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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-иссдедовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


— Ecole doctorale lémanique en histoire des théories linguistiques.
Univ. de Lausanne, 10-12 juin 2010
Organisation :
CRECLECO / Section de langues slaves  (Université de Lausanne)
Lieu : Hôtel de la Tour d'Aï, Leysin (Vd)


Les travaux du module 5 cette année auront pour thème général :

«L'historicité dans l'histoire des théories linguistiques»

(cliquer sur les images pour agrandir)
 

Programme

Jeudi 10 juin 2010

— 9 h 00 Accueil des participants

— 9 h 15 Patrick SERIOT (Lausanne)

Présentation de l'école doctorale et du CRECLECO (Centre de recherches en épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale)
Présentation du site web du CRECLECO

— 9 h 30 Didier SAMAIN (Paris-VII)

1) À quoi bon l’histoire ?
2) Ni lieu, ni langue. D’autres histoires sont-elles possibles ?

— 12 h fin de l'exposé
— 12 h 30 repas

Après-midi  : présentation des travaux de thèse

— 15 h 00 Sébastien MORET (Lausanne)

Antoine Meillet et le futur des empires

— 15 h 30 Vladimir FEŠČENKO (Lausanne-Moscou)

La quête du sens dans l’insensé. De l’histoire des études de la glossolalie aux confins des XIXe et XXe siècles

— 16 h 00

pause

— 16 h 30 Margarita SCHOENENBERGER (Lausanne)

De l’histoire du concept de langue «littéraire» en linguistique soviétique et postsoviétique à l’étude d’une éventuelle représentation sociale.

— 17 h Inna TYLKOWSKI-AGEEVA (Lausanne)

La réception de la conception de Freud dans les années 1920 en Russie

— 17 h 30 Katre VÄLI (Tartu)

Media spectacles – nowadays carnevals. Reversal of the significations and breaking boundaries


Vendredi 11 juin 2010

— 9 h 00 Guy JUCQUOIS (Louvain)

Histoire et pensée linguistique. Questions interstitielles
1) L’histoire des théories linguistiques fait-elle partie de l’épistémologie de ces théories ?
2) Faut-il décidément choisir entre la linguistique aréale et la linguistique génétique ?

— 11 h 30 Tatjana ZARUBINA (Lausanne)

Le «dispositif» : un nouvel outil pour l’étude de l’interculturel ?

— 12 h 30 repas

Après-midi  : présentation des travaux de thèse

— 15 h Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne)

Des méthodes linguistiques transposées en ethnographie : la « synchronie panchronique » dans l’œuvre de  P. Bogatyrev, lecteur de F. de Saussure

— 15 h 30 Zinaïda VASILYEVA (Neuchâtel)
Les idées pragmatiques dans l’œuvre de Volochinov « Marxisme et philosophie du langage »

— 16 h pause

— 16 h 30 Piera FILIPPI (Palermo)

Emotional sounds at the origins of language

— 17 h Mladen UHLIK (Ljubljana-Lausanne)

Filipp Fortunatov et Baudouin de Courtenay : deux conceptions du développement linguistique et de la parenté des langues

— 17 h 30 Emmanuel LANDOLT (Lausanne / Saint-Gall)

Comment J. Kristeva a lu Ju. Lotman


Samedi 13 juin 2010

— 9 h 00 Donatella FERRARI-BRAVO (Pise)

1) Sur l'historicité: Réflexions méthodologiques
2) Le concept de "slovo" dans la tradition linguistique et philosophique russe

— 11 h 30 Irina IVANOVA (Lausanne)

La notion de langue dans les discussions des formalistes russes

— 12 h 30 repas

Après-midi  : présentation des travaux de thèse

— 14 h 30 E. SIMONATO (Lausanne)

Polivanov à propos des phénomènes négatifs dans la langue russe

— 15 h Kateřina CHOBOTOVA (Lausanne)

Le discours sur la théorie de la langue littéraire dans le marxisme officiel en Tchécoslovaquie

— 15 h 30 Davide BRUZZESE (Cosenza)

D'un point de vue des anagrammes

— 16 h Bilan et perspectives



Résumés

 

