Accueil | Cours | Recherche | Textes | Liens

Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- Patrick SERIOT : «Aux sources du structuralisme : une controverse biologique en Russie», Etudes de Lettres, Lausanne, janv.-mars 1994, p. 89-103.

[89]
        Les spécialistes en sciences humaines ont la responsabilité de faire connaître d'autres traditions, d'autres cultures, pour donner sens à la nôtre. Surtout lorsqu'il s'agit d'une culture comme la culture russe, si proche et si lointaine, qui n'est ni une altérité absolue comme la culture japonaise, ni pourtant parfaitement semblable à celle de l'Europe de l'Ouest. A l'heure où la Russie est déchirée par des bouleversements identitaires, faire l'histoire de sa linguistique revêt une importance primordiale : la «science russe» fait-elle partie de la culture européenne?

1. Des «suggestions venues de l'Est»

        C'est une sorte de lieu commun dans le monde occidental d'envisager l'histoire du structuralisme comme une évolution linéaire, partant de Saussure et allant vers C. Lévi-Strauss et R. Barthes en passant par des maillons intermédiaires à Prague et Copenhague dans les années vingt et trente. On trouve ainsi, à l'article «Structuralisme en linguistique» de l'Encyclopédie des notions philosophiques (Paris : PUF, 1992, p. 2470) (1) la mention suivante :

    Le terme «structuralisme» apparaît, en même temps que les méthodologies («l'activité») qu'il désigne et dont Saussure établit les bases de 1906 à 1911, en partie contre le positivisme de la grammaire historique. Dans les années trente, Trubetzkoy et Jakobson (à Prague), Bloomfield et Sapir (aux Etats-Unis) — les trois premiers fondent leur démarche sur la réflexion de Saussure (2) — isolent les unités distinctives minimales («phonèmes»). (p. 2470)

        Jakobson, abondamment cité en Europe occidentale et aux Etats-Unis pour ses travaux sur l'aphasie, son principe du binarisme, son in-
[90]
sistance sur les universaux, sa définition du phonème comme faisceau de traits distinctifs, est ainsi considéré comme un des "pères fondateurs" du structuralisme. Il en va de même pour Trubetzkoy, qu'un texte écrit par une linguiste serbe mais bien connu en Occident présente comme un pur et simple continuateur de Saussure :

        Ce n'est que de loin en loin qu'on voit apparaître des allusions à un apport propre, par exemple dans la présentation de l'ouvrage collectif Le langage (La Pléiade, 1968, p. XI), par A. Martinet :

        Vu de l'autre côté, cependant, le tableau change totalement. Dans une lettre adressée à Jakobson (28/1/31, LN:189), Trubetzkoy trouve «absolument révoltant» le fait que A. Mazon prétende retrouver les idées de Saussure dans le livre de Jakobson Remarques sur l'évolution du russe?(1927). De plus, après un voyage en Angleterre, Trubetzkoy est profondément choqué que les linguistes anglais les identifient (lui et Jakobson) «purement et simplement à l'école de Saussure». Il ajoute : «Cela nous fait quelque tort» (Lettre à Jakobson de mai 1934; LN, p. 299 ).(3)
        Les raisons d'un tel malentendu méritent d'être étudiées. Elles dépassent les simples distorsions entre variantes d'un même courant de pensée. C'est notre compréhension même du structuralisme tout entier qui en dépend.
        C'est que l'histoire de la nébuleuse appelée structuralisme est beaucoup plus tourmentée et contradictoire qu'il n'apparaît d'ordinaire dans
[91]
les manuels de linguistique. Elle a des étapes, certes, mais aussi des lieux, des itinéraires locaux, des variantes nationales. C'est la variante russe qui nous importe ici.
        La lecture des textes de Jakobson et Trubetzkoy s'apparente au déchiffrement d'un palimpseste. E. Holenstein (1975, 1976) y a longuement cherché un univers phénoménologique. G. Mounin avait raison d'y pressentir «tout un arrière-plan idéologique à dominante hégélienne» (1972, p.100). J'ai pour ma part essayé d'entrevoir les liens entre le concept de structure dans leur œuvre et la notion romantique de totalité (Sériot, 1993).
        Il reste encore bien des mystères, dont la présence obsédante saute aux yeux à la simple lecture de l'index des noms dans les Selected Writings de Jakobson. Il en va ainsi, par exemple, de J. de Maistre. Pourquoi le plus illustre représentant de la réaction catholique anti-révolutionnaire et anti-esprit des Lumières est-il convoqué si régulièrement par Jakobson, depuis les textes des années trente jusqu'aux Dialogues avec K. Pomorska (1980, p. 87)? Ce n'est sans doute «pas un hasard», selon l'expression favorite de Jakobson lui-même.
        Tout cela resterait bien énigmatique si on ne cherchait pas à connaître l'ensemble de leurs prérequis, des présupposés de leur monde épistémologique, ainsi qu'artistique, «idéologique» au sens large. Bref, à faire abstraction de tout ce qui s'est passé et écrit après eux, pour pouvoir dresser le tableau de ce qu'on savait, pensait, cherchait à Prague dans l'entre-deux-guerres quand on était un émigré russe. Il serait utile, par exemple, de savoir quels livres se trouvaient dans la bibliothèque de Jakobson et de Troubetzkoy. Ce dernier parle peu de ses lectures, même dans sa correspondance privée, Jakobson beaucoup plus. Mais on peut essayer de reconstituer leur univers intellectuel, leur bibliothèque idéale, apportant ainsi peut-être quelques correctifs à l'image habituellement perçue du structuralisme dans le monde occidental en cette fin de siècle.
        On propose ici d'explorer une nouvelle étagère de cette bibliothèque idéale : le fonds biologique, dans ses rapports avec ce qu'on appelerait
[92]
aujourd'hui l'écologie globale. En effet une partie importante des préoccupations, des manières de faire des Russes de Prague s'inscrit dans le contexte très précis de débats de l'époque dans le domaine de l'évolutionnisme en biologie, science qui concurrença longtemps la linguistique dans le rôle de pourvoyeur de modèles.
        Une lecture superficielle de l'œuvre multiforme de Jakobson pourrait faire penser que ses nombreuses diatribes contre le naturalisme de Schleicher en font un des principaux représentants d'une tendance sociologiste de la linguistique fort répandue à l'époque de Meillet :

