conjointement à d’autres idéologies langagières traditionnelles du français (universalité, clarté, rationalité), c’est l’unilinguisme qui est invoqué lors du combat politique de certaines minorités francophones en dehors de France (notamment le Jura et le Québec). Au même moment, d’autres minorités non-francophones en France, des mouvements frères (Sud occitan, Alsace germanophone, Pays basque, Bretagne celtique, Corse), revendiquent la fin du diktat de l’unilinguisme sur la politique linguistique nationale.

 

— Andreja ERŽEN (Lausanne / Ljubljana)

L'influence de Baudouin de Courtenay sur les linguistes slovènes à la fin du 19e siècle

 

Le linguiste polonais Jan Ignacij Niecislaw Baudouin de Courtenay (1845-1929) eut avec son travail un impact décisif sur la linguistique slovène vers la fin du 19e siècle. Il fut le premier linguiste slave à donner une base scientifique à l'étude des dialectes slovènes. Il fut en outre le premier à identifier les caractéristiques fondamentales de l'évolution phonologique de la langue slovène.

Parmi les plus notables de ses achèvements se trouve l’étude du dialecte parlé par la minorité slovène du Frioul (Italie), dans le Val de Resia. Le résultat le plus important de ses recherches dans ce domaine fut son ouvrage Opyt fonetiki rez’janskix govorov publié en 1875, qui constitue encore aujourd’hui la base pour l’étude des dialectes slovènes.

Une autre point très important est la correspondance de Baudouin de Courtenay avec la génération des jeunes grammairiens et philologues slovènes : Matija Murko (disciple de Antoine Meillet à Paris, ami de Sˇaxmatov), p. Stanislav Sˇkrabec (franciscain, auteur de nombreuses œuvres), Vatroslav Oblak (comme Baudouin de Courtenay travaillait sur les dialectes, il a reçu une bourse pour étudier les dialectes macédoniens), etc. A ses correspondants Baudouin de Courtenay écrivait en slovène, langue qu’il avait apprise pendant son séjour dans les territoires slovènes ; il écrit dans une langue très claire et compréhensible. Les sujets de discussions étaient fort variés, mais en général la nature de la correspondance était plutôt scolaire, dialogue entre professeur et ses « disciples » ; Baudouin de Courtenay répond aux questions posées par les jeunes linguistes slovènes. Ces réponses leur ont servi d'instructions pour leur travail scientifique.

L’influence de Baudouin de Courtenay sur le développement de la linguistique slovène vers la fin du 19e siècle ne se fait pas sentir seulement dans ses recherches sur les dialectes slovènes mais surtout par l’impact qu’il a eu sur le développement scientifique des jeunes linguistes slovènes.

Pendant ma présentation je voudrais présenter la façon dont Baudouin de Courtenay guidait les jeunes linguistes, comment il était accepté pendant ses voyages en territoires slovènes, et ses réflexions sur les dialectes slovènes.

 

Irina IVANOVA (Lausanne) :

L’énigme de l’Institut du Mot Vivant (Institut Živogo Slova)

 

Après la Révolution de 1917, beaucoup d’établissements éducatifs ont été fondés à Petrograd et à Moscou. Leur existence fut très courte, car la plupart d’entre eux ont été fermés deux ou trois ans après leur ouverture. Institut Živogo Slova (l’Institut du Mot Vivant) en fait partie, car il a été fondé en 1918 et fermé en 1924. Il est rarement mentionné dans les travaux de recherches et dans les mémoires du début du XXème siècle. Seulement dans un livre du professeur suisse Peter Brang cet Institut est présenté comme un établissement qui proposait des cours de diction ; dans sa thèse de doctorat, le chercheur américain Michael Gorham le considère comme important pour les cours de la formation de futurs propagandistes bolcheviks. C’est la raison pour laquelle le nom bizarre de cet Institut, difficilement traduisible dans des langues étrangères, ainsi que son programme particulier ont attiré notre attention.