— Davide BRUZZESE (Cosenza) : D'un point de vue des anagrammes

Ferdinand de Saussure travaille sur les anagrammes entre le 1905 et le 1909 et il consacre à cette recherche environ 3700 pages d’écrits qui restent inédites.
Le linguiste genevois commence son étude parce qu’il suppose qu’à partir de la poésie grecque l’auteur va composer en ayant comme source un mot-thème. De cette façon, si dans une poésie est considéré comme important le nom de la personne à laquelle elle est dédiée, alors ce nom va apparaître dans les vers du poème distribué dans l’unité du diphone.  
Mon exposé partira par de considérations au regard de la recherche saussurienne et en particulier on dira que selon Saussure l’anagramme n’est pas tout simplement un mot formé par la transposition des lettres d’un autre mot, mais il s’agit plutôt d’un moyen pour étudier la langue dans sa matérialité et d’une manière de mettre en cause la question de la temporalité.
Dans la deuxième partie de mon intervention sera analysé le parcours de la renaissance des études sur les anagrammes. Cet intérêt a été relancé au début des années 170 par Jean Starobinski, qui a collecté et mis au point dans son texte Les mots sous les mots des considérations déjà présentes à l’état embryonnaire dans un article écrit par lui-même en 1964 (« Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Textes inédits », Mercure de France, 350, pp. 243-262). Starobinski a présenté une étude sur la façon dont la recherche de Saussure allait s’accomplir dans le temps et il a exposé des considérations originales.
En suivant des articles contenus dans certaines volumes des Cahiers Ferdinand de Saussure et les réflexions de Jakobson, Kristeva, Rossi, Gandon, Testenoire et d’autres auteurs, on présentera une reconstruction des interprétations qui ont été données sur la recherche des anagrammes.

Kateřina CHOBOTOVA (Lausanne) : Le discours sur la théorie de la langue littéraire dans le marxisme officiel en Tchécoslovaquie

Le discours sur la théorie de la langue littéraire dans la linguistique tchécoslovaque du XXème siècle sera analysé dans l’exposé à travers l’analyse d’articles de Cercle linguistique de Prague, notamment de Bohuslav Havránek, fondateur de cette théorie, qui datent de 1929 jusqu’à 1960, et de ses  nombreux critiques.  
La théorie de la langue littéraire est développée dans le cadre du Cercle linguistique de Prague dans les années 1930. La notion structuraliste de langue littéraire se distingue de concepts précédents, de théorie du bon auteur où la langue littéraire est créé uniquement par des auteurs considérés de bonne qualité ou d’approche puriste où la langue littéraire est celle de purifiée de tout emprunt et néologisme.
La langue littéraire au sens structuraliste se définit par sa fonction – son but.  Elle est conçue comme la langue apte à exprimer la vie culturelle et scientifique d’une façon cultivée et intellectuelle, employée conformément à la situation communicative. Les structuralistes considéraient la langue littéraire comme un système à part, délimitée par rapport aux dialectes géographiques, réservée à la classe des intellectuels.
Une certaine exclusivité de la langue littéraire exige une modification suite à l’intervention stalinienne à la linguistique en 1950. En analysant le discours sur la théorie de la langue littéraire après 1950, nous essayerons d’éclaircir la mesure de l’influence de la notion marxiste de langue du peuple tout entier, ainsi que les conséquences de la réhabilitation de la méthode historique comparée.
Les modifications de la théorie de la langue littéraire en harmonie avec des principes de la science marxiste aussi bien que le rôle de Bohuslav Havránek dans ce discours seront également discutés dans l’exposé.

Vladimir FEŠČENKO (Lausanne-Moscou) : La quête du sens dans l’insensé. De l’histoire des études de la glossolalie aux confins des XIXe et XXe siècles
 La nouvelle linguistique et la nouvelle psychologie qui prennent naissance à la fin du XIXème siècle témoignent de l’émergence de l’interêt scientifique pour les phénomènes glossolaliques. Dans cette intervention, nous nous pencherons sur quelques épisodes et quelques aspects des études de la glossolalie aux confins des siècles.
D’abord, nous nous concentrerons sur le cas d’Hélène Smith, qui a attiré l’attention de deux grands linguistes de l’époque – Ferdinand de Sausssure et Victor Henry – qui en ont fait deux tentatives différentes por interpréter le ‘langage martien’.
Puis, nous tenterons d'aborder quelques problèmes linguistiques théoriques évoqué par ces analyses. Surtout il s’agira des antinomies telles que ‘conscient/inconscient’, ‘compréhensible/incompréhensible’, ‘sens/insensé’ dans le langage.
Enfin, nous aborderons au travers du contexte culturel des études de la glossolalie, en donnant quelques exemples typologiques dans le domaine de la poésie du début du XXme siècle.
Quels sont les principaux enjeux linguistiques débattus autour des études et pratiques de la glossolalie? Cet exposé sera une tentative de répondre à cette question.