        Pourtant on soutiendra ici la thèse que les deux principaux représentants russes du Cercle linguistique de Prague, à mille lieues d'un modèle sociologique du type de celui que Saussure a emprunté à Durkheim, s'appuyaient, tout comme Schleicher, sur une métaphore biologique, à ceci près que cette métaphore était résolument et explicitement anti-darwinienne, et que ce modèle biologiste était étroitement dépendant de la réception proprement russe du darwinisme. (4)

2. téléologie ou causalité?

        Le livre de Darwin L'origine des espèces, publié en 1859, est traduit en Russie en 1864. Il arrive à point nommé dans une Russie en pleine effervescence intellectuelle et idéologique après la défaite de Crimée (1855) et le début des grandes réformes d'Alexandre II (1861 : abolition du servage). La théorie darwinienne est acceptée avec enthousiasme, comme une vision totale du monde, par l'intelligentsia «radicale» russe, qui y trouve un appui pour son anti-idéalisme et son anti-romantisme. Darwin en effet rejette toute visée téléologique au
[93]
profit d'une explication de l'évolution en termes de causalité (lutte pour la vie, sélection naturelle, survie des plus aptes).
        Comme dans les autres pays européens, une réaction anti-darwinienne se manifeste bientôt, que ce soit dans les milieux de théologiens, de philosophes ou de scientifiques. Parmi ces derniers le plus important est sans doute le naturaliste d'origine balte K. von Baer (1792-1876). Il soutient une notion de développement universel de la nature, formulée dans l'esprit de la Naturphilosophie de Schelling, qui voyait l'évolution comme une expansion graduelle de la domination de l'esprit sur la matière et mettait pour cela en avant la téléologie aristotélicienne au détriment de la causation newtonienne, et pronait une explication non mécaniste de l'évolution, du moins dans l'interprétation du monde organique (cf. Vucinich, 1988a, in Glick, 1988, p. 252). Mais une particularité de la situation russe semble être une sorte de symbiose entre sciences naturelles et conservatisme slavophile. Ainsi N. Ja. Danilevskij (1822-1885) est connu comme essayiste et philosophe de l'histoire, de tendance slavophile et panslaviste. Pourtant il fut aussi naturaliste (ichtyologue et élève de von Baer). Dans son livre Le darwinisme (1885) il réfute la causalité (extérieure) et affirme que la téléologie est le seul principe explicatif de l'évolution (les «facteurs internes» sont la vraie source des changements organiques orientés et de l'harmonie universelle de la nature vivante). Mais l'important à noter est que le fondement de son argumentation repose sur le fait que le darwinisme est un produit du «matérialisme occidental». Comme son ami K. Leont'ev, il voyait dans les conquêtes de la science occidentale une menace fondamentale pour les valeurs spirituelles qui maintenaient intacte l'âme russe et lui donnaient une individualité culturelle et historique distincte (cf. Vucinich, 1988, chap. 4).
        Si Jakobson fait quelques allusions à Danilevskij (cf., par exemple, «Le mythe de la France en Russie», dans Jakobson, 1986, p. 161, texte écrit en 1931), c'est von Baer qu'il cite le plus souvent toutes les fois où il lui est nécessaire de fonder ses attaques contre un paradigme pourtant considéré comme tout neuf encore par beaucoup dans les années vingt et trente, et porteur de scientificité : le principe d'explication strictement causale du changement en langue chez les néo-grammairiens. Mais la référence principale, dans le monde de la biologie, pour Jakobson dans sa période
[94]
pragoise, est L. S. Berg (1876-1950). L. Berg expose en 1922 dans son livre La nomogénèse une conception explicitement anti-darwinienne de l'évolution, accordant la plus grance place à la notion de conformité à un but (celesoobraznost') comme propriété du vivant. Pour lui le cours de l'évolution est prédéterminé, par déploiement de rudiments préexistants. (5) C'est en se référant à L. Berg que Jakobson, guerroyant contre le principe de causalité stricte des néo-grammairiens peut exposer les principes de son propre anti-darwinisme :

