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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-иссдедовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


— 3e cycle romand : Russie / Allemagne / France : relations intellectuelles croisées
Troisième rencontre : «
Organique / mécanique»
10-12 décembre 2009
Organisation :
CRECLECO / Section de langues slaves  (Université de Lausanne)
Lieu : Leysin

précédente rencontre : décembre 2008
Les mystères de l'Asie Centrale sont enfin dévoilés La science sait être belle et joyeuse Désormais, nous savons ce que signifie «slovo» dans la culture russe
Ecoute Adieux sur le quai de la gare



 
Programme

Jeudi 10 décembre 2009

— 9 h 30 Accueil des participants

— 9 h 45 Patrick SERIOT (Lausanne) Présentation

— 10 h Mladen UHLIK (Ljubljana-Lausanne):

L’évolution du langage dans les travaux de Baudouin de Courtenay

— 11 h 00

Pause

— 11 h 00

Svetlana GORSHENINA (Lausanne) :

Le positionnement du Centre en Asie: le flou des critères chez les scientifiques et administrateurs russes et européens aux XIXe-début du XXe siècles

— 12 h 30 Repas

Après-midi 

— 14 h 00

Virginie SYMANIEC (Paris)  :

Les Russes sont-ils des Ruthènes ou les Ruthènes sont-ils des Russes ou Pourquoi nommer le même par des noms différents ?


— 15 h 00

Ljudmila FIRSAVA (Lausanne) :


Langue maternelle en Biélorussie: affaire personnelle de chacun ou la lutte pour la bonne cause

— 16 h 00 Pause

Atelier-Table ronde

« L’Ecole de Tartu-Moscou à travers le prisme de la pensée “occidentale”» (organisé par Ekaterina Velmezova)

— 16 h 30

Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) :

Le modèle de Schleicher renversé ou continu ? La méthode de la reconstruction sémantique chez les sémioticiens de l’Ecole de Moscou

— 17 h

Tatiana ZARUBINA (Lausanne) ;

Kul’turologija : rupture ou continuité ?

— 17 h 30

Emmanuel LANDOLT (St.Gall-Lausanne):

Comparaison épistémologique entre la sémiotique russe et française (Kristeva/Lotman.): histoire d'un dialogue impossible.

— 18 h 00 Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) : Discussion. Enjeux et bilans de l’Atelier-Table ronde




Vendredi 11 décembre 2009

— 9 h 00

Ekaterina DMITRIEVA (Moscou) :

Mémoires imbriquées  et constructions croisées d'un concept de culture autour de 1800 (Russie-Allemagne-France)

— 10 h 00

Pause

— 10 h 30

Anne-Marguerite FRYBA (Berne) :

Le débat autour de la classification des sciences: la position de l'Ecole de Genève

— 12 h 00 repas

Après-midi 

— 14 h 00

Anastasija FORQUENOT DE LA FORTELLE (Lausanne):

La théorie du mot poétique: les symbolistes russes à l'encontre du symbolisme français

— 15 h 00

Morteza MAHMOUDIAN (Lausanne):

Langue, pensée, signification

— 16 h Pause

— 16 h 30 Donatella FERRARI-BRAVO (Florence):

Le concept de slovo dans la pensée linguistique et littéraire russe: un puzzle

— 17 h 30

Kalevi KULL (Tartu) :

A spread of semiotic biology from Tartu via Baltic Germans to Russia and Germany



Samedi 12 décembre 2009

— 9 h 00

Vladimir FEŠČENKO (Lausanne-Moscou):


Aux sources de la 'conceptologie' russe : la philosophie du mot de S.A. Askoldov

— 10 h 00

Pause


Atelier

« Les emprunts dans la linguistique »

— 10 h 30

Elena SIMONATO (Lausanne) :

Les discours sur l’emprunt dans la linguistique soviétique : sources, débats, enjeux

— 11 h 00

Sébastien MORET (Lausanne):

Drezen et le problème de la terminologie internationale des sciences

— 11 h 30 Elena SIMONATO (Lausanne) :

L’édification linguistique (terminologie des langues turkes)

— 12 h 30 Repas




RESUMES :

 

— Ekaterina DMITRIEVA (Moscou) : Mémoires imbriquées et constructions croisées d'un concept de culture autour de 1800 (Russie-Allemagne-France)

Dans les trois aires culturelles française, russe et allemande le concept de culture est un concept opératoire, un outil qui permet d'analyser l'histoire intellectuelle et matérielle de la société. Il ne peut être correctement exploré que sur la base des mécanismes d'actualisation de mémoires culturelles imbriquées. Dans quelle mesure le concept de culture a-t-il, dans les divers contextes où il est employé, une valeur herméneutique, réflexive ? Les définitions et les emplois du concept de culture peuvent-ils apparaître comme une autoperception du contexte dans lequel ils ont pris corps ?