Donatella FERRARI-BRAVO (Pisa) :
1) Sur l'historicité: Réflexions méthodologiques.

- Considérations préliminaires
- Relation entre histoire et structure
- Le role de l'étymologie
- Une perspective d'intégration et non pas d'opposition

2) Le concept de "slovo" dans la tradition linguistique et philosophique russe.

Après une présentation, à grands traits, des diverses sphères de pertinence du concept de “slovo”, on propose une analyse concernant les moments fondamentaux, théorétiquement marquants, soit en rapport avec la structure soit au niveau du signifié.
 Ensuite, on envisagera les lignes essentielles des théories linguistiques et sémiotiques du mot, surtout selon la définition et la description données par les philologues. Enfin, pour aboutir à des réflexions plus concrètes, on donnera une lecture raisonnée d'un corpus, redigé en russe, des textes des auteurs analysés.

— Piera FILIPPI (Palermo) : Emotional sounds at the origins of language

The animal cognition analysis could present a profitable challenge in understanding the evolutionary basis of any human complex behaviour. Recent researches have shown that there are remarkable traits in some non human species, whose evolution has been addressed by the same environmental - and mainly social – pressures. The hypothesis advanced in this paper is that the care giving interactions’ structural features and emotional effects might have represented an essential evolutionary condition for the rising of an intrinsically musical kind of protolanguage, and thus, for the emergency of the ability of joint agency. Specifically, from this perspective, it would be interesting to investigate the sound patterns nature in care giving contexts, in order to find some common features in songbirds, non human primates and humans, taking into account their emotional and cognitive effects.
According to the research conducted about the function of emotions in infants’ cognitive development, the idea is to switch the communicating dynamics between children and their caregiver on the first Homo’s utterances, in order to distinguish the common communicative patterns. Indeed, in mother-child (non-verbal) interactions, emotions play a decisive role in addressing the interagents ability to focus their attention on sensorial variations, processing meanings tied to their emotional fine tuning, and then towards objects of the external environment.
In other words, emotions represent the cognitive basis for the development of the capacity of regulation and interest in the external world and subjects. This paper proposes to apply such latter considerations on the very first interactions among hominids. In this direction, an investigation about Wray’s holistic protolanguage assumption could offer significant research hints. Her idea is that the first expressions were formulaic and internally amorphous, though efficient in their performative, manipulative purposes. While accepting the considerations about the pragmatical nature of these messages, I find more likely that a main role in addressing the manipulative and exploring process of meaning was assumed precisely by a sort of adaptive phonological syntax, intrinsically tied to the emotional sphere.
In this direction, some recent studies on bird songs could provide us with interesting data. Indeed, it is proved that birds and humans share an evolutionary path addressed by the same environmental (and mainly social) pressures. In particular, some experiments have demonstrated that birdsongs display a discrete internal structure, whose length and articulation provide a highly adaptive sexual attraction and territory defensiveness. This data suggests the possibility that the first hominids’ utterances were likely to be phonologically structured, for the same adaptive reasons.
On the basis of such arguments, I find very plausible the idea that the first Homo individuals displayed a discrete phono-syntactical and non semantic structure. These utterances might have been nonetheless absolutely able to affect the companion’s behaviours, since creating emotionally meaningful communicative streams with the ability to guide the perception of the external world. Moreover, this kind of “sound emotional” exchange plausibly provided the individuals with a crucially selective reassuring sense of affiliation, and consequently with an evolving mutual cooperative living space, which puts the care-giving context into perspective.

— Irina IVANOVA (Lausanne) : La notion de langue dans les discussions des formalistes russes

 Actuellement, la théorie des formalistes russes intéresse beaucoup de chercheurs aussi bien en Russie qu’en Occident. Cependant, les discussions des formalistes sur le phénomène de la langue n’ont encore attiré l’attention ni des critiques littéraires, ni des spécialistes en histoire des idées linguistiques. Notre exposé tente de remplir cette lacune.
Le problème de la langue occupait une place importante dans les discussions des formalistes, bien qu’il n’ait pas été présenté de façon explicite. Actuellement, on parle beaucoup de l’influence de Potebnja sur leur théorie, cependant, notre analyse montre qu’il y avait aussi une  influence croisée des idées de Veselovskij et de Baudouin de Courtenay.  Même au sein du  groupe  d’OPOJAZ, il y avait trois approches différentes du  phénomène de la langue.