        Dans ce passage on trouve l'essentiel des vues de Jakobson sur l'évolution des langues, qui lui permettent de réfuter Saussure, assimilé aux néo-grammairiens, dans une perspective épistémologique : affirmant que la science moderne (et principalement la science russe) se définit d'avoir remplacé le pourquoi? (warum?) par le dans quel but? (wozu? ) (6) il propose de remplacer «les vues mécaniques (de l'évolution) par une approche téléologique» («Teleological criterion...», SW, t.1, p.2, texte de 1928).
[95]
        Remarquons alors que, sans faire une analogie d'objet comme Schleicher (pour qui les langues sont des organismes vivants), Jakobson fait une analogie de méthode : on peut étudier l'évolution des langues comme on étudie celle des êtres vivants.

3. Nomogénèse ou hasard?

        Une des particularités de la critique russe du darwinisme est l'insistance sur le conflit entre évolution due au hasard et évolution gouvernée par des lois. Il s'agit sans doute d'une lecture biaisée : Darwin n'a de cesse d'affirmer que l'évolution est conforme à des lois. Mais ces lois causales ne sont pas de nature à satisfaire ses détracteurs russes : n'est pas loi ce qui n'est pas un modèle déterministe, prédictible.
        Danilevskij reproche à Darwin d'avoir, en affirmant le caractère aléatoire de l'évolution, négligé son sens téléologique et prédéterminé. Danilevskij, à la suite de l'évolutionniste allemand Theodor Eimer (cf. Vucinich, 1988, p.125) nomme orthogénèse cet aspect de l'évolution négligé par Darwin.
        Berg, qui se réfère à Danilevskij (Berg, 1922, p. III), croit pouvoir remplacer le hasard darwinien par l'idée de nomogénèse, ou évolution fondée sur des lois (7). Une de ses idées de base est l'analogie, ou parallélisme, entre le développement indiviuel (ontogénèse) et le développement de l'espèce (phylogénèse) (id., p.102) (8). Pour lui, la phylogénèse se développe sur le modèle de l'ontogénèse, par «anticipation» des caractéristiques des organismes supérieurs dans les organismes inférieurs. La nomogénèse est une alternative explicite au darwinisme. Il s'agit d'une théorie autogénétique de l'évolution, qui postule que l'évolution est un développement de rudiments ou de potentialités préexistants (modèle de l'embryologie) plutôt qu'une série de réponses d'adaptation des espèces à leur environnement, avec formation aléatoire de caractères nouveaux comme chez Darwin.
[96]
        Il faut ajouter à ce déterminisme interne un déterminisme externe, dû au «paysage géographique» (landšaft) qui agit de façon coercitive, «obligeant toutes les espèces à varier dans une direction déterminée» (Berg, 1922, p.180).
        En dehors du recours à J. de Maistre (9) , Jakobson a maintes fois exposé son refus formel de l'idée de hasard dans l'évolution. Ainsi dans les Thèses de 29, co-signées avec Trubetzkoy et Karcevskij : «Il ne serait pas logique de supposer que les changements linguistiques ne sont que des atteintes destructives s'opérant au hasard et hétérogènes du point de vue du système», ou la «Proposition 22» au Congrès de La Haye (1928) : l'histoire d'une langue n'est plus «une suite de troubles et de destructions aveugles causées par des facteurs extinsèques du point de vue phonologique». Jakobson prône, contre l'idée d'«un hasard aveugle, une évolution tendant vers un but» («Remarques...», SW, t.1, p.110). On doit également évoquer Trubetzkoy, qui parle de «logique de l'évolution» (Principes..., p. XXIV).
        C'est en étudiant de près l'argumentation des critiques que Jakobson adresse à Saussure qu'on peut dégager la stricte opposition de ces deux paradigmes. Selon Jakobson, pour Saussure «les changements se produisent en dehors de toute intention, ils sont fortuits et involontaires […], la langue ne prémédite rien et ses pièces se déplacent fortuitement […] l'histoire des sons d'une langue donnée [est] une suite de troubles et de détériorations aveugles causées par des facteurs extrinsèques […] ces actions désordonnées ne [sont] que des cambriolages fâcheux et absolument privés de but» («Remarques...», SW, t.1, p. 17), «La diachronie [est] un agglomérat de changements de provenance accidentelle» (ib., p. 17 et p. 110).
        De même il trouve chez Schleicher «l'idée du manque de sens et du hasard aveugle de l'évolution de la langue» (ib:17) ou chez les néo-grammairiens l'idée que «l'entité qui subit les changements [est] un agglomérat fortuit» (ib., p. 109).
        On peut ainsi, en inversant les termes un à un, reconstruire le modèle nomogénétique d'évolution prôné par Jakobson. Mais cette insistance sur le caractère aléatoire de l'évolution attribuée au darwinisme est curieuse et doit être considérée de près.
        C'est à Berg que Jakobson a emprunté le terme de «nomogénèse». Selon ce modèle, les langues ne peuvent évoluer que dans une direc-
[97]
tion et dans une séquentialité conformes aux lois du système. Jakobson indique même précisément que cette thèse est une véritable rupture par rapport aux théories précédentes. Ces théories précédentes sont essentiellement de deux sortes. Il y a Schleicher et son naturalisme d'abord, les néo-grammairiens et leur strict positivisme ensuite. Or ce qui frappe est que aussi bien Schleicher que les néo-grammairiens insistent constamment sur le caractère de lois de ce qu'ils énoncent. Chez Schleicher l'évolution des langues se fait par un passage nécessaire entre les trois stades de l'évolution : isolant -> agglutinant -> flexionnel (analogue à la hiérarchie entre les règnes minéral, végétal et animal), les néo-grammairiens affirment le caractère sans exception des lois phonétiques (Ausnahmlosigkeit ) (10). Mais cette rupture n'est pas seulement temporelle. Pour Jakobson les paradigmes scientifiques ont aussi une dimension spatiale, c'est à dire culturelle : il y a une «idéologie européenne», qu'il oppose à une «idéologie contemporaine», où «la science russe» joue un rôle tout particulier :


