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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-иссдедовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


— 3e cycle romand : Russie / Allemagne / France : relations intellectuelles croisées
Quatrième rencontre
2-4 décembre 2010
Organisation :
CRECLECO / Section de langues slaves  (Université de Lausanne)
Lieu : Leysin
hôtel de la Tour d'Aï, Route des Ormonts, à Leysin-village :
http://www.hoteltourdai.ch/cadre.html
tel. : +41/(0)24 493 2280

précédentes rencontres : décembre 2008
décembre 2009
décembre 2010

 
Programme

Jeudi 8 décembre 2011

— 9 h 30 Accueil des participants

— 9 h 45 Patrick SERIOT (Lausanne) Présentation

— 10 h

Bénédicte VAUTHIER (Berne)

Théorie et pratique des «influences» dans l'œuvre de Bakhtine

— 10 h 45

Pause

— 11 h 15

Jean-Marie VIPREY (Besançon)

Le Dialogisme (MPL, N.Volochinov) en lexicologie discursive

— 12 h 00 Repas

Après-midi 

— 15 h 45

Philippe SCHEPENS (Besançon)

Volochinov versus Habermas : deux pensées globales autour de l’activité de langage

— 16 h 30

Patrick SERIOT (Lausanne)

Voloshinov et la crise du positivisme : une interprétation paradoxale

— 17 h 15

Pause

— 17 h 45

Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne)

La «linguistique pédagogique» d’E.D. Polivanov




Vendredi 9 décembre 2011

— 9 h 00

Franco Lo PIPARO (Palermo)

Gramsci et Wittgenstein: une liaison singulière

— 9 h 45

Mladen UHLIK (Ljubljana-Lausanne)

Y a-t-il des révolutions dans la langue ? -   Les linguistes soviétiques inteprétant la Révolution française

— 10 h 30


Pause

— 11 h 00

Roger COMTET (Toulouse)

Mikolaj Kruszewski (1851-1887) et les linguistes allemands de son époque

— 11 h 45 repas

Après-midi 

— 14 h 30

Elisa CAMAGNI (Lausanne-Milan)

Humboldtian Ideas in the Linguistic Production of I. I. Meščaninov

— 15 h 15

Antonina AGAFONOVA (Ivanovo)

«Jacques Lacan parle»: бунт 60-х и призма «лакановского» дискурса

— 16 h 00 Pause

— 16 h 30

Virginie SYMANIEC (Paris)

La langue au secours de l'archéologie sur les charniers de Kourapaty

— 17 h 15

Jean-Baptiste BLANC (Lausanne)

La langue et l'appartenance ethnique dans les recensement de population en Europe centrale après 1990



Samedi 10 décembre 2011

— 9 h 00

Sébastien MORET (Lausanne)

Les langues artificielles chez Jacques Damourette et Edouard Pichon

— 9 h 45

Françoise DOUAY (Aix-en-Provence)

Le positivisme en sciences humaines dans la France du XXe siècle à travers l’Histoire sincère de la nation française de Charles Seignobos (1933).

— 10 h 30

Pause

— 11 h 00

Elena SIMONATO-KOKOCHKINA (Lausanne)

Le ‘novojaz’ : radiographie d’une créature linguistique

— 11 h 45

Repas

— 14h 00

Anna ISANINA (Saint-Pétersbourg)

Les fondements théoriques de la conception d'I. E. Aničkov

— 14 h 45

Margus OTT (Tallinn)

La vague des traductions après 1991 en Estonie

— 15 h Svetlana GORSHENINA (Lausanne) Le Registân de Samarcande : l’élaboration d’une stratégie de patrimonialisation dans l’Asie centrale tsariste, postrévolutionnaire et postsoviétique

— 16 h 45 fin du colloque, bilan, discussion générale



Le musée des arts et traditions populaires ->
au-dessus des nuages, le soleil
<- les anciens sanatoriums

RESUMES :

Antonina AGAFONOVA (Ivanovo) : «Jacques Lacan parle»: бунт 60-х и призма «лакановского» дискурса.