Guy JUCQUOIS (Louvain) : Histoire et pensée linguistique. Questions interstitielles

1) L’histoire des théories linguistiques fait-elle partie de l’épistémologie de ces théories ?
• Les présupposés en présence
• Une épistémologie anhistorique et universaliste
• Une vision contextualiste et historique
• L’historiographie des théories sur le langage
• La nécessaire contextualisation du langage et des théories sur celui-ci
• Distanciations et prises de consciences : le comparatisme et l’historicité
• Une « vérité » en perpétuelle construction, une « vérité » plurielle

2) Faut-il décidément choisir entre la linguistique aréale et la linguistique génétique ?

• De quelques difficultés de la linguistique comparative contemporaine
• Le choix difficile et critiquable entre linguistique aréale et linguistique génétique
• Les liens avec les matrices dominantes diffusionnisme, aréalisme et romantisme ; génétique, évolutionnisme et arborescences génétiques
• Les difficultés : idéologiques, parentés en chaîne, solutions multiples, etc.
• Langues mixtes, Mischsprachen, créoles, pidgins ? Une solution explicative ?
• Des modèles explicatifs liés à des paradigmes révolus
• Des réflexions issues d’une histoire des langages humains naturels :
• Les langages animaux
• Les langages des hominidés
• Les structures élémentaires prédicatives
• Le passage à des structures complexes
• Les débuts de la sédentarisation
• Des agglomérats humains
• L’arme alimentaire dans un contexte de spécialisation
• Les modifications urbanistiques
• Une société fortement hiérarchisée
• Les adaptations langagières
• La syntaxisation des langues
• Irradiation des langues, irradiation des pouvoirs
• La nécessaire contextualisation
• La différenciation des liens linguistiques
• La survie des liens antérieurs et leurs développements récents (liens aréaux)
• Les débuts des liens « génétiques »
• Les parentés en chaînes : confusions entre le génétique et l’aréal.
• Conclusions 
• Explications évolutives
• Une adaptation explicative (cf. premier exposé)

— Emmanuel LANDOLT (Lausanne / Saint-Gall) : Comment J. Kristeva a lu Ju. Lotman

Parmi les milles manières de lire un texte, celle avec laquelle Julia Kristeva a lu Lotman dans les années 60 reste curieuse et symptomatique des obsessions d’une époque. Kristeva propose ainsi une introduction à Lotman et à son école à travers le prisme d’une lecture théorique décontextualisée. A partir de son article introductif à la nouvelle sémiologie en URSS paru dans Tel Quel et les malentendus que celui-ci véhicule, nous allons essayer de reconstituer cette rencontre indirecte entre deux penseurs différents, et interroger plus largement les rapports entre ces deux destins intellectuels aux évolutions riches et fertiles qui dessinent une image assez complète de l’histoire des idées au XXe s.. Si Kristeva croyait trouver en Lotman un allié théorique, un dissident affiché, un contempteur de la pensée petite-bourgeoise, un marxiste convaincu, elle avait de facto en face d’elle un ennemi de premier choix. C’est l’histoire théorique de ce quiproquo qu’il faudra donc raconter.  

— Sébastien MORET (Lausanne) : Antoine Meillet et le futur des empires

En revenant en 1928, dans l’avant-propos à la seconde édition des Langues dans l’Europe nouvelle, sur les dix années qui venaient de s’écouler depuis la première édition de 1918, Antoine Meillet ne pouvait que constater l’avènement d’un monde nouveau. Entre 1918 et 1928, il est vrai, la physionomie du continent européen avait radicalement changé : des frontières avaient disparu, des empires s’étaient effondrés, des pays nouveaux s’étaient levés. Le nouveau visage de l’Europe avait été officialisé lors des conférences de paix de 1919-1920, mais avant cela il y avait eu de très nombreuses discussions pour savoir à quoi ressemblerait l’Europe à la fin du conflit.
Dans cet exposé, nous nous proposons d’analyser la participation d’Antoine Meillet à ces discussions relatives à l’Europe nouvelle, en nous consacrant essentiellement à ses idées concernant le futur des quatre empires qui recouvraient une partie de l’Europe depuis plusieurs siècles déjà : les empires allemand, austro-hongrois, ottoman et russe.