Notre analyse de l’activité de cet Institut montre qu’il a joué un grand rôle dans la constitution des nouveaux courants scientifiques aussi bien en linguistique que dans d’autres sciences humaines.

 

Viktorija SAIDI (Lausanne)

Le problème de la nomination de la langue ukrainienne

 

Petit russe, russe méridional, ruthène, russien et enfin, ukrainien, autant de noms attribués à une seule langue à des époques différentes et par des pouvoirs différents.

   Le problème consiste en ce que le territoire de l’Ukraine actuelle fut partagé entre deux empires. En Petite Russie (l’Ukraine centrale et orientale) qui faisait partie de l’Empire Russe, la population fut nommée Petits Russes, la langue : le petit russe, le russe méridional (malorossijskij, južno-russkij jazyk). L’ethnonyme ukrainien a évincé complètement celui de petit russe sur ce territoire seulement au début du XX siècle. En Galicie Orientale (aujourd’hui c’est l’Ukraine occidentale), annexée à l’Autriche-Hongrie en 1772, le peuple se qualifiait de Rusyny, la langue fut appelée rus’kyj jazyk ou rus’ka mova (avec un seul «s») qu’on traduisit par russien; ces noms sont  liés avec la Rus’ Kieviènne. Le nom ukrainien n’est apparu ici qu’à la fin de XIX siècle.

    Certains chercheurs estiment que l’utilisation d'n si grand nombre de désignations pour un peuple, considéré depuis des siècles comme une communauté historique, et par conséquent pour une langue, est assez incommode, et proposent d’appliquer rétrospectivement les termes Ukrainien, langue ukrainienne. D’autres se demandent : cette communauté fut-elle toujours prise comme historique ayant les mêmes frontières et représentant une unité autosuffisante et homogène ou était-ce une partie d’un « grand tout » ? A-t-on le doit d’appeler ukrainienne la langue de la revue Zarja Halyc’ka (1848, Lviv, Galicie Orientale)?

De là résultent de multiples controverses incessantes sur la légitimité d’utilisation du nom « ukrainien ».

On étudiera également les arguments linguistiques et non linguistiques pro et contra de l’emploi du terme « ruthène ».

Ce sont des problèmes relatifs aux dénominations des langues qui seront au centre de notre exposé.

 

Margarita SCHOENEBERGER (Lausanne)

La langue, la culture et la norme linguistique dans les travaux de G.O.Vinokur (1986-1947) : de la «stylistique linguistique» de Vinokur à la «théorie des styles fonctionnels» de D.N.Šmelev (1926-1993).  

 

Dès le XIXe s., la linguistique européenne prône un point de vue objectif dans l’étude des faits linguistiques : les notions comme «norme» ou «progrès» de la langue sont bannies de la démarche du linguiste. La linguistique russe, soviétique et post-soviétique garde explicitement parmi ces objectifs l’étude (théorique et pratique) de la norme linguistique, ce qui lui confère un statut particulier et intéressant.

Le linguiste moscovite G.O.Vinokur élabore dans les années 1930 une nouvelle discipline linguistique qu’il appelle «stylistique» et qu’il distingue d’une stylistique littéraire. Cette discipline vise à étudier l’usage d’une langue, c’est à dire ses normes conditionnées «culturellement», ce qui permet à Vinokur de distinguer plusieurs «styles» dans une langue. La définition du terme «style» est proche de celle du cercle linguistique de Prague dont les travaux sont bien connus de Vinokur.

Dans les années 1970, en Union soviétique se voit développée la théorie linguistique «des styles fonctionnels» qui revendique aussi bien une filiation avec les praguois qu’avec Vinokur. Or, elle présente des différences importantes avec les uns et l’autre, aussi bien sur le plan théorique que pratique.

 

Elena SIMONATO (Lausanne)

Langues et politiques linguistiques en Asie Centrale soviétique : les enseignements de Polivanov

 

Qui était Evgenij Dmitrievič Polivanov ((1891-1938) que l’on connaît comme prodigieux polyglotte, agent du gouvernement soviétique, et même comme un personnage mythique (Genty, 1977)[1]? Dans cet exposé, nous éclairons le parcours de ce linguiste depuis ses études à l’Université de Saint-Pétersbourg et ses activités d’enseignant aux recherches qu’il mena en Asie Centrale.