Во Франции процесс «политизации» психоанализа и одновременно его проникновение в широкие социальные слои были стимулированы майскими событиями 1968 г. После «Красного мая» через творчество Жака Лакана все отчетливей проходит идея «освобождения речи», «излечения словом», рассматривающаяся уже с постструктуралистских позиций, как возможность выхода из системы, «разрушения спектакля». В докладе будет рассматриваться вопрос о том, каким образом диалогизированный дискурс, который создавался идеями революционеров и одновременно конструировал их, разрастаясь и вбирая в себя новых адептов, во многом позволил речи, и выходящему за ее пределы, перевести молодых людей  на иной уровень – от воображаемого к символическому, и посредством социализации -  к новой идеологии в основе которой, как считается, лежало разрушение априорных основ. Существуют исследования, посвященные анализу идей Ж. Лакана и их влияний на процессы, проходившие в обществе в 60-70-е годы ХХ века. Однако, использование в качестве источника дискурс-анализа документального фильма 1972 года «Jacques Lacan parle» позволило нам, таким образом, увидеть иную сторону событий – прямую коммуникацию между бунтующим поколением и выдающимся психоаналитиком Ж. Лаканом, которая дала возможность попытаться ответить на вопрос – являлся ли дискурс революции «разрушением спектакля», или же это был лишь «новый порядок дискурса господина». Также мы попробуем понять – почему революционный дискурс в современной России не выходит за пределы структуры.

Jean-Baptiste BLANC (Lausanne) : La langue et l'appartenance ethnique dans les recensement de population en Europe centrale après 1990

Au XIXe siècle, les recensements de population jouent un rôle central dans l'émergence des mouvements nationalistes en Europe centrale. Producteurs de vérité scientifique, ils objectivent la division de la population en groupes ethniques discrets susceptibles d'être quantifiés et cartographiés. Surtout, ils contribuent à faire de la langue la marque essentielle de ces groupes ethniques dans la mesure où, en vertu de recommandations internationales édictées par les congrès internationaux de statistique de l'époque, l'appartenance ethnique, quand elle est comptabilisée, l'est toujours via une question sur la langue. Le recensement linguistique fait alors office de recensement ethnique, et, par conséquent, les nationalismes ethniques qui émergent à cette époque en viennent à considérer la langue comme la marque essentielle de la nation dont ils se veulent les défenseurs. Dans un tel contexte, les formes du recensement linguistique (possibilité du bilinguisme, obligation de répondre, formulation de la question) deviennent un enjeu de luttes politiques de première importance.
Qu'en est-il dans la période post-communiste, qui a vu le retour en force du discours nationaliste en Europe centrale? Quelle forme prend le recensement de population ? La langue est-elle aujourd'hui encore posée comme miroir de l'appartenance ethnique ? Le recensement de population est-il objet de luttes politiques ?

Elisa CAMAGNI (Lausanne-Milan) : Humboldtian Ideas in the Linguistic Production of I. I. Meščaninov

In my speech I intend to point out how the ideas of W. von Humboldt (1767-1835), one of the few “Western” linguists that N. Ja. Marr (1864-1934) and his followers openly admired, can represent an effective tool to interpret the linguistic thought of I. I. Mesščaninov (1883-1967). Although W. von Humboldt’s name appears many times in the introduction to Obščee jazykoznanie. K probleme stadial’nosti v razvitii stroja predloženija (1940), Meščaninov never explicitly declares to share or to have been influenced by von Humboldt’s thought. He simply hints at the way in which von Humboldt dealt with two problems: the origin of language and the definition of the relations between language and thought. However, not only do Meščaninov’s works show that he knew von Humboldt’s thought. They also demonstrate that he creatively elaborated the brightest among von Humboldt’s linguistic ideas. Therefore it is obvious that the influence played by Humboldt is much more intense, systematic and pervasive than what Meščaninov explicitly admits.

            My speech aims at clarifying why it is possible to claim that Meščaninov took and elaborated von Humboldt’s legacy. This can be demonstrated by making reference to the many interests the two linguists had in common, such as:

a) the study of language from an evolutionistic or stadial perspective;

b) the analysis of the morphematic unit or of the word according to a syntactic-typologic perspective;

c) the interpretation of the relations between language and thought.

            By adopting a comparative approach I intend not only to show how Meščaninov developed von Humboldt’s intuition of a “typological mix”, but also to propose an interpretation of his categorical scheme on the basis of the concepts of “synthesis” and “symbol”, which von Humboldt hints at in his Introduction to Kawi.