— Didier SAMAIN (Paris-VII) :

1) À quoi bon l’histoire ?

Évoquer le caractère historiquement situé du savoir revient, trivialement, à constater l’historicité des phénomènes sociaux. Pour une science en action, portée sur la crête d’un présent perpétuel, cela ne suffit pas à faire de l’histoire des savoirs autre chose qu’une curiosité archéologique. Pourquoi alors l’histoire ? On peut aussi invoquer une spécificité des sciences humaines, dont l’objet serait historique par définition. Mais en conclure à une historicité spécifique des disciplines n’est qu’une pétition de principe. Autre argument : dans ces disciplines, le lien entre la construction de l’objet et sa description serait intrinsèque, au point d’aboutir à ces prophéties autoréalisatrices que sont dans une large mesure la langue, la phrase (ou la nation, ou l’économie marchande), naturalisées à mesure qu’on en oublie le caractère conjoncturel. Mais a-t-on besoin, à l’inverse, de faire l’histoire des sciences pour se prémunir contre ce naturalisme ? Notre énoncé de départ suffit pour répondre par la négative.
À quoi bon l’histoire alors ? Parfois à rouvrir des possibilités refermées par l’évolution des savoirs (ce qu’on montrera dans la seconde conférence). À montrer aussi que les choses sont plus complexes qu’il y paraît. On soulignera deux points.

1) Tous les concepts scientifiques sont le résultat d’une conjoncture historique, mais tous n’y sont pas soumis au même degré. Dans une discipline à fondement taxinomique comme la linguistique, l’historicité détermine des champs d’investigation et la manière de les aborder, mais a peu d’effet sur les concepts de premier ordre, plus ou moins corrélables à des objets empiriques immédiats (ex. « nominatif »). Le caractère syncrétique de la grammaire ressort de ce fait très clairement.
2) Ces concepts strictement taxinomiques mis à part, il n’est guère possible de définir un outillage en fonction de sa seule valeur technique, car ce qui est soumis, de manière souvent invisible, à l’historicité n’est pas le « référent » des notions, mais leur mémoire épisodique, c’est-à-dire le réseau argumentatif dans lequel elles sont insérérées. Or si l’effacement de cette mémoire produit inévitablement des distorsions, il semble par ailleurs être une condition normale de la mise en circulation des notions. Cette aporie n’est pas réductible, et implique que l’opérativité technique d’un concept est presque inévitablement corrélée à des malentendus historiques

2) Ni lieu, ni langue. D’autres histoires sont-elles possibles ?

 En parlant de langue ou de dialecte, le linguiste construit un objet qui, à proprement parler, n’existe pas. Ce nominalisme méthodologique est inévitable, et l’illusion ne commence que pour qui croit en l’existence réelle du modèle et, a fortiori, aux fétiches rétrospectifs que furent en leur temps le « francien » ou l’« indo-européen ». L’historiographie des sciences du langage procède de même, en construisant par exemple un « paradigme comparatiste », ou en pointant, au début du 20ème siècle, les spécificités d’une tradition française, d’inspiration sociologique, distincte de la « linguistique allemande ». Dans les deux cas, la sélection de certains traits est censée aboutir à la mise en évidence d’une configuration prégnante.
Indépendamment de leurs éventuels enjeux sociologiques, ces constructions posent deux questions à l’historien : 1) comment se sont-elles constituées ? 2) Réciproquement, d’autres appariements sont-ils ou étaient-ils possibles ? Pour y répondre, la polémique sur les « lois phonétiques » peut servir de point de départ illustratif. Rappelons en effet, que, par delà ses effets d’annonce, le réductionnisme des néogrammairiens était méthodologique. Qu’il ait été rejeté par les dialectologues est une chose, il n’en a pas moins montré sa fécondité (avec les lois de Werner par exemple) et ne méritait pas l’imputation de scientisme naturaliste. La critique des lois phonétiques repose donc en partie sur un malentendu.
Fait peut-être plus intéressant, ou moins médiatisé, l’opposition France-Allemagne a contribué à occulter une autre coupure géographique, qui a joué un rôle déterminant dans l’orientation ultérieure des sciences du langage, celle qui sépare la linguistique telle qu’elle s’est pratiquée aussi bien à Paris qu’à Leipzig et Berlin de celle qui s’esquissait simultanément à Vienne ou Graz, c’est-à-dire, d’un côté, des lieux où le concept de langue a été conçu, sinon toujours comme allant de soi, du moins assumé comme artefact méthodologique nécessaire, voire étayé sur un monolinguisme fantasmé, et des endroits où de tels principes étaient de facto beaucoup plus problématiques, dès lors que la polyglossie et la mixité des langues y étaient la règle. La polémique qui a opposé Meillet et Schuchardt, que rapprochait pourtant leur commune opposition à l’école de Leipzig, en fournit une bonne illustration.
Troisièmement, cette autre configuration, ou cet autre paradigme, conduit à d’autres regroupements, intégrant par exemple la réflexion, ou plus exactement une réflexion sur les langues universelles. Car ici encore les appariements consacrés ne sont pas les seuls possibles. Les deux projets, formellement voisins, de Zamenhoff et de Couturat (l’IDO se voulait un espéranto amélioré) correspondent en effet à des enjeux distincts. De ce point de vue, le projet terminologique du Laienlinguist espérantophone qu’était Wüster paraît accomplir de manière explicite une configuration alternative à celle qui aura dominé le dernier tiers du 19ème siècle et l’essentiel du 20ème, laquelle considère les langues comme un donné incontournable. Chez Wüster au contraire, les langues naturelles ne sont guère que des regroupements parmi d’autres.
Mais si une autre histoire est, ou était, possible, on se demande alors ce qui justifie, en dehors de sa réussite institutionnelle, le privilège accordé à une configuration plutôt qu’à une autre. Cette question n’implique aucun relativisme, mais sonne du moins le glas d’une histoire cohérente, entrecoupée de révolutions scientifiques.