Dans l’analyse du concept de culture, on ne mettra pas l'action sur des différenciations déjà bien recensées dans de nombreuses méthodes d'initiation aux sciences sociales, à l'ethnologie etc., mais on privilégiera les interrelations, les systèmes de renvoi et d'écho entre les diverses conceptions nationales et aussi la manière dont chacune des conceptions mises en présence aborde la question de l'interculturalité, des échanges entre cultures. On se demandera dans quelle mesure il est légitime d'opposer une culture ethnologique à une culture littéraire, une culture matérielle à une culture intellectuelle, et si l'ampleur relative du champ sémantique reste la même dans chacun des domaines.

L'autre enjeu de l`intervention serait également de mettre en évidence un piège, inhérent au concept opératoire russe de la culture. On pourrait parler en préalable d`une contradiction profonde entre l'ambition métaphysique et ontologique de la réflexion russe sur la culture et sa vitalité créative :  la réécriture intellectuelle et matérielle de la vie par un individu (ou groupe d'individus) pensant la culture.

La réflexion sur la culture n`apparut en Russie qu`assez tardivement. On ne retrouve pas le mot culture dans le Dictionnaire de la langue de Pouchkine. Sa première utilisation fixée dans des sources imprimées remonte seulement à 1837 (dans le dictionnaire, paru sous le titre Livre de poche pour les amateurs de lecture de livres et de revues russes). On y signale deux modes d`emploi du terme: culture dans le sens de cultiver, labourer la terre et culture comme instruction (homme cultivé), la deuxieme signification devenant vers le milieu du 19 e siecle de plus en plus courante et etant fixée par le fameux dictionnaire raisonné de Vladimir Dal’.

Par ailleurs l`autre concept binaire, celui de la civilisation, apparait dans le langage courant avant même celui de la culture, employé pourtant souvent en français, comme un terme intraduisible. Et c`est jusqu`au milieu du 19 e siècle que certains se prononcent contre l`usage du mot en l`inscrivant dans la liste des erreurs de la langue russe.

De façon précaire la réflexion sur la culture et civilisation apparaît chez les idéologues de l'occidentalisme, tel Piotr Tchaadaev qui pourtant rédige ses fameux Lettres philosophiques en langue française. Le terme culture y est employé deux fois, celui de civilisation six fois. Pourtant la toute premiere traduction des Lettres faites par Norov, et revues par Ketcher et Nadejdin (ce dernier étant éditeur de Tchaadaiev) évita soigneusement l`équivalent russe du mot culture, le terme de civilisation (civilizacija) n`y apparaissant qu`une seule fois, étant remplace par l`équivalent russe de formation (Bildung), la culture par lumière. Pourant à lire les lettres de Tchaadaev de près, on voit un aspect nouveau à apparaitre : aussi, parlant de l`Antiquité, commence-t-il à employer le mot civilisation au pluriel  en y suivant, à coup sûr, l`exemple de son ami Ballanche, qui fut le premier, tel l`avis de Le Fèvre, à employer le terme au pluriel le liant de telle façon à l'idée de l'historicité.

En ce qui concerne les slavophiles, adversaires idéologiques des occidentalistes, c`est le terme de lumières (prosvescenije) qui prend la place de celui de culture et de celui de la civilisation (je pense, entre autre, a l`article d`Ivan Kireevski Du caractère des Lumières en Russie). Plus encore, c`est le mot Lumières qui est considéré comme profondément russe, oppose, par conséquent, à la civilisation en tant que terme européen. Force est de constater une connotation religieuse du terme dans la tradition russe : aussi Lumières et sainteté (sviatost) furent-ils employés quasiment comme synonymes par Gogol.

Aussi, quand les occidentalistes recouraient-ils au terme de civilisation, étroitement lié, dans leur mode d`emploi, au droit civile, opposaient-ils ce concept à celui des Lumières, cher, comme on l`avait vu, aux slavophiles. Le resultat de cette dispute fut l'apparition d'un terme plus neutre, n'évoquant pas de mauvaises connotations et qui fut a cette époque celui de la culture.