Roger COMTET (Toulouse) : Mikolaj Kruszewski (1851-1887) et les linguistes allemands de son époque

Il est fréquent que l’on rattache le linguiste polonais Mikolaj Kruszewski au mouvement néo-grammairien, de même, du reste, que son maître, collègue et compatriote à Kazan Baudouin de Courtenay. Pour vérifier cette assertion, on esquissera dans un premier temps les principales étapes de sa vie et de son œuvre, ce qui nous permettra de resituer le rapport qu’il a entretenu avec les néo-grammairiens ; ce fut une relation complexe dont nous nous attacherons à préciser la part respective de l’imitation et de l’originalité. On se rendra compte, en fait, à l’examen des œuvres initiales de Kruszewski, à cheval entre linguistique et ethnographie et composées avant même la découverte du mouvement néo-grammairien (il s’agira surtout des "Formules magiques comme aspect de la poésie populaire", 1876), que Kruszewski a été essentiellement influencé par l’ethnologie et la psychologie empiriste anglo-saxonnes qu’il avait découvertes lors de ses années d’étude à Varsovie. Sa pensée s’inscrit donc au croisement de deux héritages théoriques, l’un anglo-saxon, l’autre germanique, ce qui constitue une fois de plus un bel exemple de la fécondité des échanges interculturels.

Françoise DOUAY (Aix-en-Provence) : Le positivisme en sciences humaines dans la France du XXe siècle à travers l’Histoire sincère de la nation française de Charles Seignobos (1933).

Après avoir rappelé à grands traits ce que fut le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) dans sa double dimension épistémologique et mystique, l’engouement et les réticences qu’il suscita, et les ramifications de son héritage (sciences, sociologie, droit, logique), nous examinerons un ouvrage révélateur dû à l’historien français Charles Seignobos (1854-1942). Signataire, avec Ernest Lavisse (1842-1922), des réformes de l’enseignement de 1902 qui modernisèrent vigoureusement les programmes –notamment en éliminant définitivement la rhétorique au profit de la physique-chimie- cet historien de l’Europe culturelle (1884-86) et politique (1897), attaché aux questions de méthode, a choisi, à la fin de sa vie, le terrain disputé de l’histoire de France pour démontrer dans son Histoire sincère de la nation française (PUF 1933) la force de renouvellement dont est porteuse « la méthode positiviste » et l’intérêt — controversé — d’une « histoire sans noms propres ».

Svetlana GORSHENINA (Lausanne) : Le Registân de Samarcande : l’élaboration d’une stratégie de patrimonialisation dans l’Asie centrale tsariste, postrévolutionnaire et postsoviétique

Cette communication porte sur l’histoire de la patrimonialisation du Registân, la place centrale de la ville de Samarcande, dont les monuments de l’époque timouride habillés de briques émaillées aux couleurs du ciel comptent parmi les grands mythes de l’Orient exotique forgé en Occident. Tandis que le « bleu de Samarcande » attirait l’attention des artistes, voyageurs et savants, les monuments de la ville entrèrent au coeur des enjeux de patrimonialisation qui intervinrent aussi bien dans le contexte colonial instauré en Asie centrale à partir du milieu du xixe siècle, que dans le contexte postcolonial qui débuta dans les ex-républiques avec la dissolution de l’Union soviétique.

Cette patrimonialisation – acte de construction d’une mémoire collective à travers un « objet mémoriel » – va transformer cette place (auparavant dépourvue de qualificatifs particuliers) en un « monument historique » et en une référence culturelle de la nation. Ce processus prend place dans un temps qu’il est possible de qualifier de « long » en raison des amples bouleversements qui sont survenus depuis, même si, stricto sensu, la totalité de la période concernée n’excède pas 150 ans. Subdivisé en époque tsariste (1865-1917), soviétique (1917-1991) et de l’indépendance (dès 1991), ce temps est avant tout fortement hétérogène. Marqué par la conquête, une gestion militaire puis civile, des révolutions et une guerre civile, il a assisté à la création d’États, à des changements sociétaux radicaux, puis à un lourd isolationnisme et à l’explosion des nationalismes. L’identité du Registân reflète donc toutes sortes de transformations, de ruptures et de continuités dans la politique patrimoniale en Asie centrale ; elle est le résultat du travail de mémoire qui conduit à la sélection a posteriori de certaines constructions héritées du passé en vue de leur classement dans la catégorie des objets patrimoniaux. Ce processus aux enjeux multiples et contradictoires s’est inscrit dans le schéma d’une patrimonialisation relevant d’une époque coloniale, dont les parallèles et l’inspiration sont à chercher dans les colonies européennes et en Europe même.

Anna ISANINA (Saint-Pétersbourg) : Les fondements théoriques de la conception d'I. E. Aničkov

Le personnage central de notre communication est Igor Evgenjevič Aničkov, un linguiste russe presque méconnu aussi bien en dehors de Russie que dans son pays d'origine.