Margarita SCHOENENBERGER (Lausanne) : De l’histoire du concept de langue «littéraire» en linguistique soviétique et postsoviétique à l’étude d’une éventuelle représentation sociale.

 En travaillant sur les textes des linguistes russes consacrés à la langue «littéraire», concept central de la théorie des langues «littéraires», dominante dans la linguistique soviétique à partir des années 1960, j’ai acquis la conviction que cette théorie n’est pas une théorie scientifique et que l’objet auquel je m’intéresse (la langue «littéraire» et ses propriétés) est probablement un objet d’une représentation sociale, notion introduite en psychologie sociale depuis le texte fondateur de Serge Moscovici (La psychanalyse, son image et son public, 1961). Appliquée au domaine des sciences, ce cadre théorique a permis de décrire comment une théorie scientifique est convertie en système d’opinions d’un groupe défini. Mais il est possible de chercher à savoir comment un système d’opinion d’un groupe défini est converti en théorie, qui se veut et est reconnue comme une théorie scientifique. Il me semble pertinent de faire appel à ce cadre théorique pour rendre compte de mon objet d’étude d’une autre façon et pour tenter certaines possibilités offertes par le modèle des représentations sociales.
L’étude du contexte historique de la cristallisation du concept en question et l’examen de sa validité scientifique m’ont amenée à m’y intéresser autrement qu’en prenant seulement acte de son ancrage dans la réalité socio-historique et de ses faibles performances en tant concept opérationnel. Mon hypothèse est d’y voir une corrélation entre des représentations sociales sur ce qui est la langue de la civilisation russe chez un groupe social plus large que la communauté de linguistes, d’une part, et une théorie linguistique qui s’appuie sur elles pour élaborer et cautionner une politique linguistique normative et prescriptive, mais aussi sa propre existence institutionnelle, d’autre part. Les textes de linguistes analysés ont été produits au sein et à l’attention d’une collectivité socialement homogène et issus du même contexte, par conséquent je les considère comme un vecteur par lequel se manifestent les représentations sociales d’un groupe, leur organisation et éventuellement leur transformation.

 Elena SIMONATO (Lausanne) : Polivanov à propos des phénomènes négatifs dans la langue russe

 Dans son étude intitulée «A propos de la langue de la pègre et de la ‘langue slave’ de la Révolution » (1931), Evgenij Dmitrievič Polivanov décrit et analyse ses observations des changements survenus dans la langue russe parlée. Il se focalise sur ce qu’il appelle ‘phénomènes négatifs’, à savoir l’abaissement du style [sniženie stilja] des élèves et son rapprochement au langage des couches sociales basses, celui des hooligans, de la pègre, et, deuxièmement, l’emploi de plus en plus courant des expressions phraséologiques et de toutes sortes d’expressions stéréotypées.
Polivanov entreprend une véritable étude socio-linguistique. Il présente les raisons extralinguistiques de ce phénomène linguistique. Cependant, on remarque que son but consiste à éradiquer les causes profondes de ce phénomène : « En éradiquant la cause, on éliminera la conséquence ».