        Il semble que la critique que Jakobson et Troubetzkoy font à leurs prédécesseurs (dans l'ordre chronologique : Schleicher, les néo-grammairiens et Saussure) soit à comprendre à la lumière de cette controverse de l'univers de la biologie : les langues évoluent de façon déterminée parce qu'elles sont comme des organismes vivants. Il est
[98]
vrai qu'on peut trouver de nombreux passages chez Jakobson dans lesquels il dit que, précisément, les langues ne sont pas des organismes vivants (11). Pourtant ce sont moins les déclarations qui importent que la façon de produire des connaissances. Le travail de Jakobson et Troubetzkoy est essentiellement, dans le domaine de la diachronie, une métaphore d'une biologie anti-darwinienne.
        Notons que la controverse sur le hasard dans l'évolution, qui avait fait rage dans les deux dernières décennies du XIXème siècle (12) s'était apaisée un peu partout en Europe, sauf en URSS. où Lyssenko déclarait que «le hasard est étranger à la science» et rejetait la notion de variation aléatoire (les mutations) comme fondement des processus évolutifs (cf. Kline, 1955, p. 318). La montée en puissance du lyssenkisme dans la biologie soviétique est contemporaine du développement des idées anti-darwiniennes de Jakobson à Prague.

4. Convergences ou divergences?

4.1. Poissons et baleines

        Lors de la réunion fondatrice du Cercle linguistique de Prague (6 octobre 1926) dans le bureau de Mathesius à l'Université Charles, Jakobson, Mathesius et quatre autres collègues s'étaient réunis pour discuter de l'exposé de Henrik Becker, professeur à l'Université de Leipzig, «Der europäische Sprachgeist», qu'il venait de faire le jour
[99]
même à Prague. Il s'agissait du fait que le tchèque et le hongrois, deux langues sans aucun rapport génétique, étaient profondément marquées par leurs liens de contact permanent (culturels et territoriaux : des liens non pas «de nature», mais «de culture»). Cette problématique était en opposition totale à la théorie génétique de "l'arbre généalogique" qui avait été prônée par les comparatistes au XIXème siècle et acceptée comme base de travail par les néo-grammairiens en quête des lois générales de l'évolution du langage (cf. Matejka, 1978, p. IX). Pourtant elle aussi s'éclaire singulièrement si on la met en rapport avec une controverse biologique contemporaine.
        C'est en effet, là encore, à partir d'une remise en cause du hasard dans l'évolution que L. Berg était arrivé à la théorie des convergences. Pour lui en effet la probabilité d'apparition fortuite du même caractère dans deux espèces distinctes en même temps est proche de zéro (Berg, 1922, p. 105). Or ses observations sur les poissons des lacs et mers intérieures de Russie lui avaient fait découvrir qu'au contraire, des organismes non génétiquement apparentés pouvaient développer (acquérir) des caractéristiques communes. Un exemple simple qu'il donne concerne les baleines, mammifères qui ont développé des caractéristiques proche des poissons : elles sont «devenues» des sortes de poissons en vivant dans le même milieu qu'eux (Berg, 1922, p. 103).
Une conséquence de cette problématique est une théorie des origines inverse de celle de Darwin : si, pour Darwin, tous les organismes se sont développés par divergence à partir d'un nombre très restreint d'espèces originaires, pour Berg ils se sont développés essentiellement par convergence à partir de dizaines de milliers de formes originaires.