 

 — Vladimir FEŠČENKO (Lausanne-Moscou) : Aux sources de la 'conceptologie' russe : la philosophie du mot de S.A. Askoldov

 L'exposé portera sur la philosophie du mot de S.A. Askoldov, reconstruite ici à la base de son article « Le concept et le mot » (1928). Cet article, repris en considération dans les années 1990 par les philologues russes Yu.S. Stepanov et D.S. Lixacˇev, éclaircie quelques étapes de l'émergence du 'conceptualisme' dans la linguistique russe.

En premier lieu, Askoldov met en évidence le lien entre les concepts cognitifs (dits scientifiques) et les concepts artistiques. J'explique ceci par le lien étroit entre la science et l'art qui était mis en valeur dans les années 1920 en Russie.

En deuxième lieu, dans son article, Askoldov développe sa vue par la critique de la tradition allemande de Begriffsstudien, particulièrement des idées d'Edmund Husserl. Le concept chez Askoldov est une catégorie plus vaste que le Begriff (je fait référence, par exemple, à la conception du logicien allemand Gottlob Frege).

En troisième lieu, Askoldov entend le concept comme une catégorie sémiotique. Le concept a « la fonction de substituer ». Pourtant, il la remplit d'une manière différente que le font la notion, le terme ou l'image. Le concept, selon Askoldov, est « une ébauche projective de l'action régulière sur le concret ». Contrairement à la notion, au terme ou à l'image, la structure du concept est dynamique et 'potentielle'.

Finalement, le mot en tant que partie organique du concept est traité par Askoldov suivant la tradition russe du symbolisme (dans la poésie et dans la science). Tout en acceptant l'avis de F. de Saussure sur la nature arbitraire du signe dans la langue quotidienne, Askoldov, cependant, met en relief le 'lien interne organique entre le mot et son sens' dans la poésie.

Bien que l'article d'Askoldov soit considéré comme l'origine de la 'conceptologie' russe, on peut constater que les études 'conceptologiques', tellement populaires dans la linguistique contemporaine russe, ont souvent peu en commun avec leurs sources originelles. Passionnés de reconstruire les 'images linguistiques nationales du monde', les 'conceptologues' contemporains ont la tendance d'oublier le contexte dans lequel les études des concepts sont nées en Russie dans les années 1920, ainsi que le sens impliqué par cette notion chez S.A. Askoldov.

 — Donatella FERRARI-BRAVO (Florence) : Le concept de slovo dans la pensée linguistique et littéraire russe: un puzzle

 Il est indiscutable que le sujet que j’aborde est ample et d’une difficulté certaine. Les moyens pour le décrire peuvent être nombreux et les considérations des plus variées. Quoi qu’il en soit, je voudrai attirer votre attention sur deux faits concrets et précis. Le premier est le nombre élevé de linguistes (même si je préfèrerai les appeler penseurs car leur réflexion théorique va de la linguistique à la philosophie du langage, à la théologie et à la sémiotique) qui se sont penchés sur ce problème et qui en ont fait le centre de leurs théories respectives. Le deuxième est que nonobstant la variété d’approche du concept de slovo et les différentes descriptions de celui-ci on peut relever un lexique commun qui suppose probablement l’appartenance des réflexions critico-théoriques qui sont sous-jacentes à ce lexique, à une même ligne ou matrice théorique datant de A.A. Potebnja qui traverse, tel un fleuve tourbillonnant riche d’innombrables ruisseaux, toute la pensée russe du XIXe et XXe siècles. 

En ce qui concerne le premier point, (le nombre élevé de philologues) nous nous référons à Potebnja, Askol’dov, Šklovskij, Meščaninov, Vinogradov, Bulgakov, Florenskij, Špet, Bachtin, Vinokur et bien d’autres encore. C’est dans cette centralité du concept et dans sa présence constante qu’il nous semble, entre autres, pouvoir identifier un trait caractéristique de la pensée russe qui, si elle n’est pas en contraste, se différencie certainement sur le plan théorique, d’autres positions, par exemple celle italienne. (En Russie on élabore en effet une poétique (qui portera au structuralisme) et en Italie on instaure une esthétique idéaliste). 