Inna TYLKOWSKI-AGEEVA (Lausanne) : La réception de la conception de Freud dans les années 1920 en Russie

 Au début du XXe siècle en Russie, la psychanalyse est un élément important de la vie intellectuelle russe. Introduite par les psychiatres-cliniciens, elle ne rencontre pas de résistence. Nommée freudisme, elle ne commence à être critiquée que dans les années 1920. Associée à cette époque au « marxisme » par un grand nombre d’intellectuels, elle devient l’objet des analyses critiques faites par des philosophes-marxistes comme, par exemple, Jurinec, Karev et Deborin, des médecins et des psychologues (Sapir, Vygotskij, et d’autres). Vološinov procède aussi à l’examen des positions de Freud. Il consacre à l’analyse de la conception de ce dernier deux textes : l’article « Au-delà du social » (1925) et le livre « Le Freudisme » (1927). Notre exposé portera sur l’étude comparative de ces derniers. Son but est de montrer la base sur laquelle Volosˇinov critique Freud, ainsi que de mettre en évidence la particularité et l’originalité de sa réception des idées psychanalytiques.  

Mladen UHLIK (Ljubljana-Lausanne) : Filipp Fortunatov et Baudouin de Courtenay : deux conceptions du développement linguistique et de la parenté des langues
 Les dernières décennies du XIXème siècle représentent une époque dans laquelle le modèle génétique de l’explication du développement langagier traverse une époque de crise. Ce modèle, selon laquelle la parenté des langues ne résultent que de la même origine généalogique, devient le cible de critique de certains linguistiques (tels que Schuhardt et Ascoli) qui essayent, à leur tour, de le renverser en s'éloignant de l'interprétation qui s'est fondée exclusivement sur le processus de différention langagière.
C'est dans le cadre de cette problématique que nous présenterons les deux positions, prises par les deux linguistes qui sont souvent considérés en tant que pères fondateur de la linguistique russe du XXème s.: celle de Filipp Fortunatov et celle de Baudouin de Courtenay.
L’analyse contrastive de leurs conceptions du problème du développement langagier ainsi  que celui des limites entre les langues et de l’influence langagière nous servira de base pour vérifier dans quelle mesure les positions de Baudouin de Courtenay différent du paradigme historico-comparatif dans lequel s’inscrit Filipp Fortunatov.

— Kate VÄLI (Tartu) : Media spectacles – nowadays carnevals. Reversal of the significations and breaking boundaries.

 My presentation will focus on a case study of an event (or series of events) that caused a lot of media attention and reactions in Estonia, and blurred the boundaries of theatre, media, and also the everyday reality.
In March 2010 Estonian theatre NO99 (www.no99.ee) known for its sociocritical approach launched a scandalous and provocative project “Unified Estonian Assembly” (detailed information: www.eestieest.ee). What was initiated as a one-time action show such as the theatre has performed before, was followed by a media scandal and became a political event. News and discussions in and outside media grew out of usual theatrical discourse, taking place in theatre, various channels of traditional and new media and in the public space. After a short period of one week, the aims as well as borders of this performance became questionable. Is it a one-time theatre piece surrounded by media scandal, political project fuelled by rivalry from other (real) parties or a coordinated performance (just an illusion of reality of theatre communication)?
In the presentation I will focus on the applicability of the notion of carneval by Mihhail Bahtin, and the position of the fool / joker as a criticizer of the society and the power institutions in the modern society. Besides I will also focus on the notion of spectacle (used by G. Debord, D. Kellner and others).