4.2. Chaînes et briques

La notion d'affinités acquises était dans l'air depuis que, à la suite de la guerre de 1870, Français, Allemands puis Italiens s'étaient lancés dans l'étude de la dialectologie, qui allait devenir au XXème siècle la linguistique aréale.(13) H. Schuchardt (1842-1927) propose la notion
[100]
d'«affinité linguistique» (Sprachverwandtschaft), terminologie qui sera ensuite reprise telle quelle par Jakobson (jazykovoe srodstvo) (14) .
        Dans l'entre-deux-guerres en Europe on commence à se soucier d'étudier les influences réciproques de dialectes voisins, de déterminer ce qui fait que se ressemblent, dans un même contexte géographique, des langues d'origine parfois très différentes. Le linguiste hollandais C.C. Uhlenbeck (1866-1951) voit dans une famille de langues le résultat d'une assimilation prolongée de langues en contacts. Il applique la notion de famille linguistique au concept anthropologique d'acculturation, qui consiste en l'adaptation de traits culturels empruntés par une culture à une autre. Ce type de recherches sera repris à partir des années quarante par l'école de Pisani en Italie.
        C'est en 1923 que N. S. Troubetzkoy avait inventé le terme d'«alliance de langues» (jazykovoj sojuz), dans un essai théologique sur la pluralité des langues (cf. Sériot, 1993, p. 99). Il montrait que dans le cas d'alliance de langues «la ressemblance est due non pas à une origine commune, mais uniquement à un voisinage prolongé et un développement parallèle» (p. 116) et il donnait l'exemple des langues balkaniques. C'est en 1928 au 1er Congrès Intermational des linguistes à La Haye qu'il propose à ses pairs cette notion, sous le nom allemand de Sprachbund. Cette problématique fut particulièrement bien accueillie par des linguistes de toutes origines lors du congrès.
        En 1929 dans «Remarques sur l'évolution phonologique du russe», in SW, t.1, p. 109, Jakobson propose de «soumettre à révision les matériaux bruts». Il appuie son programme sur le fait que «certaines convergences sont trop probantes pour n'être que des coïncidences fortuites» (encore une fois, il n'y a pas de hasard...). En 1936 il en vient à l'idée de nécessité dans les «affinités» phonologiques entre les langues, très proche de la notion écologique d'associations végétales : «l'aire de la polytonie confine d'ordinaire à celle de la prononciation vocalique à coup de glotte» («Affinités...», SW, t.1, p. 245).
La notion d'hybridation était un thème très courant en biologie depuis la fin du siècle précédent. Il en allait de même en linguistique avec la notion de Sprachmischung utilisée par Baudoin de Courtenay. Le
[101]
linguiste soviétique N. Marr (1864-1934) en avait également fait le fonds de sa théorie, sous le nom de «croisement» (skreščenie). Cette notion propre à l'air du temps va trouver sa manifestation extrême dans un exposé que fait Troubetzkoy au Cercle linguistique de Prague en 1937 : «Réflexions sur le problème indo-européen» (15) .
        Après avoir rappelé que la notion d'«indo-européen» est purement linguistique, «exactement comme les termes de syntaxe, génitif ou accentuation» (p. 44), et que le «peuple indo-européen» n'a, selon toute vraisemblance, «jamais existé» (p. 48), Troubetzkoy s'attache à montrer que la diversité des langues indo-européennes est initiale : «il y a à l'heure actuelle de nombreuses langues indo-européennes, il en a toujours été ainsi. A côté des ancêtres des langues indo-européennes actuelles autrefois existait aussi tout un ensemble d'autres langues indo-européennes qui ont disparu sans laisser de descendants» (p. 44). «Aussi loin que nous pouvons remonter dans la profondeur des temps, nous trouvons toujours, à époque ancienne, une grande quantité de langues indo-européennes» (p. 45).
        Il peut alors avancer son hypothèse d'une formation de la «famille» indo-européenne par convergence. Il est à remarquer que pas une fois dans ce texte de 1937 il n'emploie le terme de Sprachbund (jazykovoj sojuz) : il n'oppose plus, comme il l'avait fait au Congrès de La Haye (en 1928, p. 18), Sprachbund et Sprachfamilie, mais il fait travailler ensemble les notions de convergence et et de divergence.