En ce qui concerne le deuxième point, (le lexique commun), il ne semble pas qu’il s’agisse d’une pure et simple question terminologique mais qu’il s’agisse plutôt d’une position théorique commune à ces grands philologues.

En bref, suivre les vicissitudes de ce concept à travers les philosophies linguistiques et existentielles les plus diverses signifie, en substance, retracer la pensée russe dans ses moments fondamentaux.  

Les questions relatives aux aspects symboliques, sémantiques, ontologiques ou encore gnoséologiques du langage trouvent un élément commun, productif et à certains égards également définitoire dans le slovo.

 — Ljudmila FIRSAVA (Lausanne) : Langue maternelle en Biélorussie: affaire personnelle de chacun ou la lutte pour la bonne cause.

 Dans mon intervention, j'ai l'intention de parler de la notion de la langue maternelle dans la Biélorussie d'aujourd'hui. C'est le recensement récent et les débats qui y entourent la question sur la langue maternelle des Biélorusses, qui m'ont poussée à réfléchir et à me pencher sur ce problème.

Les Biélorusses, dont la plupart utilisent dans la vie quotidienne la langue russe ou le mélange entre les deux langues (le russe et le biélorusse), appellent souvent (et le recensement actuel et le précédent (dont les résultats sont connus) le prouvent) le biélorusse en tant que leur langue maternelle. Est-ce que les gens eux-mêmes se trompent quant à leur langue maternelle? Que veut-il dire pour eux cette notion? Et pourquoi, s'ils parlent dès l'enfance une langue, ils avancent une autre en tant que leur langue maternelle mais ne la parlent pas.

Avant le recensement de cette année, il y avait des appels (quant à moi, je les ai vus sur les sites biélorusses) envers les gens, p.ex., de la part de la Société de la langue biélorusse, d'indiquer que leur langue maternelle est le biélorusse, ce qui devrait servir la bonne cause d'aide à cette langue maintenant quant elle vit une période très difficile. Si c'est cet appel qui suggère les gens quelle réponse donner à la question concernant la langue, quelle serait leur propre opinion à eux?

Sans promettre de pouvoir répondre à toutes les questions posées, je ferai une tentative d'analyser la situation présente et d'essayer de la comprendre et de la faire comprendre.

 

 — Anastasia FORQUENOT de LA FORTELLE (Lausanne) : La théorie du mot poétique: les symbolistes russes à l'encontre du symbolisme français.

Le but de notre communication est de confronter, à travers une analyse comparatiste, le programme métapoétique des symbolistes russes à celui de leurs prédecesseurs français.  Le fait que dans leur théorie du mot les symbolistes russes soient inspirés par l’expérience poétique de leurs prédécesseurs français – (Ch. Baudelaire, Paul Verlaine, St. Mallarmé), reste bien connu. Mais notre communication vise à remettre en question ce qui a été trop souvent admis par la critique littéraire comme une évidence. A savoir, le caractère imitatif de la première vague du symbolisme russe (la première génération) qui, selon de nombreux critiques, apparaîtrait – au moins du point de vue de sa théorie esthétique – comme une sorte de réplique russifiée du symbolisme français. En accordant trop d’attention à la technique de l’ecriture symboliste que les Russes ont trouvé chez les Français, on a trop souvent oublié que la fameuse théorie du mot en tant qu’unité musicale et suggestive exigeant la transfiguration de la chair verbale même, déjà chez Baudelaire, se démarquait d'une manière catégorique de l'approche du mot pratiquée par la poésie romantique. On s'est rarement posé la question également sur la vraie nature de cette restructuration profonde et irréversible de la relation unissant le nom à son référant, le mot à la chose – restructuration postulée par la théorie du mot telle qu'elle était développée par les premiers symbolistes russes.  Et c’est de ce point de vue, c’est dans la perspective de cette restructuration, qu’il semblerait intéressant de comparer les deux mouvements et, en révélant le clivage profond qui sépare l’ontologie du mot poétique créé par la poésie symboliste russe et celle que génère la poésie symboliste française, s'interroger sur la particularité de la direction où s'est engagée la poésie russe du XXème siècle tant sur le plan de l'écriture que sur le plan de la réflexion métapoétique.