Au-delà de sa biographie, nous analysons son implication dans l’édification linguistique en Asie Centrale. Polivanov a contribué à élaborer les principes généraux qui guidèrent la politique linguistique dans les républiques turkophones de l’URSS. Il étudia notamment les dialectes ouzbeks, ainsi que les anciennes langues littéraires du Turkestan (notamment, le tchaghataï). Il entreprit également des recherches sociolinguistiques en vue de choisir sur quel dialecte se fonder pour élaborer l’ouzbek littéraire moderne, et, plus globalement, des études de linguistique sociale. Il s’occupa également de phonétique et de phonologie.

Son engagement fervent pour la cause de la « révolution graphique » a eu un double impact sur la destinée de ce scientifique : d’un côté, il lui fit écrire ses meilleurs ouvrages et mûrir des idées d’avant-garde, mais de l’autre, il scella sa destinée en le confrontant à N. Marr.

 

Anne-Gaëlle TOUTAIN (Paris-III)

Système de valeurs saussurien et linguistique structurale : Hjelmslev, Jakobson, Saussure

 

Le concept de structure, fondamental dans la linguistique structurale, et conçu par les protagonistes de celle-ci comme un prolongement de la notion saussurienne de système, nous semble cependant relever d’une problématique profondément différente de la problématique saussurienne. Ainsi peut-on montrer que, chez Hjelmslev comme chez Jakobson, ce concept se construit dans le sillage d’une réélaboration de la distinction saussurienne forme/substance. Tandis que chez Saussure, en effet, forme et substance ne se situent pas sur le même plan, la substance étant un existant, alors que la forme est un attribut descriptif constitutif d’un concept – le concept de langue –, les linguistiques hjelmslevienne et jakobsonienne construisent la forme comme un existant, s’inscrivant ainsi dans la problématique des rapports forme/substance, tout à fait étrangère à la perspective saussurienne. Se substitue ainsi, à la tentative saussurienne de constitution d’un concept de langue, le postulat de la légitimité de l’appréhension de la langue comme un existant formel, comme une structure, à partir du langage comme objet donné.

 

Mladen UHLIK (Lausanne / Ljubljana)

Comparaison franco-soviétique de la sociologie face à la représentation de la « crise linguistique »

 

Nous entamons la comparaison de deux moments dans l'histoire de la linguistique où la sociologie du langage se présente comme une réponse à « la crise de la linguistique ». D’une part, nous prenons les exemples de certains linguistes soviétiques (comme Volosˇinov, Jakubinskij et les membres du groupes Jazykofront) qui, dans les premières décennies de l’URSS, essayèrent de remplacer l’ancien modèle de la linguistique historico-comparative (qu’ils se représentent comme individualiste) par une mise en perspective sociale de la langue. D’autre part, nous abordons la sociologie du langage de Pierre Bourdieu, qui tenta, à la fin des années 1970, en utilisant des métaphores empruntées à l’économie, de discréditer la linguistique structurale (jugée, trop abstraite) et de proposer une explication sociale de « ce que parler veut dire ». Nous essayerons ainsi de trouver les points communs et les points de divergence de ces deux sociologies du langage.

Mots-clé : Bourdieu, sociologie du langage, valeur sociale, polysémie des signes

 

Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne)

La « slavistique fantastique » de N. Marr : peuples et langues slaves  dans la « nouvelle théorie du langage »

 

Même si dans la dernière période de son activité linguistique N.Ja. Marr (1864-1934) a renoncé aux notions mêmes de familles et de groupes de langues, il continuait néanmoins à utiliser la notion de langues slaves dans ses travaux. Qu’entendait donc Marr par Slaves et langues slaves ?

