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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- [...itch.] Les Slaves d'Autriche et les Magyars. Études ethnographiques, politiques et littéraires sur les Polono-Galliciens, Ruthènes, Tchèques ou Bohèmes, Moraves, Slovaques, Sloventzis ou Wendes méridionaux, Croates, Slavons, Dalmates, Serbes, etc. Et les Hongrois proprement dits ou Magyars, Paris : Passard, 1861.

Avant-propos

1
Les Slaves d'Autriche

3
I. Situation actuelle de l'Autriche

18
II. Constitution de l'Autriche

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III. Nationalités

49
IV. Nationalités politiques de l'Autriche au point de vue politique et historique

67
V. Nationalités des États de l'Autriche au point de vue des races et de l'idiome

91
VI.- Les Magyars et leurs rapports avec les autres nationalités historiques et ethnologique des pays hongrois

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VII. Luttes des nationalités d'Autriche en 1848

141
Conclusion

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AVANT-PROPOS
On lit dans le journal le Nord, du 18 août 1860 :
Nous avons souvent été à même, à notre grand regret, de constater dans plusieurs journaux, lorsque la question des races slaves s'y trouvait évoquée, un défaut essentiel de notions et de renseignements sur une des plus graves questions qui intéressent l'avenir de l'Europe. Nous croyons devoir en conséquence ouvrir nos colonnes à un travail considérable sur les populations slaves de l'Autriche, dû à la plume la plus autorisée et la plus marquante dans cette matière. Nous publions ce travail, sur lequel nous
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appelons toute l'attention de nos lecteurs , sans en rien retrancher, nous réservant le droit de présenter, sous forme de notes, les observations que certains passages pourraient nous suggérer.
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Les Slaves d'Autriche