Son ouvrage principal Idiomatika v rjadu lingvističeskix nauk (L'idiomatique parmi les sciences du langage) rédigé en 1937 en tant que thèse de doctorat (kandidatskaja dissertacija), dont le noyau théorique s'était déjà formé vers 1927, n'a été publié que 60 ans après.

De nombreuses circonstances de sa vie privée et professionnelle avaient eu pour conséquence que la communauté linguistique a eu accès à son héritage scientifique – très pauvre en volume mais inappréciable du point de vue de son contenu – pas avant les années 1990, après son décès.

Quand il s'agit d'un savant tombé dans l'oubli, puis redécouvert, la modalité « conditionnel passé » des tentatives d'estimation de son importance et son influence hypothétique sur le développement de son domaine de recherche les rend toujours contestables. Dans ces textes linguistiques singuliers qui sont consacrés aux ouvrages d'I. E. Aničkov, l'accent est souvent mis sur le fait que ses idées aient bien devancé son « air du temps ». Illustrent cette thèse quelques rapports entre les idées d'Aničkov et celles plus tardives mais connues dans le domaine des sciences du langage. Voici les observations, à notre avis, les plus intéressantes :

1.              Pour Aničkov, la langue représente une structure à plusieurs niveaux hiérarchiquement organisés. Plus tard, cette représentation sera explicitement formulée au sein du descriptivisme américain. Il est remarquable que, selon Aničkov – à l'opposé des descriptivistes - cette hiérarchie ne soit pas stricte et il est possible de décrire les unités d'un certain niveau en utilisant les données du niveau suivant, et pas seulement du précédent.

2.              Les niveaux de la langue dont I. E. Aničkov parle – phonétique, morphologique, syntaxique, idiomatique et sémantique (c'est lui qui a ajouté les deux derniers) – sont en même temps les niveaux d'analyse de la parole. En plus, sa théorie sous-entend une segmentation complète (sans excès) d'un discours sur chaque niveau d'analyse.

3.              L'idiomatique, une science proposée par le chercheur russe, en tant que discipline intermédiaire entre la syntaxe et le sémantique, anticipe l'élaboration du concept de la syntaxe profonde.

4.              Anicˇkov estime qu'il n'existe pas d'expressions absolument libres dans la langue. Cette idée est étroitement liée à celle de détermination de significations lexiques par le contexte (sémantique, syntaxique et/ou lexical).

5.              Les groupes d'expressions à l'aide desquels il illustre sa conception impliquent le principe qui amènera plus tard à la théorie des fonctions lexicales, élaborée par I. A. Mel'cˇuk et A. K. Zˇolkovskij.

6.              Définissant l'idiomatique comme une science qui étudie les combinaisons des mots, Aničkov laisse à la syntaxe le champ des combinaisons de formes des mots – une idée proche de celle de la syntaxe autonome de N. Chomsky.

7.              Enfin, I. E. Anicˇkov insiste sur le fait que l'étape descriptive dans le développement des sciences du langage (l'étude des phénomènes langagiers à une époque donnée) doive obligatoirement précéder les étapes comparative et historique. Les tentatives de réduire l'approche synchronique au statut de « grammaire scolaire ou pratique » présentent, selon lui, un exemple du « mauvais historisme ».

Un des buts de ces travaux consiste, d'un côté, en la réhabilitation du chercheur manqué, son retour parmi le panthéon du monde scientifique et, de l'autre côté, en la mise en disposition pour la communauté linguistique contemporaine de l'héritage théorique qu'il avait laissé.

Sans vouloir d'aucune sorte dénier l'importance des rapports postérieurs, nous nous concentrerons dans notre communication plutôt sur les sources de la conception d'Aničkov, les idées sur lesquelles s'appuyait ce chercheur russe qui travaillait bien avant le temps où il aurait pu être compris et accepté.

Franco LO PIPARO (Palermo) : Gramsci et Wittgenstein: une liaison singulière

Dans la Préface aux Recherches philosophiques Wittgenstein fait un aveu qui encore attend une explication: «je suis redevable à la critique que M. P. Sraffa, professeur à l’université de Cambridge, a inlassablement exercée sur mes pensées pendant des nombreuses années. C’est à cette stimulation que je dois les idées les plus fécondes de cet écrit». La déclaration est étrange et misterieuse parce que Sraffa est un économiste et un historien des théories économiques dont on ne connait pas des écrits théoriques sur le langage. Alors, d’où dérivent les connaissances théoriques de Sraffa sur le langage? Amartya Sen, dans l’article Sraffa, Wittgenstein and Gramsci (2003), formule l’hypothèse que Sraffa dans les convérsations avec Wittgenstein ait employé les suggestions linguistiques apprises à Turin par Gramsci. En effet, Gramsci avait étudié linguistique à l’école sociolinguistique de Matteo Bartoli et avait des connaissances en spécialiste du langage, et il avait aussi écrit sur le langage.