Pour expliquer la formation des langues et de leurs groupes, Marr a recours, avant 1923-1924, comme dans sa théorie de la nation, à la notion d’hybridation. Et de la même façon, il ne renonce pas à cette notion plus tard, passionné déjà par l’unité du « processus glottogonique ». Marr souligne par exemple en 1926 que les langues slaves, à l’instar de tous les autres groupes linguistiques, se sont constituées par hybridation, se sont formées sur la base d’éléments et de « couches » linguistiques qui existaient déjà avant, dans d’autres langues. Or, peu importe l’explication choisie par Marr quant à l’existence des langues slaves: il insiste, comme il le faisait pour la nation slave, sur le caractère « mythique » de la « pureté [ontologique]» des langues slaves et parle du « mirage » d’une « proto-langue » slave.

L’analyse de cet aspect de la « nouvelle théorie du langage » permet de voir sous un autre angle une étape particulière de l’histoire de la slavistique et donne une réponse à la question de savoir pourquoi Staline a décidé d’intervenir officiellement contre le marrisme en 1950.

 

 

— Professeurs invités :

 

— Jurij KLEJNER (Saint-Pétersbourg)

1) Teaching the history of linguistics at Saint-Petersburg University

“History of Linguistics” is a compulsory course in the curricula of all Russian Universities (both undergraduate and graduate level). At the State University of St. Petersburg, it is also part of several research projects, including the “Historigraphia Linguistica” Internet Site and Journal. The teaching- and research programs are based on two major approaches, complementary, rather than contradictory, focusing on the linguistic and the historical and cultural aspects of the problems under study.

 

2) The history of linguistics as linguistics and history

 

The history of linguistics is connected with several paradoxes, one of these being the discrepancy between it as a science and the well-known maxim, A true science has no history. Another paradox is that although the earliest scholars used language as the object of study, linguistics did not appear until the 19th century or even later. It is only natural to ask, in this context, when the human interest in language transformed itself into the science of language, what mechanisms were responsible for this transformation, and what are the features that discern this science from other types of activities, in which language is involved, either as the object or a tool of study.

The history of linguistics can be regarded as part of the history of culture, with facts, ideas and personalities arranged both chronologically and territorially (Egypt and the Near East, India, China, Greece, Rome, etc.). Among other things, this approach reaveals factors responsible for the interest in language, such as human self-awareness, contacts with foreign speakers, the recognition of dialect cleavage within a speech community, ethnic or national identification, etc. These factors determine similar practices come across at different periods and localities (creation of alphabets, lexicography (Babylon and Medieval Germany), descriptions and manuals of Greek, Latin and vernacular languages, manuals for poets (Ireland and Provence), etc.), which, in turn, presuppose certain techniques of language description and analysis, as well as the units obtained as a result of the application of these techniques to different types of languages (morpho-syllables in syllabic languages, letters/phonemes in Western Semitic writing and in Greek, parts of speech in Greek and Latin, etc.). In this context, the type of language can and must be regarded as a factor, in its own right, that ought not to be neglected by historians of linguistics.

Another, diachronic approach implies presentation of the factors belonging to one and the same tradition (e.g. Western European) as synchronic patterns, also arranged into a chronological succcession, but including cause-and-effect relationship. The aim of it is to trace the evolution, from the stage of linguistic conciousness, through “folk linguistics” (Robins) to a science with procedures and the units they yield.

The evolution can be traced “downwards”, as in linguistic reconstruction, with any period chosen as a terminus ad quem situation. This can be instrumental in discovering lacunae, not only in the studies in the history of linguistics, but also in lingusitcs itself, which, for various reasons, may have neglected the predessesors’ (or contemporaries’) achivements, cf. Kury?owicz’s neglect of Aristotle’s definition of the syllable, which has not only historical value.

Unlike human history, the history of linguistics is subject to reversal on the basis of such “reconstructions” or, rather, re-discoveries, with the aim of creating, ideally, truly scientific paradigms.

Hence, the last paradox: Linguistics may become a science separated from its history, but only due to the efforts of its historians.