Troubetzkoy pensait ainsi que des langues à l'origine dissemblables sont devenues indo-européennes.
[102]
        Tout autre est, dans le même article, le tableau d'évolution des langues slaves. Troubetzkoy en effet propose pour ces langues l'image des maillons d'une chaîne (ou plutôt d'une cote de mailles) :


        Ce texte de 1937 doit être compris comme une polémique contre les théories nazies sur l'origine génétique, ethnique, du «peuple indo-européen». Mais il prend tout son sens sur le fond d'un débat plus ancien et plus large sur l'évolution des langues. En particulier les théoriciens de l'évolution purement génétique, prisonniers de leur métaphore naturaliste, n'avaient pas vraiment résolu le problème de savoir si les langues sont comme des espèces (qui se transforment l'une en l'autre comme on peut dire du mammouth qu'il est «l'ancêtre» de l'éléphant) ou comme des individus d'une même espèce (qui héritent génétiquement des caractères du parent, comme par enfantement de mère à fille, mais il s'agit alors plutôt d'une parténogénèse).
        Le modèle de l'évolution par convergence, tout en se maintenant à l'intérieur de la métaphore biologiste, permet de rendre compte de nombreux phénomènes d'emprunt et de contagion, inaccessibles à l'explication strictement génétique.

5. Conclusion

        Même s'il est loin de se réduire à cela, le structuralisme des «Russes de Prague» est fortement marqué par un enjeu épistémologique propre aux sciences de la nature dans le dernier tiers du 19e siècle, introduit métaphoriquement en linguistique.
[103]
On aurait pu citer d'autres thèmes de la controverse biologique qui fournit en références l'étagère de la bibliothèque idéale des Russes de Prague qu'on a explorée ici : la contestation «holistique» du darwinisme en Tchécoslovaquie dans les années vingt et trente (cf. Steiner, 1978), l'opposition entre catastrophisme et unitarisme (Natura non facit saltum selon Darwin, alors que pour Berg comme pour Jakobson, mais aussi Marr il y a «des sauts, des paroxysmes»), ou l'opposition «de gauche» au darwinisme en Russie, récusant la lutte pour l'existence au nom du «principe de coopération» (l'anarchiste Kropotkin, puis Lyssenko).
        On a pris le parti ici de prendre au sérieux toutes les allusions de Jakobson ou de Troubetzkoy au monde intellectuel non linguistique de leur époque. Les références à J. de Maistre chez Jakobson ne sont pas une coquetterie intellectuelle. Le fait qu'on les retrouve aussi bien dans les textes des années trente que dans les Dialogues… est le signe d'une continuité dans la pensée de Jakobson, pensée qui a survécu aux déplacements dans le temps et entre les continents.
On a vu que, si le structuralisme des Russes de Prague s'inscrit pleinement dans l'air du temps, il n'est pas indifférent à un air du lieu propre à la Russie. Cette notion fort floue d'air du lieu, d'un lieu à la fois dans et hors de l'Europe permet de s'interroger sur les rapports des parties au tout de la science en Europe. Car le structuralisme pragois n'est pas aux marges de la science européenne, il est au contraire en plein centre.
…Enfin on a pu s'apercevoir que les «paradigmes» de Kuhn sont très difficilement applicables à ce type d'objet, à la fois dépendant de l'espace et du temps. Le structuralisme des Russes de Prague fonctionne en un mouvement de va-et-vient, s'appuyant sur une notion antérieure aux néo-grammairiens (l'organiscisme), tout en le niant (cf. l'affirmation que «la linguistique est une science sociale»), comme un tremplin pour aller vers la notion moderne de structure.


NOTES


1- Dans un chapitre qui, notons-le, s'appelle «philosophie occidentale».

2- Souligné par moi, P.S.

3- Sur ce point, cf. Viel, 1984, p. 51 sq.

4- La lecture proposée ici ne se prétend pas réductionniste : Jakobson et Troubetzkoy ne se résument certes pas à une réaction anti-darwinienne. Il s'agit seulement d'une autre lecture, d'un aspect peu exploré, qui mérite d'être pris en considération, et sans lequel notre réception du structuralisme serait incomplète et donc faussée.

5 - Curieusement, la nomogénèse de L. Berg a été critiquée en Union Soviétique en tant que théorie idéaliste, cf. la Grande Encyclopédie soviétique, 3e éd. (1960). Pourtant Berg fut directeur de l'Institut de géographie de l'Académie des Sciences de 1940 jusqu'à sa mort en1950, ayant traversé sans encombre la terreur stalinienne.