 

— Anne-Marguerite FRYBA (Berne) : Le débat autour de la classification des sciences: la position de l'Ecole de Genève. La classification des sciences et la délimitation de la linguistique

Sciences historiques versus sciences naturelles ? Geisteswissenschaften versus Naturwissenschaften ? Positivisme versus Idéalisme ? Linguistique versus Philologie ?

Les débats autour de la classification des sciences et de la délimitation de la linguistique ont connu un vif succès dans l'Europe de la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle.  A Genève, un élève de Saussure publie, après avoir passé une dizaine d'années en Allemagne et en Bohême, un ouvrage qui attire l'attention de la communauté européenne des linguistes, philologues, philosophes, psychologues. Nous relirons Programme et méthodes de la linguistique théorique (1908) d'Albert Sechehaye et passerons en revue la réception dans la perspective des transferts culturels avant de nous interroger sur les mécanismes à l'œuvre lors de l'apparition de toute nouvelle discipline en voie d'institutionnalisation.

 

 — Svetlana GORSHENINA (Lausanne) : Le positionnement du Centre en Asie: le flou des critères chez les scientifiques et administrateurs russes et européens aux XIXe-début du XXe siècles

Cette communication portera sur les discours qui, au XIXe et au début du XXe siècle, ont animé les sociétés savantes et les élites politico-administratives russes et européennes sur le thème symbolique du positionnement du Centre en Asie. Plusieurs grilles de lecture seront appliquées au cours de l’analyse afin de comprendre les rapports entre les notions scientifiques, les ambitions géopolitiques et les préoccupations pratiques de gouvernance propres aux diverses situations coloniales existant en Asie centrale. Cette analyse fera apparaître les particularités de chacun des discours prononcés par les divers acteurs dans le cadre du transfert culturel entre l’Europe et l’empire russe des idées relatives à la centralité.

— Kalevi KULL (Tartu) : A spread of semiotic biology from Tartu via Baltic Germans to Russia and Germany

Karl Ernst von Baer and Jakob von Uexküll developed an approach in biology that emphasised the ecological, cognitive, and structuralist aspects of living systems and has been critical towards the Darwinian core mechanism of evolution. This approach had followers in Germany, Russia (e.g., Nikolay Danilevsky, and the nomogenetic school), and France (e.g., Georges Canguilhem), together with further interdisciplinary influences. Baer-Uexküll approach is nowadays considered as an important root in biosemiotic studies.

 

— Morteza MAHMOUDIAN (Lausanne) : Langue, pensée, signification

 L’objet de la communication est le lien entre langue, pensée et signification. Certains courant de la linguistique structurale du XX-ème siècle ont conçu ces liens comme une détermination unilatérale, suivant en cela les idées de Humboldt. Pareilles thèses — du moins sous certaines formes —  soulèvent des questions :

·      Du constat de similitudes entre langue et pensée peut-on conclure que c’est l’une qui détermine l’autre et non l’inverse ?

·      Si la pensée dépend de la langue, ne s’ensuit pas que préalablement à l’acquisition du langage, le sujet n’a pas de pensée ?

·      Pour illustrer les liens de la langue avec la pensée, on emprunte souvent des exemples à la signification des mots. Ne risquerait-on pas ainsi de postuler des limites indues à la pensée ?

·      Le débat sur la dépendance (ou l’interdépendance) entre langue et pensée ne repose-t-il pas sur l’hypothèse — implicite — de l’homogénéité des deux ?

En définissant précisément l’objet du débat, et en tenant compte des variétés et de la langue et de la pensée, on sera amené à concevoir comme complexes et multiformes les deux objets — langue et pensée — et à la fois leurs interrelations.

 

 — Virginie SYMANIEC (Paris) : Les Russes sont-ils des Ruthènes ou les Ruthènes sont-ils des Russes ou pourquoi nommer le même par des noms différents ?

