Accueil | Cours| Recherche | Textes | Liens


Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Aleksandr Afanas’evič Potebnja (1835-1891)

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2010-2011,

Prof. Patrick SERIOT / Anastasia FORQUENOT DE LA FORTELLE

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(automne 2010, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Forme et contenu dans la culture russe

 

26 octobre 2010

Compte-rendu par Gabrielle Fodor

Potebnja et sa vision du rapport entre la forme et le contenu

1.       Biographie d’Aleksandr Afanas’evič Potebnja

a.       La vie de A. A. Potebnja

    Il est né en 1835 en Ukraine. Entre 1851 et 1856, il a étudié le droit à l’Université de Xar’kov, puis l’histoire et la philologie. En 1861, il est devenu professeur associé au département de langue et littérature russe de l’Université. Quelques années plus tard, il a été élu membre de la société impériale moscovite d’archéologie et des amateurs de langue et littérature russe à l’Université de Moscou, ainsi que membre de l’académie des sciences.

b.       Ses études et ses influences

Potebnja a fait des recherches dans des domaines variés. Par exemple, il s’est intéressé la question de l’origine et de l’évolution de la langue, au lien entre la langue et la pensée, au rapport entre la langue et la nation, au folklore, et au symbolisme de la langue.

Il a été très influencé par : Humbolt (1767 – 1835), K. Aksakov (1817 – 1860), H. Steinthal (1823 – 1899), et H. Lotze (1817 – 1881).

2.       De Humbolt à Potebnja

a.       La conception de la langue chez Potebnja

Selon le linguiste, la langue est un instrument de création de la pensée humaine et c’est à travers elle que l’homme perçoit le monde. C’est dans le mot que la vision du monde de l’individu peut être objectivé et elle préexiste à la pensée.

b.       La forme interne de la langue VS la forme interne du mot : les influences de Humbolt

Humbolt, un savant de l’Ecole de Berlin, a beaucoup influencé les théories sur la conception de la langue de Potebnja. Toutefois, ils se différencient lorsqu’ils abordent la notion de la «forme interne». En effet, Humbolt parle de la forme interne de la langue [innere Sprachform], alors que Potebnja évoque la forme interne du mot [vnutrennjaja forma slova].

Selon Humbolt, la forme interne de la langue est ce qui lie la pensée à la langue et ce qui permet de saisir la façon dont le peuple se représente le monde par l’intermédiaire de la langue. Donc, la structure d’une langue nous révèle la manière de penser de ceux qui la parlent.

Potebnja reprend la notion de forme interne, mais en l’appliquant au mot. D’après lui, la forme interne est le sens étymologique le plus proche du mot et donc la façon dont l’individu conçoit l’objet. La forme interne ne reproduit pas la totalité du contenu de l’objet, mais elle en garde un trait essentiel et de ce fait, nous montre comment l’homme perçoit cet objet.

La forme interne du mot peut aussi être définie comme «l’image de l’image».

3.       Potebnja, Pensée et langue, analyse du chapitre 7

a.       L’interjection VS le mot

En 1862, Potebnja écrit Pensée et langue (Мысль и Язык) et il y développe la notion de forme interne pour expliquer le rapport entre la langue et la pensée. Il décrit le rôle du langage dans l’évolution de l’individu en faisant de l’étude de l’origine de la langue une étude psychologique.

Dans la première partie du chapitre 7, le linguiste explique la différence entre le mot et l’interjection qui sont tous deux des sons articulés, mais dont le rôle n’est pas le même. En partant du trait externe qui distingue les deux, on découvre qu’il y a une différence plus interne et plus profonde qui ne s'arrête pas à la production du son : le mot existe et est reconnaissable grâce à l’articulation, tandis que le sens de l’interjection n’est remplie que par le ton. L’interjection n’a donc pas de sens objectif, ce qui crée une différence interne entre elle et le mot.

·   L’interjection :

• le ton est porteur de sens
• lien direct et immédiat avec le sentiment
• signification temporaire
• absence de signification objective

·       Le mot :
• le ton rajoute le sentiment
• l’importance de l’articulation
• lien permanent avec une pensée
• présence de signification objective

L’interjection acquiert une signification immédiate et temporaire qui est en lien direct avec un sentiment immédiat et temporaire, tandis que le mot a un lien permanent avec une pensée, un contenu objectif.

La particularité du mot est qu’il acquiert une nouvelle nuance chaque fois où il est prononcé, grâce au contexte, car il a une signification objective qui nous permet de nous faire une représentation de l’objet. La représentation actuelle de la chose est une somme du contenu objectif et du contenu subjectif.

b.           L’homme VS l’animal

Dans la seconde partie du chapitre 7 de son livre, Potebnja parle de la différence entre le langage des animaux et celui des hommes : la production des sons. Si l’homme articule les sons, au contraire, l’animal les produits sans les articuler, car le but même de leur production est différente chez l’homme et l’animal.

Chez l’animal, le son est émis par une réaction instinctive, alors que chez l’homme il est le fruit d’un fonctionnement plus complexe de l’âme dans le but d’obtenir quelque chose. L’homme articule, parce qu’il arrive à faire un lien causal entre ce qu’il éprouve, le son qu’il produit, et ses conséquences.

c.       L’origine du mot

Si la caractéristique de l’homme est d’articuler les sons, cela signifie qu’ils sont des interjections qui s’opposent aux cris non articulés des animaux. Le mot trouve donc son origine dans l’interjection auquel on rajoute une signification objective qui lui permet d’être compréhensible.