6- A cette époque les formulations de Jakobson présentent de nombreuses variantes qui toutes se ramènent à une idée maîtresse : «Dans l'actuelle hiérarchie des valeurs,la question 'vers où?' (kuda?) reçoit une cotation plus élevée que la question 'd'où?' (otkuda?). A la place d'indices génétiques, c'est l'autodétermination qui devient la caractéristique de l'appartenance nationale, l'idée de caste est remplacée par celle de classe; aussi bien dans la vie sociale que dans les constructions scientifiques la communauté d'origine passe après la communauté de fonctions, s'estompe devant l'unité d'orientation conforme à un but. Le but, cette Cendrillon de l'idéologie d'un passé encore proche, est peu à peu réhabilité de partout.» (K xarakteristike evrazijskogo jazykovogo sojuza (Pour une description de l'alliance eurasienne de langues), SW, t. 1, p. 144, texte de 1931).

7- De nomos : loi. Il parle lui aussi d'orthogénèse, qu'il définit comme une «évolution dans une seule direction, et non dans tous les sens» (ibidem, p. 75), s'opposant, là encore, explicitement à Darwin.

8- C'est la théorie de la «récapitulation» du naturalisme allemand E. Haeckel (1834-1919).

9- «Ne parlons donc jamais de hasard ni de signes arbitraires». Cette citation des Soirées de Saint-Pétersbourg est fréquente dans les textes de Jakobson des années trente, et reprise à la fin de sa vie dans les Dialogues..., 1980, p. 87.

10- Les néo-grammairiens cherchaient une théorie cohérente des changements phonétiques. Selon eux, si la linguistique voulait devenir une science, elle devait découvrir des lois linguistiques, exactement comme les sciences naturelles avaient découvert des lois naturelles. Une loi sans exception, voilà ce qu'ils proposaient comme définition du changement phonétique. Cette définition stricte des lois est incompatible avec l'idée de hasard. Cf. Leskien, 1869 (cité dans Harris et Taylor, 1991, p. 171) : «Admettre des déviations dues au hasard, impossibles à coordonner, reviendrait à affirmer que l'objet de notre science, le langage, est inaccessible à la connaissance».

11- «Baudouin de Courtenay fut amené à rejeter la théorie de l'arbre généalogique de Schleicher et la théorie des ondes de J.Schmidt : les deux doctrines sous-estimaient en effet le caractère social systématique et orienté de la langue, ainsi que l'importance du croisement dans les relations entre les langues. Ces deux théories, malgré leur opposition mutuelle, contenaient un mythe commun sur le langage comme organisme, 'simplement, pour Schleicher, le langage était fait de bois, et pour Schmidt, d'eau» (Jakobson, 1973, p. 209; texte de 1958).

12- Straxov, Chicherin, Rozanov après Danilevskij étaient particulièrement virulents dans leurs attaques contre le darwinisme à cause récisément du caractère aléatoire et multidirectionnel de l'évolution qu'ils attribuaient à ce dernier. Chicherin, plus particulièrement , anticipait sur Bergson quand il parlait d'une force vitale intérieure et orientée vers un but dans l'évolution des organismes. Berg, en revanche, se défend avec insistance de toute accusation de vitalisme. Pour lui l'orientation vers un but est une «propriété du vivant», et non une force mystérieuse. On n'en saura pas plus.

13- Les raisons politiques et idéologiques de cet intérêt nouveau sont très liées à l'exacerbation des nationalismes frustrés et aux différentes façons de définir les entités nationales (cf. le problème de l'appartenance française ou allemande de l'Alsace-Lorraine dans Renan, 1882).

14- Il est à noter que Jakobson se réfère également à Goethe, biologiste méconnu, et traduit Wahlverwansdschaft (affinité élective) par «convergence de développement» («Sur la théorie des affinités...», SW-1,p. 236).

15- Une version allemande abrégée paraît après sa mort dans Acta linguistica, vol. 1, fasc. 2, Copenhague,1939, p. 81-89 : «Gedanken über das Indogermanen Problem», et le texte russe original intégral est disponible dès 1958 (dans Voprosy jazykoznanija, n°1, p. 65-77). Il est cité ici d'après «Mysli ob indoevropejskoj probleme» (Réflexions sur le problème indoeuropéen), in Izbrannye trudy po filologii, Moscou : Izd. Progress, 1987.