Nous allons nous intéresser à un texte publié par deux auteurs différents et qui obtint trois visas de censure en moins de trente ans. « Sur le sens des mots : Russkij jazyk’ et Russkoe narěčie » (O značenii slov’ : Russkij jazyk’ i Russkoe narěčie), d’abord signé par le chanoine uniate Ioan Moguilevskij[1], avait été publié une première fois, traduit du ruthène en polonais, dans le journal scientifique de Lvov (Czasopism Naukowy, 1829). Puis, il avait été édité en russe dans le très officiel premier livre du Journal du ministère Russe de l’Instruction publique (Žurnal’ ministerstva narodnago prosvěščenija), sous les presses de l’Académie impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg en janvier 1838. Un peu moins de vingt années plus tard, le même article était repris, cette fois sans spécification de nom d’auteur, dans le second volume des Notes sur la Russie méridionale (Zapiski o Južnoj Rusi, 1856) de l’Ukrainien Pantelejmon Aleksandrovič Kuliš (1819-1897), membre de la célèbre revue Osnova et auteur d’un des premiers précis d’orthographe (pravapis) de l’ukrainien moderne encore dénommé aujourd’hui kulišoùka. Dans cette nouvelle livraison, P. A. Kuliš exprimait son désir d’étudier de plus près la Petite Russie (Malorossija), qu’il dénommait également Rus’ méridionale (Južno Rus’), à une époque où les écrits la concernant s’étaient multipliés et où de nombreux auteurs, souvent originaires de la région, exposaient jusqu’à leur « soif » (žažda) d’exhumer l’histoire et les faits ethnographiques locaux. Ce texte, d’abord écrit par un uniate opposé à la Couronne de Pologne et plagié trente ans plus tard par un auteur que les historiens classent généralement parmi les nationalistes ukrainiens pour avoir donné une grammaire à la langue du même nom, suffirait à montrer que des écrivains et des éditeurs de sensibilités politiques opposées partageaient en fait exactement les mêmes présupposés… à quelques équivoques près sur le sens du mot russkij que nous nous proposons ici d’analyser.

 

Mladen UHLIK (Ljubljana-Lausanne) : L'évolution du langage dans les travaux de Baudouin de Courtenay

Contrairement à la plupart des recherches des néo-grammairiens, les intérêts de Baudouin de Courtenay ne se limitent pas aux problèmes des histoires de langues particulières : ses études visent aussi à déceler des régularités dans l’évolution du langage humain en général. Notre travail tente de présenter certaines de ses conceptions évolutionnistes et d’éclairer ses positions quant à la méthodologie et l’objet de la linguistique dans l’étude des histoires des langues et de l’évolution langagière.

Ces réflexions nous serviront de base pour montrer dans quelle mesure les idées de Baudouin de Courtenay se distinguaient des points de vue de Ferdinand de Saussure.  Le corollaire de cette étude nous amène à vérifier l’hypothèse (omniprésente dans l’historiographie de la linguistique russe)  selon laquelle Baudouin aurait déjà formulé avant Saussure toutes les grandes idées qui seront annoncées ultérieurement dans les Cours du linguiste genevois.

 

 

Ateliers

 

Atelier – Table ronde :

« L’Ecole de Tartu-Moscou à travers le prisme de la pensée “occidentale”» (organisé par Ekaterina Velmezova)

 Evénement particulier de la vie intellectuelle soviétique, l’Ecole sémiotique de Tartu-Moscou, comme toutes les autres, avaient ses propres sources et ses précurseurs, y compris « occidentaux » – d’autant plus que certains échanges de ses membres avec leurs collègues « occidentaux » méritent, elles aussi, une attention profonde de la part des historiens des idées. Les participants de l’Atelier – Table ronde proposeront une analyse de plusieurs aspects de l’activité intellectuelle de cette école en se penchant entre autres sur les questions suivantes :

1)    Quelles furent les prémisses théoriques « occidentales » (parfois non évidentes) de cette Ecole ?

2)    Quels furent les rapports intellectuels (parfois ratés) des sémioticiens soviétiques avec leurs collègues « occidentaux » ?

Quelles furent les conséquences des influences « occidentales » sur l’évolution et l’histoire (interne, ainsi qu’externe) de cette Ecole ?

 

— Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) : Le modèle de Schleicher renversé ou continu ? La méthode de la reconstruction sémantique chez les sémioticiens de l’Ecole de Moscou

 D’après les sémioticiens de l’Ecole de Moscou, l’une des directions les plus fortes de leurs recherches est liée à la reconstruction du « mythe de base » de la mythologie indo-européenne. Parmi les principes sur lesquels l’idée même de cette reconstruction se base, il y a celui de la reconstruction sémantique. Dans un travail consacré à A. Schleicher, V.N. Toporov, l’un des fondateurs de l’Ecole sémiotique de Moscou, en dressant le bilan d’une évolution plus que centenaire de la reconstruction historique en linguistique, a exprimé sa conviction que la reconstruction des formes linguistiques chez les indo-européanistes avait atteint ses limites et a proposé de mettre l’accent sur la reconstruction sémantique. En analysant la méthode de la reconstruction sémantique chez les sémioticiens de Moscou, nous essayerons de répondre à la question de savoir s’il s’agissait d’un renversement du modèle de Schleicher ou de la continuation de la même ligne dans la pensée linguistique.

