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OVSJANIKO-KULIKOVSKIJ Dmitrij Nikolaevič
1853-1920
L'héritage linguistique de Dmitrij Nikolaevicˇ Ovsjaniko-Kulikovskij, professeur à l'université de Xar'kov, académicien, reste mal connu, ses œuvres linguistiques n'ont jamais été rééditées. Et pourtant, ses intérêts englobent la grammaire et syntaxe, la relation langage-pensée, langage-art, le lien mot-image-mythe.
Avant lui, c'est A.A. Potebnja (1835-1891) qui avait posé à l'histoire de la langue la tâche de "montrer le rôle du mot dans la formation d'une chaîne de systèmes, englobant les relations entre la nature et l'individu". Tout en développant cette idée, Ovsjaniko-Kulikovskij essaye de suivre, à travers l'évolution de la langue, de la philosophie et de l'art, l'évolution de la connaissance.
Dans cette optique, les formes grammaticales ce sont des actes de pensée langagière qui se manifestent par des signes extérieurs (affixes). Dans les significations grammaticales modernes (les catégories grammaticales) se reflètent non seulement les traits des objets, mais également notre point de vue. Par exemple, le verbe, le prédicat et l'adjectif ce sont différentes manières de se représenter la relation de la qualité envers l'objet.
A.A. Potebnja avait découvert que la proposition indo-européenne se dirige vers une verbalité croissante et vers la diminution de la catégorie de la substance, vers la croissance du rôle du verbe en tant que centre de la proposition et l'élimination du sujet suite à quoi la proposition devient plus unie, ce mouvement étant accompagné de la substitution des formes nominales par des formes verbales. Ovsjaniko-Kulikovskij trouve que cette "diminution de la catégorie de substance" s'est reflétée notamment dans l'évolution de deux catégories grammaticales distinctes, substantif et adjectif, qui remontent à une seule proto-forme et dont la distance croit avec le progrès du langage. Ce fait est significatif du changement de la vision du monde puisque, ayant créé l'adjectif, la langue a limité au substantif seul la sphère qu'occupait dans notre pensée la catégorie de la substance et a contribué ainsi au renforcement de la vision active.
Un autre phénomène qui est significatif de cette même évolution est la genèse de l'infinitif qui remonte au substantif ayant perdu ses qualités nominales et acquis des qualités verbales parmi lesquelles la capacité d'être prédicat, celle de signifier une action en cours et celle de désigner la personne (par exemple dans "je veux parler" où l'action se rapporte à "je" par opposition à "je veux que tu parles ").
L'apparition du passif est, elle aussi, significative du changement de la vision du sujet de l'action dans la mesure où dans le passif, celui qui produit la qualité exprimée dans le verbe, c'est un actant fictif.
L'évolution des processus cognitifs, disait Ovsjaniko-Kulikovskij (1896 :5), se reflète à travers deux phénomènes, à savoir l'histoire de la langue et l'histoire des conceptions scientifiques et philosophiques. Dans son article "Fragments de l'histoire de la pensée" (1890), il avait soutenu l'idéeque les racines de la pensée scientifique se cachent dans les processus inconscients du langage et notamment dans l'emploi des formes grammaticales. Ainsi, l'évolution de la langue vers la substantialité du substantif et la concentration de la prédicativité dans le verbe ont constitué la base de la pensée théorique contemporaine, qui, sans contredire la substantialité des choses, considère les phénomènes comme qualités, processus, énergies de phénomènes.
L'apparition du substantif et de l'adjectif en sert d'exemple typique, si on se rend compte du fait que la pensée humaine, qui, comme on le voit dans les conceptions philosophiques antiques, s'était représenté toutes les choses et les processus comme des substances, abandonne pas à pas cette catégorie et apprend à classer les impressions du monde extérieur sous forme de qualités et d'énergies. Cette métamorphose dans la pensée est le ressort de la métamorphose imperceptible des cerveaux que l'on peut suivre à travers les faits de l'histoire des langues, dans les changements de conceptions du monde.