L'Autriche est malade, bien malade! Voilà un mot prononcé d'abord par un homme du parti conservateur en Autriche et répété cent fois dans les journaux, de sorte qu'il a passé en proverbe. Mais si tout le monde est d'accord sur la maladie, les opinions sur son caractère, sur les causes, sur la possibilité d'y apporter remède et les,moyens à employer diffèrent considérablement.
Il est inutile de dire que les suites de cette maladie peuvent avoir des conséquences de la plus haute importance pour toutes les nations de l'Europe; car si le malade devait succomber, les disputes qu'entraînerait le partage d'un héritage aussi riche se
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raient bien autrement graves que celles que pourrait entraîner le partage de la Turquie. Si un édifice aussi élevé venait à s'écrouler, les débris en tomberaient bien loin, sans doute. Il importe donc bien à tout le monde de se préoccuper de la possibilité d'un pareil événement et de chercher à connaître l'état des choses. En outre, cette Autriche est une construction bien singulière. Ce n'est pas un État comme les autres; ce n'a jamais été qu'un assemblage de différents États, plus ou moins indépendants, placés au centre de l'Europe et réunis sous un seul sceptre. Dans cet assemblage se trouvent des portions considérables, des trois grandes familles de la noble race indo-européenne, qui ont créé la civilisation et se sont partagé la vieille Europe, d'où elles dominent le monde; je parle des familles latine, germanique et slave. Par conséquent, si cet assemblage de nationalités dont se compose l'Autriche venait à se dissoudre, ces trois familles y seraient fortement intéressées.
Malheureusement, il n'est pas facile de se procurer, par les journaux du pays et de l'étranger, des renseignements exacts sur la situation, les souffrances et les besoins de l'Autriche. Ceux qu'on trouve dans la presse française, anglaise ou alle-
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mande ne sont que trop souvent faussés par l'esprit de parti. Les correspondants sont tous ou presque tous des Allemands ou des Hongrois émigrés, qui aiment à représenter les choses au point de vue exclusif de, leur nationalité et qui souvent n'ont pas même une idée bien juste des changements survenus dans les rapports entre les différents peuples soumis à la domination autrichienne. Cependant, à côté de la race allemande, et de la race hongroise, il existe une qui, à elle seule, constitue presque la moitié de ce vaste empire, sur laquelle repose principalement la force militaire de l'Autriche et. dont les sympathies et les antipathies ont toujours exercé une très grande influence sur ses destinées. C'est elle qui, en 1848, a sauvé la monarchie, pour ainsi dire presque malgré elle, et qui, probablement, est appelée à décider encore une fois de son sort. Ainsi, jusqu'à présent, on n'est instruit, qu'à demi sur l'état de l'Autriche, parce que les Slaves, qui n'ont pas de rapports suivis avec la presse de l'Occident, comme les Allemands et les Hongrois, ne peuvent dévoiler leur situation ni leurs tendances politiques.
Quant à la presse périodique du pays elle est opprimée à un tel point qu'on a même saisi des jour-
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naux semi-officiels, et c'est à cause de cette oppression et de la sévérité de la police que quelques-unes des nations sujettes à l'Autriche n'ont pas d'organe politique in, organe de la noblesse gallicienne. Les Magyars ne sont guère mieux partagés. Aux Bohèmes, dont la littérature est si féconde et si active, le gouvernement refuse obstinément toute concession pour la fondation d'un journal politique indépendant. Il se flatte de mieux servir la population bohémo-slave de 7 millions d'âmes, en publiant lui-même trois journaux officiels. De même il n'y a que des journaux officiels pour les Slaves du Sud, pour les Vallaques (Roumains) de la Transylvanie et de la Hongrie, et pour les Petits-Russiens de la Gallicie. Les Serbes orthodoxes de l'Autriche avaient une seule feuille périodique ; le gouvernement l'a supprimée, parce qu'elle ne voulait renier ni sa foi, ni sa nationalité. On connaît quelle liberté est accordée à la presse italienne ! Mais au moins les Italiens ont un point d'appui dans la presse piémontaise et dans la presse étrangère, qui se font l'écho de leurs doléances et s'en préoccupent. Au reste, quand même la presse autrichienne serait plus indépendante qu'elle
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former qu'une idée imparfaite des choses, et peu conforme à la réalité.
Cela étant, la presse française et la presse anglaise sont forcées de puiser à une source altérée, c'est-à-dire dans la presse allemande, la plus grande partie de leurs informations. Voici pourquoi la maison d'Autriche ne saurait oublier l'éclat que jetait jadis autour d'elle la couronne d'Allemagne, qu'elle garde encore de nos jours soigneusement à Vienne dans la chambre du trésor, et qu'elle espère replacer un jour sur sa tête. Dans cette espérance elle aime à se poser, devant le monde allemand, comme le champion le plus ardent de l'esprit et de la nationalité allemands, comme un propagateur zélé des idées germaniques, parmi les peuples qui composent soit empire. Il faudrait cependant une bonne dose de naïveté pour croire à cette propagande: l'Autriche actuelle ne peut admettre aucune idée de progrès, dont les Allemands puissent s'honorer. Pourtant ces bons Allemands aiment à croire à la propagande autrichienne et se, laissent bercer de cette illusion, parce que, avant tout, ils chérissent l'idée qu'ils sont destinés à porter la. civilisation dans l'Est, c'est-à-dire à y dominer ! Le doux chatouillement de cette opinion, qui est fixe chez eux,dédommage cette na-