 

— Tatiana ZARUBINA (Lausanne) : Kul’turologija : rupture ou continuité ?

L’idée de la culture comme fondement dans la recherche de « l’identité russe »  refait surface en Russie dans les années 1990, à l’époque postsoviétique. La discipline qui s’est chargée de cette quête identitaire est celle de kulturologija qui n’est pas une désignation neutre de l’étude de culture libre des jugements de valeur. La fonction de kulturologija dans la société russe actuelle est de donner des réponses à des questions du genre : « Qui sommes nous ? et Où allons- nous ?».

Dans leurs articles respectives consacrée à la kul’turologija, Marlène Laruelle et Jutta Scherrer exposent et argumentent une idée intéressante : kul’turologija qui clame une rupture radicale par rapport au marxisme soviétique en réalité n’est que sa continuité. Cela se voit dans les méthodes d’analyse, dans le désir de l’explication intégrale du monde, sa relation avec la vérité, etc.

Nous réjoignons entièrement les thèses de M.Laruelle et J.Scherrer. Mais nous voudrions aller plus loin et faire une hypothèse qu’il existe une certaine continuité malgré une rupture apparente sur les plans politique, idéologique et économique entre les sciences humaines du XIXe siècle en Russie (plus particulièrement dans les recherches sur la culture et l’identité), le marxisme soviétique et la kul’turologija de la fin du XXe siècle.

 

— Emmanuel LANDOLT (St.Gall-Lausanne): Comparaison épistémologique entre la sémiotique russe et française (Kristeva/Lotman.): histoire d'un dialogue impossible

Il est intéressant aujourd’hui de se pencher rétrospectivement sur un épisode intéressant de l’histoire des échanges intellectuels franco-soviétiques en examinant les rapports entre la sémiotique française de la fin des années 60 (Barthes, Kristeva) et les travaux de Lotman. Les différences méthodologiques et conceptuelles entre les deux paradigmes sont si fortes qu’elles nous interrogent sur deux mouvements parallèles dont les présupposés métaphysiques et théoriques diffèrent radicalement. A partir de l’article introductif de Kristeva à la nouvelle sémiologie en URSS paru dans Tel Quel et les malentendus que celui-ci véhicule nous allons essayer de reconstituer cette rencontre manquée entre les deux penseurs, et interroger plus largement les rapports entre ces deux destins intellectuels aux évolutions riches et fertiles qui dessinent une image assez complète de l’histoire des idées au XXe s.. Si Kristeva croyait trouver en Lotman un allié théorique, un dissident affiché, un contempteur de la pensée petite-bourgeoise, un marxiste convaincu, elle avait de facto en face d’elle son plus bel ennemi. C’est l’histoire théorique de ce quiproquo qu’il faudra donc raconter.

 Les bilans et les enjeux de l’Atelier –Table ronde seront présentés dans la discussion de clôture animée par Ekaterina Velmezova.

 

 Atelier :

Les discours sur l’emprunt dans la linguistique soviétique : sources, débats, enjeux

 

Il est intéressant et important d’aborder la notion d’emprunt linguistique. Les enjeux de cette démarche sont à la fois linguistiques, sociaux et politiques.

Nous essaierons de dégager les enjeux plus profonds que cache ce discours, montrant que, ce qui semble à première vue une discussion technique, est en réalité une étape importante dans le développement de l’histoire de la socio-linguistique, et de la linguistique en général, puisqu’il renvoie à des problèmes qui dépassent le domaine de la linguistique pour entrer dans la politique et la sociologie. Les exposés proposés suivront l’ordre suivant :

 

1) Elena Simonato commencera par présenter les enjeux de l’intérêt pour la problématique de l’emprunt de la part des néogrammairiens et par esquisser les principes de base qu’ils ont défendus à cet égard.