Un autre exemple curieux c'est l'évolution de la catégorie du genre. Avant, plusieurs processus comme la "clarté", ou la "méchanceté" étaient considérés comme des êtres féminins, ce qui s'est reflété dans la langue.
Un troisième exemple est celui des propositions impersonnelles qui désignent les phénomènes météorologiques, par exemple "Il neige", qui nous font remonter à la pensée mythique. A l'époque où avait commencé le mouvement vers l'impersonnalité, les auteurs mythiques de ces actions étaient connus. Mais parfois, la même action était attribuée à plusieurs êtres à la fois, et ainsi est apparue dans la conscience grammaticale la figure sommaire de dieu, le premier pas vers l'élimination du sujet était fait.
Ovsjaniko-Kulikovskij a suivi, à travers l'histoire des langues, non seulement un enrichissement de la pensée, mais également le changement de ses formes. Ses recherches sur la grammaire des langues indo-europennes abordées d'un point de vue psychologique, lui permettent de compléter sa théorie de l'évolution la poésie et de la science, vues comme deux modes de pensée humaine.
Œuvres :
- 1888. "Lingvistika kak nauka", Russkaja mysl' [la linguistique comme science]
- 1890. " Očerki istorii mysli ", Voprosy filosofii i psixologii, n. 2, pp. 159-189 ; n 5, pp. 103-134 [Notes sur l'histoire de la pensée].
- 1893. "A.A.Potebnja, kak jazykoved-myslitel'", Kievskaja starina, Kiev [A.A. Potebnja comme linguiste penseur].
- 1895. Jazyk i iskusstvo, SPb [Le langage et l'art]
- 1896. "Očerki nauki o jazyke", Russkaja mysl' [Notes sur la science du langage].
- 1902. Sintaksis russkogo jazyka, SPb, 312 ctr. [Syntaxe du russe]
- 1908. Grammatika russkogo jazyka, Moskva [Grammaire du russe]
- 1909. Rukovodstvo k izucheniju sintaksisa russkogo jazyka, Moskva [Manuel d'étude de la syntaxe du russe].
- 1912. Sintaksis russkogo jazyka, Sankt-Peterburg [La syntaxe russe].
- 1922. Psixologija nacional'nosti, Petrograd [La psychologie de la nationalité]
- 1923. Teorija poèzii i prozy, Petrograd [Théorie de la poésie et de la prose].
Commentaires :
- GORNFEL'D A. : "Kločki vospominanij o D.N. Ovsjaniko-Kulikovskom", Vestnik literatury, 11, 1920, str. 19-20.
- KOROLICKIJ M. : "Pamjati D.N. Ovsjaniko-Kulikovskogo", Vestnik literatury, 11, 1920, str. 18-19
- Elena KOKOCHKINA : "Les propositions impersonnelles vues par les représentants du courant psychologique : A.A. Potebnja et D.N. Ovsjaniko-Kulikovskij", in Patrick Sériot et Alain Berrendonnner (eds.) : Le paradoxe du sujet. Les propositions impersonnelles dans les langues slaves et romanes, Cahiers de l'ILSL, 12, 2000, Univ. de Lausanne, pp. 123-145.
- Elena SIMONATO (KOKOCHKINA) : Une linguistique énergétique en Russie au seuil du XXe siècle. Essai d’analyse épistémologique, Slavica Helvetica vol. 73, Peter Lang, Berne, 2005, ISSN 0171-7316, ISBN 3-03910-453-5.
- OL'DENBURG S.F. : "D.N. Ovsjaniko-Kulikovskij, sanskritist i lingvist", Načalo, 2, 1922, str. 7-11.
- ŠČERBAKOVA M.F. : "Iz vospominanij D.N. Ovsjaniko-Kulikovskom", Russkaja reč', 4, 1973, str. 102-107.
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