         Je vais élargir la suggestion que Sraffa a maintenu des contacts avec Gramsci en prison et, lorsque Gramsci sort de la prison (25 octobre 1934) en liberté survellée, il voit beaucoup de fois son ami.

Donc, Gramsci a été par Sraffa une des sources de la philosophie du langage du deuxième Wittgenstein. Je vais faire une analyse du concept de jeu de langage en adoptant cette singulière suggestion historiographique.

Sébastien MORET (Lausanne : UNIL-CRECLECO) : Les langues artificielles chez Jacques Damourette et Edouard Pichon

Dans la France de l’entre-deux-guerres, Jacques Damourette et Edouard Pichon publient en plusieurs tomes leur Essai de grammaire de la langue française et toute une série d’articles qui composent leur système linguistique et grammatical que de nombreux commentateurs ont qualifié de nationaliste.

Patriotes exacerbés, membres de l’Action Française, germanophobes, antisémites, Damourette et Pichon réunissaient en eux les grands courants idéologiques de la France de cette époque, accouplés d’une haine pour les langues artificielles – « Mille fois plus mortes que les langues mortes, elles ne sont que des cadavres nés sans âme et qui pourrissent au soleil, et elles constituent l’un des plus graves attentats que l’on n’ait jamais vus contre l’originalité, la vigueur et la dignité de la pensée humaine », écrivait Pichon en 1937 – que leur nationalisme seul ne suffit pas à expliquer. S’il est vrai que les supposés internationalistes mis en avant par les langues artificielles ne convenaient pas à leurs idéaux de repli sur soi, leur rejet des langues artificielles s’explique avant tout par le fait que ces dernières étaient tout simplement incompatibles avec leur système de pensées linguistique et grammatical. Nous le montrerons en analysant les trois idées qui rendent les langues artificielles inacceptables à leurs yeux :

1) chaque langue est un système de pensées unique ;

2) la langue représente l’essence d’une nation ;

3) les signes ne sont pas arbitraires.

Margus OTT (Tallinn) : La vague des traductions après 1991 en Estonie

Après la fin de l’occupation soviétique et la fin de la censure, il y a eu un explosion de traductions en Estonie. Surtout dans le domaine de la philosophie et des sciences humaines, la révolution a été spéctaculaire : on a traduit Platon, Aristote, Plotin, Descartes, Machiavelli, Kierkegaard, Nietzsche, Bergson, Heidegger, Gadamer, Deleuze, Foucault, Derrida, Sartre, Beauvoir, etc. On prépare des traductions de Spinoza, Locke, Leibniz, Kant, Blanchot, Badiou... La culture estonienne a été dominée par l’allemand et le russe, et ce qui est intéressant dans les derniers 20 ans, ce sont les traductions de l’anglais et du français. La culture française surtout, traditionnellement très marginale en Estonie, est devenue une source très importante, de Bergson à Badiou. Cette ferveur de traduction est à lier d’abord avec la naissance de l’estonien écrit à 16. siècle, qui était étroitement liée à la traduction de la Bible, et aussi avec la création de l’estonien moderne à la fin de 19. siècle. A toutes ces époques on a dû inventer beaucoup des mots nouveaux.

Philippe SCHEPENS (Besançon) : Volochinov versus Habermas : deux pensées globales autour de l’activité de langage

Je proposerai d’entrer dans l’élaboration habermassienne en comparant la démarche globale du philosophe allemand avec celle de Volochinov dans Marxisme et philosophie du langage. Les deux s’essaient en effet à décrire l’un (Habermas) une « théorie du langage », l’autre (Volochinov) une « philosophie du langage », et l’un et l’autre à partir d’un cadre sociologique. Pourtant ni l’un, ni l’autre ne mettent vraiment l’accent sur cette donnée d’arrière-plan.

Volochinov-Bakhtine commence par s’intéresser au signe, à sa matérialité particulière, au fait que non seulement il rend possible pour une part l’appréhension d’une partie du réel (il la « reflète »), mais en même temps il la distord et la masque (il la « réfracte »). C’est ce caractère bifron du signe qui institue une arène à la fois dialogique et agonistique où des interlocuteurs appartenant à des groupes sociaux aux intérêts économiques et idéologiques opposés ou contradictoires s’affrontent pour faire valoir, chacun comme légitime, leurs représentations du réel, les valeurs que leurs signes portent, et se construire dans ce cadre comme sujet interhumain participant à l’élaboration conflictuelle du réel interhumain.

