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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


S. D. Kacnel’son (1907-1985)

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2010-2011,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3 / Master

(printemps 2011, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Histoire des idées linguistiques. Langue et pensée : les discussions des années 30-40 en URSS

22 mars 2011 Compte-rendu par Fanny Meyer

La linguistique post-marriste et le rapport langue – pensée

        Pendant la période de l’entre-deux-guerres en URSS (années 1920-1950), toute la science s’effectue, se voit et se pense à travers le filtre du marxisme. Cependant, afin de comprendre le fonctionnement de ce pays, ce filtre n’est pas suffisant. C’est lors des «discussions» que se mettent en place les options prises au niveau des sciences humaines.
        En linguistique, l'idée communément admise est que à toute structure syntaxique correspond une structure de pensée : la pensée ne peut exister sans la langue et vice versa.
        Les grands penseurs Allemands, à commencer par Humboldt (qui fonde la première université en Prusse), deviennent des modèles pour les Russes. En Russie, A. Potebnja (1835-1891) et A. Veselovskij (1838-1906) sont à l’origine de nombreux travaux dont la thématique aborde le lien entre langue et pensée.

Nicolas Marr (1864-1934)

Linguiste géorgien. Il avait 50 ans en 1917, et c’est le seul Académicien qui accepte le nouveau régime. Sera à la tête de plusieurs instituts.
        Il se veut être une rupture avec les idées du 19e siècle, mais en fait prolonge ces discussions.

Tout le 19e siècle fonctionne sur le principe de l’ancêtre commun. A cette époque, le principe admis quasi unanimememnt est que la ressemblance entre des langues ne peut s'expliquer que par l'hypothèse de l'ancêtre commun à toutes les langues (W. Jones, Discours de Calcutta, 1784 : «le latin, le grec, le gotique et le sanskrit présentent des ressemblances si frappantes qu'elles ne peuvent être dues au hasard»). On en arrive à cette conclusion de l’ancêtre commun, car il y a trop de ressemblances ou de différences systématiques pour que ce ne soit qu’un hasard. Cette période est aussi celle des découvertes sur les fossiles et les dinosaures. Ces découvertes et avancées remettent en question la théorie des origines selon la Bible, car selon cette dernière, le monde aurait commencé en -5508 av. J-C, et ne serait donc pas très vieux. Cette période de découvertes amène donc à considérer l’histoire des langues comme un arbre généalogique (A. Schleicher, Allemagne, 1821-1868), avec l’idée de l’ancêtre commun.
        Mais la découverte de l’arménien vers 1850 révèle un problème dans cette théorie. En effet, cette langue ressemble au géorgien, mais elles n’ont pas d’ancêtre commun dans la généalogie. On relève alors qu’il peut y avoir des ressemblances acquises, et pas seulement transmises. Cette hybridation des langues remet en cause ce que l’on pensait jusque là (cf. Hugo Schuchardt : «toutes les langues sont mélangées», ~ 1900). A la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle le débat sur la linguistique porte sur la question de savoir si c’est une science de la nature ou une science de la culture. Et si les langues se mélangent, c’est qu’elles ne sont pas et ne fonctionnent pas comme un organisme vivant et donc que la linguistique ne relève pas des sciences de la nature.
        Marr prolonge donc ces discussions d’un point de vue évolutionniste. L’évolutionnisme est un mouvement qui débute aux USA en nathropologie (Lewis Morgan, 1818-1881) et qui voit l’évolution comme progrès. Il y a plusieurs stades d’évolutions, qui vont toujours vers le mieux : sauvagerie -> barbarie -> civilisation. Ces stades s’appliquent à toutes les sociétés sur terre, où coexistent des types de société à des niveaux d’évolution différents. Le mouvement évolutionniste est prédominant en URSS. Engels (dans Origine de la famille,de l apropriété privée et de l'Etat), ajoute des stades à l'évolution : sauvagerie -> barbarie -> féodalisme -> capitalisme -> socialisme -> communisme.
        Ainsi, pour Marr, chaque langue suit les mêmes étapes d’évolution. Et chaque étape a son niveau de langue.

Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939) : La mentalité primitive (1922)

        Anthropologue français. A toujours travaillé depuis Paris, à partir de descriptions des explorateurs.
        La thèse principale du texte : les primitifs n’ont pas la notion de causalité, tout est lié au mysticisme. Le sauvage est le jouet d’un être supérieur, il n’a donc pas d’emprise et croit donc en la fatalité. Il y a un lien de nécessité entre langue et pensée, entre signe et référent : le nom, c'est la chose.

Salomon Kacnelson (1907-1985) : «Язык поэзии и первобытно-образная речь» (1947)

        En 1920-1930, beaucoup de débats en Russie sur ce qui est apparu en premier, entre la prose et la poésie.
        Ce débat n’est pas nouveau puisqu’en 1725 : Gian Battista Vico parlait déjà de cette question dans «La scienza nuova» : fait le contraire de ce que fait Descartes qui dit que tout est inné. Pour Vico, on n'est rien en-dehors de toute expérience. Il raconte qu’au début, il y a les dieux, puis les géants et enfin les hommes. Au début, ils étaient muets et communiquaient avec des gestes. Donc lorsqu’ils se sont mis à parler c’était de la poésie, car tout était métaphore. C’est donc la poésie, selon Vico, qui est apparue avant la prose. (métaphore : comparaison par image / métonymie : décrire un tout pour une partie, ou une partie pour un tout).
        Met la poésie avant la prose, donc cette dernière est moins bien.
        Dans le texte, l’auteur se demande si les sauvages sont capables de faire des généralisations.
        Dans les langues primitives, il n’y a pas de différence substantielle entre ce qui est pour nous un substantif et un adjectif. Il prend comme exemple l’aranta (p.303) : au début il n’y a que des noms, puis vient la prédication, c’est-à-dire que des noms deviennent des verbes (Potebnia s’était aussi intéressé à la genèse des noms).
        Les sauvages classifient entre ce qui est nécessaire et superflu. Ils n’ont pas de possibilité de métaphore, et désignent donc un objet et une qualité par un même mot.
        Ce n’est que lorsqu’apparaissent l’élevage et l’agriculture, que se fait une séparation entre le mot général et ses qualités, ses caractéristiques.
        Le progrès est donc marqué par une base économique nouvelle. La métaphore est donc créatrice (p. 314), c’est un travail créateur : il y a donc un rapport de confiance entre le poète et le lecteur. Au contraire de l’image primitive, la métaphore est libre. Signalons que pour Kacnel’son, toute poésie est nécessairement métaphorique.
        Dans ce texte, nous pouvons observer une idéologie évolutionniste, avec comme plus la datation de l’apparition des formes et du contenu (agriculture et élevage).

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