Bibliographie


— BERG L. S., 1922 : Nomogenez (Evoljucija na osnove zakonomernostej), Peterburg, Gosudarstvennoe izdatel'stvo [La nomogénèse : évolution fondée sur des lois], trad. anglaise : Nomogenesis, Cambridge, Mass., 1966.
— GLICK T.F. (éd.), 1975 : The Comparative Reception of Darwinism, University of Texas Press, Austin (cité d'asprès la 2e édition : The Univ. of Chicago Press, 1988).
— HARRIS Roy; TAYLOR Talbot J., 1991 : Landmarks in Linguistic Thought (The Western Tradition from Socrates to Saussure), London, Routledge.
— HOLENSTEIN E., 1975 : Jakobson ou le structuralisme phénoménologique, Paris, Seghers.
— HOLENSTEIN E., 1976 : «Jakobson und Husserl. Ein Beitrag zur Genealogie des Strukturalismus», in PARRET H. (éd.) : History of Linguistic Thought and Contemporary Linguistics, Amsterdam, De Gruyter, p. 772-810.
— IVIC Milka : Trends in Linguistics, Mouton, Paris - La Haye, 1970.
— JAKOBSON R., 1971 : SW : Selected Writings, t. 1, La Haye, Mouton.
— JAKOBSON R. : «The Concept of the Sound Law and the Teleological Criterion÷, Selected Writings, t. 1, La Haye, Mouton, p. 1-2.
— JAKOBSON R. 1980 : Dialogues avec Krystina Pomorska, Paris, Flammarion.
— JAKOBSON R. : «Remarques sur l'évolution phonologique du russe comparée à celle des autres langues slaves», Selected Writings, t. 1, La Haye, Mouton, p. 234-246.
— JAKOBSON R. : «Sur la théorie des affinités phonologiques entre les langues», Selected Writings, t. 1, La Haye, Mouton, p. 7-16.
— JAKOBSON R. : «K xarakteristike evrazijskogo jazykovogo sojuza», Selected Writings, t. 1, La Haye, Mouton, p. 144-201 [Pour une caractérisation de l'alliance de langues eurasienne].
— JAKOBSON R., 1973 : «L'Ecole de linguistique polonaise de Kazan et sa place dans le développement international de la phonologie», dans Essais de linguistique générale, t. 2, Paris, Seuil, 1973, p. 199-237.
— JAKOBSON R., 1986 : «Le mythe de la France en Russie», dans Russie Folie Poésie, Seuil.
— KLINE George L., 1955 : «Darwinism and the Russian Orthodox Church», Continuity and Change in Russian and Soviet Thought, Harvard UP, Cambridge (Mass.).
— LESKIEN, August, 1869 : Die Deklination im Slavisch-Litauischen und Germanischen, Leipzig.
— MARTINET André, 1968 : «Préface», in Le langage (Encyclopédie La Pléiade), Paris, p. VII-XII.
— MATEJKA Ladislav (éd.), 1978 : Sound, Sign and Meaning : Quinquagenary of the Prague Linguistic Circle, Michigan Slavic Contributions, Ann Arbor.
— MOUNIN Georges, 1972 : La linguistique du XXème siècle, Paris, PUF.
— RENAN Ernest, 1882 : Qu'est-ce qu'une nation?, Paris, repris dans Press Pocket, Paris, 1992, p. 37-56.
— SERIOT Patrick, 1993 : «La double vie de Troubetzkoy ou la clôture des systèmes», Le Gré des Langues, n°5, p. 88-115.
— STEINER P., 1978 : «The Conceptual Basis of Prague Structuralism», in Matejka L. 1978, p. 351-385.
— TRUBETZKOY Nikolaj S., 1923 : «Vavilonskaja bašnja i smešenie jazykov», Evrazijskij vremennik, kn. 3, Berlin. [La Tour de Babel et la confusion des langues]
— TRUBETZKOY Nikolaj S., 1985 : Letters and Notes, Jakobson R. (éd.), Amsterdam, Mouton.
— TRUBETZKOY Nikolaj S., 1986 : Principes de phonologie, Paris, Klincksieck.
— TRUBETZKOY Nikolaj S., 1987a : «Mysli ob indoevropejskoj probleme», in Izbrannye trudy po filologii, Moscou, Izd. Progress [«Réflexions sur le problème indo-européen», texte d'un exposé fait au CLP en 1937, dont le texte a été publié en allemand (dans une version réduite) sous le titre «Gedanken über das Indogermanenproblem», Acta linguistica, vol. I, fasc. 2, Copenhague, 1939, p. 81-89].
— TRUBETZKOY Nikolaj S., 1987b : «Mordovskaja fonologičeskaja sistema v sravnenii s russkoj», in Izbrannye trudy po filologii, Moscou, Izd. Progress [«Le système phonologique du mordve comparé à celui du russe», titre original : «Das mordwinische phonologische System verglichen mit dem russischen», Charisteria Guilelmo V. Mathesio quinquagenario a discipulis et Circuli Linguistici oblata, Prague, 1932, p. 21-24.
— VIEL Michel, 1984 : La notion de marque chez Jakobson et Troubetzkoy, Paris, Didier-Erudition.
— VUCINICH A., 1988 : Darwin in Russian Thought, Univ. of California Press, Berkeley.
— VUCINICH A., 1988a: «Russia : Biological Sciences», in GLICK T.F. (éd) : The Comparative Reception of Darwinism, The University of Chicago Press, Chicago, p. 227-255.



Retour à la Bibliographie de la recherche à la Section de langues slaves de l'Université de Lausanne