Dans ce cadre, l’attention que Volochinov-Bakhtine porte au mot, à sa matérialité, à sa circulation, à ses effets de sens est déterminante. Il est notamment toujours examiné comme « mot d’autrui », mot déjà dit, déjà prononcé, déjà porteur d’un accent appréciatif, d’une voix, d’une valeur, d’un passé, d’une mémoire, et donc susceptible de nourrir de manière complexe et fine des énoncés polyphoniques qui modulent l’accès au réel du sujet ou du collectif.

Chez Habermas, c’est d’emblé l’activité de sens des sujets qui mobilise l’attention du philosophe. Et c’est sans doute cette attention initiale au sens qui le conduit vers la reprise et la modification de la phénoménologie husserlienne et de la réflexion de Wittgenstein sur les jeux de langage, comme engageant une trans-psychologie des acteurs de l’échange langagier. Le point de vue n’est pas tant sociologique que psychosociologique, et il conduit vers la description d’une pragmatique, la description des règles, des normes et des compétences particulières mises en jeu dans l’échange langagier pour arriver, dans des situations collectives d’élaboration, à une appréhension du réel qui rassemble les acteurs de cet effort.

Ce n’est pas nier les affrontements et les contradictions sociales, mais c’est mettre l’accent sur la structure communicationnelle qui rend compte du fait que malgré les confrontations parfois les plus brutales (ce qu’Habermas pense comme pathologies communicationnelles), les sujets restent reliés les uns aux autres et construisent par l’activité de parole les formes de leur cohésion sociale.

Patrick SERIOT (Lausanne) : Voloshinov et la crise du positivisme : une interprétation paradoxale

Jamais on n'avait tant parlé de crise qu'au tournant du 19e et du 20e siècles. Crise des fondements des mathématiques, certes, crise morale et religieuse, mais, dans notre domaine, essentiellement crise du positivisme, connue à travers la querelle des lois phonétiques en linguistique.

V. Voloshinov se déclarait marxiste. En cela, il participait pleinement aux débats de son temps, qui tournaient autour de l'idée d'un dépassement, voire d'un renversement du positivisme. Le paradoxe est que, ce faisant, il retranscrit en termes qu'il pense «marxistes» l'essentiel de l'argument des idéalistes que sont B. Croce et K. Vossler. On va donc s'attacher à débrouiller un nœud étonnant et paradoxal : l'anti-positivisme du début du 20e siècle réunit les adversaires les plus acharnés. Pour produire quel genre de connaissances?

Elena SIMONATO-KOKOCHKINA (Lausanne) : Le ‘novojaz’ : radiographie d’une créature linguistique

Les événements de 1917 ont brassé les différentes couches de la société, de niveau intellectuel. « Qui n’était rien deviendra tout », et les classes basses de la société, qui n’avaient pas de voix, la reçoivent, alors que la noblesse et l’intelligentsia se mélangent aux ouvriers. La langue russe, auparavant divisée stylistiquement, se mixe. Mots d’ordre soviétiques, le langage de la pègre, le parler de campagne, la parole recherchée des aristocrates, les éléments étrangers.

Nous étudierons les éléments lexicaux, étymologiques et morphologiques dont est composé (construit) le ‘novojaz’ (langue nouvelle). Elle abonde en effet en éléments provenant des autres registres linguistiques tels que le blatnoj jazyk (langue de la pègre), et du prostorečje (parler populaire, colloquial).   

Virginie SYMANIEC (Paris) : La langue au secours de l'archéologie sur les charniers de Kourapaty

"Depuis la découverte des charniers de Kourapaty dans la banlieue de Minsk à la fin des années 1980, on a beaucoup parlé de l’importance que cette découverte macabre avait eue sur le développement d’un fort mouvement d’opposition au totalitarisme soviétique en Biélorussie. Dans cette communication, nous nous intéresserons surtout au rôle éminemment politique qu'eurent les discours sur les langues ainsi que le rapport que ceux-ci entretinrent aux manquements de la "preuve" archéologique, au cours des expertises qui conduisirent à affirmer ou à infirmer les responsabilités russe et/ou allemande du massacre. Nous tenterons alors de tirer des conclusions sur ce que ces discours peuvent encore nous apprendre au sujet des traitements plus contemporains de la langue en Biélorussie.