 

 

— Christian PUECH (Paris-III)

 

I.  L’historien des idées linguistique serait-il une sorte d’antiquaire ? 

 

L’histoire des idées linguistiques a connu un développement impressionnant dans la période récente (depuis une trentaine/quarantaine d’année). Ce développement a impliqué ou entraîné un quadruple mouvement très…mondialisé:

a) spécialisation d’un domaine par mobilisation conjointe de compétences variées (philosophique, linguistique, historique, épistémologique…)

b) généralisation relative des règle qui gouvernent le domaine à partir de notions « englobantes » (traditions grammaticales, accrétion, outils linguistiques, cynosure, horizons de rétrospection ou de projection, disciplinarité et disciplinarisation des savoirs …). Ce niveau de généralisation relative ouvre à la discussion largement internationale le champ de ce que certains historiens de la linguistique nomment depuis quelques années « métahistoriographie ».

c) Accroissement de l’empan historique et géographico-culturel de l’histoire des idées linguistiques, mettant à jour des continuités et discontinuités dans les modes de constitution, transmission, circulation des savoirs linguistiques (les traditions…). De ce point de vue, l’histoire des idées linguistiques acquiert une dimension « anthropologique » évidente (dans quelles condition une culture ressent-elle le besoin de développer un savoir méta-linguistique ? Avec quelles conséquences ?).

d) Problématisation d’une « rationalité » méta-linguistique étroitement liée à la fois à des technologies fondamentales (écritures, grammaires et dictionnaires, traitement automatique des langues…) et à des mutations socio-politiques (découvertes des nouveaux mondes, scolarisation, nationalismes, organisation sociale des savoirs…).

Mais dans quelle mesure ces avancées concernent-elles la production scientifique « actuelle » ? Quel rapport entre l’histoire des idées linguistique et l’actualité de la linguistique ? Ces questions de grande ampleur peuvent avoir un champ d’application plus restreint : quelle place pour l’histoire des idées linguistique dans l’enseignement de la linguistique, dans la formation à la recherche, dans une Ecole Doctorale de linguistique ?

On peut aussi se pencher sur les réponses apportées à la question de « l’utilité » de l’HIL en dépouillant systématiquement les réponses apportées à cette question récurrente dans les Actes des colloques ICHOLS depuis le premier (Ottawa, 1978).

A partir de ce corpus (et d'autres éléments), peut-on esquisser non une réponse mais un champ de problèmes que certains historiographes de la  linguistique ont fini par baptiser "métahistoriographiques"? Lesquels? En quel  sens est-on fondé à parler de "métahistoire" de la linguistique? Quel rapport avec les objets linguistiques eux-mêmes et leur théorisation?

Dans un 2° temps, et dans le fil du n° d'HEL  XVIII Fasc. 1 (2006) que j'ai coordonné, j'aborderai donc la question de "l'usage réel" (des usages) du passé dans l'histoire des idées linguistiques: finalités, types de représentations du passé, évolution au cours du temps, division du travail savant...

 

II.  2° conférence

Historicité du Cours de linguistique générale de F. de Saussure

 

On a volontiers pensé récemment la « découverte » / « re-découverte » des manuscrits de F. de Saussure dans les termes d’un « retour » à Saussure (Milner, Bouquet, Rastier, Bronckart, Maniglier…). On prendra cette expression à la lettre pour ce demander en quoi un retour sur le passé est ou n’est pas de l’histoire.

 

Que veut dire aborder le CLG en historien aujourd'hui? De quoi est faite l'historicité du Cours? Quelle est la place des manuscrits dans cette histoire? Quel type de temporalité règle la redécouverte périodique du corpus saussurien?  A quoi sert aujourd'hui cette  représentation du passé proche de la discipline?

Ce sera donc comme l'application à un cas (qui pose un problème particulier de proximité temporelle) des considérations de I.

La question de l’historicité des idées linguistiques (et non plus seulement celle de l’histoire des idées linguistique comme champ de spécialité) sera au centre de l’exposé.

 

 



[1] GENTY, C., 1977 : « Entre l’histoire et le mythe : E.D. Polivanov », Cahiers du monde russe et soviétique, juil.-sept., p. 275-303.