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tion, d'ailleurs si respectable sous beaucoup de rapports, du peu d'influence qu'elle a, comme nation, sur la haute politique européenne. A cause de cette injuste ambition des Allemands de dominer leurs voisins, et de leur imposer leur langue et leur littérature avec l'aide d'une dynastie allemande, l'Autriche après cent échecs devant l'opinion publique, est toujours parvenue à reconstituer son parti dans la presse du pays, pour faire approu ver sa politique a l'extérieur et applaudir à son administration à l'intérieur. L'organe le. plus dévoué à la politique autrichienne est la Gazette d'Augsbourg, qui ne cesse d'insulter ces pauvres nations sutjettes de l'Empire, en les représentant comme des races inférieures, incapables d'une civilisation propre et forcées, par leur nature, de se soumettre à la conduite et à la domination de la race allemande. Gagner tous ces peuples à la domination. de l'Allemagne, c'est, d'après cette gazette, la sainte mission de l'Autriche, et tout bon Allemand doit lui prêter son concours, sans y regarder de trop près, parce, qu'il s'agit d'une cause nationale. La presse dévouée à l'Autriche, flattant, par une argumentation aussi perfide, ce faux orgueil national des Allemands, leur persuade de prendre parti contre ces peuples et de trouver bonnes,quelles
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qu'elles soient, les mesures que, le gouvernement emploie pour étouffer les efforts qu'ils font afiin de donner la vie à leur nationalité et de se développer dans leur individualité. Il est convenu de considérer tous les pays de l'Autriche comme autant de provinces d'une Allemagne future, et les nations qui les habitent, comme des vassales de la race allemande ; on doit donc considérer comme un crime toute tentative de leur part pour arriver à une vie propre et nationale. Cette avidité de dominer éblouit même souvent des libéraux honnêtes et leur fait seconder les tendances réactionnaires du gouverne ment autrichien ; cela se voit tous les jours à l'égard des Slaves et des Magyars, et nous l'avons vu dernièrement dans la question des Principautés. Toute la presse allemande, presque sans exception, s'est mise à la remorque de l'Autriche et a montré une malveillance extrême contre une pauvre nation, dont le seul tort envers l'Allemagne était de sentir trop vivement combien elle avait été négligée sous le joug des Turcs, et de vouloir devenir quelque chose par l'union et par ses aspirations à la liberté et à une civilisation propre. C'est encore ce faux orgueil national qui, pendant la dernière guerre d'Italie, a grossi énormément le parti de l'Autriche
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La Gazette d'Augsbourg, oubliant toute morale et toute dignité, ne cessait de répéter que dans cette guerre il ne s'agissait au fond ni de la justice de l'administration de l'Autriche, ni de ses droits sur les pays italiens, mais que tout bon Allemand devait la soutenir, parce que « l'Italie est la seule terre au monde où l'Allemand peut agir en maître. &ra C'est ainsi que la réaction autrichienne peut soulever, en Allemagne, un brouillard factice de faux esprit national, qui séduit le peuple et le porte, par ses idées de conquêtes, à convoiter les champs d'autrui, au lieu de s'occuper exclusivement de ses possessions réelles, et de pousser aux réformes nécessaires de sa vie politique afin d'arriver au plus tôt à cette uniter nationale qui lui est si chère. Il n'y a que les esprits supérieurs et les hommes vraiment libéraux qui parviennent à percer ce brouillard. Écoutez le célèbre Vogt, comme il se moque, et avec raison, de ce butor aristocratique allemand à qui le plaisir de commander aux esclaves cause une démangeaison de plaisir. Le même écrivain donne aux Allemands le conseil salutaire de s'en tenir strictement et dans toute la portée des mots au proverbe français : il faut laisser l'Allemagne aux Allemands; c'est-à-dire il faut laisser à chaque nation ce qui lui re-
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vient. Malheureusement , la presse allemande est bien loin d'adopter ce principe à l'égard des Slaves, des Magyars et des Roumains de l'Autriche. Elle est presque unanime à dénoncer au monde comme des actes d'hostilité contre l'Allemagne tous les efforts de ces peuples qui tendent à défendre contre les empiètements du gouvernement et à développer leur nationalité ; d'après elle, ne point accepter le bienfait que leur offre le gouvernement d'introduire dans leurs écoles la langue allemande, c'est méconnaître la supériorité de la civilisation allemande, c'est, de leur part, un entêtement aveugle qui repousse la civilisation. On traite de fanatiques du nationalisme tous ceux qui veulent conserver, et, au besoin, défendre leur nationalité : de sorte que, suivant cette presse, on devrait appeler fanatique de la propriété quiconque veut conserver, et, à l'occasion, défendre son bien. Le titre de fanatiques du nationalisme siérait bien mieux et avec plusde raison à ceux qui, non contents de leur nationalité, veulent, absorber celle d'autrui. Ces injustes prétentions, cet orgueil mal entendu, font que les questions qui s'élèvent entre les populations non allemandes de l'Autriche et leur gouvernement sont toujours discutées au point de vue allemand, et ja-
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mais comme une affaire à part, exclusivement autrichienne. Tout au plus on examine si. le résultat de ces questions de nationalités profitera à l'un ou à l'autre des deux rivaux qui se disputent l'hégémonie ou la couronne d'Allemagne.

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