Zinaïda VASILYEVA (Neuchâtel) : Les idées pragmatiques dans l’œuvre de Volochinov « Marxisme et philosophie du langage »

Dans l’histoire de la linguistique, les années 1960 sont marquées par un intérêt pour les aspects pragmatiques. Les conséquences significatives de ce tournant se retrouvent non seulement dans la linguistique, mais aussi dans les sciences sociales (sociologie de Bourdieu, anthropologie de Girtz). La distinction de la sociolinguistique en tant que discipline spécifique n’est qu’un résultat direct de ce tournant pragmatique.
Avec étonnement, on retrouve dans le milieu des linguistes soviétiques des années 1920-1930 des idées très similaires à celles des pragmatiques anglophones. L’œuvre de Volochinov Marxisme et philosophie du langage témoigne d’un intérêt marqué pour la recherche des liens entre la langue et les phénomènes sociaux. Plus encore,  Volochinov insiste sur la nature sociale des processus cognitifs. Cette détermination sociale apparaît, chez Volochinov, sur trois nivaux : individuel (parole intérieure), interactionnel (entre les interlocuteurs) et public (individu vs société).
Mon exposé a pour but de présenter les idées de Volochivov dans le contexte de la tradition pragmatique anglo-saxone. Plus précisément, je vais discuter les thèses suivantes de Volochinov : la nature sociale du signe, la nature sociale de la cognition et la langue comme phénomène sociologique.

Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) : Des méthodes linguistiques transposées en ethnographie : la « synchronie panchronique » dans l’œuvre de  P. Bogatyrev, lecteur de F. de Saussure

 La méthode synchronique élaborée par P. Bogatyrev (1893-1971) suppose l’étude des phénomènes ethnographiques et folkloriques dans une « coupe temporelle » [vo vremennom razreze] bien précise, « comme de Saussure définit cette méthode en linguistique ». C’est à partir des années 1920 que Bogtyrev essaie d’appliquer la méthode « synchronique (statique) » de Saussure à l’étude du matériau ethnographique, en effectuant plusieurs expéditions en Russie subcarpatique. En analysant les origines théoriques et l’évolution de cette méthode dans l’œuvre de Bogatyrev, nous essayerons de montrer que certaines ambiguïtés dans son interprétation de la notion de synchronie s’expliquent par une lecture (trop ?) fidèle de Saussure, effectuée par Bogatyrev. Entre autres, en aspirant à une étude « synchronique », Bogatyrev inclinait parfois à une interprétation achronique, voire panchronique, de la synchronie : en témoignent non seulement son étude de certains genres du folklore, mais également l’article « Le folklore comme une forme d’art particulière » (1929), écrit en collaboration avec R. Jakobson et établissant un parallélisme entre l’art populaire et la notion saussurienne de langue.

 Tatjana ZARUBINA (Lausanne) : Le «dispositif» : un nouvel outil pour l’étude de l’interculturel ?

Le dispositif est un ensemble multilinéaire composé d'éléments de nature différente, avant tout des discours et des objets. Il crée une doxa, des valeurs explicites et implicites ainsi que des représentations (dans notre cas, du Sujet). « Nous appartenons à des dispositifs et nous agissons en eux »[1]. L’idée du dispositif nous permettra de travailler sur ce qui « définit » chaque horizon d’attente intellectuel et ce qu’il rejette à la périphérie.
Il nous semble prometteur de recourir à l’idée du dispositif pour l’appliquer dans le champ de l’épistémologie comparée et plus exactement à la description et à l’explication du fonctionnement du mécanisme de transformation des théories du Sujet dans le transfert « culturel » entre le monde francophone et russophone. Pour cette raison nous allons reprendre ce que dispositif signifie chez Foucault puisque, d’une part, le dispositif est un ensemble d'éléments hétérogènes ayant un effet normatif sur son « environnement », car il y introduit certaines prédispositions (par exemple, dans la façon de percevoir l’individu et ses rapports avec la collectivité ou à la réception de telles ou telles idées). Le dispositif crée une tendance à ce que certaines choses « arrivent ».
Dans le cas du transfert des théories du Sujet, il va s’agir de répondre à la question de savoir pourquoi une des représentations du Sujet a autant de succès dans les sciences humaines en Russie. Mais il ne faut pas croire que l’idée du dispositif peut expliquer tous les phénomènes ou que derrière cette idée se cache une nouvelle version du déterminisme quelconque. Le dispositif est moins le déterminisme qui nous produit que l’obstacle contre lequel réagissent ou ne réagissent pas notre pensée et notre liberté. Il ne se borne pas à informer l’objet de connaissance : il agit sur les individus et la société, or qui dit action dit réaction. Le dispositif commande, réprime, persuade, organise ; il est le point de contact ou même de conflit entre les règles et les individus. Ce qui signifie qu’il est toujours possible de renverser un dispositif, pour cela il faut contester ce dernier, « disqualifier des énoncés » que le dispositif appuie.



[1] Deleuze, 1989, p. 190.