Mladen UHLIK (Ljubljana-Lausanne) : Y a-t-il des révolutions dans la langue ? -   Les linguistes soviétiques inteprétant la Révolution française

Dans la première partie de cet exposé nous  présenterons deux textes, datant de la fin des années 1920, dans lesquels deux romanistes, Konstantin N. Deržavin et Maksim V. Sergievski,  se lancent dans une approche marxiste de l'histoire de la langue française. Les deux linguistes s'inspirent du texte célebre de Paul Lafargue La langue française avant et après la Révolution pour mettre en relief l'idée que la langue n'est qu'un moyen dont chaque classe sociale tente de s'emparer et pour montrer que l'histoire de la langue reflète la lutte des classes.  
Si le texte de Lafargue est une source de citations dans les années 1920 et 1930, la réputation de ce texte change après la fameuse intervention de Staline en 1951. Afin de l'illustrer, nous aurons recours au texte de Xačik Momžjan «Lafargue et certaines questions de linguistique».

Bénédicte VAUTHIER (Berne) : Théorie et pratique des «influences» dans l'œuvre de Bakhtine

Dans un excursus d’une quinzaine de pages du « Discours romanesque » (1934), Mikhaïl Bakhtine écrit que les problèmes de la « transmission et de la discussion du discours et des paroles d’autrui » doivent être abordés et traités avant que ne soient étudiés ceux de la « représentation littéraire du discours d’autrui ». Pour lui, en effet, « dans tous les domaines de la vie et de la création idéologique, nos paroles contiennent en abondance les mots d’autrui, transmis avec un degré de précision et de partialité fort varié ».

Cette déclaration nous permettra de revenir sur le sens à donner aux pratiques constantes de copie, de relecture, de réécriture observables dans les écrits de Bakhtine ainsi que sur son intérêt théorique pour toutes formes d’écritures dites « mimétiques » (Schneider) : parodie, pastiche, stylisation, etc. Refusant de nous tenir à une approche techniciste du plagiat, nous  essaierons alors d’éclairer certaine pratique d’écriture de Bakhtine à la lumière philosophique et psychologique des concepts d’auctorité (ou autoritativité) et de devenir-auteur.

Jean-Marie VIPREY (Besançon) : Le Dialogisme (MPL, N.Volochinov) en lexicologie discursive

Nous avons eu tardivement connaissance, vers 1995 comme doctorant, des œuvres attribuées à l’époque à Bakhtine et/ou au « Cercle BMV » (Peytard). Dans le domaine de la critique littéraire, nous n’avons pas reconnu dans les traductions alors accessibles en France (Rabelais, Dostoievski, les 2 « Esthétique ») d’éléments susceptibles de constituer une théorie, ni de contribuer de façon majeure à un outillage conceptuel renouvelé. En revanche, MPL nous apparaissait d’emblée comme une référence originale et nécessaire dans le domaine de l’analyse du discours. Notre première lecture de la traduction Yaguello, faite à la fin des années 1990, nous amenait à conclure à l’omniprésence de ce que nous identifions comme des traits « marxoïdes », autrement dit abusivement référés à Marx et très fortement marqués de ce qui allait devenir, de 1925 à 1970, un des corpus idéologiques des partis liés à l’URSS stalinisée et post-stalinienne. Gramsci d’un côté, Lukacs de l’autre, notamment, ayant produit des concepts beaucoup plus clairs, bien qu’encore obscurcis par les conditions historiques de leur élaboration et de leur diffusion.

Une seconde lecture, faite à la fin des années 2000, sur la même traduction, suscitait moins de réserve chez un lecteur plus clairement désormais installé dans le champ de l’analyse de discours. Néanmoins, les catégories sociologiques employées, la rareté des exemples construits, le caractère très péremptoire de l’énonciation, et l’absence d’une liaison argumentée explicitement aux écrits de Marx ou de marxistes (de nature à justifier le titre et à venir s’articuler aux problématisations du XIXème siècle), cantonnaient encore cet ouvrage au statut de témoin historique et de mine de citations. La traduction nouvelle de Sériot-Ageeva, si elle remet en cohérence la continuité lexicale de nombreux concepts, et gomme l’interprétation « marxoïde » la plus flagrante, n’est pas de nature à modifier notre évaluation du statut de l’ouvrage.