Le lien entre le mot et les sentiments est très faible et s’est affaibli dans le passage de l’interjection au mot. Cet affaiblissement est dû au fait que l’on finit par s’habituer aux sons qu’on entend plusieurs fois en faisant un lien entre le son et le contenu.  Donc, la première condition de la formation d’un mot est l’affaiblissement du sentiment qui permet à l’homme de prendre conscience du lien entre le son et le contenu.

La formation d’un mot se fait en trois étapes : 1) le sentiment s’exprime par le son, ce n’est donc que le
simple reflet ; 2) l’association entre le son et le sentiment, c’est-à-dire la reconnaissance du son ; 3) la
composition du contenu dans le son. Grâce à cela, l’homme comprend le fonctionnement de sa pensée et peut communiquer, car le mot a acquis une signification objective.

d.       La forme interne

Cette signification objective qu'acquiert le mot, en passant par l'interjection, se reflète dans sa forme interne. Cette dernière est le moyen par lequel le sens objectif s'exprime.

La forme interne peut être définie en trois points : le trait essentiel, la représentation de la pensée humaine, et la différence entre les langues et par conséquent des peuples dans leur façon de penser.

e.       L'onomatopée

L'onomatopée peut être prise comme exemple de la forme interne comme trait essentiel. Si dans le mot стол on a choisi un trait qui caractérise sa fonction, dans l’onomatopée on a choisi le trait lié à ce qu’on entend. On est tenté de faire le lien direct entre le son et la chose, mais selon Potebnja tous les mots fonctionnent de la même façon et on ne peut donc pas faire le lien entre la forme et le contenu sans passer par la forme interne du mot qui seule justifie le lien.

 3.      Conclusion

1)     Le rapport entre la forme et le contenu n’est pas arbitraire.

2)     La forme interne justifie le lien entre la forme et le contenu.

3)     Il faut se méfier de la perception pour justifier ce lien.

4.       Critique de la théorie de Potebnja

a.       Peut-on considérer ce texte comme un texte argumentatif ?

Potebnja juxtapose des concepts qu’il dit être évidents et connus de tous, donc il n’aurait pas a écrire de livre. Son texte n’est de ce fait pas argumentatif, mais descriptif. De plus, l’auteur utilise des exemples externes qu’il essaie d’appliquer à la langue. 

b.       Est-ce la langue qui crée la pensée ou la pensée qui crée la langue ?

Si le mot est à l’origine de la pensée, comment peut-on justifier la forme interne comme trait essentiel de l’objet conçu par l’individu ?

Si la forme interne nous montre le processus cognitif, comment peut-on affirmer que le mot préexiste à la pensée ?

L’étymologie n’est-elle pas la preuve de l’activité humaine sur la langue ?

Suite du cours donnée par Monsieur Seriot

1.       La pureté de la poésie

a.       Lewis Henry Morgan et la théorie évolutionniste classique

L’évolutionnisme classique est représentée par trois dimensions : la sauvagerie, la barbarie, et la civilisation. Ce sont les trois stades obligatoires de n’importe quelle collectivité humaine. Sur terre, ces collectivités coexistent sans être forcément au même stade.

b.       La pensée archaïque

Potebnja est, comme tous les évolutionnistes, fasciné par la pensée archaïque. Il pense qu’elle a été un moment de pureté et qu’au début de cette pensée était la poésie. Seul un poète a pu inventer le tout premier mot. Puis, est venue la prose. Selon le linguiste, cela a été une période d’oubli de la poésie, de la forme interne, car la poésie met à nu la forme interne des mots, alors que la prose l’efface, l’oublie et la perd. Mettre en évidence la forme interne est donc faire ressusciter le mot.

c.          Humbolt

Selon Humbolt, la langue est active. Elle n’est pas un moyen pour exprimer une pensée toute faite, mais un moyen de créer, une activité qui produit une vision du monde.

d.          Potebnja, Pensée et langue/langage

Selon la théorie de Potebnja, chaque mot a trois composants : le son, le référent, et la forme interne. Il cherche à mettre en évidence les différences entre les langues en s’attachant aux formes externes et internes des mots, sans prendre en compte les perceptions communes des différents peuples. Pourtant, des mots de différentes langues peuvent avoir la même étymologie.

A la fin du Romantisme, le problème de la perte de la forme interne se pose et Potebnja pense que seuls les poètes peuvent ressusciter ce qu’on a perdu. Mais objection à cette idée de Potebnja : à défaut de forme interne, le poète peut toujours en inventer une, c’est ce qu’on appelle “l’image poétique” (ce sont les charades, jeux de mots, jeux morphématiques, …).

e.       La notion de motivation relative

Certains mots peuvent paraître n’avoir aucun rapport de motivation, tels que mouton et berger. Pourtant, l’on peut retrouver cette motivation en nous référant au latin. En effet, il y avait trois façons de dire le mot brebis : berbex (qui a donné brebis), verbex (qui a motivé le mot berger), et vervex. C’est ainsi que l’on comprend que ce n’est pas le mot mouton qui a motivé celui de berger, mais l’un des termes latins de brebis. Il n'y a aucun rapport de motivation entre mouton et berger, mais une motivation entre vache et vacher.

Retour à la présentation des cours