L’acceptation des emprunts comme partie intégrante de la langue remet en question la vision de la langue comme unie. Car dans ce cas, on doit accepter que la langue n’est jamais libre d’influences étrangères. Le cadre de base de cette pensée est celui de l’interaction fondamentale de langues. Les idées des néogrammairiens seront revisitées à travers la critique de Troubetzkoy : l’existence d’unions de langues plus ou moins étendues témoigne de la fréquence du phénomène de la convergence linguistique et des emprunts, dont l’importance dans l’évolution des langues a souvent été sous-estimée par les néogrammairiens. Si l’arbre généalogique permet de bien illustrer l’effet de la divergence linguistique, il ne peut pas représenter les effets de convergence.

 

2) Ensuite, nous passons à la section centrale de notre exposé, dans laquelle nous nous proposons de décrire l’évolution du discours sur les emprunts par les linguistes soviétiques des années 1920-1930.  

Sébastien Moret présentera l’essentiel de l’argumentation au sujet des emprunts qui a été développée par les espérantistes soviétiques. Leur démarche s’inscrit donc dans les tentatives de rendre possible la communication entre les locuteurs des différentes langues.

Zamenhof, l’initiateur de l’esperanto, a veillé à ce que les emprunts soient divers et si possible communs à plusieurs langues, n’intégrant pas dans l’espéranto les cas où les langues avaient trop divergé. Zamenhof avait alors préféré mettre tous les locuteurs à égalité. Cette méthode, qui consiste à ne privilégier aucune langue, l'obligea à créer de nouveaux mots. Zamenhof a cherché la régularité et l'euphonie de l'esperanto, sans établir de règles précises pour les emprunts qu'il faisait aux langues européennes, et les choix qu'il a faits sont en large part arbitraires.

Les espérantistes soviétiques tels que Drezen se sont préoccupés notamment de la création de la terminologie internationale. Ses choix seront présentés en lien avec le contexte social et politique de l’époque.

 

3) Elena Simonato décrira l’évolution du discours sur les emprunts développé par les leaders de l'édification linguistique.

Dans les années 1920, on assiste à une politique de l’intervention consciente dans la langue, avec le mot d’ordre de changer la langue pour qu’elle corresponde à la pensée moderne. Les emprunts avaient une place de choix comme instruments de cette politique. Filin écrivait en 1931 : « Les concepts nouveaux, les nouvelles idées révolutionnaires sont communes pour toutes les nationalités de l’Union soviétique. Les changements dans la langue, engendrés par le nouveau contenu, consistent non seulement dans la mort  du lexique lié au quotidien d’avant la révolution, mais aussi dans l’enrichissement de la langue avec un flux de mots et de termes, ainsi que dans la casse de la structure de la langue, surtout de sa syntaxe et de sa morphologie ».

Le débat sur les emprunts lors de l’élaboration des langues « littéraires » en Asie centrale est symptomatique de l’évolution du discours sur les emprunts. Dans les années 1920, les emprunts du russe sont les bienvenus, présentés comme « termes universels de la révolution universelle ». Au contraire, vers le milieu des années 1930, avec le changement des options politiques de l’Union soviétique, leur place est reconsidérée. Pour n’en donner qu’un exemple, les thèses du Premier Plénum du Comité Central du Nouvel Alphabet (1933) comportent un paragraphe consacré aux grandes lignes recommandées dans le travail terminologique, à savoir bannir les russismes et les arabismes, ce qui reprend la thèse stalinienne (1931) des deux penchants dangereux: le nationalisme et le chauvinisme grand-russe. Enfin, après la guerre de 1941-1945, les emprunts au russe devaient réduire les différences entre les langues au profit du russe.

En conclusion, on reviendra sur la thèse selon laquelle on doit interpréter les discours sur les emprunts, non pas comme des discussions techniques, mais plutôt comme une polémique symptomatique  à chaque époque de l’évolution des théories linguistiques, et plus globalement, notamment à l’époque soviétique, comme une illustration du lien entre politique et linguistique. 

 

 



[1] Élie Borschak cite l’auteur de l’article sous le nom d’Ivan Mohyl’nyc’kyj, chanoine de la cathédrale gréco-catholique de Peremyšl (Borschak, 1949 : 30). Il s’agit bien en effet du même homme, très important pour l’histoire du nationalisme ukrainien, mais dont le nom fut russifié à la parution de l’article en 1838. Nous le citons tel que publié dans le journal du ministère russe de l’Instruction publique. Nous sommes alors à une année à peine avant l’interdiction de l’uniatisme en Russie.