Pour comprendre la fortune de cet écrit dans le domaine qui nous intéresse (l’analyse du discours, « école française »), il sera sans doute nécessaire d’approfondir l’examen de la sociologie de la réception de l’ensemble « bakhtinien », dont l’ouvrage de Bronckart-Bota jette les fondements légitimes et incontestables. Les chercheurs qui nous ont été et/ou sont proches dans ce domaine (Peytard, Adam, Authier, Branca-Rosoff, Fiala, Krieg-Planque, Schepens, etc)  n’ont pas versé dans la mystification « bakhtiniste » mais ont évolué sur un terreau référentiel commun à un bien plus vaste ensemble, en « puisant » dans MPL (trad.Yaguello) nombre d’éléments littéraux (plus ou moins importants dans une supposée « logique » de l’ensemble, plus ou moins longs, plus ou moins continus, plus ou moins récurrents, etc) à l’appui du développement de leurs propres conceptions. Leurs résultats ne semblent pas devoir être gravement affectés par l’implosion du personnage de Bakhtine, et c’est à eux d’en faire sereinement le bilan sincère.

Pour notre part, le fruit essentiel des lectures « collectives » (cours reçus, séminaires, cours donnés) de MPL est de l’ordre de la lexicologie « discursive » (on ose ce pléonasme puisqu’il n’est pas pléonasme pour tous les linguistes). D’abord, le statut du « m/Mot », « slovo ». Nous tenterons de développer d’abord un éclairage précis de la « diasémie » de slovo, qui nous semble très profitable à une approche discursive des sciences et de la philosophie du langage, et où les « deux acceptions » (ou traductions) peuvent converger : en lexicologie « discursive », le « mot » n’est jamais isolé de la « parole », ni la « parole » bien éloignée de la lexicalisation. Puis, nous présenterons le profit majeur d’une « lecture française » de MPL dans notre domaine : comment dans la pratique de l’analyse du discours le « mot » ainsi élargi est bien l’arène – espace partiel - d’une lutte dans l’espace public généralisé et hyper-structuré. Comment des vocables du type « rebondir » ou « flexible » ferment la bouche à toute opposition qui ne se déplacerait pas sur le terrain métadiscursif. Comment d’autres, « mutualiser » par exemple, infligent la double peine de l’effet précédemment décrit, accru de la spoliation, du détournement au détriment de la sphère discursive-sociale où ils ont été créés et ont agi.

C’est le sens non trivial que nous prêtons au dialogisme : par cette charge socio-discursive plus ou moins conflictuelle qu’il acquiert dans l’interdiscours, le « mot » est le vecteur privilégié de cette « traversée » d’un discours par ceux qui l’ont précédé, par ceux qu’il anticipe, par ceux de ses genres proches et voisins, et tout nouvel emploi contribue à infléchir cette charge. Contrairement à une vulgate marxoïde (dont certaines formulations de MPL ne sont pas exemptes notamment quand il s’agit d’art littéraire), il y a donc dans l’emploi dudit « mot » et dans l’entrée en interdiscours une responsabilité active et libre, qui ne saurait être ni allégée ni confisquée par un déterminisme « de classe ». Il en va sans doute de même pour la polyphonie (que nous évoquerons seulement, dans la mesure où elle est surtout développée dans le très problématique Dostoievski).

Nous illustrerons notre propos par une ébauche de l’histoire lexicologique à court terme de quelques « mots » dans un corpus de presse française (1990-2010) (dialogisme) et par des rudiments d’étude de l’emploi des guillemets dans le même cadre (polyphonie montrée).

Nous laisserons ouverte la question de savoir si c’est bien là un sens que l’on peut et droit prêter à MPL spécifiquement, et si cet ouvrage a authentiquement joué un rôle nécessaire dans la construction/légitimation de tels concepts opératoires.

Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) : La «linguistique pédagogique» d’E.D. Polivanov

Nous étudierons la partie de l’héritage théorique d’E.D. Polivanov qui est consacrée à l’enseignement des langues. Polivanov insistait, entre autres, sur la nécessité pour l’enseignant de s’appuyer sur les acquis de la linguistique théorique et d’enseigner les langues dans leur totalité. En même temps, il soulignait l’importance de prendre en considération les différences qui existent à tous les niveaux entre la langue maternelle des élèves et la langue enseignée. Ces réflexions de Polivanov ont été réalisées dans les grammaires descriptives, manuels et abécédaires de plusieurs langues qu’il a composés dans les années 1920-1930. Tous ces travaux ont considérablement enrichi la linguistique théorique dans plusieurs domaines, dont la phonologie et la linguistique contrastive.